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N°18
LA BIOMASSE

1. Qu'est-ce que c'est?
     Notre siècle est riche en néologismes. C'est souvent à propos, mais quelquefois hors de propos. Pourquoi nous parle-t-on depuis quelques années de «biomasse» alors qu'il s'agit d'une réalité fort ancienne et familière à tout un chacun? Il faut démythifier le vocabulaire: la végétation n'acquiert pas de vertu nouvelle parce qu'on l'afflige du sobriquet de «biomasse».
     La biomasse, c'est donc tout simplement la végétation que l'homme utilise depuis des temps immémoriaux sous quatre aspects:
     - l'aliment dont il se nourrit,
     - la fibre dont il tire ses vêtements,
     - le matériau pour la construction d'objets
     - une source d'énergie.
     Lorsque l'on emploie le terme de «biomasse», c'est ce dernier aspect que
l'on entend privilégier et peut-être est-il nécessaire d'employer un mot nouveau pour se faire entendre des princes qui gouvernent notre approvisionnement
énergétique: comprenez bien, messieurs, que nous ne voulons point vous ramener à l'incommode feu de bois de l'homme préhistorique, mais attirer votre attention sur un domaine où les progrès de la connaissance au cours des trente demières années ont été considérables. Tant pis pour vous si vous ne voulez pas voir que dans la logique même de votre hiérarchie des valeurs, le monde végétal devrait y occuper une des plus nobles places. Tant pis pour vous si vous continuez à considérer l'agriculture comme la parente pauvre de l'industrie, le monde paysan pourrait bien vous imposer une révolution énergétique où vous ne seriez plus les maîtres.
     C'est évidemment l'aspect énergie de la végétation qui amène aujourd'hui la Gazette Nucléaire à en parler. Mais il ne faut pas perdre de vue que l'utilisation de la végétation comme source d'énergie est en concurrence avec son utilisation comme nourriture, fibre ou matériau. Egalement, l'utilisation du sol par le monde végétal est en concurrence avec son utilisation par l'industrie et le monde animal.

Animal et végétal, force et chaleur
     L'énergie s'est longtemps présentée à l'homme sous deux aspects apparemment irréductibles: la force et la chaleur. Si l'on s'est aperçu depuis fort longtemps que la force se perdait, s'épuisait, se «dégradait» en chaleur, ce n'est qu'au dix-huitième siècle, avec l'invention de la machine à vapeur, que l'on a réussi inversement à recréer de la force à partir de la chaleur.
     Il fallut attendre encore un siècle avant que fut établi la relation d'équivalence entre unités de mesure de la chaleur et de la force[1]

1 calorie = 4,l8 joules

     et que fut formulé le fameux théorème de Carnot (ou deuxième principe de la thermodynamique) qui établissait dans quelles limites une partie seulement de la chaleur[3] pouvait étre convertie en force[2].
     A la dualité entre force et chaleur, correspondait chez les êtres vivants la dualité animal-végétal: le végétal était chaleur comme le soleil, l'animal était force comme l'eau et le vent. Là encore la dualité a tendu à s'estomper. Darwin, au siècle dernier, a montré que le végétal était capable de mouvements, même si ceuxci sont infiniment plus lents que ceux de l'animal.

suite:
     Puis les microbiologistes ont découverts de nombreux êtres dont il devenait difficile de dire s'ils étaient animaux ou végétaux. Enfin, au regard de la chimie biologique contemporaine, il n'y a guère de différence entre une bactérie, un grain de blé et un homme, tous trois gouvernés par le même code génétique.
     Pourtant s'il n'est plus possible de partager les êtres vivants en deux règnes selon qu'ils sont ou non capables de mouvements puisque simplement les uns le sont un peu plus et les autres un peu moins et qu'il y a beaucoup d'intermédiaires, on peut du point de vue de l'énergie distinguer les autotrophes des hétérotrophes.
     Les autotrophes sont ceux qui tirent directement leur énergie du soleil et ceci recouvre à peu près l'ancien règne végétal, à l'exception des champignons et en y rajoutant quelques micro-organismes marins capables de déplacements notables (phytoplancton) et certaines bactéries.
     Les hétérotrophes au contraire ne peuvent vivre et se développer qu'aux dépens d'autres êtres vivants. L'homme, comme les autres animaux, tire son énergie de la nourriture qu'il consomme chaque jour. Des champignons, de même, vivent au dépens du milieu sur lequel ils se développent. D'un certain point de vue, on  peut  considérer les hétérotrophes comme  des  parasites énergétiques, la quantité d'énergie qu'ils sont capables de restituer étant très largement inférieure à celles qu'ils ont consommées. Cette remarque est aussi bien valable pour la viande de boucherie où l'on ne récupère que 10% de l'énergie consommée par l'animal, que pour les travaux de force pure où des machines simples remplacent avantageusement l'homme ou l'animal. Mais cette remarque cesse d'être valable lorsque l'on fait intervenir la «pertinence du geste». L'exemple classique est celui de l'épluchage des pommes de terre: l'être humain le plus maladroit met en jeu une quantité d'énergie mille fois plus petite que celle de la machine la mieux  conçue. Dans le même ordre d'idée, si une voiture automobile va plus vite qu'un cheval, elle est tout à fait incapable de rentrer toute seule à l'écurie quand le conducteur s'endort au volant,
     Cette dernière observation, pour introduire une question à laquelle nous n'apportons pas de réponse aujourd'hui, mais à laquelle nous voudrions que nos lecteurs réfléchissent et le cas échéant fournissent leur réponse personnelle: a-t-on eu raison d'abandonner totalement en France la traction animale?
1.
Et attendre un nouveau siècle pour qu'Electricité et Gaz de France en tire la conclusion logique: c'est seulement depuis le 1er janvier de cette année que l'électricité et le gaz sont facturés dans la même unité. Mais peut-être la différence de prix gênait-elle le tout-électrique?
2. Pour l'homogénéité du texte, on a conservé le mot «force» alors qu'un scientifique emploierait plus volontiers le mot "travail"
3. Une machine thermodynamique comporte obligatoirement une source chaude et une source froide et le rendement de la machine est égal au rapport de la différence des températures des deux sources sur la température absolue de la source froide. C'est pourquoi les spécialistes de l'énergie recherchent tellement les hautes températures. Pourtant l'être vivant fonctionne à température ambiante. Les études du Belge Prigogine sur la thermodynamique de la vie, qui lui ont valu le prix Nobel 1977, n'ont pas encore pénétré le monde industriel.
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2. L'être vivant, réservoir d'énergie
     Tout être vivant est une organisation extrêmement complexe et extrêmement diversifiée de la matière. La chimie biologique cherche à analyser la structure intime de cette organisation et à la réduire à ces différents éléments. On a mis ainsi en évidence l'existence de milliers de produits chimiques différents, dont chacun a un rôle spécifique bien déterminé, lequel d'ailleurs, pour nombre d'entre eux reste encore inconnu. Mais si l'on pousse plus loin l'analyse, on constate que chacun de ces produits chimiques est un «corps composé». Chacun de ses éléments est une molécule et chaque molécule est un agrégat d'atomes, de corps simples.
alors que l'on connaît des milliers de corps composés, les corps simples ne sont qu'au nombre de 92 et parmi ceux-ci, trois d'entre eux ont une masse nettement  prépondérante[4] chez tout être vivant:
le carbone, l'oxygène et 1'hydrogène.

     C'est la propriété du carbone et de l'hydrogène de dégager de la chaleur lorsqu'ils se combinent avec l'oxygène qui explique les possibilités énergétiques de la biomasse aussi bien que de ceux que l'on appelle les combustibles fossiles: charbon et pétrole. L'adjectif fossile exprime d'ailleurs l'idée que ces combustibles proviennent de la décomposition d'êtres vivants qui ont vécu il y a des milliers d'années. Le charbon est du carbone presque pur, tandis que le pétrole est un mélange de corps appelés hydrocarbures, cette dénomination correspondant au fait qu'ils contiennent essentiellement du carbonate et de l'hydrogène.
     L'o xygène existe à l'état simple. dans la nature: il constitue 21% de l'air que nous respirons. Le carbone se rencontre aussi, c'est non seulement le charbon que nous brûlons, mais aussi le graphite de nos crayons et le diamant. Par contre, l'hydrogène n'est présent que dans des corps composés dont le plus simple est l'eau: l'eau est d'ailleurs le produit qui se forme lorsque l'on fait brûler de l'hydrogène dans l'oxygène
     Le carbone pur n'est un combustible non polluant qu'en présence d'une quantité d'oxygène suffisante. Sa combustion peut en effet donner deux corps différents: le gaz carbonique qui est inoffensif[5] et l'oxyde de carbone qui est très toxique. On appelle quelquefois ces deux corpss: bioxyde de carbone et monoxyde de carbone. Ce qui traduit bien leur différence de composition chimique. Le premier contient 2 atomes d'oxygène pour 1 atome de carbone, tandis que le second en contient un seul. Alors que le gaz carbonique est «saturé» en oxygène, l'oxyde de carbone a encore possibilité d'en absorber; c'est donc un combustible. C'est d'ailleurs sa présence dans le gaz de ville qui en faisait autrefois[6] la toxicité.
     L'idée de saturation en oxygène est fondamentale. C'est parce que la plupart des corps composés constituant la biomasse, tout en contenant déjà de l'oxygène, ont la possibilité d'en absorber davantage, qu'ils sont potentiellement des combustibles.
     Si la biomasse était composée uniquement des 3 corps simples: carbone, , hydrogène, oxygène, sa combustion, en présence d'une quantité d'air suffisante donnerait[7] du gaz carbonique et de l'eau. En fait, un grand nombre d'autres corps simples (azote, phosphore, soufre, potassium, calcium, chlore, etc.) sont présents en petite quantité dans la biomasse. Alors que ces corps sont pour la plupart indispensables à la survie de l'être vivant (qu'il s'agisse d'un animal ou d'un végétal), leur présence dans un combustible peut être soit source de pollution dans la mesure où ils forment des composés toxiques (par exemple le gaz sulfureux), ou source d'une baisse de rendement dans la mesure oû ils forment des composés qui absorbent de l'énergie.

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     En fait, il y a deux façons distinctes de perdre une partie de l'énergie produite au cours d'un processus de combustion. Celle-ci peut être absorbée dans des réactions chimiques lors de la formation de composés endothermiques[8], ou alors elle peut être absorbée par des corps existant au départ ou formés au début de la combustion et qui changent d'état: passage de l'état solide à l'état liquide ou de l'état liquide à l'état gazeux. Le cas le plus simple et le plus connu est celui de la vaporisation de l'eau. Ceux de nos lecteurs qui n'ont pas complètement perdu le contact avec la nature (nous savons que c'est le plus grand nombre) ont eu l'occasion d'en faire l'expérience: un feu de bois sec dégage une beaucoup plus grande quantité de chaleur qu'un feu de bois vert. C'est que dans le second cas, la plus grande partie de la chaleur produite sert à vaporiser l'eau présente en quantité excessive. Si l'on place un objet froid sur la trajectoire de la fumée à une certaine distance du foyer, on voit rapidement des gouttelettes d'eau se déposer sur cet objet  preuve que cette fumée est bien essentiellement composée de vapeur. Mais également l'objet noircit, preuve que la fumée ne contient pas que de la vapeur d'eau, ce dont témoigne aussi l'odeur acre de la fumée puisque la vapeur, en soi, est inodore.
     Or les divers éléments que la vapeur d'eau entraîne avec elle hors du foyer sont souvent combustibles (le classique «noir de fumée» est du carbone pur). Ceci est une cause supplémentaire de perte d'énergie: des particules qui auraient pu brûler si elles étaient restées au centre du foyer, là où la température est élevée, sont entraînées par la vapeur d'eau et refroidies avant d'avoir libéré leur potentiel énergétique.
     Nous venous d'évoquer au passage un point que nous n'avions pas jusqu'ici éprouvé le besoin de préciser car chacun le connaît d'expérience: pour qu'un processus de combustion s'amorce, il est nécessaire de créer un point chaud pour que la combustion se poursuive, il est nécessaire de maintenir le point chaud.
     Mais il faut remarquer que les exigences en point chaud varient beaucoup d'un combustible à l'autre et que ceci peut être un critère de choix important entre divers combustibles possibles. Le bon sens exige sans doute de proscrire les deux extrêmes et de rejeter également d'une part les combustibles trop exigeants en point chaud dont la combustion est trop difficile à entretenir et d'autre part les combustibles que l'on pourrait qualifier de laxistes, ceux qui s'enflamment tellement facilement qu'ils deviennent extrêmement dangereux à manipuler. Parmi les combustibles laxistes, citons notamment le phosphore, le magnésium et le sodium. Les deux premiers sont employés couramment, mais à des doses suffisamment faibles pour éviter toute catastrophe: allumettes, ampoule du photographe.
4. 96% par exemple dans un grain de blé.
5. Il ne devient nocif pour l'homme quc dans des cas extrêmes où sa proportion dans l'air devient telle qu'il n'y ait plus suffisamment d'oxygène.
6. Actuellement, on emploie presque partout en France du gaz naturet venant de Lacq ou de Groninque. Le gaz naturel n'est pas toxique. Il est peut-être utile de le rappeler à ceux de nos lecteurs qui seraient par trop écoeurés par la société actuelle et auraient des goûts suicidaires.
7. La présence d'azote dans l'air conduit toutefois à la formation, à haute température, de composés azotés, dont certains sont toxiques, par exemple, le gaz hilarant.
8. C'est-à-dire qui absorbent de l'énergie.
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     Quant au troisième, la Gazette Nucléaire a déjà eu l'occasion de protester contre son utilisation, à des doses qui n'ont rien de faible, dans les réacteurs surgénérateurs, alors que le le sodium aurait pu rester cette curiosité de laboratoire: un corps qui brûle dans l'eau!
     A l'opposé, la végétation à l'état brut est en général un mauvais combustible. Il y a d'abord la question du séchage. Ou bien le séchage est naturel et alors intervient le facteur temps et un problème de stockage, ou bien le séchage est artificiel et est alors consommateur d'énergie. De la même façon tout découpage ou broyage de la biomasse destiné à en faciliter le transport et l'utilisation est consommateur d'énergie.
     C'est pourquoi l'on s'oriente aujourd'hui[9] vers la fabrication à partir de la biomasse soit par des procédés
industriels, soit par des procédés biologiques (fermentation) de 4 combustibles
principaux:
     - le charbon de bois, 
     - le méthanol ou alcool méthylique de formule chimique CH3OH
     - 'l'éthanol ou alcool éthylique de formule chimique CH3CH2OH,
     - le méthane ou gaz des marais, de formule chimique CH4,
     Il est possible également, par des procédés plus complexes, de produire des hydrocarbures analogues à ceux du pétrole
     Nous reviendrons ultérieurement sur les divers combustibles tirés de la biomasse, mais il faut d'abord expliquer d'où vient cette énergie incluse dans la biomasse.
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3. L'être vivant, une pile électrochimique?
     Il nous faut maintenant examiner par quelle procédure la matière vivante peut ainsi accumuler de l'énergie.
     Observons d'ailleurs que tout être vivant est d'abord un consommateur d'énergie. Mais alors que les animaux tirent leur énergie de leur nourriture (constituée d'autres etres vivants), les végétaux tirent leur énergie du soleil.
     On pourrait qualifier les végétaux de surgénérateurs puisqu'ils tirent du soleil plus d'énergie qu'ils n'en consomment et par conséquent en accumulent[10].
     La consommation d'énergie par les êtres vivants met en jeu un grand nombre de réactions chimiques complexes dont le phénomène de la respiration est la manifestation extérieure. Lorsque l'on dresse le bilan de la respiration, on constate que l'être vivant a absorbé de l'oxygène et dégagé du gaz carbonique et de la vapeur d'eau. Ce bilan est donc le même que celui de la combustion. La différence essentielle entre les deux phénomènes réside dans les températures atteintes:
     comparé à un foyer de combustion, la température est de plusieurs centaines de degrés, un être vivant reste toujours très froid. Il est un témoignage permanent de la possibilité de l'énergie douce: il fabrique un nombre extraordinaire de produits chimiques sans jamais recourir, comme l'homme le fait dans ses usines, ni aux hautes pressions ni aux fortes températures. On pourrait en quelque sorte considérer l'être vivant comme la juxtaposition de myriades de piles électrochimiques où la différence de potentiel est en général de 0,5 à 1 volt[11].
     Et c'est le même genre de réactions chimiques qui, fonctionnant dans un sens ou dans l'autre, peuvent permettre soit à l'animal d'effectuer des mouvements, consommant alors de l'énergie, soit à la plante de mettre en réserve de l'énergie. Elle se sert, pour se faire, d'éléments appelés chloroplastes capables d'absorber l'énergie solaire du spectre visible. C'est le phénomène de la photosynthèse qui est expliqué en détail dans l'encart 1.
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4. Perspectives d'utilisation
Le problème alimentaire
     Selon P. Chartier, de l'INRA, la quantité de biomasse produite annuellement dans le monde représente deux cents fois l'énergie nécessaire à une alimentation correcte de 4 milliards d'êtres humains, chiffre qui laisse rêveur, quand on sait que près de la moitié de la population du globe souffre de carence alimentaire, mais qui ne s'explique pas seulement par l'égoïsme et le gaspillage des pays riches. Une partie qui peut atteindre 30 à 40% est irrécupérable parce que disséminée dans la masse des océans et la majeure partie de ce qui se trouve sur les continents est impropre à la consommation: l'homme ne digère pas la cellulose et n'assimile l'amidon qu'après cuisson. Au reste, à l'inverse des herbivores, il est incapable de synthétiser la plupart des protéines qui sont indispensables à sa survie.
     Toute politique énergétique visant la biomasse est nécessairement subordonnée à une politique alimentaire et celle-ci à l'échelle mondiale est entièrement conditionnée par le problème démographique.
     Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le développement de la production agricole alimentaire à l'échelle planétaire a été considérable. La «révolution verte» prédite par les agronomes a bien eu lieu: la mise en culture de variétés nouvelles à haut rendement, créées dans les centres d'expérimentation, a permis des progrès importants. Mais ils auraient été insuffisants à eux seuls à assurer  l'équilibre  alimentaire de la planète. 
     L'appui de l'appareil industriel sous forme d'engins mécaniques, d'engrais de  synthèse[12] et  d'insecticides, a été indispensable. Or deux phénomènes sont venus entraver la poursuite du développement agricole dans cette voie: la faillite des insecticides industriels et la hausse du coût de l'énergie. Au surplus, une longue période de sécheresse en Afrique subtropicale a fait prendre conscience au monde que la famine n'est pas pour demain, mais bien pour aujourd'hui.
9. Il faut cependant rappeler que pour près de la moitié de l'humanité, le bois est encore le principal, voire le seul, combustible. En France même, quoique ceci soit souvent oublié dans les statistiques, la consommation doit être de l'ordre d'un MTEP (Million de tonnes d'équivalent pétrole) par an, valeur à comparer à la consommation totale 1975: 146 MTEP.
10. Cette phrase fera sans doute tiquer quelques lecteurs comme elle a fait tiquer quelques membres du comité de rédaction. Elle n'a pour but que de provoquer une réflexion sur la notion de surgénérateur.
11. A comparer aux 12 volts d'une batterie de voiture, aux 220 volts du réseau basse-tension EDF, aux 380.000 volts de certaines lignes de transport.
12. D'où un accroissement considérable de la consommation d'énergie: un facteur dix en quelques années aux Etats-Unis pour le secteur agricole.
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La faillite des insecticides industriels
     a) En même temps que les insectes nuisibles qu'ils visaient, les insecticides ont détruit  également  des insectes utiles, perturbant gravement des équilibres biologiques,
     b) en s'introduisant et en se concentrant dans la chaîne alimentaire, des insecticides tels que le DDT en viennent à présenter un danger pour un certain nombre de vertébrés dont l'homme,
     c) enfin, on a vu se développer des souches d'insectes nuisibles résistant aux insecticides.
     Face à cet échec des insecticids industriels, la recherde s'est orientée depuis quelques annees vers les insecticides biologiques: les hormones d'attraction sexuelle, en particulier, paraissent très  intéressantes[13] dans la mesure où, différentes pour chaque espèce, elles permettent de s'attaquer de façon spécifique à un insecte bien détermimé. Des doses minimes permettant d'attirer en un point déterminé tous les rmâles d'une vaste zone. Il ne reste plus alors qu'à leur ôter l'envie de procréer. Malgré quelques résultats, il est encore trop tôt pour dire si les insecticides biologiques auront le succès spectaculaire qu'avaient eu, dans un premier temps, les insecticides chimiques.
La hausse du coût de l'énergie
     Elle a été durement ressentie dans les pays en voie de développment qui étaient tributaires des importations. Elle modifie complètement leurs perspectives de développement agricole et rend plus aigu le risque d'une crise alimentaire. Mais, paradoxalement, la réduction des possibilités alimentaires donne toute sa chance à une utilisation énergétique de la biomasse: une bonne récupération des déchets agricoles non comestibles permet de réduire les besoms en engrais chimiques et en énergie
La sécheresse en Afrique subtropicale
     Elle peut être considerée comme un de ces accidents climatiques comme l'humanité en a toujours connu. Mais certains experts se demandent s'il ne s'agit pas du premier indice sérieux d'une dégradation irréversible du climat[14].
     Cette hypothèse d'une dégradation du climat a retenu l'attention de la CIA qui, dans un rapport au gouvernement américain[15], étudie les perspectives alimentaires à l'échelle mondiale et la situation prééminente des Etats-Unis dans le cas d'un déficit alimentaire permanent à l'échelle planétaire. Ce rapport met clairement en évidence une mutation qui est passée inaperçue de la plupart des observateurs[16]: de plus en plus, les Etats-Unis tirent leur puissance politique non plus de leur prééminence industielle mais de leur prééminence agricole. On trouvera en encart 4 un tableau, établi par la CIA, concernant le commerce mondial des grains (blé, mais, riz, etc.). On constate que les Etats-Unis sont et resteront de très loin le premier exportateur du monde. La plupart des pays du tiers monde dépendant de son bon vouloir et la politique de détente, inaugurée par Nikita Kroutchev, ne provient-elle pas essentiellement de l'impossibilité pour l'Europe de l'Est d'assurer la «soudure», les années de mauvaises récoltes? Et que penser du fameux «miracle japonais» lorsque l'on constate l'importance du déficit alimentaire du Japon?
     La situation devient d'ailleurs assez paradoxale et scandaleuse du point de vue énergétique puisque la plupart des pays producteurs de pétrole dépendent des Etats-Unis pour leur alimentation. Et les fermiers américains ne doivent leurs performances qu'à l'utilisation intensive de l'énergie. L'irrigation entre autre, est très coûteuse en énergie lorsqu'il faut amener l'eau d'une longue distance: plus de 100 km, par exemple, à partir du Mississipi. Si l'on prend le cas du maïs, qui est une des meilleures plantes énergétiques, sa culture consomme aux Etats-Unis 5 fois plus d'énergie qu'elle n'en produit. Si l'on passe en Angleterre, le rapport énergie consommée/énergie produite tombe à 1,5. Et ce n'est qu'en France que l'on arrive, en partie à cause du climat plus favorable, partie à cause de la plus grande concentration du territoire, partie aussi peut-être grâce à des méthodes plus judicieuses, à avoir un bilan énergétique favorable. Les chercheurs de l'INRA espèrent prochainement produire avec le maïs dix fois plus d'énergie qu'ils n'en consomment (voir encart 5).
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     Parlant de la France, ceci nous ramène à une partie du tableau de la CIA que nous n'avons pas commenté: les chiffres relatifs à l'Europe des 9. On voit que celle-ci est globalement dépendante des Etats-Unis actuellement, mais le sera beaucoup moins en 1985. En fait de toutes les régions du monde, c'est l'Europe occidentale qui a le plus de chance d'échapper à la dépendance alimentaire vis-à-vis des Etats-Unis et dans cette optique, le rôle de la France est essentiel puisqu'elle est le principal producteur agricole de la région. C'est d'ailleurs grâce aux résultats qu'elle a obtenus dans le domaine du maïs et du triticale[17] que la France a pu obtenir son indépendance céréalière[18] vis-à-vis des Etats-Unis. Mais René Dumont pense qu'il reste encore en France de nombreuses prairies qui pourraient être ensemencées. Auquel cas l'Europe des neufs acquerrait son indépendance alimentaire et pourrait même envisager  des  cultures  énergétiques[19].
     Toutefois, dans l'état actuel de pénurie alimentaire mondiale, la meilleure voie d'utilisation énergétique de la biomasse paraît être en priorité la récupération de: déchets agricoles et des ordures ménagères.

La biomasse au Brésil
     Il existe un pays où l'utilisation de la biomasse fait l'objet d'une planification cohérente et remettant en cause certaines structures industrielles: c'est le Brésil[20].
Qui se souvient de l'époque (peu avant la seconde guerre mondiale) où, au Brésil, on brûlait le café dans les locomotives, suscitant à la fois l'admiration de quelques technocrates et la réprobation des âmes sensibles? Aujourd'hui, à la suite d'un gel catastrophique, il y a quelques années, on est passé de la surproduction à la pénurie. Exemple typique de l'une des difficultés majeures de la biomasse: sa sensibilité aux variations climatiques[21].


13. Ou très inquiétante
14. Cette dégradation du climat peut  d'ailleurs être attribuée à diverses causes: l'hypothèse qui consiste à rendre responsable l'activité solaire décharge l'humanité  de  tout péché, elle convient bien aux dirigeants de ce monde. Plus sérieuse nous paraît la mise en cause de la politique de fixation des nomades sur des sols semi-arides hors d'état de supporter une forte densité de population. D'où disparition  totale de la couverture végétale, dévorée par le bétail et modification concommitante du régime des pluies. Enfin, une troisième hypothèse, plus sophistiquée, plus complexe, y voit un phénomène planétaire combinant les effets des accroissements des teneurs en gaz carbonique et poussières de l'atmosphère.*
15. Potential implications of trends in world population,  food production and climate. Central Intelligence Agency (CIA). Directorate of intelligence office of political research. August 1974.
16. Sauf toutefois de René Dumont. Voir: Seule une écologie socialiste...
17. Hybride du blé et du seigle, mais au pont par les chercheurs de l'INRA.
18. Jusqu'à ces dernières années la France était exportatrice de blé, mais importatrice de céréales secondaires destinées à l'alimentatinn du bétail.
19. Voir à ce propos le projet ALTER (Voir Gazette N°15/16).
20. Pour faire de leur pays un état «moderne», les dirigeants brésiliens emploient une méthode assez similaire à celle des dirigeants japonais. Tout en affichant un nationalisme ombrageux, ils ont largement ouverts leur porte au capitalisme international qui en fait son champ d'expériences. Nous espérons que celle qui concerne la biomasse sera positive, mais de combien d'autres le malheureux peuple brésilien fera-t-il les frais? Quelle sera par exemple la durée de vie de la Volkswagen à usage brésilien dont certaines pièces sont en matière plastique?
21. Problème qui ne peut être résolu que par des stockages importants et une planification de la production. Plus la planification sera démocratique et mieux elle sera suivie par les agriculteurs.
* Voir page suivante
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     Mais actuellement, au Brésil, c'est la canne à sucre qui est à l'ordre du jour. Cette plante tropicale est unanimement reconnue comme champion du monde du rendement énergétique. Cette supériorité incontestée résulte principalement de quatre facteurs:
     1. son métabolisme du type C4 (voir encart 1)
     2. poussant sous les tropiques, elle bénéficie d'un ensoleillement double de celui qu'on observe dans des régions tempérées comme la France,
     3. elle synthétise essentiellenient du saccharose, produit moins élaboré que l'amidon ou la cellulose que fabrique, la plu part des autres plantes,
     4. sa partie non comestible, la bagasse, est directement utilisable comme combustible, permettant ainsi une exploitation en autarcie économique.
     Par ailleurs, le saccharose peut facilement, par fermentation suivie de distillation, être transformée en éthanol (alcool classique). Notre rhum familier contient 40% d'éthanol et 60% d'eau. Il faut donc une distillation plus soignée pour obtenir un alcool à 95% (et un traitement complémentaire par des produits avides d'eau pour obtenir un alcool pur)
     On a alors un excellent combustible à indice d'octane[22] plus élevé que celui de  , l'essence ordinaire, mais à pouvoir calorifique plus faible. A certaines époques, pour  résorber ses excédents d alcool  (voir encart 2), l'Etat français a imposé aux pétroliers d'incorporer celui-ci dans le surpercarburant, mais il.fallait alors, pour maintenir la puissance calorifique spécifique, incorporer également du benzol, produit coûteux et polluant; l'opération était désastreuse sur le plan économique. L'Etat brésilien a choisi une autre voie: celle de la reconversion de l'industrie automobile; celle-ci  a commencé  à construire de nouveaux moteurs adaptés à brûler un mélange de 80% d'essence ordinaire et 20% d'alcool. A autonomie de parcours égal, les réservoirs devront être un peu plus vastes, mais par contre le rendement sera meilleur et le plomb tétraéthyl, ce polluant majeur, n'est plus nécessaire.
     Ne quittons pas le Brésil sans parler d'un autre plan gouvernemental: la mise en valeur de la zone amazonienne, Pour nombre d'écologistes, la forêt amazonienne est le poumon de la terre, elle constitue une large fraction de la blomasse vivante et absorbe à elle seule une part importante du gaz carbonique (sur ce sujet de la teneur de l'atmosphère en CO2, voir encart 3) produit chaque année tant par la respiration des êtres vivants que par la combustion des combustibles fossiles. Pour les défenseurs des plantes énergétiques, au contraire, la forêt amazonienne est un fossile vivant dont la photosynthèse équilibre tout juste la respiration.
Il est difficile de trancher entre des chiffres parfaitement contradictoires, établis avec une égale bonne foi des deux côtés, mais par des méthodes totalement différentes. Disons que la hâte de certains à remplacer les forêts par des cultures énergétiques nous paraît procéder de cet esprit prométhéen que nous n'avons cessé de dénoncer depuis la création de la Gazette Nucléaire et que les prédictions catastrophiques sur les conséquences d'un accroissement substantiel de la teneur en gaz carbonique de l'atmosphère ne doivent pas être prises à la légère et justifient de nouvelles études plus approfondies.
suite:
      Études qui seront plus probantes si elles résultent de l'accumulation de nouvelles mesures, in situ, que si elles résultent de la compilation, dans la chaude atmosphère d'une bibliothèque universitaire, de données déjà disponibles. On ne peut, en effet, qu'être surpris du regain de faveur, ces derniers temps, des études sur le gaz carbonique dans les revues américaines sans que cela paraisse correspondre à un effort accru dans le domaine expérimental. Mais ne s'agirait-il pas là de l'amorce d'une campagne destinée à faire admettre l'énergie nucléaire en soulignant que l'utilisation des combustibles fossiles ou de la biomasse n'est pas non plus sans danger[23]?!
     Pour en revenir au bassin amazonien, ce qui tranche le débat entre partisans et adversaires du maintien de la forêt, c'est la fragilité du sol tropical. Trop d'expériences désastreuses ont été faites en Afrique tropicale et dans d'autres parties du Brésil[24] lui-même pour que les mêmes erreurs soient recommencées en Arnazonie. C'est ce dont paraît avoir tardivement pris conscience le gouvernement brésilien qui s'efforce maintenant de freiner un mouvement de colonisation qu'il avait auparavant encouragé. Mais il est trop tard! Là-bas aussi, la pression de nécessité est telle que rien ne saurait dissuader une grande masse d'hommes d'entreprendre une colonisation sauvage qui est leur dernier espoir de survie. La forêt amazonienne va disparaître. Dieu veuille que se trompent ceux qui estiment qu'elle sera remplacée par un désert!
     Il serait pourtant exagéré de dire que l'Amazonie est toute entière incultivable. A coté d'un échec total dans le secteur appelé Bragantina, on compte un succès remarquable dans la région dit des Varzea qui est l'oeuvre d'immigrants japonais. Ceux-ci ont su rechercher avec prudence les cultures les mieux adaptées à leur secteur. C'est au cours de leurs recherches qu'ils ont découvert une plante remarquable par sa rapidité de prolifération: la jacinthe d'eau (nom scientifique  Eichhornia crasspipes).
22. «L'indice d'octane» d'un combustible mesure son  pouvoir anti-détonnant», c'est-à-dire sa capacité à supporter de fortes compressions sans détonner. Plus l'indice d'octane est élevé, plus le taux de compression du moteur peut être élevé. L'adjonction à l'essence ordinaire de plomb tétraéthyle donne le super-carburant d'indice d'octane plus élevé. C'est une qualité négative sans intérêt pour les moteurs dont le taux de compression est bas.
23. Que le pétrole ne soit pas sans danger l'accident en mer du nord il y a quelques mois et tout récemment le nauffrage de l'Amoco Cadiz suffirait à le rappeler. Pour nous, à la Gazette Nucléaire, quoique certains nous soupçonnent d'être soudoyés par les pétroliers, nous n'avons pas plus d'indulgence pour les constructeurs de supertankers que pour ceux de Superphénix: il s'agit dans les deux cas, au nom d'un progrès douteux, du même mépris pour les dommages pouvant résulter d'un accident, imprudemment déclaré impossible.
24. Voir par exemple P. Eckholm. La terre sans arbres (Robert Laffont), Chapitre VIII Mythe et réalités dans les terres humides des tropiques
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5. ordures ménagères, déchets agricoles et énergie
     La jacinthe d'eau à l'époque de sa découverte est d'abord apparue comme un fléau redoutable puisque sa valeur alirnentaire était nulle et qu'elle envahissait rapidement des étendues considérables: la production est de 20 à 30 t par jour et par hectare! Mais face à la crise de l'énergie et à des problèmes croissants de pollution, les Américains (la NASA) commencent à s'intéresser à cette plante qui pousse sur l'eau et qui se développe d'autant mieux que l'eau est plus polluée.
     Il semble bien que dans les pays développés d'occident, les perspectives les plus proches de renouveau dans l'utilisation énergétique de la biomasse s'expriment par ces trois termes: ordures, eaux d'égoûts, déchets. Et pour la troisième fois nous reprenons l'expression: pression de nécessité. Il est une fraction de la biomasse que l'homme ne peut plus refuser de voir et de sentir en s'abritant derrière ses murs de bétons, c'est ce qui reste à la fin de chaque repas, c'est ce que ses intestins excrètent chaque jour, ce  sont les innombrables emballages issus, après des transformations plus ou moins élaborées, de la biomasse, ce sont les eaux résiduelles des usines qui ont fabriqué ces emballages. Une grève des éboueurs parisiens prend rapidement les allures d'une catastrophe et l'on fait appel à l'armée pour combattre cet ennemi redoutable qu'est l'ordure!
     Des usines d'incinération des ordures ménagères avec récupération d'énergie existent depuis longtemps à Paris, Toulouse, Metz, Grenoble, Rennes, Mulhouse et Rouen. Tant la hauteur du coût de l'énergie que l'accroissement du volume de déchets par habitant devraient amener la généralisation de ce procédé à nombre d'autres villes et communes. Nous encourageons, en tout cas, vivement les lecteurs de la Gazette à militer en faveur de cette solution là où subsiste encore le déplaisant procédé de la décharge publique. Un autre procédé pour éliminer les ordures ménagères consiste à les transformer en un compost utilisable par l'agriculture. Mais il arrive que de tels composts ne trouvent pas preneur[25]. N'est-ce pas paradoxal dans un pays où le commerce des engrais est assez florissant? Ne retrouve-t-on pas là ce problème de hiérarchie des valeurs que nous avons évoqué plus haut sans y insister: est-ce par nécessité économique ou par souci de sa dignité que l'agriculture américaine consomme tant de fuel et tant d'électricité pour produire son maïs? Est-ce pour gagner du temps ou par souci de sa dignité que le "montagnard" s'aventure en automobile sur des chemins impossibles où un mulet passerait plus aisément? L'engrais chimique est-il plus efficace, plus économique[26] ou simplement plus «noble» que le compost d'ordure? En posant ce genre de questions, nous ne prétendons pas qu'il y a une bonne réponse et une mauvaise. Nous pensons simplement qu'il faut que chacun se pose ces questions et de la façon dont chacun, pour son compte, y répondra dépend l'orientation future de notre société.
     Mais revenons à la jacinthe d'eau, cette jolie fleur bleue qui se vautre dans les eaux polluées. Elle et quelques-unes de ses consoeurs, appartenant le plus souvent à la famille des algues, sont testées pour leur capacité à nettoyer les eaux[27] d'égoûts. Une fois accomplie cette mission de salubrité, elles peuvent de surcroît fournir de l'énergie: les plantes sont placées dans des cuves où elles subissent une fermentation anaérobie. A l'issue de la fermentatlon, on récupère d'une part du méthane, gaz de bon pouvoir combustible et d'autre part un résidu solide qui peut servir d'engrais. Les chercheurs de la NASA estiment même que ce résidu solide, après dessication, pourrait servir à l'alimentation des volailles[28].
     La production de méthane dans une fermentation anaérobie s'accompagne en général d'un dégagement de gaz carbonique sans intérêt énergétique. On peut le garder ou l'éliminer en tout ou en partie (ce qui est assez facile), suivant l'usage que l'on veut faire du gaz. Selon la NASA, on peut obtenir dix mètres cubes de méthane par tonne de jacinthes d'eau, ce qui paraîtrait très peu si l'on ne se souvenait de sa prolifération rapide. En parlant de 300 m3 par ha et par jour, ceci paraît rnoins dérisoire. Il nous semble cependant qu'il y aura un sacré problème de manipulation.
     Au reste, l'idée de produire du méthane par fermentation anaérobie n'est pas nouvelle et a été utilisée en France pendant la seconde guerre mondiale. C'était «le gaz de fumier» fabriqué selon un procédé mis au point par Gilbert Ducollier et Marcel Isman. Nous citons Marcel Isman:
«(le procédé) consiste en principe:
     1) à faire subir au fumier une pré-fermentation aérobie de courte durée et fortement exothermique;
suite:
     2) à noyer ensuite le fumier dans un purin approprié, à l'intérieur d'une cuve close pour y être soumis à une fermentation anaérobie, beaucoup plus longue, pratiquement froide et productrice de gaz combustible à base de méthane;
     3) à utiliser la chaleur dégagée au cours de la préfermentation pour obtenir dans la cuve pendant la phase de production anaérobie une température supérieure à 20°C, l'optimum pratique se situant aux alentours de 30 à 35°C.
     Il est ainsi possible de recueillir dans des conditions économiques, c'est-à-dire en abandonnant les queues de fermentation trop lentes, une soixantaine de mètres cubes de gaz par tonne de fumier et 200 à 250 mètres cubes par tonne de paille.
     Le gaz fumier contient à l'état brut 55 à 60% de méthane. Son pouvoir calorifique supérieur (P.c.s.) est en moyenne de 5.500 kcal/m3.
     Il est utilisable tel quel pour alimenter, directement à partir des cuves de production ou d'un gazomètre d'accumulation, des appareils de chauffage ou des moteurs installés à poste fixe; mais il est possible, par un procédé très simple et fort peu coûteux, d'éliminer la quasi-totalité du gaz carbonique qu'il contient et d'obtenir ainsi un gaz ayant un P.c.s. de plus de 9.000 kcal/m3, proche de celui du gaz naturel de Lacq traité.
     Pour alimenter des moteurs de tracteurs, suivant une technique éprouvée, employée depuis fort longtemps avec le gaz naturel et le gaz de digestion des boues d'égoûts, on le comprime dans des bouteilles à une pression de 200 bars.
     Enfin, le fumier retiré des cuves après fermentation se trouve, par rapport aux fumiers préparés à l'air libre, dans un état de dégradation moins prononcée, plus favorable à son évolution ultérieure dans le sol. Sa richesse en éléments fertilisants et son efficacité sur les plantes sont nettement supérieures, des accroissements de 5 à 20% ayant été couramment observés lors d'essais culturaux.
     Il a été réalisé en France un millier de petites installations à caractère domestique, qui ont alimenté des appareils de chauffage, de réfrigération, d'éclairage, ainsi que des moteurs installés à poste fixe, et plusieurs installations plus importantes ayant assuré l'alimentation de moteurs de tracteurs ou de camions
     S'il subsiste encore en France de telles installations, nous serions reconnaissants à ceux de nos lecteurs qui en auraient connaissance de nous le faire savoir.
     Le nom de gaz de fumier donné à ce combustible ne doit pas faire oublier qu'il  peut être obtenu en l'absence complète d'animaux, par fermentation de pailles, fanes, gadoves et maints autres déchets végétaux. Les seules céréales produisent chaque année en France environ 30 millions de tonnes de paille qui correspondent à une production virtuelle de 6 à 7,5 milliards de mètres cubes de gaz, représentant l'équivalent énergétique de 4 à 5 milliards de mètres cubes de gaz importé de Groningue[29].
     L'idée de produire du gaz de fumier (on préfère dire maintenant du biogaz,
toujours la hiérarchie des valeurs...) a été reprise  par  le  gouvernement  indien. C'est le «Gobar Plan» qui encourage la mise en oeuvre d'installations collectives de villages. D'autres études ont été faites par les experts des Nations Unies qui sont surtout adaptées aux pays en voie de développement car c'est là que la hausse du pétrole se fait le plus durement sentir (voir encart 6).
25. Le manque d'enthousiasme des agriculteurs est parfois justifiée par la mauvaise qualité du compost: présence de verre, ferraille, etc.
26. Mais les calculs économiques, c'est bien connu, sont toujours très partiels.
27. Quelques-uns de nos lecteurs se souviennent-ils d'un bel article du Canard Enchainé intitulé les laveurs d'eau?
28. Certains collaborateurs de la Gazette ont fait la grimace à la pensée de manger du poulet nourri aux fleurs d'égoût!
29. Gaz de France est équipé pour transporter chaque année 12 milliards de m3 par an, chiffre largement supérieur aux quantités effectivement transportées.
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     Pour en revenir à la France, l'utilisation de la paille dans la fabrication du méthane a de nombreux adversaires qui mettent en vedette d'autres usages possibles de la paille. Nous passerons rapidement sur l'idée de l'utiliser à fabriquer du papier: les qualités obtenues sont inférieures à celles que permet le bois; son utilisation ne se justifiera donc que quand la pénurie de ce dernier matériau deviendra aiguë mais il sera peut-être plus sage alors de réduire la consommation de papier[30]! Mais il est un autre usage concurrent de la paille qui, lui, bénéficie d'une longue tradition: c'est la culture des champignons. En dehors du fameux champignon de Paris, de nombreuses autres espèces sont susceptibles de fructifier sur la paille ou d'autres déchets de cellulose. L'Institut National de la Recherche Agronomique s'intéresse particulièrement à ceux qui sont capables de réduire la cellulose en sucre que l'on pourra ensuite transformer en alcool par fermentation éthylique.
     En dehors de l'alcool éthylique ou éthanol, il est un autre alcool que l'on peut produire à partir de la paille ou du bois, c'est le méthanol. Nos ancêtres l'appelait l'esprit de bois (de même que l'éthanol était l'esprit de vin). Le méthanol a des qualités énergétiques très intéressantes[31], supérieures à celles de l'éthanol, mais sa production à partir de la biomasse ne va pas de soi, car elle implique la fabrication simultanée d'un grand nombre d'autres produits dont l'utilisation doit pouvoir être  rentabilisée. Actuellement, outre la possibilité de le produire à partir des produits pétroliers ou d'en effectuer la synthèse, le méthanol apparaît surtout comme un sous-produit de la fabrication du charbon de bois. Il s'agit en général d'un charbon de bois destiné à des usages hautement spécifiques[32] et d'un prix de revient élevé. Mais quelle est la situation actuelle et quel est l'avenir des petites installations portatives qui permettent fabriquer sur place, en forêt, du charbon à partir des déchets d'abattage? La Gazette pose la question sans y répondre, faute d'information récente sur le sujet. Est-ce que cela n'intéresse personne? Il semble pourtant que dans .nombre de forêts françaises la quantité de bois laissée sur place après abattage ou par chute naturelle soit très supérieure à ce qui est nécessaire pour la conservation de .l'humus. La carbonisation sur place n'était-elle pas la meilleure manière de résoudre le problème du transport? Ceci vaut d'être regardé quand on voit que le contenu énergétique des déchets de bois équivaut à 5 MTEP.
     La paille, à laquelle nous revenons maintenant, équivaut, elle, à 4 MTEP, certains affirment que si l'on veut vraiment récupérer toute son énergie, le plus simple est de la brûler. D'ailleurs on trouve sur le marché des brûleurs de paille qui permettent d'alimenter soit des installations de chauffage, soit même (par récupération des gaz) des véhicules à moteur type gazogène. Nous avons sous les yeux la publicité d'une firme allemande qui affirme le caractère non polluant de ses installations. On voudrait être sûr qu'il ne s'échappe pas dans l'atmosphère quelques composés sulfureux, nitriques ou chlorés qu'il paraît mieux venu de laisser dans le sol
     Certains agronomes pensent que brûler la paille est une hérésie et que la pratique courante qui consiste à la réenfouir sur place est indispensable à la régénération de l'humus.
     On peut penser que si on laisse une large place à l'initiative individuelle, une solution mixte prévaudra. Les agriculteurs qui ont coutume de brûler leur paille
(naguère sans récupération d'énergie), s'équiperont de brûleurs de paille; ceux qui avaient coutume d'enfouir leur paille individuellement ou en coopérative de village, des installations de biogaz qui leur assurera, outre un appoint énergétique appréciable, un compost de meileure qualité que la paille brute. Ceci, évidemment pour ce qui concerne ceux qui ne pratiquent pas l'élevage ou qui pratiquent l'élevage sur sol dur. Pour ceux qui pratiquent l'élevage traditionnel, la solution gaz de fumier paraît s'imposer.
suite:
     Maintenant, pour en terminer avec la paille, il nous faut encore parler des études qui sont faites par certaines sociétés industrielles dans une optique plus conforme à leurs méthodes habituelles de travail. La transformation de cellulose en alcool peut s'effectuer non seulement par des méthodes biologiques telles que celles qui sont étudiées par l'INRA et d'autres organismes de recherche en Europe ou en Amérique, mais également par le procédé industriel dénommé «hydrolyse acide». On peut employer soit l'acide sulfurique à chaud (procédés Meunier et Scholler), soit l'acide chlorhydrique à froid (procédé Bergius). C'est le procédé Bergius qui paraît le plus intéressant. Il permettrait une production de 1,35 hl d'alcool par tonne de paille, mais le prix de revient (198 F/hl en juillet 76) est à peu près celui de l'alcool de betteraves dont nous avons signalé dans l'encart 2 qu'il n'est pas très compétitif et, en effet, c'était c'était à peu près, à la même époque, le prix de vente au public de l'essence ordinaire où compte, pour une large part, on le sait, le bénéfice des divers intermédiaires et l'impôt de l'Etat.

On aurait pu dire bien d'autres choses!
     Ce numéro s'achève et bien des lecteurs sans doute restent sur leur faim. D'autres s'étonneront que tel aspect particulier qui leur tient à coeur n'ait pas été abordé. Mais ce numéro de la Gazette ne visait pas une étude exhaustive du problème. Nous voulions surtout, en l'abordant, susciter un élan.
     Ean bien nécessaire eu égard au désintérêt total des pouvoirs publics. Mais peut-être ce désintérêt est-il un bien car l'utilisation énergétique de la biomasse ne se conçoit guère de façon centralisée. Alors que le minimum de personnes qui s'intéresse au problème et cherche des solutions peut heureusement compenser la faiblesse des crédits de l'institut National de la Recherche Agronomique. Mais que chacun se garde de jouer les apprentis sorciers et de provoquer, en toute bonne foi, des catastrophes écologiques. Que chacun aussi veuille bien admettre que «sa» solution n'est pas forcément «la» solution. Telle méthode qui fait merveille sous tel micro-climat, peut être inopérante ailleurs.
     Et puis, si le sujet intéresse un nombre suffisant de nos lecteurs, sans doute y  reviendrons-nous dans une autre Gazette. Ceux qui regretteraient que l'on n'ait point parlé des granulats, d'euphorbe ou de varechs seront alors satisfaits.


30. Et aussi, dès maintenant, d'accroitre la récupération en vue du recyclage.
31. Il faut cependant signaler sa toxicité.
32. Les charbons de grande pureté sont plus couramment, à l'heure actuelle, fabriqués à partir du pétrole qu'à partir du bois, mais la hausse des produits pétroliers devrait redonner toutes ses chances au charbon de bois.
 
ENCART 0
Un texte d'Henri Laborit

     « ... Soleil! Seule source de vie sur ce caillou glacé que serait sans toi la terre que voilà! Soleil! Tu rayonnes et tout bouge, tout s'anime. Le peuple des atomes s'agite sous ta chaude lumière et de sa révolution naît un nouveau peuple, celui des molécules qui se cherchent et s'unissent suivant des lois obscures, comme un homme et une femme perdus dans une foule se rencontrent et s'aiment, se reproduisent et se perpétuent. Les êtres sont là, ils sont devenus enus forme. De l'énergie, la matière est née et de cette matière, parcelles incroyables et fragiles, les premières molécules vivantes... »

(Eloge de la fuite, p. 225)
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