La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°48/49, second semestre 1982
numérisation assurée par A. Vérignon (GSIEN)
LA FACE CACHEE DE L'INFORMATION
Editorial / Sommaire


     Dans le discours officiel reviennent, depuis un an et demi, les termes de RIGUEUR et de TRANSPARENCE.
     Cette affirmation d'intentions est certes séduisante.
     Mais lorsqu'on analyse la situation, nous devons bien constater que les technocrates qui reprennent ce discours sont les mêmes qui, à quelques permutations près, nous mentaient depuis des années.
     Vont-ils changer maintenant de comportement et ce serait un effet surprenant de l'«état de grâce», à moins qu'ils utilisent pour nous en convaincre les vertus, semble-t-il, hallucinogènes de l'essence de rose.
     En fait, que constatons-nous?
     Nous devons constater que rien n'a changé en matière d'information et que le monopole étatique qui s'applique à l'audiovisuel écrase tous les sujets épineux, dont le nucléaire civil et militaire, sous une chappe de plomb.
     Le monopole de l'information, comme tous les autres, a ceci de caractéristique que ceux qui disposent d'un pouvoir de monopole ont immanquablement tendance à en abuser. Et ceci peut conduire le détenteur du dit monopole à prendre de plus en plus de liberté avec les faits. Cette liberté devient rapidement erreur.
     L'erreur est un art. Elle se présente ici sous trois modalités.

L'erreur par omission
     Les hauts responsables du CEA et de EDF affirment que le volume des déchets de haute activité, une fois vitrifiés, représentera, d'ici l'an 2000, un volume inférieur à celui d'une piscine olympique.

Ce n'est pas faux; mais le problème n'est pas là. Le problème est en effet que les verres dégagent des quantités considérables de chaleur et que, pour les stocker convenablement, il faudra aménager, en profondeur, des stockages tels que la chaleur produite puisse se dissiper dans des conditions satisfaisantes ... et que, pour ce faire, il faudra plusieurs dizaines d'hectares.

L'erreur par commission
     Un des arguments avancés par EDF et par le CEA, à l'appui de la sûreté des réacteurs rapides est le suivant: «Le réacteur Superphénix serait autorisé par les autorités de sécurité américaines.»
     Cet argument, outre qu'il reconnaît - ce qui est d'ailleurs vraisemblable - que les autorités américaines sont plus crédibles que les autorités françaises, est d'une mauvaise foi insigne. Il s'appuie sur une étude commandée par le CEA à la société U.S Bechtel; or celle-ci s'est contentée de dire que, en l'état actuel de la réglementation américaine, il n'était pas possible d'affirmer que Superphénix ne serait pas autorisé; on sait pourtant que deux négations ne valent pas une affirmation! Par ailleurs, on sait également que, au moment où le président Carter décidait de surseoir à la poursuite du projet de centrale de Clinch-River, les autorités de sûreté américaines étaient loin d'avoir défini les critères en fonction desquels elles jugeraient de la sûreté offerte par ce type de réacteur.

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L'erreur par procuration
     Les propos qu'ils n'osent pas tenir eux-mêmes, les responsables du CEA préfèrent les faire tenir par d'autres. C'est la forme raffinée de l'erreur.
     Ainsi, le 19 juin 1976, M. de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères, déclarait que le plutonium provenant d'un réacteur de puissance «ne pouvait pas être utilisé à des fins militaires».
     Ainsi, au mois de mai 1977, dans une interview accordée au journal «Le Monde», le président de la république de l'époque déclarait, à propos de l'utilisation du plutonium de qualité dite civile à des fins militaires, c'est-à-dire à propos des risques de prolifération impliqués par le développement de l'industrie du retraitement: «Il existe des techniques qui rendent le plutonium inapte à ce type d'usage
     L'observateur ayant quelques notions de physique n'avait pas manqué d'être surpris par de tels propos. Quelques mois plus tard, les Américains annonçaient qu'ils avaient fait exploser une bombe avec du plutonium civil; quant au président, on se demandait bien qui avait pu lui faire dire qu'on pouvait fabriquer du plutonium inapte à un usage militaire.
     Dès lors, deux questions au moins se posaient:
     - quelle crédibilité accorder aux experts qui conseillent le président et le ministre des Affaires étrangères?
     - quelle crédibilité accorder à ceux qui, avant de prononcer des propos aussi lourds d'implications, ne cherchent pas à diversifier leurs sources d'information?
     Ceci aurait pu être du passé. Mais le délicat problèmé du réacteur OSIRAK (voir Gazette numéro 45) montre bien que le CEA n'a pas modifié ses pratiques.
     A la suite d'une campagne d'information de la presse, lancée par le CEA, sur les performances du nouveau combustible «CARAMEL» à plus faible taux d'enrichissement que le combustible initialement prévu, Monsieur Cheysson, ministre des relations extérieures, annonçait la poursuite du marché avec l'Irak, en l'occurence, la reconstruction du réacteur.
     Si le Ministre n'est pas un physicien, ses conseillers pourraient difficilement ignorer que le maintien de la puissance du réacteur correspondait au même flux neutronique, donc à la fabrication de la même quantité de plutonium dans une couverture.
suite:
     Le droit à l'erreur est une chose; il doit être protégé. Le droit à persévérer dans l'èrreur est une autre affaire. C'est justement le rôle des institutions que de prévoir des mécanismes de décision visant à éviter que la même erreur ne soit pas répétée deux fois et que, une fois faite, l'erreur soit rectifiée.
     Les hommes politiques français aiment bien avoir un consensus social pour prendre leurs décisions.
     Un des moyens les plus fréquemment utilisé est de faire expliquer les motivations de leurs choix par des experts. Mais pas par n'importe quels experts. Il ne faut surtout pas laisser s'exprimer plusieurs experts car leurs divergences d'opinion pourraient laisser planer des doutes. Pour pouvoir mener à bien une entreprise, quelle qu'elle soit, il faut confronter divers points de vue. C'est la meilleure solution pour minimiser les erreurs.
     Si on ne consulte qu'un expert, il va à court terme se transformer en courtisan, car il tient à sa place.
     Pour certains problèmes à haute incidence sociale, voire électorale, il arrive que le pouvoir politique mette en place un groupe d'experts, présentés comme indépendants. Oh, il suffira que nos technocrates choisissent bien les membres de la commission, en y adjoignant quelques experts indépendants afin de donner une apparence d'ouverture. Parfois il arrive que, contrairement à la règle du jeu, une commission présente un rapport qui n'aille pas dans le sens de la décision que le pouvoir veut faire passer, ou que les technocrates essaient de faire adopter par le pouvoir.
     Dans ce cas, il n'y a plus qu'une solution, «caviarder» le rapport. C'est ce qu'avait subi le rapport Bloch-Lainé du 7ème plan en 1980 (voir Gazette, numéros 39/40 et 44) et c'est ce qu'ont subi les premières conclusions de la commission Castaing sur la gestion des combustibles irradiés.
     Décidément, on ne peut pas faire confiance aux scientifiques. Le CEA et EDF le savaient depuis longtemps en ayant créé leurs services de relations publiques et en surveillant plus sérieusement leurs publications scientifiques accessibles au public. C'est ainsi que le Bulletin d'information Scientifique et Technique (BIST) du CEA, source d'informations non totalement édulcorées, a disparu.
     Voici pour débuter ce que nous vous avions annoncé dans la précédente Gazette, une analyse de la transcription par le Ministère de l'industrie, du pré-rapport de la Commission Castaing.
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SOMMAIRE
EDITO
La fin du cycle: du doute à l'acte de foi; des coûts; de l'ndépendance technologique du nucléaire; Gravelines ou l'art de bafouer la justice
De la falsification des résultats scientifiques
A propos des essais nucléaires américains; où l'on reparle d'Osirak
Annexe 1; Annexe 2
A LIRE ET A CONSEILLER DE LIRE
                et 
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