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N°67/68

IV. EXTRAIT DU DOSSIER CFDT
19 octobre 1981
 

Section syndicale de B-III (Moruroa)
     «Certaines informations de ce tract sont classées «Secret Défense». La Section C.F.D.T. de B-II a une idée claire à ce sujet: tout ce qui concerne la sécurité du personnel à MORUROA, comme ailleurs, ne peut pas rester secret».

Contamination à Moruroa

Historique
     Au cours des campagnes de tirs aériens, il avait été procédé à des tirs appelés «tirs de sécurité» (tirs destinés à vérifier le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité d'une arme en cas d'accident), au-delà de la zone de Moruroa, baptisée «Denise». Ces essais avaient lieu sur terre et non au-dessus du lagon, comme pour les tirs nucléaires. Ils n'entraînaient pas de réaction de fission ou de fusion nucléaire, mais provoquaient, entre autre chose, la dispersion du plutonium, pulvérisé par l'explosion chimique - on peut estimer à plusieurs kilogrammes, la quantité de plutonium mise en jeu par ces essais -.
     A la suite de ces tirs, et pour éviter que le plutonium pulvérisé, transporté par le vent, ne vienne contaminer l'ensemble de l'atoll, les autorités de l'époque décidaient de procéder à la fixation du Pu au sol, en faisant effectuer un goudronnage des zones contaminée. Ce faisant, les autorités répondaient aux besoins immédiats de non extension de la contamination, mais pensaient-elles que le Pu resterait ainsi fixé, pendant des millénaires? (période du Pu = 24.400 ans).
Les faits
     Le 12 mars 1981, une tempête d'une rare intensité se déploie sur Moruroa. Des habitations de Base-vie sont évacuées en pleine nuit, parce que menacées par l'eau. Le lendemain matin, on constate le désastre:

suite:
     · Désastres matériels évidents: des shelters détruits, des installations essentielles à la vie à Moruroa très endommagées (distillation de l'eau de consommation), des véhicules emportés, etc., etc. Certains quais sont déchaussés, etc., etc.
     · Désastre sur l'environnement: le goudron fixant le Pu a été arraché, il s'est répandu sur le lagon et poussé par le vent de Nord-Ouest, il s'est dispersé sur les plages de Moruroa. Ainsi le goudron fixateur de Plutonium est devenu le véhicule du Pu, sous l'effet de la tempête.
     Les fûts contenant des déchets radioactifs (gants, bottes, vêtements...) ont été également emportés et répandus sur le lagon où ils se déplaçaient au gré du vent, comme des bouchons.

Comment sont rapportés ce événements en métropole
     Des missionnaires revenant de Moruroa rapportent ces nouvelles. Des discussions s'engagent. Des questions se posent:
     «On voit des personnes en tenue chaude parcourir la plage de Base-vie avec des appareils de détection et pourtant la plage n'est pas interdite... Pourquoi?
     Ces contrôles sont-ils positifs, négatifs, secrets ?
     Tous les autres rivages et plattier sont interdits. Pourquoi la plage de Base-vie ne l'est-elle pas ?
     Pourtant, selon la direction du vent, Base-vie aurait du être arrosée
     Certains farés ont été envahis par l'eau. Sont-ils contaminés ?
     Tous les animaux qui nous entourent et qui errent partout (chiens, chats, mouches, rats, etc.) ne transportent-ils pas de la contamination, eux aussi?»

p.28

L'information officielle
     Le 18 mai 1981: Un C.H.S. a lieu, mais... aucun bilan sérieux n'a pu encore être fait. «Des barbelés sont posés pour interdire certaines zones. Le ramassage de tous les débris ayant pu véhiculer du Pu s'avère être une tâche extrêmement difficile et compliquée, du fait de la petitesse des grains de Pu, de la difficulté de les détecter et de la quantité de débris».
     Le 16 juillet: Une réunion est provoquée par la direction des Essais. Elle réunit tous les représentants syndicaux, représentants du personnel et Conseillers d'unité que l'on a pu trouver sur le Site. Pour la Direction des Essais, il s'agit de rassurer les gens: «Le plutonium ne pouvant se dissoudre dans l'eau, le Directeur n'interdit pas les baignades et autres jeux d'eau qu'il consirère comme nécessaires au moral des travailleurs. Le plutonium se dépose sur les plages, porté par le goudron, il ne faut pas en ingérer de quelque manière que ce soit». Les autorités du C.E.A. auraient désiré que toutes ces informations secrètes puissent être élargies par une classification «confidentielle». Les autorités militaires s'opposent à ce désir et maintiennent le «Secret Défense».
     Le 4 août 1981:Le Ministre de la Défense Charles HERNU, fait une visite sur le Site. Des sanctions sont prises à l'encontre du responsable du S.M.S.R. (Service Mixte de Sécurité (civil et militaire- Radiologique). On demande au C.E.A. de prendre une sanction semblable contre le chef du S.P.S. (Service de Protection des Sites). Ces deux services étant chargés de la protection radiologique sur le Site de Moruroa. Le C.E.A. s'exécute: le chef du S.P.S. est limogé. Le Ministre de la Défense donne des instructions pour que toutes ces affaires restent «Secret Défense». (certains déchets sont mis en fût, d'autres... sont brûlés... !)
     Le 22 septembre 1981: Devant ces problèmes de contamination et de mutation arbitraire, les personnels des Essais menacent de grève la Direction du C.E.A. si ces mesures de mutation ne sont pas rapportées. La Direction des Essais confirme les informations que nous connaissons, précise qu'elles sont «Secret Défense» et indique qu'il ne sera pas possible de rapporter les mesures de déplacement puisque ce sont des décisions «politiques» prises par le Ministre de la Défense. Quant aux mesures de protection à prendre, la Direction du C.E.A. s'interroge: Faut-il interdire la baignade? Faut-il construire un mur le long du lagon à Base-vie, avec les conséquences que cela entraînera sur la qualité de la vie? Une digue serait renforcée ou construite côté Océan pour protéger Base-vie des tempêtes et des vagues, pouvant provenir de Fangataufa si on rouvre ce champ de tir.

Le point sur le plntonium
«Dossier électronucléaire» S.N.P.E.A./C.F.D.T. -Editions du Seuil.
     Le Pu 239 est l'isotope le plus courant. Période : 24.400 ans. Activité: 6,2 centièmes de curie par gramme
     Le danger le plus grand est celui de l'induction de cancers des os et des poumons. Des expériences de laboratoire montrent que des cancers peuvent être provoqués sur des souris, rats ou chiens, par des mises en contact prolongées avec des quantités de Pu dont l'activité est de quelques micro-curies.
     Quantité maximale admissible dans l'organisme entier défini par la C.I.P.R. (Commission International de Protection Radiologique):
     0,04 micro-curie (4 centièmes de millionième de curie) soit
     0,68 microgramme (68 centièmes de millionnième de gramme).

suite:
     L'utilisation et la manipulation du Pu doivent donc être faites dans des conditions de confinement très strictes si on veut éviter le risque de contamination des travailleurs et de la population.
     La quantié maximum inhalable annuelle pour les travailleurs est:
     - Pour le Pu soluble:
     4,3 10-3 micro curie     7 10-2 microgramme
     (4,3 milliardème de curie)  (70 milliardième de gramme)
     - Pour le Pu insoluble:
     9,5 10-2 microcurie     1,54 microgramme
     (95 milliardième de curie)  (1,54 millionième de gramme)
     Cette toxicité très élevée est due non seulement à l'émission de particules gamma très destructives, lorsqu'il y a contamination interne, mais aussi à la période biologique (temps d'évacuation d'un produit par le corps humain) très longue, de l'ordre de 100 ans pour le squelette et un an pour le poumon.
     Pour les travailleurs, le risque le plus grand est la contamination par pluie ou par inhalation de poussière. Pour le public, le risque est lié à l'ingestion par une contamination initiale de l'eau, ou des sols, puis par une absorption par les plantes, les algues ou les animaux.
     La présence du Pu dans l'environnement est actuellement due aux retombées des explosions nucléaires: 5 à 11 tonnes de Pu 239, répartis sur la terre entière. L'introduction de Pu dans l'organisme peut se faire par la chaîne alimentaire. Le Pu peut être concentré par des organismes marins, en particulier, des varechs géants et le plancton. Certains poissons ont des teneurs en Pu 5 fois plus élevés que les mers où on les pêche. Les moules peuvent le concentrer jusqu'à 300 fois.
     Certains accidents ont provoqué la dispersion du Pu sur terre. Ainsi, à PALOMARES (Espagne), un avion transportant des bombes atomiques s'écrasa au sol. 2 bombes sur 3 furent endommagées, l'une d'elles fut détruite par l'explosion de la charge conventionnelle.
     De l'uranium et du Pu brûlèrent. De vastes territoires furent contaminés. 100 m3 de débris de plantes, 300 m3 de terre furent évacués aux U.S.A. pour y être stockés.

Et maintenant
     La section C.F.D.T. de B-III demande:
     1. Qu'un contrôle systématique radiologique du personnel de Moruroa soit effectué, en particulier Spectro X.
     2. Qu'un inventaire de tous les personnels, civils et militaires, présents sur le Site, soit effectué pour préserver leurs droits à maladie professionnelle, vis-à-vis de la Sécurité sociale.
     3. Que des mesures de protection du personnel soient prises et indiquées.
     4. Que des mesures concernant la contamination des différentes zones de Moruroa soient publiées.
     5. Que le «Secret-Défense» couvrant ces affaires soit levé. Pas de secret pour la sécurité.
     6. Qu'un rapport détaillé soit établi par une commission d'études spécialisée comprenant les représentants du personnel (commission du C.H S.).

p.29

Et pour l'avenir
La section C.F.D.T. de B-III pose les questions:
     · Après la dégradation des flancs de l'atoll qui s'écroulent en provoquant des vagues,
     · après l'enfoncement généralisé de l'atoll dans l'océan,
     · après les graves accidents de la cuve MEKNES, lors d'une contamination au Pu,
     · après la contamination générale de Moruroa au Pu, ce qui constitue une grave catastrophe écologique et une menace pour la santé de milliers de travailleurs, civils et
militaires,

QUE VA-T-ON FAIRE DE MORUROA? VA-T-ON CONTINUER A TIRER DANS CES CONDITIONS?
VA-T-ON CONTINUER A EXPOSER LES GENS QUI TRAVAILLENT A MORUROA A TOUS LES DANGERS?
VA-T-ON REMETTRE DANS QUELQUES ANNEES UN SITE INVIVABLE AUX POLYNESIENS, AVEC TOUTE CETTE CONTAMINATION, SANS INFRASTRUCTURE DE CONTROLE?
QUE DEVIENDRA MORUROA DANS L'AVENIR (Période du PU: 24.400 ans): TOUS LES GOUDRONNAGES, CIMENTS, NE RESISTERONT PAS A TOUTES CES ANNEES?

     Les campagnes d'essais ne doivent pas se faire au détriment: de la santé, de la sécurité des travailleurs et des populations et au mépris de l'environnement.

LE SECRET NE SAURAIT COUVRIR DE TELLES PRATIQUES

Commentaires

     Le dossier de la C. F.D.T. date du fameux raz-de-marée de mars 1983. Qu'a-t-on fait?

     Il y a eu une mission Tazieff, puis une mission Atkinson mais à part cela tout a été enfoui dans le secret. Où en sont les études épidémiologiques, où en est le suivi des personnels?

     Le «Secret Défense» ne peut pas tout engloutir, il faut tout de même que nous fassions les choses correctement. N'oublions pas que les premiers essais ont eu lieu dans le Sahara à Reggane (essais aériens) et In Amguel (essais souterrains). Des incidents ont ou lieu en particulier lors du 2ème essai. Que sont devenus les militaires du contingent qui ont été contaminés? Qui assure le suivi radiologique du site?

     Notre société crée des déchets et ne sait pas les gérer. Qu'ils soient militaires ou civils nous sommes tous responsables. Ce n'est pas assurer notre survie que de continuer à procéder de cette façon irresponsable.

p.30

CONTAMINATION ZÉRO OU INFORMATION ZÉRO
article envoyé au journal Le Monde
 
     L'action de sabotage perpétrée contre le Rainbow Warrior a orienté pour quelques instants les projecteurs de l'actualité sur les atolls de Moruroa et Fangataufa, centres   d'expérimentation nucléaires du CEA.
     Donc, à cette occasion, la presse, dont Le Monde, a présenté des extraits du rapport rédigé par M. Haroun Tazieff à l'issue de la mission scientifique exploratoire qu'il effectua du 25 juin au 3 juillet 1982 (26 au 28 à Moruroa) en compagnie de MM. Goguel, Lambert, Pellerin, Sabatier, Salvat et Vie Le Sage.
     «Contamination zéro» titre la presse, en reprenant les deux pages de conclusion du rapport avec complaisance et sans la moindre curiosité.
     Sans curiosité parce que tout journaliste expérimenté sait (ou devrait savoir) qu'un rapport remis par des personnalités officielles va quasiment toujours dans la direction souhaitée par le pouvoir qui le demande. Mais le journaliste devrait savoir que les dites personnalités lorsqu'elles sont honnêtes ou parce qu'elles ont mauvaise conscience, se défoulent dans les annexes. Et c'est là qu'il faut aller chercher l'information.
     Et si j'écris que la presse, dans son ensemble, a fait chorus avec complaisance, c'est parce que cela va dans le sens de la désinformation générale pour tout ce qui concerne le secteur militaire et encore plus nucléo-militaire.
     Rappelons que la mission sur le site fut de 3 jours et que les seules données techniques sur lesquelles s'appuient nos experts sont celles fournies par les autorités du centre d'essai.
     Le rapport précise d'ailleurs que «si la compétence technique du personnel et sa conscience professionnelle sont de tout premier ordre, l'absence d'équipe scientifique chargé de piloter les programmes, d'interpréter et de publier les résultats (ou certains d'entre eux) se fait cruellement sentir».
     On peut donc rester rêveur quant à l'absence de contamination puisqu'il est écrit que «de telles fuites accidentelles contribueraient de façon certainement négligeable à la radioactivité de l'environnement. Cependant les programmes de mesures actuels ne permettraient pas d'estimer la quantité de radioactifs dégagés ni de prévoir leur sort ultérieur dans le milieu marin. Seule leur très vraisemblable innocuité serait constatée».
     Nous voyageons dans le rapport de sentiments en assurances:
     «il m'a été assuré que 99,9% des produits de fission... sont piégés  dans  le  verre naturel...», «il ne semble pas y avoir de risques de pollution radioactive dans l'état actuel des expériences».
suite:
     Il y a quelques aigreurs:
     «En ce qui concerne la surveillance radioécologique, notre expertise se limitait à estimer si les espèces de la flore et de la faune et le milieu inerte étaient correctement surveillées, mais l'expertise sur les valeurs de ces contaminations était en dehors de notre compétence».
     De plus, «les prélèvements de plancton côté océan, en face des points de tir se font sans aucune connaissance de la courantologie sur les pentes externes...
     Il s'agit d'une grave lacune das nos connaissances fondamentales qui ne permet pas un programme de surveillance rigoureux et qui se révélera catastrophique si une fuite est détectée...»
     Un autre expert, qui a participé à la réouverture du site après le tir du 27 juin, écrit avec une extrême prudence:
     «Dans ce cas particulier, aucune trace de contamination détectable autour du puits, à ce moment».
     On comprend sa prudence puisqu'il écrit ailleurs «seules des information orales m'ont appris...» et il explose enfin «malheureusement je dois émettre les plus extrêmes réserves sur la rédaction proprement dite de ce rapport (1981) qui ne respecte pas les règles habituelles des publications scientifiques...».
     De toute façon, le centre d'essai du Pacifique n'est pas polluant bien que «l'entraînement de 10 à 20 kg de plutonium provenant des précédentes expérimentations aériennes, lors de la tempête de mars 1981, ne semble pas avoir fait l'objet d'études très particulières».
     Revenons au dernier paragraphe de la conclusion générale:
     H.Tazieff y écrit: «les différentes observations contenues dans ce rapport devront être prises en compte pour définir le programme de la
mission de longue durée qui doit faire suite à cette mission exploratoire.
     La mission exploratoire date de juin 82, nous sommes à l'été 1985 et rien n'a été fait!
     Ceci fait partie de la tactique.
     A l'issue d'une visite guidée et commentée de quelques jours, que peuvent dire les membres de la mission, à moins de faire des procès d'intention? Rien d'autre que d'émettre quelques réserves qui seront levées à l'issue d'une étude de longue durée.
     Une fois la mission exploratoire rentrée au bercail, le rapport préliminaire publié, tout gouvernement qui se respecte s'en tient là. Et le tour est joué.
     Le rôle des médias, sauf s'ils sont complices, c'est d'empêcher le couvercle de retomber.
     Dans l'état actuel, les titres des articles parus dans la presse, auraient du être «Zéro ou l'information sur Moruroa».
Monique SENÉ
Physicienne,
Présidente du Groupement de
Scientifiques pour
l'information sur l'Énergie
Nucléaire (G.S.I.E.N.)
p.31

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