La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°67/68

I. LE RAPPORT TAZIEFF

Tazieff: Que vont faire les écologistes à Moruroa?

 
     Tazieff, secrétaire d'Etat chargé des risques naturels et scientifiques majeurs, évoquant la mission scientifique à laquelle il a participé en 1982 à Moruroa et le rapport qui s'en est suivi a déclaré lundi à RMC: «Je ne vois par après ce rapport quelles sont les raisons qui amènent Greenpeace à se rendre sur place.» «Je ne crois pas que les écologistes soient mieux équipés que nous l'étions à l'époque. Je ne pense pas qu'ils soient plus qualifiés que nous» a poursuivi le secrétaire d'Etat. Haroun Tazieff a rappelé que cette mission, effectuée à la demande du ministre Charles Hernu, «et avec le feu vert des écologistes» a conclu de façon formelle qu'«aucune radiation, aucune autre pollution ne menaçaient les habitants de Moruroa et des environs, après les essais nucléaires.»
     «En tant qu'anti-nucléaire convaincu, je peux affirmer de façon catégorique que même s'il y avait de temps à autre pollution, elle serait la milliardième de la milliardième partie de la pollution par rapport à la pollution industrielle que la civilsation provoque», a conclu Haroun Tazieff
Libération le 20.8.85
     Nous pouvons répondre à notre ami Tazieff que les raisons qui 
amènent Greenpeace à se rendre sur place sont les mêmes qui 
l'ont amené, lui, à demander une mission plus longue à son retour de Moruroa en 1982.
     Il est vrai qu'ils ne sont ni plus qualifiés, ni mieux équipés mais ils auront un avantage énorme, c'est de ne pas être chaperonnés en permanence par les cadres du centre d'expérimentation du Pacifique. Par ailleurs, ils ne risqueront pas d'être influencés dans leur jugement par les documents «présentables» du genre de ceux que signale LAMBERT dans l'annexe 6 du rapport de la mission Tazieff de 1982 (voir le texte complet dans ce numéro de la Gazette).

    La mission d'étude du Centre d'essais du Pacifique de juin 1982, conduite par Haroun TAZIEFF, dont la composition est rappelée en annexe 1, s'est effectuée en 4 phases sucessives.
     1. Préparation en métropole dont la brièveté, soulignée par tous les participants, permettait seulement de concevoir une mission de caractère exploratoire. Toutefois un contact a été pris avant le départ avec Monsieur Brice LALONDE, afin de mettre en évidence les points qui lui paraissaient particulièrement critiques (cf. annexe 9).
     2. Rencontre, à Papeete, des autorités civiles et militaires de Polynésie, y compris la municipalité de Papeete, qui ont fait part à la mission de leur absence d'opposition systématique aux activités du centre d'essais du Pacifique, mais de leur désir d'une appréciation juste et motivée des nuisances éventuelles.
     3. Du 26 au 28 juin 1982, séjour à Moruroa et visite aérienne de Fangataufa, au cours desquels, conformément aux instructions ministérielles, il a été répondu avec précision, compétence et franchise à toutes les questions des membres de la mission.
     4. Retour à Papeete, rédaction et diffusion d'un court communiqué confirmant d'une part le fait que la situation satisfaisante dans l'ensemble n'exigeait aucune mesure d'urgence, mais d'autre part confirmant le caractère préliminaire de la mission, et annonçant un rapport plus documenté dans les mois à venir. Cette position a été exposée lors d'une conférence de presse à Papeete, ainsi qu'au cours de la réunion tenue à Auckland (Nouvelle Zélande) entre MM. TAZIEFF et VIE LE SAGE, et divers représentants des scientifiques et du gouvernement Néo-Zélandais (cf. annexe 5).
     Ce rapport, fondé sur les remarques individuelles des membres de la mission jointe en annexes 2 à 7, comprend 3 parties: problèmes non liés à la radioactivité, problèmes de contamination radioactive et conclusion.

Problèmes non liés à la radioactivité

     L'allure des atolls des Touamotous est essentiellement due à leur soulèvement relatif, par rapport au niveau de la mer, qui est de l'ordre de 2 mètres à Moruroa. Les expériences ont eu pour premier effet un tassement des sédiments qui ramène la situation à ce qu'elle serait pour un atoll moins soulevé, c'est-à-dire que la croissance des organismes qui ne se faisait que latéralement pourra reprendre, à très long terme, dans les zones faiblement submergées. Les effets de ce tassement sont donc locaux et techniques (submersion éventuelle de la route).
     Toutefois ces tassements, non uniformes, peuvent provoquer des fissures de la dalle du platier, par flexion, ainsi d'ailleurs que la fermeture de fissures préexistantes. L'effet global sur la résistance à la traction de cette dalle est probablement faible, ce qui signifie simplement qu'il existe déjà toujours suffisamment de fissures dans une masse rocheuse pour que sa résistance à la traction soit faible.

suite:
     Sous la mer, l'accumulation des sédiments n'est pas limitée par l'érosion et peut aboutir à une surcharge de l'édifice qui cède à la suite d'une cause fortuite. Ces éboulements ne sont généralement décelés que par leurs conséquences hydrauliques (raz-de-marée). Seule  une carte détaillée des fonds sous-marins, dite carte «sea-beam» permet d'analyser les talus sous-marins et de déceler l'existence d'arêtes en relief dont on pense généralement qu'elles sont ici d'origine volcanique, et non pas sédimentaire.
     Une série d'explorations par dragages, plongées sous-marine, mesure du champ et de gradient magnétiques, ainsi que le prolongement des levers bathymètriques précis au-delà de leur limite actuelle, permettrait de s'en assurer et de délimiter les zones de risque de glissement.
     Notons que dans ces zones il est extrêmement difficile de calculer le degré de stabilité de l'édifice et par conséquent d'apprécier le niveau de risque.
     Il doit être bien entendu que les glissements éventuels n'affecteraient que le tapis de calcaire détritique qui, en principe, n'intervient pas - ou seulement par la surcharge qu'il détermine - dans le confinement des expériences. Le principal risque est donc de caractère hydraulique.
     De 1966 à 1977 et depuis cette date, les effets hydrauliques découlant directement de l'effet mécanique des explosions marines aériennes ou souterraines avaient tous été calculés à 30% près avant le tir. En 1977 par contre, les conséquences du tir Nestor n'ont pu être expliquées que par un glissement ou éboulement de terrain induit.
     L'effet de ces éboulements est de produire une vague très dissymétrique, d'une longueur d'ordre kilométrique, et d'une période voisine de la minute donc intermédiaire entre la houle (15 secondes) et les grands tsunamis (plusieurs minutes). Une telle vague même en déferlant, perd insuffisamment d'énergie, et reste capable de passer le platier et éventuellement l'anneau corallien.
     Un positionnement approprié des points de tir en fonction de leur puissance et des connaissances progressivement acquises sur le sous-sol est absolument nécessaire pour diminuer cette menace. Un dispositif local extrêmement rigoureux est en outre indispensable. Il consiste essentiellement: en plateformes de sauvegarde, calculées pour un éboulement de référence suffisamment grave (cf. annexe 4); un système d'alerte permanent permettant de gagner ces plateformes à temps et des consignes particulièrement rigoureuses pour le personnel et le matériel au moment des tirs et dans toute la période qui les suit.
     Les constructions précédentes ont été complétées par un mur tout le long de la base-vie, mais qui comporte des ouvertures non indispensables, qui devraient être aveuglées à temps en cas d'alerte.
     A condition de respecter dans l'avenir les précautions très sévères que nous avons constatées, la sécurité du personnel et du matériel semble donc assurée.
p.4

          Il convient toutefois de développer les systèmes d'alerte pour augmenter les temps de préavis. En particulier, actuellement, la probabilité d'une vague provoquée par un éboulement différé susceptible de balayer un chantier au droit de l'éboulement est non négligeable. Ce type d'accident ne permet pour l'instant qu'un préavis très court.
     D'une façon plus générale, le déroulement des activités humaines dans toute la Polynésie, et tout particulièrement sur les atolls, s'accompagne de bouleversements écologiques importants qui ont souvent (de bonne ou de mauvaise foi) été confondus avec les effets directs des expériences nucléaires. C'est notamment le cas pour l'expansion de la «ciguateria», maladie qui frappe de nombreux organismes marins, avec des conséquences sérieuses pour la population humaine, et qui serait en partie imputable à une mortfication du corail par les grands chantiers de travaux publics.
     Les effets mécaniques, thermiques, etc... des expérimentations aériennes sur l'environnement écologique, ont été bien étudiés et se sont avérés extrêmement faibles.
     Par contre, les conséquences écologiques des modifications géomorphologiques des atolls ne sont actuellement guère prises en compte. Notamment les effets dus à l'ouverture d'une passe dans l'atoll de Fangataufa, initialement fermé, devraient être soigneusement inventoriés avant toute réactivation de ce champ d'expérience.
     Il n'est pas sans importance d'observer que ces problèmes ont une portée très générale et que les études qui seraient entreprises à ce propos pourraient s'appliquer à tout processus de développement économique des atolls.
     Il n'en est que plus souhaitable de publier les données qui ont été accumulées à ce sujet avant et après les tirs aériens.

Problème de contamination radioactive

     Les explosions aériennes ont introduit dans l'atmosphère, l'océan et tous les organismes vivants, en particulier marins,  une radioactivité artificielle significative, puisqu'on la mesure très bien, mais non préoccupante au point de vue sanitaire. Les contrôles effectués localement sur le milieu physique, en routine ainsi qu'au moment des tirs, sont satisfaisants dans l'ensemble. Le personnel est systématiquement contrôlé pour rechercher une éventuelle contamination, même très faible.
     A grande échelle l'irridiation des populations est essentiellement due à l'ingestion de produits radioactifs par le canal de l'alimentation, c'est pourquoi l'esentiel des contrôles radioactifs a porté sur des échantillons biologiques intervenant plus ou moins dans la chaîne alimentaire. Des études approfondies de composition de la flore et de la faune ont permis la mise en oeuvre d'un programme remarquable de radioécologie qui montre sans ambiguïté l'innocuité de la contamination radioactive de toute la région, et plus généralement sa faiblesse par rapport à ce qu'on mesure dans d'autres régions, et sa faiblesse par rapport à la radioactivité naturelle.
     Le passage à des explosions souterraines a bien entendu réduit encore, quasiment à zéro, l'introduction d'une contamination radioactive dans l'environnement, ainsi que les expériences menées sur le terrain par divers membres de la mission semblent le confirmer. Cependant un certain nombre de problèmes demeurent, que nous allons passer en revue.

suite:
     Le premier de ces problèmes tient à l'existence de trois services différents dont les missions se chevauchent plus ou moins mais laissent aussi des hiatus: le S.M.S.R. chargé des mesures physiques (air, pluie, eau de mer) et du contrôle local, le S.M.C.B. chargé du contrôle biologique local ou général, et le Service de Santé et de Médecine du Travail des Armées chargé de la surveillance du personnel.
     Du fait de cette répartition des responsabilités, seul le contrôle direct du personnel est sous la responsabilité des services médicaux et il conviendrait sans doute, pour des raisons tant psychologiques que scientifiques, d'élargir leur compétence aux contrôles des milieux physiques et biologiques.
     D'autre part les mesures ont été effectuées dans le milieu physique dans un souci de strict contrôle sanitaire d'abord local. Cependant, la contamination dont les expériences françaises sont responsables à moyenne ou grande échelle, a fait l'objet de mesures dans toute la Polynésie (en particulier à TAHITI).
     Les contrôles d'eau de mer, effectués dans le lagon et autour de l'atoll, mériteraient d'être multipliés et surtout effectués à différentes profondeurs. La connaissance de la courantologie locale devrait vraiment être améliorée.
     Ajoutons que si la compétence technique du personnel et sa conscience professionnelle sont de tout premier ordre, l'absence d'équipe scientifique chargée de piloter les programmes, d'interpréter et de publier les résultats (ou certains d'entre eux) se fait cruellement sentir.
     Le deuxième problème concerne le confinement des produits radioactifs lors d'une explosion souterraine. Celle-ci a pour effet de creuser une cavité dont les parois volatilisées se condensent sous forme d'un verre qui renferme, en principe, l'essentiel des produits radioactifs. L'onde de choc due à l'explosion et l'existence de la cavité provoquent l'effondrement de la cheminée et une fissuration de la roche encaissante. On ne peut pas exclure a priori que ceux des produits radioactifs qui sont normalement gazeux, ou très volatiles, puissent partiellement s'échapper de la cavité au moins jusqu'à l'eau de remplissage du puits et, ce qui est encore plus improbable, jusqu'à l'atmosphère. Or ces produits ne sont généralement pas recherchés, parce qu'ils sont particulièrement peu préoccupants du point de vue sanitaire, alors que leur absence constatée permettrait de confirmer l'étanchéité du dispositif, donc l'aspect non contaminant des explosions souterraines, au moins à court terme.
     A plus long terme, il faut avouer qu'on a peu de données sur les risques de migration des matériaux radioactifs jusqu'à l'environnement.
     Une recherche systématique des plus mobiles d'entre eux dans les eaux souterraines et dans l'eau de mer, pendant un certain nombre d'années, permettrait de s'assurer de la qualité du confinement.
     Un troisième problème concerne les déchets de plutonium, initialement entreposés sur l'atoll sous un recouvrement bitumeux, et qui ont été remobilisés par une tempête en mars 1981. Les travaux de décontamination se poursuivent encore et de nombreuses parties du rivage, côté lagon, sont interdites au personnel. La quantité totale de plutonium déplacée n'a pu être évaluée avec précision. Si la radioactivité de l'eau du lagon semble peu préoccupante, les risques de contamination du personnel ou d'organismes marins ne sont pas nuls.
     Le devenir de ce plutonium dans le milieu marin et notamment les sédiments devrait faire l'objet d'études complémentaires qui de plus ne seraient pas exemptes d'un intérêt scientifique et technique plus large, compte-tenu des importants problèmes posés par les déchets nucléaires en général.
p.5

Conclusion

     Un simple coup d'oeil sur l'Atoll de Moruroa montre que, par suite de sa faible élévation, le danger hydraulique est omniprésent, qu'elle qu'en soit l'origine: tempêtes, tsunamis ou raz-de-marée consécutif à un éboulement. Les tours qui ont été bâties ne suppriment évidemment pas ce danger, mais leur grande densité et leur accessibilité en font un instrument de survie. Leur apparence moyenâgeuse un peu dérisoire fait un étrange contraste avec la puissance et le modernisme des installations scientifiques et industrielles, et le confort de la base-vie. Nous avons vu que certains travaux réalisés le long du talus amélioreraient sensiblement l'estimation du niveau de risque.
     Le personnel est conscient de ce risque, ce qui n'altère ni sa compétence ni sa conscience professionnelle, toutes deux de haut niveau.
     Il semblerait donc juste de lui faire confiance en faisant siéger ses représentants au comité de sécurité, contrairement à la situation actuelle.
     Depuis que les explosions sont souterraines, la contamination radioactive de l'environnement est devenue quasiment nulle à court terme. Cependant des risques limités de fuites de produits radioactifs existent toujours, au moment des essais. Le maintien des mesures de sécurité héritées de la période précédente réduit à zéro les risques d'une contamination significative du personnel, ou de bateaux de passage.
     De telles fuites accidentelles contribueraient de façon certainement négligeable à la radioactivité de l'environnement. Cependant les programmes de mesures actuels ne permettraient pas d'estimer la quantité de produits radioactifs dégagés ni de prévoir leur sort ultérieur dans le milieu marin. Seule leur très vraisemblable innocuité serait constatée.

     L'absence de telles informations désarme les défenseurs du programme français d'essais nucléaires, toutes les estimations des quantités globales de matériaux radioactifs injectés étant abandonnés à des services étrangers ou à des groupes officieux dont l'objectivité n'est pas évidente.
     Le confinement des déchets radioactifs dans le sous-sol pour des périodes très longues, atteignant des milliers d'années, pose des problèmes qui ne sont pas résolus. On peut penser que dans un premier temps, ce sont les moins liés d'entre eux qui risquent d'atteindre l'environnement, d'où l'intérêt qu'il y aurait à vérifier en permanence l'absence dans les eaux souterraines et dans la mer de 3H et 85Kr, dont les périodes radioactives dépassent de peu dix années, ainsi que des divers isotopes de plutonium.
     Bien que l'objet de cette mission soit essentiellement scientifique et technique, il faut noter que les participants de la mission ont pu retirer de leurs contacts avec les représentants de la population l'impression que le manque systématique d'informations où on les a laissés ne favorise pas l'établissement de relations confiantes avec les spécialistes qu'on leur demande ensuite de croire. Une annonce officielle des essais, et la publication de documents scientifiquement inattaquables, où figureraient tous les résultats de mesure qui ne relèvent pas directement des secrets de défense nationale, améliorerait considérablement le climat psychologique.
     De plus l'organisation en Polynésie Française d'une confrontation entre les scientifiques des différents pays concernés contribuerait indiscutablement à ramener les problèmes à leur vraie dimension.
     Les différentes observations contenues dans ce rapport devront être prises en compte pour définir le programme de la mission de longue durée qui doit faire suite à cette mission exploratoire.
Haroun TAZIEFF
p.6a

Rapport de H. Goguel  (annexe 2)
Mission à Moruroa
L'évolution du cadre naturel

     L'effet des expériences sur le cadre naturel de l'atoll porte essentiellement sur la subsidence observée au voisinage des points de tirs, et sur les éboulements sur la pente extérieure, lesquels se manifestent essentiellement par des effets hydrodynamiques, vagues, raz-de-marées, etc.
     Nous nous efforcerons ici de situer ces effets par rapport à ce qu'aurait été l'évolution naturelle de l'atoll, en l'absence d'expériences.
     1. La subsidence. Un atoll est un édifice fragile, extrêmement sensible aux moindres variations du niveau de la mer; énumérons les causes de ces variations de niveau:
     Dans l'évolution des fonds océaniques, après leur genèse le long d'un «rift», le refroidissement progressif se traduit par une augmentation continue de la profondeur.

L'évolution des volcans sous-marins en constitue le meilleur témoin. Si, comme l'admettent certains auteurs, le sommet plat des guyots résulte de l'arasement par les vagues et l'érosion sub-aérienne du sommet d'un volcan sous-marin qui était arrivé à émerger, la profondeur des sommets des guyots est caractéristique des différents zones de l'océan, et fonction de leur âge. On sait qu'elle dépasse 1000 m dans les Marshall. En principe continu, ce mouvement d'affaissement peut comporter des saccades et des inégalités, dans les régions sismiques (Aux nouvelles Hébrides, un séisme récent s'était traduit par une dénivellation de 0m50, de part et d'autres d'une faille), mais ce n'est pas le cas dans les Touamotous.
     Un autre facteur dans les variations apparentes de niveau tient aux variations eustatiques, générales, du niveau de la mer. Celles-ci ont été particulièrement amples et rapides au Quaternaire, en rapport avec les multiples périodes glaciaires. On a pu tenter d'en reconstituer une histoire, en principe valable partout.
p.6b

     Le tassement des sédiments intervient également, et peut-être aussi celui de certains matériaux volcaniques (tufs, hyaloclastites, etc.), susceptibles d'être compactés. Il suffit de comparer les densités actuelles des matériaux coralliens, calcarénites (1,7 à 2,2) ou même dalles rigides (2,2 à 2,5), à celles des calcaires de même origines, et d'âge jurassique (2,7), pour s'en rendre compte. Ce tassement peut résulter d'un simple réarrangement des sables - il peut alors être instantané, au moment d'un choc - ou comporter une part de dissolution et recristallisation de la calcite, forcément lentes. Notons aussi que la dolomitisa-tion s'accompagne normalement d'un changement de volume.
     Tant l'augmentation de la profondeur que le tassement feraient normalement disparaître les édifices insulaires en profondeur (et cela arrive fréquemment), si la croissance des organismes récifaux ne la contrebalançait; mais cette croissance n'est possible qu'à une profondeur faible (une ou quelques dizaines de mètres), d'où le contraste dans le lagon, entre les fonds de 50 m, où ne s'accumulent que des débris, et les paquets coralliens, qui atteignent le voisinage de la surface.
     (Notons, au passage, que le C.E.A. en a négligé l'étude, alors qu'on peut se demander aujourd'hui s'ils ne pourraient fournir des points d'ancrage pour les enregistrements de tirs en lagon, qui seraient peut-être à l'abri de phénomènes hydrodynamiques encore mal compris).
     Cette croissance ne peut pas dépasser le niveau des plus basses mers: elle est particulièrement active latéralement, et tend donc à édifier des dalles rigides d'une dizaine de mètres d'épaiseur.
     Au total, peut-être 90% des squelettes des organismes constructeurs sont brisés par les vagues et transportés pour contribuer à l'accumulation de sédiments.
     L'édification au-dessus du niveau des plus basses mers est un processus très aléatoire: certaines algues calcaires supportent mieux une émersion temporaire que les Polypiers, et édifient la crête sur laquelle les vagues brisent, et qui retient l'eau sur le platier. L'accumulation par les vagues de sédiments, au-dessus du niveau dont ils proviennent, qu'il s'agisse de sable ou de blocs (têtes de nègres) peut contribuer à l'édification des «motus».
     Mais le facteur essentiel qui détermine l'allure des atolls des Tuamotous est un soulèvèment (ou une baisse relative du niveau de la mer), qui est plus important au Nord, mais atteint encore deux mètres à Moruroa: d'où les larges affleurements, surtout en zone sud, de calcaires récifaux, rongés par la dissolution, et par le choc des vagues mais qui s'élèvent bien au-dessus du niveau de l'eau. La croissance des organismes n'y joue plus aucun rôle, et ils ne font aujourd'hui qu'étendre latéralement le platier.
     Les tassements dûs aux expériences ramènent la situation à ce qu'elle serait pour un atoll qui aurait été moins soulevé. Mais il ne faut pas, dans un délai raisonnable, compter sur une adaptation écologique des polypiers à ces conditions nouvelles, pour qu'une croissance en épaisseur reprenne. Cela ne se produira qu'à une autre échelle de temps.
     D'autres atolls sont beaucoup plus fortement émergés - sans aller jusqu'aux 90 m de certaines des Iles Loyauté, pour lesquelles on ne peut plus parler d'atolls - d'autres moins. La situation à Moruroa s'en rapprochera localement.
     Les fissures du platier. Il est bien clair que le tassement des sédiments, surtout provoqué par les expériences, n'a aucune raison d'être uniforme. Il doit en résulter, pour la dalle rigide du platier, des fissures par flexion, qui peuvent s'ouvrir ou se fermer, suivant le sens des variations de tassement. Ces fissures ont provoqué une certaine inquiétude, surtout après les effondrements de la pente sud.
suite:
Cette inquiétude n'est peut-être pas justifiée. On ne pouvait certainement pas compter sur une résistance à la traction de la dalle calcaire constituée par le platier. Aucune masse rocheuse ne présente, à grande échelle, de résistance à la traction, parce qu'il existe toujours quelques fissures. Le fait qu'elles se soient ouvertes (ou fermées), par suite de flexions dues à des tassements irréguliers n'y change rien.

     2. Glissements et éboulements. Les éboulements qui se sont produits sur le flanc sud, et qui, au total, concernent une fraction de km3, se sont manifestés essentiellement par leurs effets hydrodynamiques (vagues et raz-de-marées). Nous n' examinerons pas ici la génération de ces effets hydrodynamiques par les glissements, sans nous dissimuler l'importance du problème, ni l'insuffisance actuelle des solutions qu'on peut tenter de lui apporter.
     De tels éboulements sont un exemple d'un phénomène naturel peut-être très répandu, tant actuel que fossile, mais très souvent méconnu. Progresser dans la compréhension, et l'évaluation du risque de glissements sur les pentes de l'atoll de Moruroa ne peut être envisagé que par une progression dans la connaissance générale de ce type de phénomènes. Ce devrait être l'objet d'un thème générale de recherche en géologie marine, qui ne peut qu'être suggéré ici.
     Sous la mer, différents processus ajoutent, progressivement, de la matière à des dépôts de sédiments, à des constructions récifales, à des édifices volcaniques, en fonction de conditions locales, mais sans qu'intervienne en aucune manière la résistance globale de l'édifice ainsi surchargé. Les processus d'érosion qui, à terre, limitent de telles accumulations, ne jouent pas, sous la mer, au-delà de quelques dizaines de mètres de profondeur. Une rupture devient ainsi progressivement inévitable, qui sera déclenchée par une cause fortuite - souvent un séisme-; les éboulements et glissements qui en résultent peuvent être de toutes tailles. Ils ont toutes les chances de passer inaperçus - et, effectivement, ils ne sont signalés que très rarement. Ce sont leurs effets hydrauliques (raz-de-marée) qui sont le plus fréquemment observés, mais en général, sans qu'on sache en analyser la cause. Et il est possible que certains glissements (ceux qui prennent naissance à une certaine profondeur) n'aient que très peu d'effets hydrauliques.
     On ne s'est rendu compte que tout récemment que les alluvions apportées à la mer par le Var (essentiellement au cours des crues annuelles), s'accumulaient au large de son embouchure sur un plateau sous-marin, que sa croissance progressive, sous la dizaine de mètres oû l'agitation des vagues maintient les matériaux fins en suspension, rend progressivement instable. De là, ce sont des glissements de matériaux meubles, rapidement délayés dans l'eau et transformés en courants de turbidité, qui assurent le transport des sédiments jusqu'aux fonds océaniques, entre Provence et Corse. Une carte bathymétrique sea-beam (levé CNEXO par le Charcot), seule technique permettant d'avoir un relevé exact de la morphologie sous-marine, a montré que, du plateau deltaïque sous-marin du Var, divergeaient quatre canons à larges fonds plats, qui se rejoignent à une vingtaine de km. Leur section montre qu'ils ont été creusés et modelés par l'écoulement des courants de turbidité issus du plateau deltaïque.

p.7

     Rétrospectivement, on retrouve la trace de tels courants, dans la chronique des raz-de-marée qui ont affecté la région d'Antibes, lors de quelques séismes historiques, à un rythme à peu près séculaire. Le dernier de ces courants, le 16 octobre 1979, s'est également manifesté par un tel raz-de-marée, mais en outre, on a pu constater la large échancrure qu'il découpait dans le plateau sous-marin, dans la mesure oû celui-ci avait été recouvert par des rembiais, lesquels ont disparu. En l'absence de séisme le 16 octobre 1979, le rôle de déclenchement qu'auraient pu jouer ces remblais reste une question ouverte.
     Si, jusqu'à sa découverte fortuite, à quelques kilomètres au large d'une des côtes les plus peuplées de la métropole, ce phénomène restait méconnu, a fortiori, il passe la plupart du temps inaperçu ailleurs.
     On connaît de nombreuses îles volcaniques isolées en mer profonde. Mais, si certaines paraissent complètes (par exemple, la Réunion), d'autres ne montrent plus que des fragments de l'édifice primitif. Cela peut tenir à une explosion (exemple: Krakatoa), ou à la destruction par les vagues, ce qui doit se reconnaître à la présence d'un estran, les vagues n'agissant pas au-delà de quelques mètres de profondeur. Mais, souvent, la disparition d'une partie notable du volcan doit être due à son effondrement vers les profondeurs marines. Une étude bibliographique, et sur cartes, s'impose; mais, en attendant, on peut citer l'exemple de Mooréa, en face de Papeete, qui peut être considérée comme un demi-volcan, avec cratère et piton central, dont toute la moitié nord aurait disparu. Pour tirer au clair l'interprétation que je propose, outre une cartographie géologique détaillée de Mooréa, je recommande que le Charcot, au cours de son prochain tour du monde, consacre quelques jours au levé de la morphologie sous-marine, sur quelques centaines de km2 au nord de Mooréa. La morphologie de l'éboulement devrait être caractéristique.
     Si l'on revient à Moruroa - et à Fangataufa - les cartes sea-beam (dont on peut regretter qu'elles ne s'étendent pas au-delà du pied des talus) montrent que les talus sont accidentés par une série d'arêtes en relief, portant des pinacles. On a le sentiment qu'il s'agit de l'édifice volcanique, avec des cônes adventices, ou des émissions fissurales. Mais ce n'est qu'un sentiment, même s'il est très largement partagé, là où l'on voudrait une certitude. Je souhaiterais qu'on s'efforce d'obtenir une preuve, par dragage, plongée en sous-marin, mesure du champ et du gradient magnétiques au voisinage du fond, ou par tout autre moyen.
     Admettant provisoirement que ces arêtes correspondent bien à l'ossature volcanique, les talus de débris coralliens, meubles qui occupent les valées entre ces arêtes représentent le principal risque de glissement, très nettement localisé. Si les levers bathymétriques précis descendaient assez loin - ce qui n'est pas le cas - on devrait vérifier cette interprétation, par la présence de cônes en regard des vallées.
     Avec cette interprétation, la carte sea-beam permet de reconnaître les principales zones de vallons à débris coralliens, au sud, partie W, sud-centre, SE et NE, que l'on peut considérer comme les zones de risque.
     Quand au NW, en face des passes, on peut se demander s'il ne correspond pas à la trace d'un glissement ancien, particulièrement important, ayant peut-être mordu sur le socle volcanique, à une époque telle que la recolonisation par les coraux serait restée incomplète, d'où l'existence des passes, précisément dans la partie échancrée du contour de l'atoll.
suite:
     Dans les zones ainsi repérées comme comportant un risque, comment peut-on apprécier celui-ci? et d'abord, quel est l'enjeu ? Il faut se souvenir que les glissements dont on envisage la possibilité n'affecteraient que le tapis de calcaire détritique, qui n'intervient pas - ou seulement par la surcharge qu'il détermine - dans le confinement des expériences. Ces glissements n'entraînent donc pas de risque de dissémination de la radioactivité. Ils ont pu affecter le platier, et il n'est pas exclu qu'ils ne le fassent plus profondément, peut-être à un point tel que la route soit atteinte par les vagues, mais cela resterait une difficulté locale, ne mettant pas en cause la sécurité, ni locale, ni à distance. Les conséquences les plus gênantes de ce phénomène, dont on n'est pas certain de pouvoir éviter le renouvellement, restent les effets hydrauliques, contre lesquels une protection passive a été mise en place.
     Certes, on pourrait souhaiter pouvoir déterminer la puissance des tirs en fonction de leur distance au talus extérieur, de manière à éviter tout glissement. Dans la mesure où l'effet du tir peut être un simple déclenchement, dans une situation où la réserve de stabilité pour la situation actuelle ne peut être calculée exactement, je ne suis pas sûr que cette démarche, qui a été effectivement adoptée, puisse conduire à des certitudes.
     Les calculs de stabilité des pentes par la mécaniques des sols souffrent en effets de sévères limitations.
     Et d'abord, dans la définition de la géométrie du modèle soumis au calcul; on ne sait calculer qu'un modèle à deux dimensions, autrement dit cylindrique, alors qu'en réalité, la masse instable est confinée dans une sorte de vallon.
     C'est la «zone de transition» qui présente les plus mauvalses caractéristiques mécaniques, parce qu'elle comporte des argiles, résultant de l'altération en surface des roches volcaniques; mais il est peut-être trop simple de considérer cette zone comme formant une assise continue, entre le massif volcanique et les formations coralliennes. Le récif barrière autour du massif volcanique émergeant a pu, à de multiples reprises, être recouvert, au moins partiellement, par des alluvions provenant du relief volcanique altéré, voire par des produits volcaniques, projections ou coulées, plus ou moins altérés sur place. Certains sondages (par exemple Zoe), ont ainsi pu montrer des intercalations de calcaires récifaux au milieu des produits volcaniques et il n'est pas exclu que de telles intercalations deviennent plus fréquentes au-delà de la verticale de la couronne actuelle. La zone de transition est donc peut-être moins continue que le modèle utilisé ne le suppose.
     La principale difficulté, dans tout calcul de mécanique des sols ou des roches, est que nous ignorons la distribution initiale des contraintes, qui ne saurait être hydrostatique en présence de reliefs, et à laquelle les conditions d'équilibre n'apportent qu'une très faible contrainte.
     Pour surmonter cette difficulté, M.CARISTAN emploie une méthode originale et ingénieuse, qui consiste à supposer chacune des assises du modèle mise en place sans contrainte, et se comportant élastiquement sous la surcharge des suivantes. Malheureusement, certains processus doivent mettre ces hypothèses en défaut, en particulier la dolomitisation qui s'accompagne d'un changement de volume, et doit donc entraîner une redistribution des contraintes. On peut aussi envisager que, au cours de la mise en place, certaines assises auraient cédé, passant en équilibre-limite, les contraintes étant reprises par les assises voisines; mais il n'existe aucune méthode permettant de calculer l'effet de ces processus sur la distribution des contraintes.
p.8

     Pour ces différentes raisons, j'estime qu'un calcul de stabilité de pente par la mécanique des sols ne peut pas être considéré comme fournissant, par lui-même, un résultat significatif. Il peut seulement permettre des comparaisons, ou d'évaluer l'effet de telle ou telle modification; je recommande donc de reprendre le calcul effectué pour la pente NE, et de le refaire, avec les mêmes hypothèses, pour les pentes SW et Sud, dont nous savons qu'elles ont glissé, après avoir été stables. Seule, la comparaison des résultats (qu'on exprime souvent par ce qu'on désigne improprement comme un «coefficient de sécurité») permettra de se faire une idée du risque que peut présenter le versant NE.      3. Conclusion
     De ce qui précède, on peut retenir que les évolutions du cadre géologique qui se sont produites sous l'effet des expériences sont de même nature que celles qui se seraient, ou auraient pu se produire, dans une évolution spontanée, dans un délai beaucoup plus long. On ne saurait, cependant, réduire l'effet des expériences à une accélération du déroulement du temps; les différents effets se comportant très différemment à cet égard.
     Ceci implique que ces modifications n'entraînent pas de risques d'une nature nouvelle (des raz-de-marée se sont produits jadis).
     Il peut en résulter certaines gênes pour la poursuite des expériences, mais cela ne pose que des problèmes techniques, qui doivent pouvoir être surmontés.
p.9a
Rapport de M. Tazieff (annexe 2')
     En dehors de ma responsabilité de leader, j'ai assumé celle de m'enquérir des problèmes relevant de ma propre compétence, celle de géologue, spécialisé en volcanologie. Mon enquête double donc quelque peu celle de Monsieur J. GOGUEL, mais les conclusions que voici sont rédigées indépendamment de lui, et réciproquement.

1. Contaminations éventuelles de l'océan

     De telles contaminations pourraient se faire par transport de produits radioactifs solubles (89Sr, 103Ru, 134 et 137Cs, HTO) par les eaux souterraines délavant les «laves» (roches vitrifiées engendrées par l'explosion souterraine).
     Cette pollution éventuelle dépend essentiellement de deux facteurs : solubilité des produits dangereux et débits des eaux souterraines.

     1.1. Solubilité
     Il m'a été assuré que 99,9% des produits de fission résultant d'un essai sont piégés dans le verre naturel («lave») engendré par les températures extrêmement élevées de l'explosion nucléaire. Je n'ai pu jusqu'ici entendre, de la bouche d'aucun expert en ce domaine, de démenti à cette affirmation, mais je vais chercher à m'informer davantage. (Ce rapport est rédigé dans la semaine succédant à notre retour).
     Si la quasi totalité des produits de fission se trouvent donc piégés dans le verre, ils ne peuvent être mobilisés par les eaux avant de nombreux siècles, certains même pensent avant des centaines de millénaires. C'est d'ailleurs sur le principe du piégeage dans le verre que se poursuivent, depuis plusieurs années, les recherches du CEA pour le stockage des déchets radioactifs de longue période, par le procédé de vitrification.

     1.2. Débits
     Les études effectuées par le CEA montrent que la circulation convective souterraine est dirigée exclusivement de l'extérieur de l'île vers le lagon.
     L'on ne possède comme informations sur le débit des eaux souterraines que la perméabilité moyenne des roches en place, connue par les carottes de forages et comprise entre 10 et 100 millidarcy, et la vitesse de circulation de l'eau vers 1000 m de profondeur, qui est de l'ordre du mètre par an. Les débits des eaux transitant par le point d'explosion sont donc extrêmement faibles et les dilutions élevées. Si lixiviation de produits dangereux, il y a, pour des durées de parcours d'eaux, éventuellement transporteuses de radionuclides, de l'ordre du millier d'années depuis le verre-piège.

suite:
     1.3. Conclusion
     Il ne semble pas y avoir de risques de pollution radioactive dans l'état actuel des expériences.
     Il serait néanmoins souhaitable de procéder à une série complémentaire de mesures portant, d'une part sur la vitesse des eaux souterraines aux profondeurs de tirs, d'autre part sur la chimie de ces eaux à hauteur des chambres de tir.

2. Risques d'affaissement et de disparition de l'atoll sous l'effet des tirs

     Contrairement à certaines rumeurs, l'altitude de l'atoll est demeurée identique à ce qu'elle était. Mais des tassements sont par contre observables à l'aplomb de certains tirs de puissance suffisante. Ces tassements sont d'ordre décimétrique et affectent des surfaces de 100 à 200 m de rayon environ.
     Aucun risque n'existe de voir l'atoll disparaître sous les eaux, d'autant que les points de tirs d'énergie moyenne ou élevée seront bientôt entièrement localisés dans le lagon et plus sur la couronne émergée.

3. Risque de Tsunami (mini raz-de-marée)

     L'analyse du mini-tsunami de 1979 a été faite très soigneusement par le Professeur SABATIER et par des chercheurs du C.E.P. Les sondages précis effectués par le «CHARCOT» ont confirmé les calculs théoriques et montré qu'un volume de l'ordre du million de m3 de la partie externe, immergée, de l'atoll avait glissé vers le bas sous l'effet de la secousse provoquée par un tir puissant (sous la partie émergée, donc périphérique, de l'atoll).
     La dépression superficielle de la mer à l'aplomb de la masse soudain déplacée avait provoqué la lame et le phénomène de seiche consécutif.
     Le risque représenté par ce phénomène est certain mais il est très localisé d'une part (ses effets sur d'autres îles de l'archipel sont imperceptibles) et, d'autre part, les précautions nécessaires sont désormais prises, pour la protection des personnes sur Moruroa, tant en ce qui concerne la prévention d'une seiche: localisation des tirs conditionnée par leur puissance, système d'alarme et plateformes surélevées.
     La conclusion de l'enquête - 3 jours à Moruroa et 3 jours au CEP de Tahiti - est que le risque considéré est faible à la condition expresse que les essais de forte puissance soient effectués à la profondeur maximale possible et à l'intérieur du lagon. Les précautions prises jusqu'ici semblent largement suffisantes pour prévenir tout danger de pollution par radio-nucléides tant de l'atmosphère que de l'océan.

p.9b

Rapport de M. Sabatier  (annexe 3)
     Un coup d'oeil sur un atoll montre l'importance des mouvements possibles de la mer. La partie émergée est étroite, avec des sommets d'altitude dérisoire et il est indispensable de décrire et contrôler le risque hydraulique. Voici ce que j'ai à dire sur les études faites pour le C.E.P. et les mesures prises
     1. De 1966 à 1967 les effets hydrauliques «directs» calculés pour les explosions nucléaires marines, aériennes, souterraines, comme conséquence immédiate des effets mécaniques de ces explosions ont été reproduits à 30% près dans les tirs réels. Ceci a incité le C.E.A. à se contenter de ces calculs d'effets directs (bien qe le risque d'effets induits ait été mentionné explicitement en exergue d'un rapport de synthèse (1) que j'ai écrit moi-même pour le C.E.A.)
     2. En 1977, le tir Nestor a eu des conséquences hydrauliques incompatibles avec les effets directs, et par contre explicables (2) par un éboulement ou un glissement de terrain induit. Cette hypothèse a été confirmée par la suite, en même temps que des phénomènes du même ordre, produits parfois quelques heures après le temps zéro, accompagnaient d'autres tirs. Ces phénomènes hydrauliques correspondent au déplacement d'une vague, à l'origine très dissymétrique, induite par un glissement ou un éboulement du fond. La longueur de cette vague, d'ordre kilométrique pour les grands éboulements observés (plusieurs centaines de milliers de mètres cubes près de la surface, plusieurs dizaines de millions de mètres cubes en profondeur) correspond à une (pseudo) période de l'ordre de la minute, intermédiaire entre celle de la houle (15 secondes) et celle des grands tsunamis (plusieurs minutes). Sur la côte accore, la figure d'équilibre atteinte par l'érosion entraîne le déferlement des grandes houles, et même des amplitudes considérables (15 m crête à creux) ne passent pas le platier. Par contre, les vagues très longues générées par les éboulements, aussi bien que les grands tsunamis ou les lames de fond de cyclone, passent le platier. En outre, une vague allongée le long de la côte lors de sa génération peut être partiellement guidée et s'atténuer peu entre le point de génération et la base-vie. Ceci entraîne un risque hydraulique qui doit être pris en compte.
     3. Depuis 1977, j'ai suivi de près l'effort du C.E.A. pour l'étude de ces effets. Au cours des missions scientifiques de 1979 et 1982, j'ai en outre pu constater sur l'atoll la mise en place d'un certain nombre de précautions très importantes.
     Les études elles-mêmes ont été menées sur plusieurs plans:
     a) étude géologique des risques d'éboulement - ce risque est lié à la puissance du tir et plus précisément à la force de l'onde de choc au niveau d'une zone de transition présente sur les flancs de l'atoll entre le basalte et les calcaires coralliens.
suite:
Une bonne connaissance de la question permet de définir une stratégie de positionnement des tirs évitant les effets trop importants - qu'il s'agisse des vagues du type indiqué ou des seiches directes ou induites dans le plan d'eau.
     b) étude de la génération et de la propagation des vagues et de leur effet sur les structures - cette étude a donné lieu à la création aussi:
     - d'un modèle théorique de génération (3);
     - de nombreuses simulations sur modèles réduits en bassin monodimentionnels (LCHF, Chatou) et bidimentionnels (COB), accompagnés d'études détaillées;
     - de mesures directes in situ par stéréophotographie faite avec deux hélicoptères.
     Les précautions prises sur place ont consisté en la mise en place, entre les deux missions scientifiques auxquelles j'ai participé, de plateformes de sauvegarde de hauteur calculée pour parer un éboulement voisin dépassant le million de mètres cube ou un éboulement de référence de 500 millions de mètres cube, détaché par loupes sur 2000 mètres de longueur à partir de 700 m de profondeur et dont la plateforme, juchée sur un motou de 2,50 mètres de hauteur, est séparée par une zone de déferlement d'au moins un kilomètre, et surtout d'un système d'alerte permanent donnant quelques minutes au moins pour monter sur la plateforme la plus proche.
     4. Au cours de la mission de 1982, j'ai constaté le caractère opérationnel de ce dispositif, qui me paraît très sérieux et de nature à éviter une catastrophe - même présentant une probalité extrêment faible (compte tenu des précautions de positionnement des tirs, indispensables, tout particulièrement si l'on ne veut pas détruire le matériel). J'ai constaté aussi qu'un mur avait été disposé le long de la base-vie pour éviter les dépôts de déchets en cas de séiche importante ou de tempête. Ce mur remplira effectivement cette fonction si les ouvertures qui ont été laissées (pour raison esthétique) sont aveuglées à temps. Cela impose une discipline d'autant plus nécessaire que si un événement de ce genre survient, le caractère particulièrement réfléchissant du mur supprimera l'amortissement naturel du caplot ou de la seiche (par débordement). Je ne peux m'empêcher de rappeler que des bateaux «insubmersibles» ont coulé en partie parce que les portes étanches n'étaient pas fermées au moment de l'accident (Titanic, Andrea Doria). Cette petite réserve faite, je pense qu'un ensemble de précautions très raisonnable a été pris pour les tirs correctement positionnés à Moruroa, et que les études faites ou en cours d'exécution donnent déjà une très bonne approche du problème hydraulique pour cet atoll. Elles restent toutefois à compléter, et, de plus, un ensemble considérable d'études du même ordre est à faire pour les tirs de Fangataufa.
p.10

Rapport de M. Salvat
(annexe 4)
     La mission s'est déroulée dans les conditions les plus satisfaisantes et selon le programme initialement établi qui a été adapté selon les demandes formulées en cours de mission par chacun. Il a été répondu à toutes nos questions et le secret a été levé conformément à ce qui avait été annoncé. Je remercie ici les autorités civiles et militaires pour leur accueil ainsi que pour l'amabilité avec laquelle ils ont répondu à nos questions.
     Avant de nous rendre au CEP nous avons eu des contacts avec les élus et, au retour, une réunion générale avec ceux-ci ainsi qu'une conférence de presse nous ont permis de rendre compte de nos premières impressions et conclusions. A cet égard, et avant de revenir sur la nature de ces contacts avec les élus - voir plus loin -, je soulignerai que nous n'avons pas pu rencontrer le sénateur Daniel MILLAUD, à Paris alors que nous étions à Tahiti, et qu'une démarche auprès de lui me paraîtrait souhaitable dès que possible.
     Au terme de cette mission un communiqué de presse a été publié, communiqué établi d'un commun accord par les personnalités missionnaires et les deux experts. Personnellement je ne vois aucun commentaire particulier à faire relatif à ce communiqué; je souscris à chacun des paragraphes.
     Le domaine d'expertise que je couvrais concernait l'Environnement terrestre et marin des deux sites expérimentaux de Moruroa et Fangataufa, et la surveillance radioécologique des sites expérimentaux et de la Polynésie française. Toutefois en ce qui concerne la surveillance radioécologique nous avons indiqué que notre expertise se limitait à estimer si les espèces de la flore et de la faune et si le milieu inerte étaient correctement surveillés pour établir les degrés de contamination radioactive due aux tirs passés, actuels et futurs mais l'expertise sur les valeurs de ces contaminations était en dehors de notre compétence. Autrement dit j'avais à me préoccuper du programme de la surveillance du milieu naturel et non des résultats radioécologiques. Bien entendu ce domaine d'expertise limité à l'environnement n'excluait pas une vision générale des problèmes aussi bien géologiques, qu'hydrodynamique et de radiobiologie (humaine) pour lesquels notre action s'est limitée à obtenir une information générale permettant de mieux saisir le domaine de notre spécialité, et à poser des questions dont les réponses ressortaient de la compétence des autres experts de la mission.
     Ma mission d'expert était un peu particulière, en ce sens que j'avais déjà eu l'occasion de me rendre à une dizaine de reprises entre 1965 et 1979 sur les sites dans le cadre de conventions entre la DIRCEN et le MUSEUM. L'objet de ces études conventionnées étaient d'établir un bilan écologique général avant les tirs aériens, de proposer des espèces (flore et faune) devant être suivies sur le plan radioécologique, et, enfin, de procéder à des études sur les effets des tirs sur le milieu naturel, à l'exception d'études radiobiologiques. J'ai bien entendu tenu compte des connaissances acquises au cours de ces missions pour réaliser la présente expertise.
     Nous rendrons compte de nos réflexions en abordant successivement    1o) la surveillance radioécologique, 2o) la surveillance de l'environnement (milieu naturel, flore, faune). Insistons à nouveau sur le fait qu'il ne s'agit ici que de réflexions préléminaires comme le précise le communiqué de presse. 
suite:
Ces réflexions seront confirmées ou modifiées (au moins précisées) lorsque tous les documents en notre possession auront été dépouillés et lorsque ceux que nous avons demandé auront été portés à notre connaissance.

Surveillance radioécologique

     Les tirs aériens ont nécessairement provoqué une certaine contamination radioactive alors que les tirs souterrains n'ont, jusqu'à présent, donné lieu à aucune fuite, du moins décelée, susceptible de contaminer radioactivement la flore et la faune.
     La surveillance radioécologlque en rapport avec les tirs aériens qui débutèrent en 1965 et s'arrêtèrent en 1975, nous est apparue très satisfaisante; elle est réalisée par le SMCB pour la flore et la faune et par le SMSR pour l'air, l'eau, les sols et les sédiments. Certes au début des expérimentations nucléaires aériennes le nombre des espèces prélevées, les points de prélèvement et la périodicité de ceux-ci étaient largement plus importants qu'actuellement. Compte tenu de l'arrêt des expérimentations aériennes il est logique que, à partir d'une situation radioécologique qui ne pouvait que décroître en intensité, on ait assuré une surveillance minimale pour faire un bilan et évaluer cette décroissance. La nature des prélèvements (espèces de flore et de faune), les lieux de prélèvements (27 stations à Moru) et leur périodicité (semestrielle sur Moru et annuelle sur Fanga) constituent un ensemble actuel de surveillance de type routine à long terme suite aux tirs aériens maintenant stoppés. Toutefois nous ferons deux remarques préliminaires que nous développerons ultérieurement.
     1. Une surveillance routinière qui ne constate qu'une décroissance générale devrait être complétée par un bilan radioécologique plus complet, tous les 2 ou 3 ans, tel un flash relativement exhaustif, sur un bien plus grand nombre d'espèces et de lieux de prélèvements. Ce bilan exhaustif de situation aurait le double mérite de connaître la situation avec plus de précisions une fois de temps en temps et, peut être, de mettre en évidence certaines espèces qui en certains lieux auraient concentré les radioéléments, ou encore de mettre en évidence d'éventuelles remobilisations de produits radioactifs.
     2. En ce qui concerne la contamination radioactive des sédiments du lagon il apparaît nécessaire que des études plus poussées soient réalisées et établissent le devenir et la distribution actuelle très exacte de certains radioéléments, tout particulièrement le plutonium.
     La surveillance radioécologiqne en rapport avec les tirs
souterrains actuels de Moruroa se fait selon une méthodologie satisfaisante compte tenu du niveau des connaissances générales actuelles sur le fonctionnement de l'écosystème atoll. Cette surveilance s'effectue sur le plancton et le necton, côté lagon et côté océan, près des lieux de tir - avant et après chaque tir -, une ou plusieurs fois par an lors de surveillance générale du lagon et tout autour de l'atoll côté océan. Rappelons qu'aucune fuite de radioéléments n'a été décelée à ce jour par ces prélèvements. Nous ferons deux remarques:
     1. Les prélèvements de plancton côté océan, en face des points de tir se font sans aucune connaissance de la courantologie sur les pentes externes entre la surface et 700 mètres.

 p.11

Il s'agit là d'une grave lacune dans nos connaissances fondamentales qui ne permet pas un programme de surveillance rigoureux et qui se révèlera catastrophiques si une fuite est détectée car on ne connaîtra pas sa dispersion probable dans l'espace. Il me paraîtrait judicieux de remédier à ce manque de connaissance.
     2. D'autres organismes que le plancton et le necton pourraient être l'objet d'une surveillance radioécologique épisodique mais en d'assez nombreux points sur la pente externe de l'atoll. On peut penser tout particulièrement à des espèces sédentaires de poissons vivant sur ces pentes externes et dont des stocks relativement importants ont été mis en évidence dans plusieurs îles du Pacifique.
     Nous insistons sur l'insuffisance des connaissances en courantologie et en écologie du plancton.

Surveillance de l'environnement

     Nous groupons sous cet intitulé les études réalisées pour établir l'évolution et les modifications de la structure et du fonctionnement des deux écosystèmes insulaires qui ont été le lieu d'expérimentations nucléaires. Ceci concerne le milieu physique et chimique ainsi que le milieu vivant - flore et faune - mais ne concerne pas les aspects radioécologiques abordés au paragraphe précédent. Il nous faut là encore distinguer ce qui a trait aux expérimentations aériennes et aux souterraines.
     Pour les expérimentations aériennes, les études des effets des tirs sur la flore et la faune (effets mécaniques, thermiques...) ont été réalisées par des équipes extérieures à la DIRCEN et dans le cadre de conventions. Ces études ont fait le bilan des dommages et de l'évolution des écosystèmes. Sans entrer dans le détail des résultats on peut regretter à cet égard - étant donné le peu de dommages causés par les tirs - que les chercheurs n'aient pas été autorisés à publier le résultat de ces études comparatives avant/après tirs. Cette autorisation aurait pu être donnée lorsque la décision a été prise d'abandonner les tirs aériens. Un dossier plus conséquent sur ce sujet et en faveur de la publication de ces études sera présenté ultérieurement. En dehors de cette remarque, il nous paraît indispensable que soit réalisée dans un avenir immédiat une étude générale de l'environnement de Moruroa, d'une part, et de Fangataufa, d'autre part, sites qui n'ont pas été visités par les spécialistes depuis 1979. Mais il devrait s'agir d'une étude longue et détaillée établissant un bilan complet et comparable au bilan avant tir en 1965, situation avant tir qui a donné lieu à des publications scientifiques nombreuses.
     Pour les expérimentations souterraines il nous paraît important de souligner, qu'à première vue, les modifications sérieuses que subit l'atoll de Moruroa (effondrement, tassement, submersion définitive de fractions de la couronne émergée...) ne sont suivies que sur le plan de l'ingénierie mais pas sur celui de l'environnement. On doit en effet constater que les services mis en place pour surveiller la situation radioécologique ne sont pas chargés de suivre les modifications géomorphologiques et leurs conséquences sur l'écologie du lagon et de l'atoll, tous problèmes qui n'ont rien à voir avec les aspects radioécologiques mais qui sont néanmoins dus aux tirs et ont des répercussions considérables sur le fonctionnement de l'écosystème.

Remarques particulières

     Dans ce rapport préliminaire nous souhaitons faire 4 remarques qui seront développées ultérieurement; elles sont sans rapport entre elles.

suite:
     1. Réactivation de Fangataufa
     L'atoll de Fanga a été l'objet de 6 tirs aériens de 1966 à 70 (dont un de forte puissance de l968) et de 4 tirs souterrains de faible puissance en 1975. Occupé de 1965 à 1971; réactivité en 1974-1975, l'atoll est inhabité depuis lors. Cet atoll a vu son environnement modifié par le tir de forte puissance (avec en complément les problèmes radioécologiques) mais aussi par l'ouverture d'une passe dans cet atoll initialement fermé. Les modifications écologiques dues à cette ouverture sont puissantes et se manifestent à des échelles de temps diverses (rapide pour la productivité planctonique primaire, plus lente pour les aspects sédimentologiques du lagon...). Avant que Fangataufa ne soit réactivé il serait indispensable de procéder à une étude écologique générale relativement complète avec 2 objectifs:
     a) faire le bilan de l'état de l'environnement et des peuplements après les tirs aériens, et comparer avec la situation avant tir (les quelques espèces atteintes par le tir de 1968 et qui étaient en «mauvaise» position bionomique ont presque totalement reconquis leur territoire).
     b) établir un bilan - indispensable - avant (1.) un agrandissement de la passe qui va davantage encore modifier l'écologie du lagon que ne l'ont fait les tirs aériens, et (2.), que les tirs souterrains ne provoquent une submersion totale ou presque de l'atoll par un affaissement prévisible.
     Remarquons et soulignons ici que toutes ces études sur un atoll qui va être modifié considérablement sont d'un intérêt scientifique et économique majeurs pour les 400 atolls dans le monde dont les problèmes vont être de les développer pour les activités humaines. Les grands travaux d'aménagement et de transformation sur les atolls n'ont pas encore commencé mais seront à l'ordre du jour dans moins d'une dizaine d'années. Quelles modifications interviennent sur la productivité d'un lagon lors de l'ouverture d'une passe? La submersion de la couronne récifale d'un atoll ou d'une partie importante de celle-ci (comme actuellement à Moruroa) augmente-t-elle la productivité lagunaire et celle de l'écosystème tout entier? Pourquoi ne pas mettre à profit toutes ces questions et faire état vis-à-vis du public et de la communauté scientifique internationale de cet apport incontestable (qui peut intéresser la Polynésie française elle-même, à brève échéance, car plus de la moitié des 85 atolls de P.F. sont des atolls fermés sans passes) comme une retombée très positive des activités du CEP et des expérimentations? Cela suppose bien entendu des programmes de recherches d'envergure, à l'échelle de l'intérêt de ces problèmes et de la publicité que l'on veut donner à cet apport indirect mais terriblement intéressant économiquement des expérimentations nucléaires souterraines.
     2. Contacts avec les élus du Territoire
     La mission qui nous a été confiée par le Ministre de la Défense indiquait que nous devions rendre compte de nos conclusions auprès des élus et de la presse. A cet égard nous nous sentons autorisés à donner le point de vue suivant. Si les conférences de presse sont toujours délicates, en revanche les contacts avec les élus peuvent parfois être plus profonds, plus précis, plus sincères et sans arrières pensées. Il nous paraît que dans la situation actuelle des élus du Territoire de la Polynésie française, qui ne demandent qu'à être rassurés, un certain climat de confidentialité, au moins auprès d'un Conseiller ayant toute la confiance de l'équipe actuelle, devrait être instauré relativement aux conditions d'expérimentations, aux problèmes qui s'y rattachent, aux dangers éventuels et sur les surveillances mises en place.
p.12

Plutôt que de leur dire «vous pouvez affirmer à vos électeurs et à l'étranger qu'il n'y a rien à craindre», pourquoi ne pas faire en sorte qu'ils puissent dire «pour l'avoir contrôlé et vérifié personnellement nous affirmons qu'il n'y a rien à craindre». Pour connaître la Polynésie et ses élus depuis plus d'une quinzaine d'années je suis personnellement convaincu que dans la situation actuelle cette suggestion est intéressante; elle a le mérite de la sincérité et de la participation.

     3. Modification de l'Environnement : effets des tirs - 
- Conséquences des infrastructures.
     D'une manière générale les détracteurs des expérimentations nucléaires pour des raisons tactiques ou par ignorance confondent deux causes de dégradation de l'environnement dans un site d'expérimentation: celles dues aux tirs proprement dits (aériens ou souterrains) avec leur cortège d'effets mécaniques, thermiques... - et - celles liées aux activités humaines et industrielles dans le site. Cette confusion est permanente et doit être dénoncée. Pour cela il faut faire la part des dégradations et pollutions qui sont le fait des tirs - ou - des installations. Ceci doit induire un certain nombre de recherches non entreprises, actuellement sur le site de Moruroa.

     4. Réponses à des questions posées
     Actuellement nous attendons réponse à un certain nombre de questions posées lors de notre mission. Tous les documents qui nous ont été transmis n'ont pas été dépouillés et dans les semaines qui viennent nous aurons à poser d'autres questions. Un double de ces questions sera adressé - pour information - au chef de mission, M.Haroun TAZIEFF.

     5. Conclusions préliminaires
     Nous faisons totalement nôtres les termes du communiqué de presse et soulignons que dans celui-ci, et auprès des élus, nous avons indiqué qu'il s'agissait d'une mission préliminaire et que des conclusions définitives seraient données ultérieurement. Nous aurons tout spécialement à coeur de tenir cette promesse compte tenu du fait que nous travaillons depuis une quinzaine d'années sur le Territoire de la Polynésie française et que des contacts sincères ont été noués avec les élus, et ce dans une estime réciproque.

Bernard SALVAT
p.13a
Rapport de M. Pellerin
(annexe 5)
     Fin septembre 1979, j'avais pu visiter en détail l'atoll de Moruroa et ses installations techniques. La nouvelle visite que je viens d'en faire à l'occasion de la mission scientifique dirigée par Monsieur Haroun Tazieff m'a permis de faire le bilan actuel de la situation de l'atoll aussi bien sur le plan de la surveillance radiologique du milieu que sur celui de la radioprotection du personnel.

     1. Impression d'ensemble
     Après trente-trois mois, l'on constate que l'aspect général de l'île est inchangé par rapport à 1979. On remarque simplement:
     a) l'addition de digues de protection de part et d'autre de la base-vie (toute l'extrémité Est de l'atoll, soit depuis l'aéroport jusqu'à la station d'épuration d'eau). Les digues sont entièrement en béton, côté lagon. Côté Pacifique, elles sont en palplanches d'acier scellées dans une semelle de béton avec contreforts (sauf quelques centaines de mètres en béton).
     b) la présence de plate-formes refuges surélevées d'environ 4 ou 5 mètres, tous les 700 mètres le long de toute la bande accessible de l'atoll.
     c) la protection de la route de l'atoll par des murs de béton dans toutes les parties en contrebas.
     d) la présence d'une plateforme de forage dans le lagon.
     La base-vie qui héberge environ 2.400 personnes (400 civils et 2.000 légionnaires), donne l'impression d'une grande activité dans un ordre remarquable, avec pourtant une ambiance de détente aux heures libres (sports, tennis et, sur le lagon, natation, planche à voile et ski nautique). Toutes les personnes, de quelque niveau que ce soit, civiles ou militaires, avec lesquelles j 'ai eu l'occasion de m'entretenir, m'ont paru passionnées par leur travail et ne m'ont fait part d'aucune inquiétude réellement significative.

     2. Le tir
Cette expérience, de faible puissance, a eu lieu pendant notre séjour sur l'atoll. Elle a permis à certains d'entre-nous de procéder à quelques vérifications. 

Pour ma part, sur le pas de tir, j'ai disposé sous le vent du puits, à 20 mètres environ, deux aspirateurs, l'un sur filtre jaune, l'autre sur filtre au charbon. Ces aspirateurs, d'un débit moyen de 50 à 60 m3/heure, ont été mis en route 2 heures avant le tir et arrêtés 2 heures après. Leur destination était de saisir un éventuel passage d'iode radioactif, en même temps que les poussières alpha qui auraient pu être remises en suspension par la secousse tellurique provoquée par le tir.
     Les premières lectures et analyses de ces filtres ont été effectuées dès mon retour au SCPRI. Elles n'ont montré la présence d'aucune activité alpha ni de trace d'iode radioactif significatives. Les investigations seront néanmoins poursuivies à des niveaux encore plus faibles.
     J'ai par ailleurs disposé, avant le tir, 12 dosimètres intégrateurs (1 émulsion dosimétrique calibrée, et 2 éléments thermoluminescents par dosimètre) répartis dans un cercle de 50 mètres environ autour du puits, à différentes hauteurs, y compris à 1 mètre au-dessus du puits ainsi que sur une plateforme refuge, et en général sous le vent du puits. Le vent était de Sud-ouest au moment du tir.
     Aucune dose significative n'a pu etre relevée sur aucun de ces dosimètres.

     3. Prélèvements
     J'ai fait effectuer, sur la terre ferme et dans le lagon, une série de prélèvements
     a) de sable, sur la plage de la zone-vie (mess officiers),
     b) de végétaux, au bout de l'aérodrome,
     c) de sédiments marins, dans le lagon point «Orque», face au bunker Denise),
     d) de poissons («perroquets» et «chirurgiens») au même point.
     e) de brisures de coraux au même point,
     f)d'eau de mer au même point.
     Les premières analyses spectrométriques montrent des traces légères d'anciens produits de fission ou d'activation, mais pratiquement pas d'émetteurs alpha, sauf très légèrement dans les sédiments. Les analyses radiochimiques détaillées sont en cours.

p.13b

     4. Conclusions
     Mon service, qui a été désigné depuis 1969 comme Centre International de Référence pour la Radioactivité par l'Organisation Mondiale de la Santé, organise en particulier des intercomparaisons régulières sur la radioactivité de prélèvements de natures diverses avec les services de surveillance du C.E.P.
     Les résultats de ces intercomparaisons confirment ceux que j'avais eu l'occasion de présenter lors de ma précédente rnission en Polynésie Française, à savoir:
     a) que la radioactivité artificielle que l'on observe en Polynésie dans la chaîne alimentaire est faible, généralement même inférieure à celle que l'on mesure dans l'hémisphère nord, en particulier depuis les essais atmosphériques russes et américains de 1961 à 1963.
     b) que cette radioactivité artificielle a encore décru depuis 1979, comme le soulignent d'ailleurs aussi très clairement les laboratoires de Santé publique de la NouvelleZélande dans leurs rapports officiels.
     c) qu'en 1982, l'activité artificielle moyenne pour les poissons est, pour l'ensemble des îles, de l'ordre de 10 picocuries par kilogramme frais, ce qui est inférieur aux activités rrouvées dans les poissons de la Méditerranée.
     d) que même dans le lagon de Moruroa, les activités résiduelles provenant des tirs aériens d'avant 1974 sont inférieures aux limites dérivées admissibles pour la consommation des produits de la pêche.
     e) que l'essentiel de la radioactivité globale de l'alimentation en Polynésie reste d'origine naturelle (Potassium 40, Radium 226, etc.).
Il apparaît en conséquence que si la surveillance radiologique doit évidemment être maintenue et régulièrement poursusivie jusqu'à une distance moyenne de l'atoll (rayon de quelques centaines de kilomètres au maximum), elle ne justifie plus ni l'extension ni le rythme de contrôles institués il y a une quinzaine d'années, à l'époque des tirs atmosphériques (ces contrôles s'étendent par exemple encore jusqu'aux îles Marquises, à plus de 2.000 km de Moruroa).
     Pour ce qui concerne la protection du personnel de l'atoll, le risque majeur est à l'évidence de nature hydraulique quelle qu'en soit l'origine: tempête, effondrement ou tsunami il suffit pour s'en convaincre de constater que, par vent moyen, si les parties basses de l'atoll ne sont pas recouvertes par les vagues normales qui les dominent de 2 ou 3 m, c'est parce que ces vagues déferlent sur le platier avant de les atteindre. Sur ce plan, un important progrès a été fait dans le sens de la sécurité des travailleurs avec la construction, depuis 1979, de plateformes refuges dotées d'alarmes sonores et optiques et de moyens de transmissions, espacées de telle sorte qu'elles puissent toujours être atteintes en temps utile par le personnel.
     Quant à la radioactivité, il apparaît très peu probable que la technique actuelle des tirs souterrains puisse en provoquer une libération significative. Ceci est encore plus vrai pour les tirs en lagon. La faible radioactivité encore décelée dans ce dernier provient:
     a) des tirs atmosphériques d'avant 1974,
     b) de la dispersion plus récente par des tempêtes d'anciens déchets porteurs de radioactivité alpha.
     En tout état de cause, cette radioactivité n'est pas réellement significative du point de vue de la protection sanitaire. Les services de contrôle de l'environnement du site (SMCB et SMSR) ainsi que les laboratoires spécialisés de radioprotection du Service de Santé et de Médecine du Travail des Armées réalisent d'ailleurs une surveillance
remarquable du personnel vivant sur l'atoll, comme du site lui-même.
     Cependant, la confiance du personnel, comme celle des populations de la Polynésie, ne peut que gagner encore à un renforcement des moyens des médecins spécialisés en radioprotection et à un élargissement de leur domaine de responsabilités à la surveillance physique et biologique de l'environnement.
Le Vésinet, le 22 juillet 1982

Docteur Pierre PELLERIN
Professeur à la Faculté de Médecine de Paris
Directeur du SCPRI
p.14a


Rapport de M. Lambert
(annexe 6)
     Ma spécialité scientifique étant la Physico-Chimie et la Radioactivité de l'Atmosphère, c'est évidemment dans ce dernier domaine que j 'ai plus particulièrement orienté mes investigations.
     1. Je me suis assuré que le S.M.S.R. dispose sur place d'un laboratoire de mesure de la radioactivité parfaitement équipé, dont les locaux sont d'ailleurs en cours de rénovation. Le personnel en est tout a fait compétent et les procédures de mesure et d'étalonnage sont conformes à ce qu'on peut attendre d'un laboratoire de haute qualité. Notamment des échantillons sont échangés avec le laboratoire métropolitain de ce service à des fins de contrôle. Un seul problème pourrait à la rigueur se poser ici, comme dans tous les laboratoires de radio-chimie, celui de l'étalonnage des mesures de plutonium.
     2. J'ai participé à la réouverture du site, 1 heure après le tir du 27 juin, avec l'équipe de décontamination. J'ai pu m'assurer du sérieux des procédures utilisées. Dans ce cas particulier, aucune trace de contamination n'était détectable autour du puits, à ce moment.
     3. La majorité des produits de fission et de contamination résultant d'une explosion nucléaire sont des métaux dont on peut penser qu'ils sont piégés dans la roche, au moment de sa recondensation, après volatilisation. Quelques produits de fission (Iode et Brome) ont des tensions de vapeur élevées. On peut néanmoins penser que ces vapeurs sont entièrement condensées et retenues dans la roche encaissante, même fracturée. Par contre une partie non négligeable des produits de fission sont des gaz rares (Krypton et Xénon) dont les périodes radioactives sont comprises entre quelques secondes et 10,3 ans (pour 85Kr). Le comportement de ces gaz n'est pas tout à fait clair. Ceux dont la vie est courte se désintègrent probablement dans la roche et leurs descendants, qui sont des métaux, y sont retenus. Par contre, 85Kr (10,3 ans) 87Kr (78 min), 88Kr (2,77 heures), 131mXe (12 j) 133mXe (2,3 j), 133Xe (5,27 j) sont susceptibles de gagner la surface du sol progressivement. L'activité gamma qu'on peut en attendre est vraisemblablement faible, certainement peu préoccupante au plan sanitaire local. Toutefois la présence éventuelle de ces nuclides serait l'indice que des communications existent entre la chambre de tir et l'environnement. A contrario, l'absence de ces nuclides malgré une recherche sytématique, dans l'atmosphère, mais surtout l'eau qui remplit le puits de tir, indique un excellent confinement.
p.14b

     Seules des informations orales m'ont appris que des recherches d'eau tritiée avaient été initialement menées dans cet esprit notamment dans des forages entourant un puits de tir ou dans la mer.
     Une fuite de gaz suffisamment importante serait bien entendu détectée grâce aux appareils de surveillance de l'irradiation ambiante placés autour du puits. Cependant, comme je l'ai rappelé, certains produits de fission gazeux à courte période ont des descendants qui sont des métaux et qui se retrouvent donc dans la phase particulaire. Une recherche des aérosols radioactifs au voisinage immédiat et sous le vent du puits devrait être beaucoup plus sensible que le dispositif actuel. Notons que les aérosols sont collectés en permanence autour de la base vie (qui est évidemment au vent du pas de tir) ainsi que sur les différents chantiers, mais l'éloignement du puits et la dispersion qui en résulte ne permettent que des mesures de contrôle sanitaire.
     En ce qui me concerne, j'ai procédé, la veille et immédiatement après le tir du 27 juin, à la filtration de 100 m3 d'air, sans trouver trace d'aérosols radioactifs artificiels émetteurs alpha ou bêta. Il eut mieux valu, il est vrai, échantillonner l'eau du puits.
     4. l'existence d'une onde de choc dans le sol, suivie de l'éboulement de la cheminée dans la chambre de tir ont probablement pour effet de libérer dans le sol une certaine quantité de Radon 222 (gaz rare, radioactif naturel de période de 3,8 jours, présent dans toutes les roches).
     Comme dans le cas des produits de fission gazeux, ce radon est susceptible d'atteindre l'eau du puits et éventuellement l'atmosphère libre. Une recherche systématique de ce nuclide permettrait de conclure à la présence ou à l'absence de communications entre l'environnement et, cette fois-ci, la cheminée (et non plus la chambre de tir).
     J'ai moi-même procédé à cette recherche de radon dans l'atmosphère. La veille du tir l'activité spécifique de 2,2 pCi/m3 était voisine de celle qu'on mesure habituellement dans ces régions. Je n'ai constaté aucune variation significative dans les heures qui ont suivi le tir.
     La rusticité du matériel utilisé dans cette expérience rapide ne me permettait pas de déceler un flux de radon inférieur à 2 atomes/cm2 seconde, soit le triple du taux mondial moyen. Enfin, comme je l'ai déjà mentionné, une telle recherche devrait être effectuée dans l'eau du puits, plutôt que dans l'atmosphère environnante. Cette dernière remarque sera d'autant plus valable au moment des tirs sous lagon.
     5. J'ai examiné le rapport du S.M.S.R. de 1981, ainsi que quelques documents qui le complètent et j'ai pu discuter avec les auteurs.
     Les concentrations de nuclides radioactifs qui ont été mesurées sont extrêmement faibles et tout à fait comparables aux valeurs obtenues dans d'autres régions du globe. Les activités 239Pu qui ont été mesurées sont un peu inférieures à celles qui sont publiées pour la région de La Hague.
     Malheureusement je dois émettre les plus extrêmes réserves sur la rédaction proprement dite de ce rapport qui ne respecte pas les règles habituelles des publications scientifiques: absence de certains résultats numériques (bien qu'ils ne soient nullement préoccupants), valeurs moyennes sans indication d'écart type, échantillonnages sans indication de date, références incomplètes, etc.
     Seule une enquête approfondie m'a permis de constater que les résultats de mesure constituaient un ensemble plus cohérent qu'il n'y paraissait à première vue.
     En particulier, on ne trouve dans les documents rédigés par le S.M.S.R. et le S.M.C.B. qu'une courte mention des mesures effectuées sur l'eau de mer, bien que celles-ci soient systématiques aussi bien dans le lagon de Moruroa qu'autour des divers atolls, notamment après chaque tir, ainsi que des informations complémentaires me l'ont appris.
suite:
     6. Selon moi, ces insuffisances sont le résultat d'un excès de modestie du personnel du S.M.S.R., qui sous estime l'intérêt des radioactivités à peu près nulles qu'il enregistre généralement.
     Cet état d'esprit traduit me semble-t-il une insuffisance dans la définition de la mission du S.M.S.R. qui est orienté surtout vers des préoccupations «sanitaires».
     D'une façon plus générale il me semble qu'il existe, à l'heure actuelle, un hiatus entre les programmes du S.M.C.B. chargé de suivre l'environnement biologique, et du S.M.S.R. à qui revient l'étude du milieu physique et qui devrait être en mesure d'évaluer les quantités de radioactivité introduites dans l'environnement, même si celles-ci doivent se révéler non significatives au point de vue sanitaire.
     J'ajoute que la quasi absence actuelle d'un réseau français de stations éloignées de mesure de la radioactivité dans l'hémisphère sud aboutirait, dans l'hypothèse d'émission accidentelle, à ne faire dépendre que de réseaux étrangers toute possibilité de distinction entre pollution globale et émissions en provenance du C.E.P. Cette situation est aggravée par le fait que, si la dispersion atmosphérique pourrait être étudiée par les services météorologiques existant, le transport par les courants marins serait plus difficile à chiffrer en effet, en dépit des efforts déjà faits ou en cours de réalisation, ces courants ne sont pas parfaitement connus.
     Ces diverses insuffisances apparaissent clairement à propos des résidus de plutonium dispersés par la tempête de mars 1981. On constate leur relative inocuité dans le milieu biologique (bien que seules les valeurs de 239Pu soient prises en compte), on contrôle, on décontamine les plages localement, mais on ignore les quantités introduites dans l'environnement, leur taux de solubilisation et leurs cheminements possibles.

     Conclusion
     A l'issue de cette mission trop courte et préparée à la hâte, je veux d'abord mentionner l'excellente qualité de l'accueil que j'ai reçu de toutes les personnes avec lesquelles j'ai été en contact; sans cela, je n'aurais pas été en mesure de réaliser cette étude. De plus tout le personnel fait preuve d'excellentes qualités professionnelles et il dispose de l'instrumentation adéquate.
     Les programmes de mesures sont heureusement plus complets qu'il n'y paraît à la lecture des rapports publiés. Les résultats qui m'ont été communiqués tendent à monter que rien, ou presque, n'est émis dans l'environnement à la suite des expériences nucléaires souterraines. Cependant, en cas d'émissions accidentelles les services compétents ne sont pas préparés à en évaluer l'importance, ni à la comparer à la pollution radioactive globale existante, pas plus d'ailleurs qu'au fond naturel.
     De plus, il est regrettable qu'il n'existe à peu près aucun programme utilisant comme traceurs géologiques ou hydrauliques les produits radioactifs fabriqués ou libérés par les explosions nucléaires, programme qui permettrait de vérifier en permanence l'étanchéité du sous-sol de l'atoll.
     Enfin une politique de publication de valeurs numériques de la radioactivité du milieu physique comportant une comparaison entre les résultats relatifs au C.E.P., à la Polynésie et au reste de l'hémisphère sud, et ceci pour divers nuclides radioactifs artificiels et naturels, rassurerait davantage les populations, selon moi, que toutes les déclarations ou les commissions d'enquête.

G. LAMBERT
p.15

Rapport de M. Vie le Sage
(annexe 7)
     1. Expérimentation particulière sur le tir du 27 juin 1982.
     En me demandant de participer à la mission au C.E P., Monsieur Haroun TAZIEFF souhaitait que je réalise sur le site des prélèvements de particules avant et après le tir souterrain afin que l'étude de la composition chimique des aérosols, rapprochée de leur granulométrie, nous fournisse des indications sur leur aptitude à subir un transport longue distance.
     Dans les faits, la mise en batterie de deux impacteurs en cascade faible volume ne pouvait venir qu'en complément des déterminations réalisées par mon collègue Gérard LAMBERT sur les aérosols radioactifs artificiels (voir rapport). L'absence de variations significatives des teneurs en Radon 222, avant et après le tir, et celle de traces décelables d'émetteurs alpha et bêta, compte tenu de la plus grande sensibilité de la méthode mise en oeuvre, ont donc réduit à néant l'intérêt de mes propres prélèvements.
     Il semble donc évident que, lors du tir du 27 juin, le confinement ait été d'excellente qualité.

     2. Le problème des contrôles systématiques
     J'émettrai personnellement deux réserves sur la nature des contrôles mis en oeuvre au pint de tir et à distance
     a) l'absence d'investigations systématiques sur l'eau du point est regrettable: elles permettraient d'estimer les éventuelles contaminations à partir de la chambre de tir quand bien même l'environnement atmosphérique ne serait pas affecté. Ce point prenant une importance particulière dans le cas du tir sous lagon.
     b) la faiblesse de la stratégie en cas d'incident de tir entraînant une contamination de l'atmosphère
     Il conviendrait à mon sens que soient sytématiquement recherchés les radio-nucléides et réalisés des prélèvements par impacteur en cascade, afin que, en cas d'incident, soient très rapidement déterminées la hauteur de la contamination locale et son aptitude potentielle à un transport longue distance.
     De plus la stratégie de contrôle à courte et longue distance (APA de MORUROA et d'ARVE) basée sur des prélèvements de 24 heures ne semble pas très adaptée au suivi d'épisodes de fortes, mais éventuellement courtes, pollutions. Il conviendrait de prévoir, en cas d'incident, des séquences plus brèves qui fourniront des résultats plus significatifs.

     3. Le problème des déchets entraînés au fond du lagon en mars 1981
     L'entraînement de 10 à 20 kg de Plutonium provenant des précédentes expérimentations aériennes, lors de la tempête de mars 1981, ne semble pas avoir fait l'objet d'études très particulières.
     Il serait sans doute souhaitable que soit étudiée avec soin l'éventualité de leur remise en circulation mécanique ou de leur remobilisation par voie chimique.
     D'une façon générale, j 'ai d'ailleurs le sentiment que le rôle du milieu marin, dans d'éventuelles remises en circulation, n'a pas été assez pris en considération.

     4. Aspect général
     a) Le dispositif de contrôle de routine et les précautions prises semblent dans l'ensemble satisfaisantes
     Toutefois la survenance d'une situation très exceptionnelle à la suite d'un incident de tir ne semble pas avoir toujours été prise en compte.

suite:
Le fait que seul un nombre limité d'agents soient équipés de dosimètres lorsqu'ils sont appelés dans des «zones à risques» sous-entend que ces zones peuvent être délimitées de façon certaine et quasi définitive. Ceci est heureusement bien le cas en général, mais le resterait-il en cas de pollution atmosphérique intense? Je n'ai pas eu le sentiment, mais il s'agissait d'une courte mission préliminaire, qu'une analyse du «système MORUROA» ait été menée avec autant de rigueur que sur les centrales nucléaires métropolitaines.
     b) Le fait que, au Comité de Sécurité, ne siègent pas les représentants des personnels me semble préjudiciable à sa crédibilité. Et d'autant plus qu'il s'agit d'une situation exceptionnelle puisque, même à l'usine de LA HAGUE, cette représentation est assurée.
     c) Le profane que je suis n'a toujours pas saisi les motifs qui conduisent à laisser les Gouvernements étrangers ou, tout simplement, les travailleurs de retour à TAHITI annoncer les expérimentations. Les élus locaux se sont plaints à plusieurs reprises, et de façon justifiée, de l'ignorance officielle dans laquelle ils étaient tenus au sujet de l'exécution des tirs. Si je vois bien l'intérêt qu'il peut y avoir à ne pas annoncer la préparation, je ne discerne toujours pas l'avantage du silence officiel qui y fait suite.
     d) Le risque nucléaire me semble avoir contribué à occulter le problème, sans doute plus important et plus réel, des perturbations induites sur l'environnement polynésien par l'arrivée du C.E.P. Le Gouvernement devrait prendre l'initiative du développement de telles études et aider à mettre en place les solutions qui s'imposent pour une protection efficace du milieu.
     e) La réunion tenue le 3 juillet à AUCKLAND réunissait, outre Monsieur Bourgoin (Ambassadeur de France), Messieurs Tazieff et Vie Le Sage:
     Patrick Helm, Services du Premier Ministre, External Intelligence Bureau, Hugh Atkinson, National Radiation Laboratory,
Department of Health, Jim Schonfield, Geological Survey, Department of Scientific and Industrial Research,
     Warwick Smith, Seismological Observatory, Department of Scientific and Industrial Research,
     Groene Wateb, United Nations Division, Ministry of Foreign Affairs.
     Elle s'est déroulée dans une ambiance très cordiale.
     Deux points ont clairement émergé:
     a) les scientifiques néozélandais considèrent comme tout à fait normal qu'un pays souverain comme la France ne les invite pas sur le site de MORUROA.
     b) ils seraient très intéressés par un «colloque» réunissant un nombre réduit de participants sur le thème des expérimentations nucléaires dans le Pacifique.
     Cette demande me semble d'autant plus légitime qu'un grand nombre d'entre eux ont, par le passé, attesté de l'innocuité des essais souterrains français et que certains membres de la Communauté Scientifique Internationale et certains mouvements écologistes leur reprochent d'avoir pris des positions tranchées sans disposer d'un nombre significatif de données.
     Une telle rencontre organisée à TAHITI, aurait incontestablement un impact politique et scientifique très important.
p.16

ANALYSE DU RAPPORT TAZIEFF
     Une remarque préliminaire: ce rapport repose sur une mission de 3 jours, il est donc ainsi que le déclare Tazieff le résultat d'une mission exploratoire et «les différentes observations contenues dans ce rapport devront être prises en compte pour définir le programme de la mission longue durée qui doit (souligné par la Gazette) faire suite à cette mission exploratoire».
     On est en 1985 et force est de constater qu'il n'y a eu aucune mission longue durée. Or de nombreux points avait été soulevés en 1982. Ils n'ont pas été vérifiés. En particulier affirmer l'innocuité de fuites accidentelles en précisant «Cependant les programmes de mesures actuels ne permettraient pas d'estimer la quantité de produits radioactifs dégagés ni de prévoir leur sort ultérieur dans le milieu marin», n'est pas une conclusion étayée. C'est une conviction.
     Le rapport fourmille par trop de convictions bien que il expose aussi des réserves, au moins dans les rapports en annexe.
     Il y a tout de même dans les conclusions un rappel des problèmes géologiques des atolls de Moruroa et Fangataufa avec la demande d'études complémentaires: exploration, dragages, carte des fonds sous-marins, études de Fangataufa. Tout ceci a peut être été mis en oeuvre mais rien ne permet de le savoir.
     Il y a également, en ce qui concerne la contamination radioactive: «Le premier de ces problèmes tient à l'existence de trois services différents dont les missions se chevauchent plus ou moins mais laisent aussi des hiatus...»
     «Le deuxième problème concerne le confinement des produits radioactifs lors d'une explosion souterraine. »... Et avec plus loin... « Or ces produits ne sont généralement pas recherchés, parce qu'ils sont peu préoccupants du point de vue sanitaire, alors que leur absence constatée permettrait de confirmer l'étanchéité du dispositif...»... «Un troisième problème concerne les déchets de plutonium»... Donc tout n'est pas, loin de là, aussi évident que le laisse entendre la presse et les officiels. Le rapport même préliminaire demande à être complété et cela a été demandé par les auteurs du rapport, répétons-le. Alors qu'attend-on?
     Passons aux annexes
suite:
     1. L'annexe de M.GOGUEL confirme les fissures, l'affaissement et réclame un certain nombre d'études complémentaires. Il y a en particulier cette remarque:
     «Notons, au passage, que le C.E.A. en a négligé l'étude, alors qu'on peut se demander maintenant aujourd'hui s'ils ne pourraient fournir des points d'ancrage peut être à l'abri de phénomènes hydrodynamique encore mal compris.»
     Il s'agit bien sûr des études du lagon et il est clair que la connaissance est quelque peu empirique, ce qui peut rendre la situation assez dangereuse pour les personnels.

     2. Annexe Tazieff
     Nous y avons relevé, entre autres:
     «...Il m'a été assuré que 99,9% des produits de fission résultant d'un essai sont piégés...»
     A Tricot aussi on a assuré beaucoup de choses et pourtant Fabius a du faire «un aveu cruel» le 22 septembre 1985...
     C'est pourquoi il nous apparaît indispensable d'avoir accès à tous les résultats. Mais en plus, des mesures doivent être faites par des équipes indépendantes du CEA. Sinon on est toujours dans le cycle où contrôleur et contrôlé relevant des mêmes organismes, il n'y a pas moyen d'être sûr d'avoir les dossiers.
     Quant à sa conclusion, certes prudente, elle gagnerait à être étayée.
     «... il ne semble pas y avoir de risques de pollution radioactive dans l'état actuel des expériences...». Peut-être mais répétons-le, faisons une campagne de mesures indépendantes et une telle conclusion prendra du poids. Pour le moment ce type d'affirmation n'est guère qu'une conviction. Ce n'est pas suffisant. Notons d'ailleurs que Tazieff ajoute «... il serait souhaitable de procéder à une série complète de mesures...».

     3. Annexe Sabatier
     Son rapport porte spécialement sur le risque hydraulique, il souligne d'ailleurs «qu'il est indispensable de décrire et contrôler le risque hydraulique»... mais il ajoute: si «un ensemble de précautions très raisonnable a été pris pour les tirs correctement positionnés à Moruroa...», il n'empêche que «elles restent toutefois à compléter, et, de plus, un ensemble considérable d'études du même ordre est à faire pour les tirs de Fangataufa».

p.17

     4. Annexe Salvet
  son rapport est l'un des plus long parce que depuis 1965, il participe à des études de l'atoll. Tout en soulignant que des études ont été faites, il précise:
      «1. Une surveillance routinière qui ne constate qu'une décroissance générale devrait être complétée par un bilan radioécologique plus complet, tous les 2 ou 3 ans...»
     «2. En ce qui conerne la contamination radioactive des sédiments, il apparaît nécessaire que des études plus poussées soient réalisées et établissent le devenir et la distribution actuelle très exacte de certains radioéléments, tout particulièrement le plutonium».
     Et finalement il insiste :« Nous insistons sur l'insuffisance des connaissances en courantologie et en écologie du plancton».
     En clair toutes ces remarques signifient que le suivi de la dispersion des radioéléments éventuels n'est pas fait. Il ajoute également que les comparaisons avec l'état de l'Atoll avant 1965 et maintenant n'ont jamais été publiées.
     Il remarque que les équipes qui font un suivi radioécologique «... ne sont pas chargées de suivre les modifications géomorphologiques, et leurs conséquences sur l'écologie du lagon et de l'atoll...», or comme il conclut «S'ils n'ont rien à voir avec les aspects radioécologiques, il n'empêche qu'ils ont des répercussions considérables...». On ne peut que demander pourquoi les études ne sont pas faites.
     Il termine son rapport par cinq remarques
     - Fangataufa:
     et c'est pour souligner qu'il faut des études avant d'y refaire des essais. On peut juste s'interroger sur une phrase «un apport indirect mais terriblement intéressant économiquement  des  expérimentations  nucléaires souterraines...». Ça c'est un avis, on peut ne pas le partager du tout et penser que l'on pouvait aider les populations du Pacifique sans passer par cet intermédiaire: les essais de bombes.
     - Les contacts avec les élus polynésiens: il en souligne la nécessité et insiste pour qu'ils puissent participer. Souhaitons qu'on l'entende.
     - Les modifications de l'environnement: s'il et certain qu'il faut distinguer les effets dus aux essais des effets dus à la venue de 3.000 personnes sur un atoll isolé - comme les uns entraînent les autres - il faut tout de même tout étudier et en tenir compte.
     - Les réponses à des questions posées. Là il est clair qu'il n'a pas été répondu à toutes ses questions et que son rapport ne peut pas être complet et ceci amène sa dernière remarque
     - Le caractèrç préliminaire du rapport.
suite:
     5. Rapport de Pellerin
     Rien de bien spécial dans ce rapport sauf peut-être une anecdocte:
     «J'ai fait effectuer, sur la terre ferme et dans le lagon, une série de prélèvements...» et où a-t-on fait ces prélèvements: au mess des officiers (!!!).
     Il ajoute tout de même que la tempête a dispersé «d'anciens déchets porteurs de radioactivité alpha», ce qui veut dire que du Plutonium est dans le lagon.

     5. Rapport de Lambert
     Il reconnaît que pour le tir du 27 juin 1982:
     «dans ce cas particulier aucune trace de contamination n'était détectable autour du puits, à ce moment...», mais nous pouvons ajouter que le tir en question fut de faible puissance et que par ailleurs Lambert reconnaît que certains prélèvements ne sont pas faits et puis il accumule ~s précautions. Il ajoute d'ailleurs à propos du rapport 1981:
     «Malheureusement je dois émettre les plus extrêmes réserves sur la rédaction proprement dite de ce rapport qui ne respecte pas les règles habituelles des publications scientifiques...»
     Bien sûr il suppose que c'est du à «un excès de modestie du personnel». Mais surtout il souligne le manque d'articulation entre les trois services, il en veut pour exemple les résidus de Plutonium dispersés par la tempête de mars 1981, pour lesquels finalement on a du mal à connaître la quantité et dont on n'a pas fait un suivi.
     Finalement dans sa conclusion, on trouve ce passage qui paraît inquiétant:
     «les programmes de mesures sont heureusement plus complets qu'il n'y parait à la lecture des rapports publiés. Les résultats qui m'ont été communiqués (soulignés par la Gazette) tendent à montrer que rien, ou presque, n'est émis dans l'environnement...».
     Fort bien, mais si on n'a pas tout communiqué...

     7. Rapport de Vie Le Sage
     Il émet deux réserves importantes:
     a) l'absence d'investigations systématiques sur l'eau du point.
     b) la faiblesse de la stratégie en cas d'incident de tir.
     Et il souligne que «... l'entraînement de 10 à 20 kg de Plutonium ne semble pas avoir fait l'objet d'études particulières».
     Dans son rapport il y a une remarque inquiétante en ce qui concerne le suivi des personnels:
     «le fait que seul un nombre limité d'agents soient équipés de dosimètres lorsqu'ils sont appelés dans des «zones à risques...».
     Pourquoi tous les agents n'ont-ils pas de dosimètres en zone à risque?

p.18

     8. Conclusions des commentaires
     Il est clair que le rapport complété par ces annexes n'est pas si rassurant qu'on a bien voulu le faire croire. Il souligne un certain nombre de points et à leur lecture on ne peut que s'insurger sur le fait que la mission longue durée n'ait pas encore été faite.


Retour vers la G@zette N°67/68