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N°19
LE SOLAIRE
4. Le projet ALTER,
exemple de scénario

     Voilà donc le type d'arguments que les nucléocrates ont coutume d'utiliser à propos du solaire. Mais il arrive souvent que, à bout d'arguments - ou dans un souci constant et obstiné d'abuser les masses - on entende finalement l'exclamation suivante: «croyez-vous donc que les populations soient prêtes à revenir à la bougie?!». On peut se demander parfois de quel côté est la «passion» ou «l'irrationalité» en entendant de telles choses quand on constate:
     - que les partisans des énergies douces ne manifestent pas l'intention de faire un tel «retour en arrière»,
     - qu'il n'y a pas de lien automatique, proportionnel et inéluctable entre croissance économique et croissance énergétique: rappelons que, selon une étude de la fondation Ford aux USA, il est possible par exemple d'envisager la poursuite d'un certain taux de croissance économique sans augmentation de consommation énergétique,
     - que les Pouvoirs Publics, ou les divers organismes qui travaillent à l'élaboration d'une «politique énergétique», n'ont jamais fait le moindre effort pour essayer de cbiffrer d'autres types de politique énergétique: ce point est d'ailleurs souligné à de nombreuses reprises dans les rapports Papon, Schloessing et Messmin de la commission des finances.
     Il apparaît donc opportun de faire état ici, de façon un peu détaillée, des travaux effectués par le «groupe de Bellevue»[15] dans la mesure où, sous forme de «scénario», il s'agit d'un exemple du genre de réflexion et d'approche qui devraient être effectuées par les organismes chargés officiellement de conduire une politique énergétique adaptée à la France.
     «Frappé par la timidité de la prospective énergétique actuellement disponible pour la France, ce groupe a naïvement entrepris, avec les moyens du bord, l'étude d'un scénario énergétique axé sur le potentiel renouvelable».
     C'est en ces termes que s'exprime le Groupe de Bellevue pour présenter le «Projet Alter».
     Le Groupe de Bellevue est constitué de chercheurs de divers horizons: Centre National de la Recherche Scientifique, Collège de France, Electricité de France, Institut National de la Recherche Agronomique, impliqués professionnellement dans les recherches sur les énergies renouvelables.
     Les principaux points que nous retenons de l'introduction sont:
     - sur le plan de la motivation la volonté de réduire la «psychose selon laquelle un arrêt du développement nucléaire provoquerait nécessairement à terme une pénurie dramatique, pénurie qui concernerait en premier lieu les classes sociales aujourd'hui défavorisées et ruinerait l'économie du pays».
     - sur le plan de la démarche: «la remise en cause de l'impératif catégorique de croissance industrielle et son remplacement par un impératif de stabilisation de l'activité productrice de microcosme humain».
15. «Projet ALTER. Esquisse d'un régime à long terme tout solaire» (8 F) par le Groupe de Bellevue (85, boulevard de Port Royal, 75013 Paris). On peut se le procurer aussi au GSIEN. Voir aussi une courte introduction sur la Gazette N°15/16
p.8

     Ceci se traduit par le refus d'utiliser la démarche de prévision par extrapolation du passé.
     Il faut savoir d'abord que le soleil (en France) apporte environ 3i)O fois l'énergie actuellement consommée. Le problème réside dans le fait que, étant « dilué » et intermittent, il n'est pas directement utilisable par l'homme pour satisfaire ses besoins en énergie, qui se présentent sous diverses formes. Pour raisonner en termes de « scénario », il est nécessaire de se pencher notamment sur 3 sortes d'informations capitales:
     - les quantités d'énergie utilisées par les différents secteurs (résidentiel, tertiaire, transports, industrie, agriculture)
     - la forme finale d'usage de l'énergie (chaleur, force motrice, électricité spécifique)
     - les « vecteurs » d'énergie (chaleur directe, combustibles solides, liquides, gazeux, électricité).
     Les auteurs de l'étude ont effectué un tel bilan à partir des données officielles disponibles actuellement, qui sont celles de 1975. Cela donne les 3 tableaux suivants:
Tableau 1
Secteurs d'utilisation de l'énergie
Secteur
Energie 1975
(MTEP)
% 1975
Energie 2050
(MTEP)
Résididentiel tertiaire
54,5
39
61,5
Industrie
43,0
29
43,9
Transports
31,4
21
9,5
Sidérurgie
12,0
8
20,5
Agriculture
4,5
3
6,1
Total
145,4
100
141,5

     On notera que l'unité utilisée dans la comptabilité énergétique est le «Mégatep» (MTEP): «million de tonnes d'équivalent pétrole», c'est-à-dire la quantité d'énergie (sous une forme quelconque) qui aurait demandé l'utilisation d'un million de tonnes de pétrole.

Tableau 2
Utilisation finale de l'énergie en France (1975)
Formes d'énergie
Energie (MTEP)
1975
% 1975
Chaleur basse température (<100°C)
46,5
32
Chaleur moyenne et haute température (procédés industriels)
36,1
24
Total chaleur
82,1
57
Force motrice fixe (machines)
11,2
8
Force motrice mobile (tous transports)
34,0
23
Electricité spécifique (éclairage, télécoms, électroménager, électronique)
17,6
12
 
145,4
100
 Tableau 3
Répartition des vecteurs et sources d'énergie
Vecteur
Energie 1975
(MTEP)
Origine
Energie 2050
(MTEP)
Origine
Chaleur directe
0
-
49
Solaire direct
Combustibles solides
16,5
Charbon lignite
20
Biomasse (granulats)
Combustibles liquides
80
Pétrole
14,5
Biomasse (pour voitures)
Combustibles gazeux
14
Gaz naturel
15
20% biomasse
80% hydrogène solaire
Electricité
36
30% hydrau.
70% fossile (dont <10% nucléaire)
44
40% hydrau.
7% éolien
53% centrales solaires
p.9

     L'étude fait apparaître: que le secteur résidentiel et tertiaire représente une part importante (39%) du bilan énergétique de 1975; que cette énergie est utilisée essentiellement sous forme de chaleur à basse température mais qu'elle est fournie par des combustibles qui délivrent des calories à haute température et même de l'électricité! Nous prenons ce secteur à titre d'exemple mais on constate que les mêmes aberrations se retrouvent dans tous les secteurs on utilise très souvent l'énergie la plus «noble» pour la dégrader ensuite en ses formes les moins nobles, toutes ces conversions successives représentant un gaspillage considérable.
     La démarche des auteurs est alors la suivante:
     1. Chercher à définir des «besoins» à partir d'un certain nombre d'hypothèses sur le mode de vie et son évolution.
     2. Considérer pour chaque usage la forme d'énergie la mieux adaptée et trouver la source d'énergie qui la satisfasse bien évidemment au moindre coût.
     Le «long terme» étudié correspond à l'an 2050. Les auteurs considèrent qu'à cette époque la France comptera environ 60 millions d'habitants et se basent sur les deux hypothèses suivantes très pessimistes:
     - en premier lieu, «il n'y aura plus de réserves fossiles» (ni charbon, ni pétrole, ni nucléaire)[16];
     - en second lieu on admet qu'il n'y aura pas d'invention technique spectaculaire dans le domaine énergétique (notamment, il n'y a pas de fusion thermonucléaire, ni de production directe d'hydrogène à partir du rayonncment solaire, ni de centrales solaires spatiales) et on n'utilisera que les techniques dônt la faisabilité  est actuellement démontrée.
     Un certain nombre d'hypothèsès ont été ensuite posées concernant l'évolution de divers « besoins» qui sont du domaine du « mode de~vie ». Il s'agit bien évidemment d'hypothèses arbitraires mais qui ont les caractéristiques suivantes:
     1. Le confort augmente, ou plutôt de-vient plus égalitaire dans la mesure où chacun accède à un logement décent et àson automobile, notamment.
     2. Les équipements collectifs et les transports en commun sont privilégiés (par contre, l'avion n'est pas « banalisé a).
     Cela se traduit par les hypothèses suivantes (tableau 4):
Tableau 4
Hypothèse arbitraire d'évolution de divers besoins
Besoins recensés
Etat 1975
2050
m2 de logements par ménage (3 personnes)
70m2
100m2
Bureaux, commerces, administrations
4m2 par habitant
4m2 par habitant
Locaux socio-culturels, éducation, santé
2m2 par habitant
4m2 par habitant
Transports individuels
0,7 voiture par ménage (11.500 km/an)
1 voiture par ménage (8.000 km/an)
Transports en commun (train et urbain)
850 km/an/habitant
3.000 km/an/habitant
Avion
370 km/an/habitant
400 km/an:habitant

     Dans le domaine du mode de vie, on ajoute encore les deux hypothèses suivantes[17]:
     1. Les besoins d'équipement des Français sont 1,5 fois supérieurs aux besoins actuellement satisfaits.
     2. Les besoins de consommation (nourriture, habillement, pharmacie, loisirs, etc.) sont 1,3 fois supérieurs aux besoins actuellement satisfaits.
     Enfin au niveau structurel et industriel, on pose les différentes hypothèses suivantes:
     1. On réussit à produire des équipements 1,5 fois plus durables qu'en 1975.
     2. On économise 15% d'énergie sur les différents processus industriels.
     3. On a réalisé systématiquement une bonne isolation du secteur résidentiel et tertiaire..
     4. Les voitures consomment moins d'essence.


16. Ou que l'on ne veut pas les utiliser à des fins énergétiques.
17. Ce qui suppose bien entendu une volonté politique qui n'existe pas actuellement.
suite:
     Les tableaux 1 et 3 donnent, comparés à la situation de 1975, les résultats obtenus dans ce contexte d'hypothèses et des diverses techniques d'utilisation rationnelle et optimale de l'énergie solaire. On remarque notamment que deux secteurs utilisent plus d'énergie (résidentiel, tertiaire et agriculture), mais que par contre le secteur des transports voit une baisse appréciable de sa consommation d'énergie. D'autre part, au niveau des «vecteurs»  énergétiques, la «chaleur directe», inexistante actuellement, prend une. importance considérable par suite de l'utilisation directe du soleil pour le chauffage; par contre, les combustibles liquides (le fameux pétrole actuel) deviennent insignifiants et sont réservés pratiquement à la consommation des véhicules.
     Tout cela se traduit finalement, comme on peut le voir, par un bilan énergétique à long terme du même ordre de grandeur que celui de 1975 (141,5 MTEP contre 145,4).
     Le problème de la transition doit faire l'objet d'une autre étude détaillée, il est seulement abordé dans ses grandes lignes. On n'en donnera ici que quelques indications:
     1. Les consommations passeraient par un maximum assez plat peu après 1985 pour décroître lentement vers le régime stable à long terme défini précédemment.
     2. Dans la première période (1975-2000), la croissance de la production industrielle se poursuit en se ralentissant progressivement, avec un taux moyen de croissance annuelle entre 1,5% et 2% jusqu'à 1985 et inférieur à 1% ensuite[18]. Le potentiel industriel est employé:
     - d'une part à amener en l'an 2000 le niveau moyen de consommation et d'équipement de la population à celui prévu à long terme qui est considéré comme un niveau de saturation.
     - d'autre part à organiser l'appareil de production et de consommation de manière à économiser l'énergie et les matières premières et fabriquer des matériels plus durables.
     - enfin, à alimenter les exportations permettant en échange d'importer, entre autres mais en priorité, les combustibles fossiles dont la place est encore dominante dans l'approvisionnement énergétique du pays.
     En effet, pendant cette période, au moins jusqu'en 1990, l'apport des techniques nouvelles se limite aux économies d'énergie et au chauffage des locaux: on entreprend un effort de recherche et de développement à grande échelle (construction de prototypes variés) de manière à mettre soigneusement au point les filières et la structure du système énergétique qui sera mis en place ensuite.
     Parallèlement à cet effort de recherche, l'équipement hydro-électrique est poursuivi activement ainsi que l'équipement charbonnier et l'équipement gazier.
     3. A la fin de cette première période (vers 1995), un vaste programme de reconversion est mis en oeuvre progressivement le potentiel industriel qui servait précédemment à assurer la croissance de la production de biens de consommation courante et du parc de biens d'équipement (croissance n'ayant plus de raison d'être pour cause de saturation au niveau prévu) est redéployé pour assumer la production du matériel qui doit assurer l'approvisionnement énergétique du pays à partir de l'énergie solaire.
     4. Pendant la période suivante (2000-...), le potentiel industriel est employé - outre l'entretien et l'amélioration du parc existant et la charge des exportations - à la mise en place du nouveau système énergétique (y compris les transports). Cette mise en place progressive semble devoir durer assez longtemps (60 ans au moins). Cette mise en place, à peine amorcée en 2000, bat son plein en 2025 et est presque terminée en 2050.
     En conclusion, on peut donc constater que cette étude d'un scénario global que. constitue le «projet ALTER» tout solaire présente un intérêt manifeste. Il est évidemment possible de discuter des hypothèses - puisqu'elles sont la traduction d'une certaine vision de la société et de son fonctionnement - ainsi que des résultats chiffrés obtenus, mais l'essentiel à notre avis réside dans la démarche suivie puisqu'elle consiste notamment à partir d'une analyse des «besoins». Ces besoins sont ici définis par des hypothèses arbitraires, mais il est clair qu'ils pourraient - et devraient - être le fruit d'un large débat national. Enfin, on remarquera, à la lumière des hypothèses retenues dans ce scénario, que le maintien d'un certain niveau de consommation énergétique ne signifie absolument pas, dans les faits, le «retour à la bougie»!
18. Il faudra également repenser le probléme de la distribution du travail et substituer celui-ci au capital pour résoudre les problèmes de chômage.
p.10

5. Aperçu technique des diverses méthodes d'utilisation de l'énergie solaire
     Il n'est pas dans les objectifs de la Gazette Nucléaire de donner des informations techniques détaillées, quel que soit le sujet considéré, sachant que ce genre de travail est déjà effectué par d'autres: nous préférons donc renvoyer le lecteur intéressé à des ouvrages existants et, pour le sujet de ce numéro, l'énergie solaire, on trouvera une bibliographie détaillée sur les différents aspects du problème (voir annexe). Toutefois, tant pour répondre à certaines interrogations de nos lecteurs, que pour faciliter le compréhension du reste de cette Gazette, nous avons jugé utile de donner tout de même quelques indications de base sur les diverses façons d'utiliser le solaire. Ce n'est absolument pas complet, même au niveau de l'inventaire, nous nous attacherons seulement à parler des grandes voies possibles ou existantes. Nous en profiterons, dans certains cas, pour faire le point de certaines réalisations existantes ou en projet en France.
     Nous citerons d'abord pour mémoire quelques «utilisations» particulières de l'énergie solaire: il s'agit en fait d'utilisation indirecte de cette énergie, à savoir l'hydro-électricité, l'énergie du vent, l'énergie des marées, l'énergie thermique des mers.
     D'autre part, nous ne reviendrons pas sur la «biomasse», ou utilisation des produits obtenus par la photosynthèse, puisque cet aspect a fait l'objet d'un premier examen dans la Gazette N°18.
     Nous n'aborderons donc ici que les autres aspects: production directe de chaleur, conversion thermodynamique, voire photovoltaïque, chimie solaire. Nous  ajouterons  une  partie spéciale traitant du problème du «stockage», cette question étant particulièrement importante si l'on veut faire face au caractère intermittent de l'énergie solaire. Et pour tous ces points, nous emprunterons largement aux documents existants, dont la liste est donnée par ailleurs.
1. Utilisation de l'énergie solaire sous sous forme thermique
     Toute surface exposée au soleil capte plus ou moins bien le rayonnement de celui-ci. Une partie de ce rayonnement est absorbée et entraîne le réchauffement du matériau constituant la surface, une partie est réfléchie. Une surface noire abosrbe tout le rayonnement visible; c'est justement pour cela qu'elle apparaît noire. Au contraire une surface blanche réfléchit la totalité de ce rayonnement. Un miroir n'est rien d'autre qu'une surface réfléchissante parfaitement lisse.
     Les habitations individuelles sont généralement construites pour exploiter le rayonnement solaire (façades orientées au sud, maisons étirées dans le sens est-ouest), ou pour s'en protéger dans les climats chauds (cours intérieures, patios). Les techniques actuelles permettent l'amélioration de ces méthodes. Ainsi un double vitrage orienté au sud ou au sud-ouest a généralement un bilan thermique positif: les apports solaires sont supérieurs aux déperditions. D'une façon plus large, il est possible actuellement, en jouant sur l'architecture, le choix des matériaux et des systèmes d'isolation, l'organisation rationnelle des échanges thermiques à l'intérieur des parois et de la maison, de capter - et de façon «passive» - une part importante de l'énergie solaire.
     Mais on peut aussi utiliser des capteurs solaires artificiels, permettant un rendement élevé et des solutions pratiques aux problèmes de chauffage.
     Le principe de captage est simple: il suffit d'absorber la majeure partie du rayonnement et d'en rééemettre le moins possible. On utilise pour cela des surfaces mates de couleur foncée (noir, vert, rouge, bleu) qui absorbent la quasi-totalite des rayons solaires, devant lesquelles on dispose une ou plusieurs vitres qui ont pour rôle de retenir le rayonnement infrarouge réémis par la surface foncée. L'ensemble se présente donc comme un véritable piège à calories conjuguant l'effet de serre et l'effet de corps noir.
p.11

     Pour récupérer ces calories ainsi  captées et les transporter jusqu'à l'utilisateur, on utilise un fluide caloporteur qui est en général soit de l'air circulant entre la surface mate et la vitre, soit un liquide (eau, huile, antigel, etc.) qui circule derrière la surface absorbante.
     Le rendement de ces capteurs simples, c'est-à-dire le rapport entre l'énergie qu'ils fournissent et l'énergie solaire qu'ils reçoivent, dépend évidemment de beaucoup de paramètres, tels que la température à laquelle est porté le fluide caloporteur, la puissance du rayonnement solaire, la vitesse et la direction du vent,  la température extérieure, etc. Pour ne citer qu'un chiffre, disons qu'un mètre carré de capteur incliné à 45° par rapport au sol peut fournir en France entre 850 et 1.500 kWh par an, ce qui est considérable; mais il s'agit là d'une énergie à basse température, le fluide caloporteur étant ainsi chauffé à 60°C environ.
     A partir de ces principes (architecture, matériaux, utilisation de divers types de «capteurs»), l'énergie solaire peut être utilisée de façon directe sous forme thermique pour produire notamment:
     - de l'eau chaude sanitaire,
     - un système de chauffage des maisons.
     Le bilan actuel des actions publiques entreprises en France est donné par le Ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat, dans un document d'octobre 1977:
     «Dans un premier temps, il était important de démontrer que l'utilisation de l'énergie solaire dans la vie quotidienne était possible, et économiquement rentable. C'est pourquoi a été entamée une campagne d'opérations d'applications de chauffage de locaux ou de chauffage de l'eau chaude sanitaire dans des bâtiments ayant une réelle valeur démonstrative, tels que centres administratifs, piscines, hôpitaux, etc.
     Depuis 1975, 64 opérations de dérnonstrai~on ont été ainsi engagées, parn~i lesquelles
     - 18 opérations concernant le secteur industriel,
     - 9  opérations concernant  le secteur administratif,
     - 7 opérations concernant le secteur de l'enseignement,
     - 9  opérations concernant  le secteur socio-culturel,
     - 13 opérations concernant le secteur des sports,
     - 3 opérations concernant le secteur de la santé,
     - 5 opérations concernant le secteur industriel et agricole.
     Ces opérations subventionnées représentent environ l'équivalent de 2.000 logements équipés.
     Le principe des subventions accordées consiste à financer une partie du surcoût  entraîné par l'utilisation de l'énergie solaire par comparaison avec l'utilisation de l'énergie classique (jusqu'à 50% de ce surcoût). Les bénéficiaires sont, dans la quasi totalité des cas, des organismes publics ou parapublics, des collectivités locales ou des organismes d'intérêt public. La gestion des crédits et le contrôle des résultats sont assurés par l'Agence pour les Economies d'énergie, à la demande du délégué aux Energies nouvelles et après décision du comité directeur de l'agence.
suite:
     Ces opérations de démonstration ont eu pour conséquence de créer une demande dans un marché jusque là étroit. La fabrication des capteurs-plans a suivi une progression extrêmement sensible, puisqu'elle est passée de 4.000 m2 en 1975 à 12.000 m2 en 1976, 30 à 50.000 m2 en 1977, et devrait être de 100.000 m2 en 1978...
     Grâce à la création progressive du marché, les industriels fabricants sont mieux en mesure de prévoir des plans de charge permettant d'assurer une production de série. Cette évolution sera renforcée par l'effet d'opérations de commandes globales,  notamment dans le domaine du chauffe-eau, telle l'opération HLM/Plan  construction  qui  concerne 3.000 chauffe-eau en 1978. Les résultats sont d'ores et déjà positifs, à la fois dans le domaine des prix des matériels et de la création d'emplois locaux dans les secteurs de la production, de la distribution et de l'installation des équipements.

2. La production d'électricité ou d'énergie mécanique par «conversion thermodynamique»
     Parmi les systèmes de conversion thermodynamique, il faut distinguer ceux dans lesquels le flux solaire est concentré optiquement et ceux qui utilisent les capteurs plans.
     Dans un cas, on concentre d'abord les rayons du soleil, dans l'autre on capte les rayons tels qu'ils se présentent.
     Les premiers systèmes permettent de chauffer des fluides à haut température, ce qui assure un bon rendement. En revanche, ils n'acceptent que le soleil direct et donc ne peuvent être utilisés que dans les régions possédant une forte proportion de jours à ciel clair.
     Les seconds acceptent le soleil diffus, et peuvent être utilisés dans des sites plus nombreux; toutefois, en raison de leur faible rendement, ils nécessitent une grande surface de collecteurs.
     Les technologies les plus prometteuses de conversion thermodynamique sont:
     - la concentration des rayons solaires, qui peut être ponctuelle ou linéaire,
     - le captage direct de ces rayons, à l'aide de capteurs plans ou de bassins solaires.
     a) La concentration ponctuelle: l'exemple du projet THEMIS CNRS-EDF
     Les systèmes à héliostats sont constitués par un grand nombre de miroirs focalisants identiques de plusieurs dizaines de mètres carrés, mobiles suivant deux axes. Chaque miroir est guidé de façon qu'il renvoie en permanence l'image du soleil au sommet d'une tour de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Les images données par les miroirs se superposent et l'on a donc concentration optique de l'énergie solaire. A l'endroit où se situe la tache solaire obtenue, on place une chaudière dans laquelle circule sous pression le fluide à chauffer (eau, air, hélium, thermofluide...). Ce fluide est ensuite utilisé pour faire tourner une turbine comme dans une centrale thermique classique.
     C'est sur ce principe que sera réalisé le projet THEMIS d'une centrale expérimentale de 2 MW dans la Cerdagne. La décision a été prise par le gouvernement fin 77 et la mise en service doit avoir lieu en 1980.

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     c) La focahsation linéaire
     Les systèmes à focalisation linéaire utilisent des bandes parallèles de miroirs plans ou cylindro-paraboliques concentrant le soleil sur une chaudière dans laquelle on produit de la vapeur surchauffée, laquelle entraîne une turbine. Plusieurs variantes de réalisations de ces systèmes sont possibles, qu'il est inutile de détailler ici dans la mesure oû le coût et les performances que l'on peut en attendre sont voisins. Les concentrations obtenues varient du coefficient 20 au coefficient 50 environ et permettent d'atteindre des températures de l'ordre de 350°C. Un bon exemple de concentrateur linéaire est la chaudière réalisée au laboratoire d'Héliotechnique de Marseille (CNRS), qui utilise sept miroirs de 8 m sur 1 m. Cette chaudière, équipée d'un turbo-alternateur, produirait environ 5 kWé. On peut imaginer des équipements de structure analogue, mais d'une taille nettement supérieure.
     Les concentrations linéaires devraient bien convenir aux puissances comprises entre quelques dizaines de kW et un MW. Un de leurs avantages est qu'ils se prêtent sur le plan technologique à un grand éventail de réalisations.
     c) Captage direct
     Il consiste à utiliser des capteurs plans (dont on a vu le principe précédemment) ou des bassins solaires (adaptés pour les pays très ensoleillés) pour produire de la chaleur, qui est ensuite transformee en énergie mécanique par divers procédés thermodynamiques.

3. La production d'électricité par la «voie photovoltaïque»
     Il s'agit de «photopiles» solaires, qui ont commencé leur carrière comme générateurs de bord de satellites, dans les années 60, et qui sont entrées, dans les années 70, dans le domaine des applications terrestres.
     «L'effet photovoltaïque» est une propriété  physique qui se manifeste au sein  d'un  matériau semi-conducteur convenablement préparé, et qui se traduit par la conversion directe, dans ce matériau, d'une énergie lumineuse en énergie électrique[19]. Le matériau le plus utilisé est le silicium, pour lequel les phénomènes sont les plus simples et les mieux connus. Mais, compte-tenu de son faible rendement (5 à 10% le plus souvent), on cherche à mettre au point d'autres matériaux pous élaborés et plus efficaces.
     Dès à présent, les photopiles sont utilisées dans de très nombreuses applications: alimentation de stations fixes et isolées (relais de télévision dans des zones désertiques ou en montagne, balises en mer...). Les recherches sont très nombreuses dans le monde pour développer les photopiles. En France, le gouvernement a décidé d'engager des actions en vue de l'industrialisation de ces systèmes: ces actions doivent favoriser les fabrications de cellules au moyen de commandes groupées, liées à des contrats de croissance garantissant une baisse des prix. Elles consisteront en outre à lancer la construction de plusieurs installations de 5 à 10 kW comportant, pour certaines d'entre elles, des systèmes de concentration du rayonnement avant sa conversion directe en électricité, ce qui doit permettre d'améliorer le rendement des photopiles.


19. Malheureusement à basse tension continue, ce qui impose l'emploi de conventisseurs (mais dont la technique ne pose pas de problème).
suite:
     Ce qui est certain, c'est que les recherches en cours, qui peuvent à tout instant déclencher un coup de théâtre techologique, ne laissent d'incertitude que sur l'échéance, non sur le succès.

4. La chimie solaire
     On peut concevoir deux façons d'utiliser le soleil dans une réaction chimique:
     - soit par la voie photochimique, qui procède par l'irradiation lumineuse des réactifs,
     - soit par la voie  héliothermique, qui emploie le soleil comme source de calories.
     Les deux méthodes peuvent être appliquées à des synthèses nécessitant de grandes quantités d'énergie thermique ou lumineuse, et aboutissant à des produits chimiques industriels ou à des combustibles; dans ce dernier cas, on réalise un stockage de l'énergie solaire.
     a) La photochimie solaire
     On peut utiliser le rayonnement solaire directement, sans le convertir en chaleur, pour produire des réactions photochimiques qui peuvent se classer en plusieurs catégories, dont les deux plus importantes sont les suivantes:
     - Synthèse de molécules permettant de produire industriellement divers produits chimiques,
     - Photoélectrolyse de l'eau: cela consiste à remplacer les électrodes de la cellule d'électrolyseur par des matériaux semiconducteurs «photosensibles»; il est ainsi possible d'obtenir de l'hydrogène et de l'oxygène sans avoir besoin de courant électrique. Il s'agit, dans ce domaine, d'un ensemble de méthodes très prometteuses.
     b) La thermochimie soiaire: production de carburants
     La disponibilité d'une énergie transportable sous forme d'un volume aussi faible que possible constitue un besoin fondamental. Ce besoin a jusqu'ici été satisfait par le pétrole. Dans l'avenir, il pourra l'être par l'hydrogène, l'hydrazine, le méthanol, l'éthanol, le méthane, l'ammoniac... L'énergie solaire pourra contribuer de façon importante à la production de ces différents carburants, notamment en utilisant des infrastrucrures de centrales solaires assez comparables à celles qui ont été définies pour la production d'électricité. L'obtention d'un «fuel solaire»revêt d'ailleurs une importance considérable pour le développement de ces centrales, dans la mesure oû elle résout le problème du stockage. Si ce fuel n'est pas utilisé sur place, la centrale solaire deviendra alors «exportatrice» d'un carburant qui pourra être employé dans des piles à combustibles ou des moteurs thermiques.
     De nombreux experts estiment par exemple que l'hydrogène pourrait devenir un des principaux vecteurs d'énergie de l'avenir. Il peut se stocker dans de vastes cavités salines, des poches naturelles ou artificielles et sa distribution par tuyaux ne semble pas poser de problèmes technologiques majeurs; pour l'instant cependant sa production reste très coûteuse. Si des progrès substantiels intervenaient dans l'augmentation du rendement des réactions d'électrolyse, on pourrait espérer utiliser de l'électricité d'origine solaire pour produire de l'hydrogène.
     Il existe toutefois une perspective de production d'hydrogène grâce à l'énergie solaire qui paraît plus intéressante que l'électrolyse, notamment par son rendement plus élevé: il s'agit de la décomposition de l'eau par cycle thermochimique. Cette décomposition pourrait s'effectuer dans des réacteurs chimiques, situés au foyer d'installations très comparables aux systèmes héliostat/tour, qui ont été déjà évoqués dans le chapitre relatif à la production d'électricité.

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5 Les problèmes de stockage de l'énergie solaire
     La production d'hydrogène - ou d'autres types de produits - est déjà une réponse apportée à ce problème du stockage. Mais cette question se pose aussi, et en d'autres termes, pour divers autres usages spécifiques de l'énergie solaire.
     Si on considère, par exemple, la production d'électricité par des centrales à conversion thermodynamique, on peut citer l'exemple du projet THEMIS:
l'énergie solaire sert à échauffer un fluide de stockage particulier constitué d'un mélange de divers produits spécialement étudiés. Ce fluide (600 tonnes), dont la température peut varier entçe 250 et 425°C évolue entre 2 réservoirs qui permettent ainsi de «stocker» environ 6 heures d'ensoleillement, ce qui prolonge d'autant le fonctionnement de la turbine en dehors de la période diurne d'ensoleillement.
     Mais le plus important est sans doute le problème du stockage à réaliser pour le chauffage solaire des locaux et même, plus précisément, à l'échelle saisonnière, le problème consistant à stocker l'énergie l'été pour la restituer l'hiver. Diverses études et réalisations ont été effectuées àce sujet et on montre que la solution devient réalisable et de façon économique en construisant des cuves spéciales à faible déperdition de chaleur pour des ensembles de logements. Le «fluide» de stockage utilisé peut être soit de l'eau, soit même du sable, dont le «rendement» est encore supérieur à celui de l'eau. D'autres études portent également sur «l'héliogéothermie»  qui  promet d'être le plus efficace pour le chauffage urbain ou industriel.
Si on croit Michel Bosquet dans le numéro spécial de Que Choisir: «de l'eau chaude «solaire» est injectée dans des nappes d'eau souterraines, à faible profondeur, pendant l'été, et elle est récupérée pendant l'hiver, avec un rendement étonnant. Deux essais sont en cours en France, l'un dû au Bureau de recherches géologiques et  minières (BRGM), l'autre à l'École des Mines de Paris associée à EDF, cependant que Georges Vachaud en poursuit l'étude au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS).
     L'étude la plus complète sur ce procédé, due à deux Suisses, A. Menjoz et B. Joos, de l'Institut d'hydrogéologie de Neuchâtel, est fondée sur la modélisation (c'est-à-dire sur le calcul par ordinateur) du cas suivant: pendant les six mois chauds, on injecte dans une nappe souterraine de l'eau à 90°C tout en soutirant simultanément une même quantité d'eau froide à la nappe. Durant les six mois d'hiver on inverse l'opération: on récupère alors près de 80% de la chaleur injectée sous forme d'eau à 67°C. Le rendement maximal de 80% est atteint au bout de cinq ans (il est de 63% la première année).
     L'équipe américaine de Witherspoon, au Lawrence Laboratory de Berkeley, a de son côté étudié le modèle suivant: pendant les trois mois les plus chauds, on njecte dans une nappe de cent mètres d'épaisseur  de  l'eau  surpressurisée à 220°C. Après trois mois d'attente, on soutire l'eau chaude pendant 90 jours, au même débit et par le même puits. La température de l'eau soutirée tombe progressivement à 155°C et la quantité de chaleur récupérée atteint 91% (87% la première année).
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