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N°28

GSIEN - FICHE TECHNIQUE N° 32
les accidents graves dans une usine de retraitement

     Les promoteurs du nucléaire sont toujours très discrets sur les dangers que les usines de retraitement font courir aux travailleurs et à la population. Contrairement à ce qu'ils font pour les centrales, ils n'avancent aucun chiffre pour en évaluer les dangers. Ils nient en bloc ces dangers et parfois jusqu'à l'absurdité. Et pourtant les usines de retraitement sont les plus dangereuses, avec les surgénérateurs, de toutes les installations nucléaires. Les quantités de produits radiotoxiques qu'elles contiennent sont énormes. Le volume des déchets qu'elles produisent est considérable, posant avec beaucoup d'acuité le problème du stockage et ses risques de pollution. L'irradiation et la contamination du personnel y sont les plus importantes de tout le cycle du combustible.
     En dehors du problème de la contamination du personnel qui s'aggrave au fur et à mesure que l'usine vieillit et s'agrandit, quels sont les risques dans une usine telle que celle de la Hague? Avant de parler plus précisément de La Hague, signalons d'abord qu'un accident majeur s'est produit déjà dans un centre de stockage de déchets radioactifs. Quand le biochimiste soviétique Jaurès Medvedev publia en 1976 un article sur la catastrophe survenue sur une aire de stockage de déchets en URSS (à Kychtym) à la fin de 1957 (Info Nucléaire), les milieux nucléaires français et britanniques nièrent la réalité de cet événement qu'ils déclaraient impossible. Maintenant, ces mêmes milieux ne disent plus rien car Medvedev a apporté récemment les preuves irréfutables de cette catastrophe. On n'a que peu de détails sur l'installation où s'est produit l'accident ainsi que sur les événements qui en sont la cause. Mais on sait qu'une zone de 100 km sur 50 km dans l'Oural est depuis 1957 condamnée et encore pour un temps très long. On ne connaît pas le nombre de morts et de personnes contaminées qu'il en est résulté.
     Sur le site de La Hague, il doit y avoir actuellement (article de juillet/août 1979), 500 mètres cube de déchets de haute activité. Ces produits sont dans des cuves qui doivent être surveillées en permanence. Le liquide est brassé et refroidi continuellement, afin d'éviter tout échauffement résultant de leur radioactivité. Les cuves doivent être ventilées pour éviter l'accumulation d'hydrogène provenant de la décomposition de l'eau par le rayonnement, accumulation qui pourrait amener une explosion spontanée de la cuve. Une panne prolongée des systèmes de brassage et de refroidissement conduirait à l'ébullition puis à la disparition de l'eau, suivies de la fusion des sels et la libération des produits de fission dans l'environnement. C'est de loin l'accident le plus grave qu'il est possible d'imaginer. On nous dit: accident hautement improbable car le mécanisme de son déclenchement est assez long (trois jours environ) et qu'une intervention est toujours possible. Nous verrons plus loin un type de scénario dont la probabilité n'est pas négligeable et qui pourrait conduire à ce type d'accident. 
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     Voyons les autres points dangereux de l'usine. Il y a  des combustibles en attente de traitement et leur nombre va croître énormément si la Cogéma veut remplir les contrats étrangers qu'elle a déjà signés et si le programme nucléaire français n'est pas très fortement ralenti. Des piscines de forte capacité sont en cours de construction sur le site. Les combustibles sont refroidis par l'eau des piscines. La disparition de l'eau dans ces piscines arrêterait le refroidissement. Les combustibles s'échaufferaient jusqu'à la fusion avec un énorme dégagement de radioactivité dans l'atmosphère. C'est un accident du même type que celui décrit pour les cuves de stockage des produits de fission.
     Venons-en maintenant aux accidents dits de criticité. Ils se produisent quand des matières fissiles (uranium 235 ou plutonium) sont rassemblées en quantité suffisante pour qu'une réaction en chaîne puisse se développer d'une façon explosive. Dans le cas d'une explosion simple, l'équivalent en TNT est de 7 kilos.
     Ces accidents sont loin d'être improbables. La littérature spécialisée en rapportait six dans les usines américaines depuis l'origine de l'industrie nucléaire jusqu'en 1967 (voir chapitre suivant). Signalons que ces six accidents sont tous dus à des erreurs humaines, dans des installations où les informations de sécurité étaient largement répandues. Citons un passage du traité de chimie minérale de Pascal, le livre de référence pour tous les chimistes: "un accident de criticité demeurera toujours dans le domaine du possible en tous lieux où des quantités potentiellement critiques de matière fissile sont manipulées. Un accident de criticité peut se présenter sous la forme soit d'une seule excursion critique d'une durée inférieure à une fraction de seconde, soit d'une réaction auto-entretenue d'une durée indéfinie, soit encore en une succession d'excursions par oscillations entre un état souscritique et un état critique".
     Où y a·t-il danger de criticité dans l'usine? Partout. Par exemple, on peut lire dans un document du CEA intitulé «Règles et consignes particulières de radioprotection du bâtiment Haute Activité Oxyde»: «Les risques de criticité sont dus à la présence d'éléments combustibles dans les piscines de stockage et de déchargement et à la possibilité d'accumulation de matière fissile en divers points de l'installation (filtre et cuves d'effluents)
     Pour le plutonium, le volume limite de sécurité absolue (où, quoi qu'il arrive la criticité n'est pas possible), pour les solutions est de 3,4 litres avec une masse correspondante de 220 grammes. On voit que dans une installation industrielle de retraitement, il n'est pas possible de respecter la sécurité absolue. La sécurité relative est obtenue en étudiant soigneusement le dimensionnement des récipients et la géométrie des conduits où circulent les solutions, en introduisant des écrans absorbants, etc.
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Des éléments non critiques peuvent le devenir quand on les rapproche, au cours d'un transport par exemple. Un élément non critique peut le devenir quand il se trouve immergé dans de l'eau, au cours d'une inondation. Dans une installation industrielle, le nombre de configurations accidentelles où la criticité peut se produire est considérable. Signalons enfin qu'en 1975 il y avait 115 kilos de plutonium dans les cuves de stockage des boues de faible activité, résidus du traitement. Depuis cette date, la quantité de plutonium dans ces cuves n'a pu que croître. Il pourrait y avoir dans ces cuves des points de concentration du plutonium, soit dans les sédiments au fond des cuves, soit à la surface, plus riche en solvants. Il est impossible de surveiller l'homogénéité de concentration en plutonium, à cause de la texture en "confiture" de ces boues. Des dépôts de plutonium peuvent se produire le long des canalisations. Des vérifications trop fréquentes seraient incompatibles avec un fonctionnement industriel à forte cadence.
     Une explosion de criticité isolée libère 100 millions de curies et un rayonnement énorme au voisinage immédiat: de 24.000 à 40.000 rad à un mètre suivant le système. Ceci concerne les travailleurs. Au cas où les produits libérés ne seraient pas confinés dans le bâtiment où se produirait l'explosion, ils se répandraient dans le voisinage environnant. Relâchés à faible hauteur, leur dispersion serait assez faible et la contamination des populations du voisinage serait très rapide et très grave.
     En cas d'explosions répétées, les effets seraient encore amplifiés.
     Ces accidents de criticité pourraient, en plus de leurs effets immédiats, déclencher une suite d'événements dont le résultat final pourrait être l'accident majeur décrit pour les cuves de stockage des produits de fission. Par exemple: destruction de certaines installations à proximité de l'explosion (tuyauteries, pompes, systèmes de ventilation). La radioactivité libérée serait alors considérable et pourrait se propager rapidement dans les bâtiments et sur l'ensemble du site. L'intervention humaine ne serait plus possible et l'évacuation du centre aurait lieu, soit d'une façon concertée, soit par la panique du personnel. Les installations du centre seraient alors sans surveillance et tout incident sur les cuves de stockage des produits de fission conduirait à la catastrophe.
     D'autres accidents, moins graves en apparence que des explosions par criticité, pourraient conduire à la même situation. En voici quelques exemples:
     - explosion de nappes dérivantes de solvants avec destruction de certaines parties des installations,
     - arrêt de la ventilation d'un élément de combustible en cours de cisaillage avec panne sur la cisaille et impossibilité de reprise par les pinces de télémanipulation. Il pourrait y avoir fusion de l'élément et de très forts dégagements de produits radioactifs,
      - mauvais fonctionnement de la ventilation conduisant à l'évacuation de certains bâtiments laissés alors sans surveillance, avec une cascade d'accidents possibles de plus en plus graves,
     - mauvais fonctionnement du répartiteur sous la cisaille et envoi des rondelles de combustible découpé dans un dissolveur vide, échauffement du combustible jusqu'à la fusion avec dégagement de radioactivité dans le bâtiment,
     - etc. 
     Ces scénarios peuvent s'imaginer à partir d'incidents qui se sont déjà produits dans l'usine. Compte tenu des conséquences des accidents majeurs, on voit que le retraitement des combustibles irradiés exige une fiabilité «absolue» des installations, qui n'existe dans aucune usine, et la dernière campagne de traitement des combustibles oxyde à La Hague n'en a pas fait la preuve, bien au contraire. La mise en exploitation d'UP3 ne peut qu'aggraver la situation existant actuellement. 
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     Quelle serait l'ampleur des dégâts d'un accident majeur? Elle est difficile à chiffrer avec précision. Mais est-il bien nécessaire d'avoir une grande précision dans ce genre d'évaluation? Des documents issus de l'Institut de Cologne pour la sûreté des réacteurs nous fournissent quelques indications. Ces études sont criticables quant aux hypothèses faites et quant à la présentation des résultats, mais les critiques n'affectent en rien l'ampleur des dégâts. Elles soulignent au contraire l'impossibilité de calculer exactemerrt les effets d'un tel événemerrt, compte tenu de l'énorme complexité des mécanismes: conditions atmosphériques, dispersion des produits radioactifs dans l'atmosphère sur des distances atteignant plusieurs cerrtaines de km, mécanismes d'absorption de ces produits radioactifs par les organismes vivants, etc.
     Sans avancer de chiffres précis, on peut prédire avec certitude que les doses d'irradiation seraient considérables sur des distances d'une centaine de km sous le vent, rendarrt ces régions inhabitables. Les doses d'irradiation et de contamination seraient certainement mortelles à court terme sur des distances de quelques dizaines de km. Que pourrait faire un plan ORSEC-RAD dans ces conditions? On comprend bien pourquoi de tels plans sorrt tenus secrets. L'évacuation d'un vaste territoire serait obligatoire. Les personnes fortement contaminées ayant survécu à l'accident devraient être mises sous surveillance médicale, et même peut-être sous surveillance policière, isolées du reste de la population afin d'éviter une propagation de la contamination vers les zones non touchées par la catastrophe.
     La question de l'accident maximum fut posée au Comité d'Hygiène et de Sécurité de La Hague à la séance du 27 avril 1978 par un délégué du personnel. Nous reproduisons ici un extrait du compte-rendu de cette séance:
«II.6 - Quel est l'accident maximal envisageable à l'échelle du centre de La Hague? Quel débit de dose à la source? Au niveau des grillages du Centre, à 1 km, 10, 20, 50, 100; il a été prévu un abri anti-nucléaire à l'échelle du Centre. Combien de personnes peut-il accueillir? Qu'est il prévu pour les travailleurs? Qu'est-il prévu pour les populations? Pour les travailleurs assurant la maintenance?
     L'accident de référence retenu pour l'Etablissement de La Hague correspond à l'hypothèse de mise en ébullition d'une ou plusieurs cuves de stockage de produits de fission qui conduirait à une émission vers l'extérieur des cuves, de vésicules chargées en PF (produits de fission). Cette étude est menée par les spécialistes du groupe CEA et devrait aboutir en 1980. 
     Le président tient à faire remarquer qu'il n'existe pas d'abri antinucléaire sur le site de l'établissement (cf. point 1.7.)
     L'usine de La Hague a été développée sans que les conséquences d'accidents graves aient été évaluées, la nouvelle extension en projet se fait sans que cette évaluation soit effectuée.
     L'accident catastrophique que nous décrivons est PHYSIQUEMENT POSSIBLE. L'accident de 1957 en fait la preuve. Les promoteurs du nucléaire, avec la complicité des pouvoirs publics, dans tous les pays du monde, ont réussi à étouffer l'information pendant vingt ans afin que les populations ne s'inquiètent pas de la mise en place de leurs plans de développement industriel du nucléaire.
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ANALYSE DE SIX ACCIDENTS DE CRITlCITÉ

     Dans le traité de Chimie Minérale de Pascal, on trouve l'analyse de six accidents de criticité qui se sont produits de 1958 à 1964. Les six accidents rapportés ont eu lieu au cours d'opérations «exceptionnelles» sur des solutions contenant des matières fissiles (voir tableau ci-dessous).
     On peut remarquer que ces six accidents sont dus à ce qu'on appelle des erreurs humaines (non vérification de la géométrie avant manipulations) dans des usines où, en principe, les précautions nécessaires avaient été prises. Il n'est pas rapporté les conséquences sur les travailleurs ou sur la population du voisinage.

TRAITEMENT DES EFFLUENTS DE LA HAGUE

     Le groupe de travail n°3 du Comité d'Hygiène et de Sécurité élargi de La Hague fournit quelques indications concernant les boues radioactives résultant du traitement des effluents. Ce CHS élargi avait été mis en place à la suite de la longue grève de 1976. Il avait pour but d'analyser les conditions de sécurité pour les travailleurs de l'usine. Depuis, aucune mesure sérieuse n'a été prise, malgré les conclusions assez précises des groupes de travail qui ont participé à l'enquête. Nous indiquons ici quelques conclusions particulièrement inquiétantes du groupe de travail n°3, concernant la situation dans l'usine en 1976:

«Si le traitement des effluents se traduit par le rejet d'environ 2 à 3% de l'activité traitée, cela signifie que 97% de l'activité reste dans les "boues". Des informations recueillies par le groupe de travail montrent qu'i! n'y a pas de solution arrêtée pour le devenir de ces boues, alors que de nombreux problèmes se posent:
     a) Le traitement moyen de 500 tonnes/an de combustible graphite-gaz se traduit par une addition d'environ un million de curies par an dans les boues (b et g) et de 40 kg/ an de plutonium.
     b) La charge de plutonium dans les boues stockées, 113 kg en 1975 dans 1.300 m3 environ, mérite d'être examinée avec attention, compte tenu des risques de criticité. Il n'a pas été effectué de "carottage" dans les boues pour vérifier si la charge en Pu est homogène, aunsi que celle de l'uranium.
     c) La tenue des cuves bétonnées n'est pas connue avec précision (l'effet de l'irradiation sur l'étanchéité du béton, importance des gaz formés par radiolyse, etc.).
     Il est urgent de définir une politique rationnelle du stockage des boues en examinant tout particulièrement le cas des transuraniens (la masse de Pu étant 3,5 fois plus importante à tonnage traité égal pour les combustibles à eau légère).
suite:
     Il serait hasardeux de traiter plus de 100 à 150 tonnes/an de combustible "eau légère" si l'on veut garder la maîtrise de l'ensemble».
     Ces conclusions sont extraites du rapport rédigé par le groupe de travail n°3 (Annexe 5, mai-juin 1977). Des informations que nous avons recueillies récemment montrent qu'aucune solution "rationnelle" n'a jusqu'à présent été proposée et que le volume de ces boues augmentant, il a été décidé de construire de nouvelles cuves identiques à celles déjà existantes, malgré les critiques faites par le groupe de travail du CHS quant à leur bonne tenue. Il y a là un risque de criticité qui augmente avec les quantités de combustible retraité.

BIBLIOGRAPHIE

1. Pour l'accident survenu en 1957 dans le centre de stockage de déchets de Kyshtym (URSS): 3 articles de Zhores Medvedev:
     -«Two decades of dissidence» (20 ans de dissidence). New Scientist, 4 nov. 1976.
     -«Facts behind the soviet nuclear disaster» (les faits concernant le désastre nucléaire soviétique). New Scientist, 30 juin 1977.
     - «Winged messengers of disaster» (les messagers ailés du désastre). New Scientist, 10 nov. 1977.
2. Pour les conséquences de l'accident majeur:
     - «Les conséquences des accidents graves dans les centres de retraitement et dans les centrales nucléaires».
     Rapport et interprétation de deux études confidentielles d'août et novembre 1975, de l'Institut pour la sûreté des réacteurs (Cologne), dans Écologie Hebdo no 264.
     - «Analyse critique du rapport de l'Institut de sûreté des réacteurs de Cologne», GSIEN, Fiche n° 24, janvier 1978, par Monique SENE.
3. Pour les accidents de criticité:
     - «Guide de Criticité», Rapport CEA-R 3114, févr. 1987.
     - Paul Pascal, «Nouveau traité de Chimie Minérale», T. XV, 4ème fascicule: URANIUM, pp. 1104-1117.
4. Pour la situation à La Hague:
     - Rapport du CHS élargi de La Hague.
     - Rapport du groupe de travail, GT3, mai-juin 1977.
     - Rapport de la CFDT au CHS élargi.
5. Gazettes Nucléaires n°12 et n°24


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ANALYSE DE SIX ACCIDENTS DE CRITlCITÉ
Lieu de l'accident:
ORNL
Oak Ridge
LAST
Los Alamos
NRTS
Idaho Fallas
NRTS
Idaho Falls
HAPO
Hanford
UNC
Wood River Junct.
Date de l'accident:
16.6.1958
30.12.1958
16.10.1959
25.1.1961
7.4.1962
27.7.1964
Matière fissile:
U à 90%
Pu
U à 90%
U à 90%
Pu
U à 90%
Nombre d'événements ayant conduit à la criticité:
Erreur de vanne. Introduction d'un fût de géométrie non sûre. Non identification d'une solution d'uranium
Erreur de transfert. Non contrôle de la concentration
Pression appliquée trop forte. Non isolement d'un circuit géométriquement sûr
Pression appliquée trop forte. Non isolement d'un circuit géométriquement sûr
Modification d'une installation primitivement en géométrie sûre. Fuite partrop plein non identifiée. Présence d'un tube d'aspiration. Vanne ouverte inconsciemment
Non respect d'un ordre. Non séparation des solutions riches et pauvres. Changement de géométrie.
Masse de matière fissile mise en jeu:
2.100 g dans 56 l
3.270 g dans 160 l
34.000 g dans 800 l
8.000 g dans 40 l
1.360g dans 46 l
2.800 g dans 52 l

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