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N°15/16
LE RAPPORT SCHLOESING
II. - LA POLITIQUE INDUSTRIELLE [1]

     La politique industrielle est conduite par le ministère de l'Industrie. Quelle est donc cette administration qui a en charge d'aussi lourdes attributions?

     Le bottin administratif, document dont les mérites sont méconnus, nous renseigne avec précision. Le ministère de l'Industrie, ce sont:
     - une mission juridique;
     - un conseil général des mines;
     - une inspection générale de l'industrie et du commerce;
     - un commissariat général à la mobilisation industrielle;
     - un commissariat à la normalisation;
     - un service de relations publiques et d'information
     - un groupe de réflexion sur les stratégies industrielles
     - un service des programmes des organismes de recherche
     - un service du traitement de l'information et des statistiques industrielles avec un secrétariat général, trois sous-directions et un centre d'enquêtes;
     - un délégué aux économies de matières premières;
     - un délégué chargé de la recherche industrielle et de la technologie;
     - une direction de l'administration générale avec trois sous-directions; *
     -une délégation générale à l'énergie; *
     - un comité consultatif de l'utilisation d'énergie
     - une agence pour les économies d'énergie; *
     - un délégué aux énergies nouvelles;*

     - une direction des carburants comprenant:
 · des services centraux avec huit services,
 · des services extérieurs avec trois services,
     - un conseil supérieur du pétrole;*

     - une direction du gaz, de l'électricité et du charbon comprenant:
 · un secrétariat général avec quatre services,
 · des services extérieurs du gaz et du charbon,
 · des services extérieurs de l'électricité,
     - un conseil supérieur du gaz et de l'électricité,*
     - un comité technique de léélectricité,*
     - un comité technique permanent des barrages; *

     - une direction générale de l'industrie comprenant:
 · un service des affaires internationales avec un conseiller diplomatique, un conseiller industriel, un conseiller financicr et deux sous-directions,
 · un délégué à la petite et moyenne industrie avec un bureau du développement des entreprises.
 · un service des affaires industrielles, économiques et financières avec un conseiller fiscal, un département de conjoncture et un département du développement industriel;
     - une mission à l'informatique dont il faut parler au passé puisqu'elle vient d'être supprimée;
     - un comité consultatif de la recherche en informatique et en automatique;
     - un institut de recherche d'informatique et d'automatique;

     - une direction ** des  industries métalliques, mécaniques et électriques avec onze chargés de mission et comprenant:
 · un secrétariat général,
 · quatre sous-directions verticales et un service économique et financier;

suite:
     - une direction des industries chimiques, textiles et divers, comprenant:
 · des services généraux (quatre services),
 · des services sectoriels: six sous-directions;

     - une direction de l'industrie électronique et de l'informatique avec un chargé de mission interministériel et comprenant deux sous-directions verticales et un service économique et financier;

     - une direction des mines** comprenant:
 · un service central de sûreté des installations nucléaires,
 · un groupe méthodes, «cellule de recherche et d'expérimentation administrative» qui «conduit une recherche active sur les méthodes d'analyse, de formation et de contrôle de l'action, utilisée par divers agents économiques et sociaux»,
 · des services communs,
 · un service de la géologie, des minerais métaux et matériaux de construction, avec un conseiller géologique et un conseiller scientifique,
 · un bureau de la législation,
 · un bureau de documentation minière,
 · un service des affaires professionnelles,
 · un service des techniques industrielles,
 · un service des techniques du sous-sol et de l'environnement industriel, **
 · un service de la technologie comprenant:
      ·une division de la recherche industrielle et de innovation,
      ·un service de l'ingéniérie,
 · un service de la propriété industrielle,
 · un bureau national de la métrologie,
 · un bureau national de l'information scientifique et technique,
 · un service de la qualité des produits industriels,
 · un service des instruments de mesures comprenant:
      ·une commission technique des instruments de mesure,
      ·une inspection générale,
      ·un comité de direction,
      ·un secrétariat central,
      ·un service technique,
 · un service des affaires régionales,
 · un service des chambres de commerce et d'industrie avec trois divisions,
 · un service du développement régional,
 · un service de la formation avec deux divisions,
 · des services extérieurs de l'industrie et des mines.

     Cette énumération se suffit à elle-même: le chevauchement des attributions, les doubles et triples emplois, le fractionnement des tâches ne peuvent pas permettre de conduire une véritable politique industrielle. Les services horizontaux et verticaux se superposent tandis que les délégués fleurissent en marge des directions traditionnelles. Chaque direction traite des affaires économiques et financières comme des problèmes internationaux qui la concernent. Mais ces mêmes questions sont traitées par des services spécialisés qui ne dédaignent sans doute pas non plus de s'intéresser aux problèmes sectoriels.
     De modification en restructuration, le ministère de l'Industrie est devenu une administration complexe et sans doute difficile à gérer. On sait que lorsque la médecine ne peut plus guérir les malades, il reste la chirurgie.

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     Une opération de remise en ordre pourrait être, à supposer qu'elle puisse la conduire, confiée à une inspection générale revivifiée et nantie d'objectifs précis. Une meilleure organisation du corps de l'inspection générale constituerait toutefois un préalable à une telle entreprise.
     Il y a peu de risque à tailler dans cet ensemble hétérogène et mal adàpté au développement économique moderne. A coup sûr, l'on y accomplit des tâches non nécessaires et parfois inutiles. Quelle ne serait pas la réputation d'un Ministre qui aura donné luimeme, dans son propre ministère, l'exemple du redéploiement in~ dustriel.
     Cette administration -est aussi une administration cloisonnée où chacun entend ~re maître dans son secteur. Les services poussent à la réalisation des prouesses techniques mais s'attardent moins àconsidérer le marché des produits, le financement des programmes, le bilan des entreprises.
     La politique sectorielle conduite par le ministère de l'industrie au cours des dernières années n'a guère connu le succès, ainsi que le rappelait le Rapporteur général de notre commission des Finances dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 1978. Des fonds sont souvent distribués sans que des objectifs précis soient fixés et des obligations imposées à leurs bénéficiaires. Votre commission des Finances a relevé à plusieurs reprises le laxisme avec lequel ont été gérés les crédits d'action de politique industrielle. Les comptes rendus qui sont produits sur la consommation de ces crédits ne pêchent pas par excès de précision et ne témoignent pas en faveur des gestionnaires.
     Qu'il s'agisse des prêts du F.D.E.S. ou des dotations budgétaires, le Parlement a toujours voté les crédits qui lui étaient demandés, mais il ignore totalement les modalités selon lesquelles ils ont été distribués[2]. Cette clandestinité fait problème. En premier lieu, elle est contraire à la lettre des textes comme à l'esprit de nos institutions. Les fonds publics ne doivent pas être dispensés dans le secret des bureaux, hors de l'information du Parlement. Le nombre des bureaux, des services, établissements financiers et des organismes divers qui ont à traiter de tels dossiers fait que finalement seuls les parlementaires sont tenus à l'écart de l'emploi des fonds publics.
     En second lieu, les méthodes utilisées peuvent faire naître tous les soupcons, à défaut de les justifier. Qui peut prétendre que le concours apporté à telle ou telle entreprise n'a pas perturbé la concurrence dans le secteur considéré et créé ainsi des distorsions anormales. Sans que l'on connaisse la raison de leur choix ni leurs critères d'intervention, les pouvoirs publics décident de venir en aide à tel secteur ou à telle entreprise. Ce faisant, ils décident a contrario de laisser sans concours publics les secteurs ou les entreprises qu'ils négligent. L'Etat choisit ceux qu'il va aider[3]. En s'exprimant d'une autre manière, on pourrait dire qu'il choisit ses chômeurs. Procède-t-il de façon toujours rationnelle, intervient-il dans les cas les plus aigus, ordonne-t-il ses priorités dans l'équité la. plus totale? Qui peut dire s'il aide celui qui en a le plus besoin ou celui qui a su lui présenter le meilleur dossier?
suite:
     Qu'il soit possible de poser des questions de cet ordre suffit à prouver que le système est malsain et qu'il convient de le réformer. Une entreprise qui se trouve en difficulté, sans que la qualité de ses dirigeants soit en cause, peut faire savoir qu'elle a demandé et obtenu l'aide de l'Etat et que cette aide lui a été accordée dans telle ct telle conditions. Si les dossiers étaient ouverts, si l'information était complète, à coup sûr les chasseurs de subventions seraient moins nombreux et l'on pourrait être presque assuré que les entreprises qui viendraient demander l'aide des pouvoirs publics le feraient à bon escient.
     Les crédits publics ne peuvent plus être, en ce domaine, consommés comme ils l'ont été jusqu'alors. Il convient d'établir une déontologie qui rétablisse et la clarté et la rigueur.
     Une administration mieux articulée, plus resserrée et plus homogène pourrait sans doute conduire à des réflexions plus synthétiques sur notre type de croissance et sur la nouvelle répartition internationale du travail. Il ne s'agit pas de produire à nouveau de savantes études aussitôt enfouies dans les tiroirs mais d'essayer, en liaison avec les organisations professionnelles, de définir quelques orientations précises et quelques conclusions pratiques.
     La façon[4] dont n'a pas été conduit notre développement industriel nous met en face d'une situation dont l'issue est incertaine. Le développement industriel des pays à bas salaire a mis en péril quand il n'a pas supprimé des pans entiers de notre appareil industriel, spécialement en ce qui concerne les biens de consommation et les biens durables. L'industrie textile est à la dérive et, avec elle, l'ameublement, la chaussure et les cuirs et peaux. D'autres secteurs sont en situation difficile. La chimie vacille, la sidérurgie est tombée.
     Peut-on soutenir que sur le long terme, alors que notre balance agricole n'est plus excédentaire, les importations, et notamment les importations d'énergie, pourront être réglées par les seules exportations de procédés techniques et de produits à haute technologie. On sait certes que notre industrie électrique et électronique est en bonne santé. Cependant, visitant le dernier S.I.C.O.B., l'auteur de l'éditorial du dernier numéro d"une revue d'anciens élèves notait:
«l'effacement progressif du matériel français n'est qu'une des manifestations du tragique déficit de notre commerce extérieur en biens d'équipement. Non seulement nous ne fabriquons plus, depuis longtemps, de machines à écrire, mais nous sommes pratiquement absents de toutes les techniques modernes ou de pointe: dictaphones, calculateurs de poche, reprographie, télécopieurs, machines à traitement automatique de textes, photocomposition, microfilm et microfiche, édition de microfilms en sortie d'ordinateur».
     Certes notre balance de biens d'équipement s'est améliorée, mais nous n'avons pas la puissance industrielle de la République fédérale d'Allemagne. Pour le reste, nos meilleurs atouts sont les automobiles et le secteur des armes. Peut-on imaginer, s'agissant de l'automobile, que pendant longtemps encore nous pourrons exporter des produits que nos clients ou leurs voisins commencent à fabriquer?
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     L'évolution qui a été celle des dernières années ne peut se poursuivre sans inconvénient. D'une part il arrive que les exportations coûtent parfois fort cher aux contribuables francais, d'autre part la tendance de nos entreprises à rechercher des débouchés pour leurs produits les amène de plus en plus fréquemment à fabriquer à l'extérieur ce que nous étions jusqu'alors en situation[5] d'exporter. A la fin du mois d'octobre dernier, un hebdomadaire économique nous apprenait qu'une société française importante, spécialisée dans les équipements électriques, avait créé une unité de montage au Maroc, était sur le point de créer une filiale en Grèce, et allait faire passer prochainement sa filiale brésilienne du stade semi-industriel à celui de la fabrication complète.
     Bien plus, il arrive que nous vendions des installations industrielles en assurant aux acquéreurs un débouché pour ce qu'ils vont produire. Lorsqu'il s'agit d'automobiles en particulier, nous en arrivons en quelque sorte à fabriquer notre propre concurrence, ainsi de l'installation de Peugeot en Roumanie, L'hebdomadaire économique auquel il vient d'être fait référence notait, dans ce même numéro, la satisfaction de l'état-major de la Société Renault après la conclusion d'un contrat portant sur la construction d'une usine au Pakistan. L'affaire était rapportée en ces termes: «Renault a enlevé l'affaire en prenant une participation de l'ordre de 10% dans le capital de la société locale. Le financement français - assuré par un consortium de banques françaises dont la Société Générale est le chef de file - assure 60% du coût en devises de l'opération, estimé à quelque 1,3 milliard de francs. Une vingtaine d'ingénieurs et de techniciens ont travaillé en permanence depuis 1975 pour assurer l'ingénierie de la nouvelle usine qui, en 1983, produira 6.500 véhicules et 9.000 moteurs Diesel par an. L'intégration locale sera, dans cinq ans, de 50%. Avec l'assistance de Renault-Véhicules industriels international, le tiers de ces fabrications sera exporté au Moyen-Orient ou en Asie du Sud-Est».
     Voilà donc une opération dans laquelle la firmne française est contrainte d'investir, qui a mobilisé une fraction de l'épargne nationale et qui aura pour effet d'interdire à terme l'exportation vers les pays considérés. On aimerait savoir si une telle politique est délibérée.
     Le développement de C.D.F.-Chimie, filiale des Charbonnages de France et des Houillères de bassin, conduit à des réflexions du même ordre.
     Cette société est entrée pour 33% dans le capital d'une société vénézuélienne et a mis en service, sur le territoire vénézuélien une usine capable de produire 50.000 tonnes par an de polyéthylène basse densité. Comme l'indique C.D.F.-Chimie, «le Venezuela, avec cette nouvelle usine, passe du stade de pays importateur de polyéthylène à celui de pays satisfaisant sa demande intérieure et disposant de possibilités d'exportation».
suite:
     C.D.F.-Chimie a également investi, à hauteur d'une participation de 25%, dans une société mexicaine qui a construit à l'est du Mexique une unité de polystyrène d'une capacité de 40.000 tonnes par an. C.D.F.-Chimie s'est, en outre, associé, à hauteur de 28%, à une société portugaise pour installer, au sud de Lisbonne, des unités de potyéthylène haute et basse densité et de polypropylène.
     C.D.F.-Chimie a pris une participation de 16% dans une société qatari et érige au Qatar des installations capables de produire 140.000 tonnes de polyéthylène par an. La plate-forme pétrochimique du Qatar a une vocation exportatrice et doit desservir les pays du golfe et le sud-est asiatique. Enfin, le groupe C.D.F.-Chimie envisage de construire une usine d'engrais azotés dans le golfe Persique, mais dans un autre émirat. D'autres projets sont en voie d'élaboration.
     Certes, une telle démarche prouve le dynamisme des firmes en cause. Au reste, les pouvoirs publics n'ont cessé, à juste titre, d'encourager les entreprises à exporter pour rééquilibrer notre balance extérieure. Il est enfin juste de soutenir que, là où les entreprises françaises n'iront pas, leurs concurrents étrangers sauront prendre la place. Mais, à l'échelle de l'ensemble des pays industrialisés, une telle politique ne trouve-t-elle pas rapidement en elle-même ses propres contradictions? Est-il heureux d'accélérer la fermeture de marchés dont nous avons besoin et d'en subir ultérieurement les conséquences, ne serait-ce que sur le plan de l'emploi? Une telle évolution conduit à s'interroger sur la limite au-delà de laquelle les inconvénients de la division internationale du travail pourraient l'emporter sur ses avantages. Il n'aurait pas été inutile qu'une telle réflexion fût conduite, au moins en ce qui concerne notre propre pays.
     La crise a introduit, dans l'industrie française, un grand trouble. A côté de secteurs relativement prospères, d'autres paraissent en situation bien délicate, et notre industrie ne paraît plus en situation de fournir suffisamment d'emplois. Un problème de cette dimension ne peut être abordé d'un point de vue étroitement sectoriel ou uniquement en réglant, au jour le jour - travail nécessaire -, les difficultés du moment.
      Confrontée aux nouvelles donnes de la situation économique mondiale, l'économie française doit s'interroger sur le contenu de la croissance nouvelle, sur les conséquences d'un rythme plus modéré de développement, sur nos besoins en énergie à cinq, dix, quinze et vingt ans, compte tenu des variations éventuelles de la conjoncture, sur la création d'un tissu dense de petites entreprises, sur la diltabilité des biens, sur le développement des fonctions de réparation et d'entretien, sur la suppression des nuisances et sur la sauvegarde du milieu naturel. De telles réflexions devraient être conduites avec le souci de déboucher rapidement sur des mesures pratiques et avec l'ambition de proposer aux Français une croissance mieux maîtrisée et moins frustrante qu'au cours des années qui ont précédé la crise, mais mieux organisée, plus mesurée, plus soucieuse du bon emploi des ressources et de la répartition des fruits du travail, plus humaine enfin et répondant mieux aux aspirations des hommes d'aujourd'hui.
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ENCART 6
LE RAPPORT GENERAL DE LA COMMISSION
     A titre d'information et pour conclure avec cette annexe n° 23 du rapport de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale, nous donnons ci-dessous in-extenso ce qui a été repris dans le rapport général (tome 1) de la commission (M. Maurice Papon, rapporteur général). Nos lecteurs pourront s'apercevoir que la critique est aussi vive que dans l'annexe. Les passages soulignés sont de notre fait.

a) La politique énergétique
     Dans le domaine de l'énergie, les Pouvoirs publics ont adopté, au cours des dernièrès années, une politique qui a été, dans l'ensemble, appliquée avec constance. il faut s'en féliciter. Toutefois, cette politique n'est pas sans soulever des questions auxquelles il n'a pas toujours été répondu. Cependant, si la production de l'énergie fait problème,les  efforts tendant à l'économiser ne peuvent qu'être approuvés.
     La politique énergétique arrêtée par les Pouvoirs publics appelle des observations qui concernent les orientations retenues, son fondement chiffré, son financement, l'indépendance nationale et la rigidité des solutions adoptées.

1. Des orientations extrêmes et brutalement modifiées
     Les années 60 avaient été consacrées au «tout pétrole». Seul le pétrole, à cause de son prix, était en mesure de satisfaire nos besoins. Un système s'est donc mis en place qui impliquait un approvisionnement massif en hydrocarbures. Pour produire l'électricité, les dirigeants d'EDF ne construisaient plus que des centrales au fuel. Quelques années plus tard, le «tout nucleaire» avait remplacé le «tout pétrole». Et toutes les autres formes d'énergie étaient contestées. Ainsi, on a décidé qu'il fallait réduire de façon drastique les importations de pétrole dont le prix avait plus que triplé, que l'énergie hydraulique appartenait au passé, que la relance charbonnière ne pouvait produire que des effets marginaux et que les énergies nouvelles ne sauraient apporter une contribution significative à notre approvisionnement avant les années 90. On remarquera, à cet égard, qu'il en est de même pour les surrégénérateurs mais les investissements qui concernent ceux-ci sont sans commune mesure avec ceux qui intéressent celles-là. En définitive, seul l'uranium pouvait fournir le supplément d'énergie dont nous avions besoin. Ce raisonnement est-il recevable? En premier lieu, les ressources pétrolières sont très abondantes et elles pourraient encore répondre aux besoins de la planète pendant longtemps, ainsi que la récente conférence d'Istanbul l'a confirmé. Ensuite, l'uranium est un minerai relativement rare et au moins aussi localisé que les hydrocarbures. Notre indépendance énergétique ne peut dépendre de quelques fournisseurs privilégiés et il serait fâcheux de répéter avec le nucléaire l'erreur stratégique qui a été commise avec le pétrole.

suite:
2. Un fondement chiffré à vérifier
     Tout le programme nucléaire français - dont il faut souligner qu'il est d'une nécessité vitale - est fondé sur une différence extrêmement marquée entre le prix du kWh nucléaire et le prix du kWh «fuel». Il a été dit et répété que le premier valait moitié moins cher que le second. Est-ce encore vrai?
     D'une part la comparaison se fait aux bonnes de la centrale, c'est-à-lire qu'elle néglige le coût du transport et de la distribution; or ce coût est au moins égal à celui de la production elle-même. Au surplus, le mode de calcul du coût du kWh nucléaire suppose un taux de disponibilité(1) qui jusqu'alors n'a pas été atteint en moyenne par les centrales en service dans les différents pays occidentaux. Les problèmes de refroidissement laissent de plus à penser que les centrales situées sur les fleuves pourraient avoir à s'arrêter en été pour ne pas élever inconsidérément la température de l'eau; dans ce cas, le prix du kWh se trouverait augmenté. Cet élément a-t-il été pris en considération? On n'a pas retenu non plus semble-t-il le prix du démantèlement de la centrale au terme de sa durée de fonctionnement, démantèlement dont le coût ne peut être que très élevé. On sait, en outre, que le problème des déchets n'est pas totalement maîtrisé, ce qui risque de provoquer des majorations de coût qui ne peuvent être négligées.
     Le coût du kWh nucléaire, tel qu'il est calculé par les Pouvoirs publics, a subi au cours des dernières années des majorations d'une très grande ampleur. Estimé à 3,83 centimes en 1973, il atteindrait aujourd'hui 9,7 centimes, soit une augmentation très vive en francs constants. Tous les éléments du prix ont varié dans de fortes proportions. Le prix du combustible a été multiplié par trois et les charges proportionnelles d'exploitation par plus de 2,5. Plus surpenant encore, les charges d'investissement, dont on aurait pu penser qu'elles étaient exactement mesurées, sont passées de 2,13 centimes à 5 centimes par kWh. Au surplus, il n'y a aucune raison de penser que cette évolution des coûts est parvenue à son terme. Dès maintenant, le kWh nucléaire s'est rapproché du kWh «fuel» et il n'est plus très éloigné du kWh «charbon», tout en restant présentement plus avantageux.
     Il faut se rappeler que l'ensemble du programme nucléaire a été fondé sur des chiffres relatifs aujourd'hui périmés et qui ne prennent en compte qu'une partie des éléments considérés. Il convient donc de réviser les comptes.
(1) Exprimé en heures annuelles de fonctionnement.
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3. Un financement difficile
     EDF est engagée dans un programme d'investissement très considérable dont le financement est difficile. Les besoins de financement d'EDF sont de l'ordre de 16 milliards F en 1977 et atteindront 20 milliards en 1978. L'autofinancement de l'entreprise se maintenant à un niveau médiocre en raison des prix qui lui sont imposés, les emprunts qu'elle est amenée à souscrire portent sur des montants impressionnants: environ 9 milliards en 1977 et plus de 13 milliards en 1978. L'entreprise nationale s'endette lourdement à l'étranger (3,7 milliards en 1976) et pour le reste pèse d'un poids de plus en plus marquant sur le marché financier intérieur. Comme les besoins de l'État et des autres entreprises nationales seront en toute hypothèse satisfaits, l'augmentation des emprunts d'EDF se fera au détriment des besoins de financement des entreprises privées. Cette conséquence, qui a déjà été soulignée par votre Commission des finances, est grave pour l'avenir. A la question ainsi soulevée, aucune réponse satisfaisante n'a jusqu'à présent été apportée.

4. Une indépendance relative
     L'abandon de la filiale française graphite-gaz rend les centrales nucléaires tributaires d'un approvisionnement en uranium enrichi. On peut penser que l'intérêt bien compris des États producteurs d'uranium ne contribuera pas à en faire fléchir le prix, quand bien même des conditions politiques ne seraient pas posées à son exportation.
     L'enrichissement de l'uranium est une opération industrielle complexe qui n'est pas actuellement réalisée en France si ce n'est à des fins militaires. Nous sommes donc en situation d'acquérir notre uranium enrichi à l'étranger, spécialement aux États-Unis. Cependant, le Gouvernement a décidé la construction d'une usine d'enrichissement sur le site du Tricastin et envisage la mise en chantier d'une seconde unité de production. Les investissements qu'exige une telle installation sont impressionnants. On appréciera l'importance du programme si l'on sait que l'alimentation en énergie de l'usine d'enrichissement de l'uranium nécessitera, à elle seule, la construction de quatre réacteurs nucléaires. Le financement d'un tel programme excédait les possibilités de la France. Aussi avons-nous eu recours à des participations étrangères, notamment celle de l'Iran.
     La construction des centrales est actuellement opérée à partir des brevets de la firme américaine Westinghouse. Le montant des redevances à verser à l'extérieur n'est pas négligeable. Quant à la francisation des procédés, après avoir été promise,elle est aujourd'hui incertaine. Au surplus, les intérêts étrangers occupent une place considérable dans l'industrie nucléaire.
     Il est donc excessif d'affirmer sans nuance que le programme nucléaire garantit l'indépendance nationale. Disons simplement qu'il y concourt et qu'en diversifiant nos sources d'énergie, il contribue à nous soustraire au bon plaisir des producteurs de pétrole et à l'hégémonie des super-puissances.

5. Une rigidité excessive
     Le programme électro-nucléaire introduit dans notre appareil économique des rigidités avec lesquelles il faudra compter au cours des prochaines années. La construction d'une centrale demande actuellement cinq à huit ans et il n'est donc pas possible d'adapter le programme aux fluctuations de la conjoncture. Comme les hypothèses de consommation ont eu tendance à ne pas être vérifiées au cours des derniers semestres, EDF, en développant le chauffage électrique, a provoqué une demande qui justifie, en partie, pour le futur, le maintien du programme actuel.

suite:
     La production d'électricité nucléaire suppose le fonctionnement de très grosses unités de production. Le constructeur ne cesse pas d'élever la dimension de ses centrales, de sorte qu'actuellement l'effet de série ne peut jouer à plein et que les risques inhérents à toute formule nouvelle se trouvent multipliés.
     A terme, l'équipement d'une dizaine de sites permettra de faire face aux besoins en électricité mais il est clair que quelques centaines de personnes suffiront alors pour mettre en échec la production d'électricité de la France.
     Dès lors qu 'un tel programme ne peut plus être remis en cause, à échéance de quelques années, toutes les autres énergies sont considérées comme des énergies d'appoint et leur coût s'en trouve d'autant augmenté. Ainsi, les compagnies pétrolières devront non seulement faire face aux pointes de consommation que l'électricité ne pourra satisfaire, mais encore réorienter leurs productions. EDF demandant moins de fuel lourd, c'est tout l'appareil de raffinage qui devra être converti. Le coût de cette opération - qui a été estimé à environ 10 milliards F - résulte directement des choix opérés en faveur du programme nucléaire; cependant, il n'est évidemment pas intégré dans le prix du kWh.
     On le voit, le dossier technique du programme électronucléaire français est plus complexe qu'il ne paraît lorsqu'il est présenté par les Pouvoirs publics. Il est dommage que le débat n'ait pas, jusqu'alors, porté sur les points qui viennent d'être évoqués car de bonnes réponses conforteraient l'effort demandé au pays pour garantir son approvisionnement en énergie et assurer sa relative indépendance.
     En fait, il n'est pas d'autre issue qu'une réelle diversification faisant appel à toutes les formes possibles d'énergie, même si certaines d'entre elles ne peuvent apporter (provisoirement...) qu'une faible contribution à la solution de nos problèmes. A cet égard, l'effort financier devrait être mieux réparti.
     La nécessaire diversification doit être accompagnée d'une politique tenace visant à économiser l'énergie. A cet égard, les mesures prises par le Gouvernement n'appellent quant à leur principe aucune sorte de réserve. L'effort accompli, bien que tardif, mérite d'être encouragé.
     Certes, l'attitude des pouvoirs publics, quand elle est examinée dans sa globalité, relève de l'incohérence. En fait, l'Etat subventionne en France la consommation d'énergie. Tout paraît commandé par l'évolution de l'indice des prix et qu'il s'agisse du charbon, du gaz ou de l'électricité, c'est le contribuable qui paie pour l'utilisateur.
     Néanmoins, la politique conduite dans le domaine des économies d'énergie ne manque ni d'ampleur ni de continuité. Elle a, certes, été tardive et après l'embargo sur le pétrole, le public est retombé dans l'indifférence, faute d'avoir été mobilisé sur ce point comme il aurait été nécessaire. On semble avoir reculé devant les décisions spectaculaires et la fixation d'un montant global d'importations à ne pas dépasser participe davantage de l'exorcisme que de la politique.
     Au plan pratique, néanmoins, des décisions sérieuses ont été prises dans la plupart des domaines. Des normes ont été fixées pour le chauffage des locaux; on a prévu de modifier les dispositions des contrats de chauffage propres à augmenter la consommation d'énergie; des contrats sont passés avec les industriels qui réalisent de réelles économies; la construction de centrales au fuel est réglementée; on vient enfin de décider de limiter le développement du chauffage électrique qui, à l'heure actuelle, constitue un évident gaspillage. Dans beaucoup d'autres domaines on s'attache à limiter les consommations. Les résultats, moins spectaculaires qu'on ne le dit, sont réels. Cette politique, maintenant bien engagée, doit se poursuivre avec ténacité et le Parlement ne peut qu'y être favorable.
     En définitive, notre politique énergétique procède d'une action structurelle effective et comporte des aspects positifs, mais cette politique est onéreuse, rigide et discutable à maints égards. Le choix qui a été fait devrait conduire à s'interroger davantage.
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ENCART 7
L'ANNEXE N°39 DE LA COMMISSION DES FINANCES
     En dehors du rapport principal (encart 6), et de l'annexe 29, il est instructif d'examiner l'annexe 39 du rapport de la Commission des Finances consacré à la Recherche (rapporteur M. Mesmin). On y trouve en effet des renseignements sur la politique de recherche dans le domaine de l'énergie.
     On voit que 531 millions de francs sont consacrés au CEA pour les recherches appliquées à l'énergie.
     «Ce sont toujours les recherches relatives à l'énergie, conduites par le CEA en collaboration avec EDF et les autres grandes entreprises du secteur nucléaire, qui constituent la dotation essentielle. Les recherches seront conduites dans les domaines des réacteurs électronucléaires, du cycle du combustible nucléaire, et de la sûreté et de la protection nucléaire

     Pour les autres énergies:
     «Parmi les autres secteurs relevant de la recherche, il convient, semble-t-il, d'inscrire au premier rang celui des énergies que l'on appelle nouvelles, sans doute par antiphrase puisqu'elles existent depuis aussi longtemps que les éléments naturels dont elles expriment la puissance. Dans ce domaine, il existe un lien très étroit entre la recherche, le développement et la démonstration.
     En ce qui concerne l'énergie solaire, les crédits engagés en 1977 se sont élevés pour l'ensemble de l'enveloppe recherche à 85 MF. Ceux qui sont prévus pour 1977 se montent à 110 MF, dont 40 au titre de la DGRST et 45 au titre du CNRS.
     Le nombre total d'opérations de démonstration déjà engagées s'élève à 38 concernant les secteurs résidentiel (343 appartements), tertiaire ou industriel. Parmi ces opérations, 11 sont complètement terminées, 16 le seront avant la fin de cette année et 10 seront terminées en 1978.
     On estime que l'énergie solaire peut être appliquée, dès maintenant, de façon rentable, au chauffage de l'eau sanitaire. Dans les cas favorables, l'économie pour l'utilisateur est de l'ordre de 400 F par an pour un investissement de 1.000 F, si bien que le surinvestissement nécessité par cette forme d'énergie se trouve très vite rentabilisé lorsqu'on en fait une utilisation rationnelle. On peut penser que cette rentabilité s'étendra au fur et à mesure que l'extension du marché entraînera la baisse du coût des matériels.
     Le budget concernant les recherches sur la géothermie s'élève à 13 MF en 1977. Il sera maintenu à 13 MF en 1978. Des études ont été engagées en vue de réaliser l'évaluation des ressources nationales dans les diverses régions. Plusieurs opérations de démonstration sont en cours. Celle de Creil est devenue opérationnelle au cours de l'hiver dernier. D'autres ont été engagées à Villeneuve-la-Garenne, Mont-de-Marsan et Blagnac.
     Si l'on considère l'importance des ressources géothermales déjà inventoriées sur le territoire métropolitain, on ne peut qu'être supris par la modicité des moyens budgétaires consacrés à la mise en oeuvre de cette forme d'énergie et par le peu d'ampleur des opérations engagées. On peut également se déclarer surpris d'informations récentes, selon lesquelles le programme de la géothermie, qui avait été fixé, bien timidement, à un objectif d'équipement de 500.000 logements en 1985, serait désormais réduit à 300.000 logements seulement. Les ressources disponibles sur le territoire national et l'expérience acquise au cours des opérations déjà réalisées auraient dû conduire, semble-t-i1, à réviser plutôt en hausse, compte tenu des besoins énergétiques, les prévisions faites lors d'un conseil de planification en 1975

suite:
Les tableaux suivants fournissent des précisions chiffrées:

Energie géothermique

1977 1978
DGRST 1 1
CEA 1 1
BRGM 3 3
CNRS 4 4
Universités 4 4
Total 13 13

Energie solaire

Evaluation des crédits de l'enveloppe-recherche
(en millions de francs)
  1977 197(prévisions)
DGRST 23 40
CEA 11 12
CNRS 39 45
Universités 8 9
CNES 1 1
CSTB 1 1
Plan construction 2 2
Total 85 110

     Il est d'autre part amusant de relever parmi les 13 questions posées par le rapporteur et demeurées sans réponses, les quatre suivantes, relatives à l'énergie:

     40. Produire une note détaillée sur les projets d'extension des installations françaises de retraitement des combustibles. Indiquer la nature des contrats éventuellement souscrits par des clients étrangers. Préciser le sort donné aux déchets radioactifs. Indiquer l'évaluation qui a été faite des risques pour le voisintge d'une extension de l'usine de La Hague. Donner toutes précisions sur le financement de cette extension tant national, public ou privé, qu'international.
     41. Indiquer le montant total des moyens fmanciers qui doivent être dégagés pour le financement du surcoût de la centrale Superphénix. Mentionner l'origine de ces moyens financiers.
     42. Communiquer les résultats des expériences conduites sur l'utilisation des rejets thermiques des centrales nucléaires.
     43. Quel est le bilan des actions poursuivies par le CEA dans le domaine des énergies nouvelles et des économies d'énergie?

p.28-29
1. Aux noms des responsables près, M. Schloesing se livre ici à la même entreprise de «dévoilement» des centres nerveux du Ministère de l'industrie, que celle pratiquée par la Gazette N° 10 à l'endroit de l'administration d'EDF... A qui résistera au fastidieux de l'énumération, il apparaîtra que la politique de l'énergie se trouve concerner directement tous les services marqués d'une astérisque, et indirectement les trois directions marquées de deux astérisques (par le biais des industries de construction des centrales nucléaires, et en général de l'infrastructure de prospection).
2. On apprend dans les lignes qui suivent que la dotation budgétaire du Ministère sert en partie à subventionner des industriels, selon des modalités sur lesquelles le Parlement ferme les yeux. Quand M. Schloesing parle de «laxisme» et de «clandestinité», il faut entendre que des fonds publics sont distribués de façon discrétionnaire, sur des critères inconnus, et qui même susciteraient des soupçons.
3. A méditer.
4. C'est la faiblesse d'une politique qui est dénoncée, au nom d'une vue protectionniste de notre industrie: - le Ministère de l'industrie a «laissé faire», c'est-à-dire qu'il n'a pas pris de mesures de protection du marché intérieur. S'il est juste d'affirmer que le Ministère est responsable d'actions cohérentes, il est trop rapide de traiter la question des rapports entre pays à bas salaires et pays à salaires élevés sous le seul éclairage du dumping pratiqué par les premiers.
5. La fin de cette partie du rapport se place à nouveau dans la perspective sociale:  il faut lutter contre le chômage, en France. Certes, la livraison d'usines «clés en mains», ou simplement l'implantation de filiales, ou encore les prises de participation majoritaires dans la fabrications d'équipements à l'étranger témoignent d'une vitalité de bon aloi. Mais le rapporteur voit dans cette «politique délibérée» un danger plus grand qu'aucun des avantages espérés. Bien entendu, lorsqu'on dénonce par exemple CDF-Chimie et la façon dont cette entreprise torpille les forces productives en France, on oublie de rappeler que l'expansionnisme de certaines industries à l'étranger n'est pas un acte de bénévolat à l'égard des pays pauvres.

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