La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°76/77 
BRUYERES-LE-CHATEL
OU LA FUITE VOLONTAIRE
(expérimentation sur cobaye humain)


A. Introduction

     Bruyères-le-Chatel est un joli village situé à une trentaine de km de Paris, non loin de l'autodrome de Linas/Montlhéry.
     Il était connu surtout pour les graines sélectionnées produites par la maison Simon avant que ne vienne, en 1956, s'y installer un établissement de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA.
     Suivant les traditions, il fut question à l'époque de l'implantation d'une usine de fabrication d'appareils électroménagers. Mais, lorsque les journalistes locaux de la Marseillaise de Seine et Oise vinrent sur le terrain, ils eurent la surprise de se faire virer énergiquement par des gardiens déjà musclés à l'époque, qui n'hésitèrent pas à détruire les appareils photo.
     Depuis, pour tout le monde dans la région, c'est le CEA et c'est là qu'on fait la bombe. Difficile d'approcher car le site est muni d'une double enceinte électrifiée, enserrant un chemin de ronde où circulent des patrouilles de maîtres-chiens avec leurs fauves.
     Les langues de la région parlent de blokhaus souterrain très profond pour y faire on ne sait trop quels essais. Le site, dans le jargon CEA, c'est BII. Et suivant les habitudes, il y a plusieurs niveaux de «secrets» qui vont de la zone où les physiciens extérieurs au CEA peuvent assister à des séminaires, à celles où travaillent les "gugusses" qui jouaient avant à Reggane et Im Angel, qui jouent maintenant à Moruroa et Fangatoufa.
     Dans le vocabulaire officiel, c'est une INB secrète (Installation Nucléaire de Base dépendant du CEA et de l'Armée), établissement en dérogation pour tout ce qui concerne étude d'impact, enquête publique par rapport aux INB «standard», elles-mêmes en dérogation par rapport au droit administratif courant (voir le décret particulier de 1974 qui annule un article de la loi de 1964, cité dans la Gazette 61 comme un prodigieux montage anticonstitutionnel!).

suite:
     C'est si dérogatoire que nos nécrocrates se sont assis sur les prescriptions du BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) et, en totale infraction avec les règles, s'alimentent en eau par un forage dans une nappe profonde de très grande pureté, nappe en principe super protégée. Après avoir fait passer cette eau dans leurs circuits de refroidissement, le centre la rejette dans les égouts. Anodin, direz-vous. Eh bien non. Réfléchissez c'est un véritable crime contre les générations futures. Il faudra bien qu'un jour les hydrogéologues du BRGM sortent de leur réserve pour expliquer au grand public les problèmes de la gestion des nappes d'eau.
     C'est donc à BIII que l'on vient d'inaugurer une nouvelle (?!) pratique. On vient d'y réaliser des expériences de dispersion de produits radioactifs dans l'environnement pour étudier la reconcentration.
     C'est génial on utilise la population comme cobaye. Oh, bien sûr pas grand chose, 1 g de tritium. Cela ne fait guère que de l'ordre de 10.000 Ci (370.000.000.000.000 Bq). Et puis comme on n'avait pas dû bien voir la manip a été recommencée!
     La première opération consistant en 2 lâchers de 2 à 3 semaines d'intervalle était programmée en mai 86. Mais les russes ont tout saboté avec Tchernobyl. Qu'à ne cela tienne, l'essai a été repoussé à septembre 86.
     La seconde opération vient d'avoir lieu début avril 87.
     Il faut lire le papier du CEA, envoyé à la Mairie de Bruyère -le- Chatel et reproduit dans le bulletin municipal:
     «...le risque radiologique lié au tritium sous forme d'eau tritiée est plus élevé que le risque dû au tritium sans forme gazeuse du fait de l'assimilation rapide de l'eau par l'organisme.
     L'objectif de cette étude est la mesure du taux de conversion au tritium en eau tritiée dans l'environnement en se rapprochant le plus possible des conditions d'exploitation d'un réacteur de fusion...
     Les résultats ne sont bien entendu pas connus à l'avance... on obtiendrait un risque d'exposition théorique égal à 0,2 millirem pour le point le plus exposé, situé dans les champs...».
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     On peut se poser toute une série de questions, mais au préalable il faut affirmer: IL EST INADMISSIBLE DE SE LIVRER A UNE EXPERIMENTATION DE CE TYPE EN UTILISANT LE PUBLIC COMME SUJET D'EXPERIMENTATION.
     Imagineriez-vous l'Institut Pasteur flanquer le SIDA à la population pour expérimenter ses vaccins? Non, et l'Institut non plus bien sûr.
     La deuxième question qui vient ensuite est la suivante puisqu'on affirme aujourd'hui ne rien savoir du taux de conversion du tritium gazeux en eau tritiée: sur quelle base scientifique ont été fixées les limites des rejets pour les centrales et pour La Hague ?
     Rappelons que pour 4 tranches de 1.300 MWe (Cattenome par exemple), l'autorisation est de 89.000 Ci pour les gaz rares + tritium (hors halogènes et aérosols), ce qui donne environ 200 Ci de tritium pour une tranche par an.
     Nos militaires ont vu large 50 fois plus, soit en un lâcher, le maximum autorisé pour 50 réacteurs en un an
     Il serait temps de s'inquiéter de savoir quels sont les processus de transfert et on peut s'étonner que, compte tenu de l'ignorance où on se trouve, on utilise de pareilles quantités pour des «manips».
     Si sur le plan de l'éthique c'est inacceptable, sur le plan scientifique ça n'a pas de sens.
     Comment peut-on espérer interpréter quoi que ce soit avec une expérimentation comportant tant de paramètres non dominés.
     C'est d'autant plus stupide que le centre du CEA de Cadarache est remarquablement bien équipé pour faire des études de radioécologie avec des serres, des élevages, des plantations, etc..., toutes choses ou on peut faire varier les paramètres 1 par 1 et savoir ce qu'on fait.
     De toute façon, comme c'est à Cadarache que doit se construire Tore Supra, la machine à fusion thermonucléaire à aimants supra conducteurs, c'est sur la végétation de cette région qu'il vaudrait mieux tester le cycle du tritium.
     Une autre remarque, cette fois sur les rejets de tritium des machines à fusion qu'on nous promet pour l'an 2000 (enfin peut-être). Depuis longtemps nous répétons qu'il est faux d'affirmer que ce sera une source d'énergie non polluante. En fait, ces réacteurs vont pisser le tritium*. Il va s'en échapper des quantités énormes et ce indépendamment des volumes importants de métaux activés qu'il faudra stocker (pour des millénaires) chaque année.
     Nous vous donnons donc en information les pages du bulletin municipal de Bruyères-le-Chatel ainsi que des extraits d'une publication sur le tritium.
     Dans cette publication, il y a plusieurs remarques fort importantes sur l'action du tritium et en particulier le fait que lorsque le tritium entre dans la composition des molécules de structure, on peut considérer, pour les plantes, qu'il est fixé à demeure, c'est-à-dire durant toute leur vie. Qu'en est-il pour les humains?
     Bonne lecture.

* Le tritium est un isotope de l'hydrogène. Il a donc les mêmes propriétés chimiques, en particulier celle de diffuser avec allégresse à travers tous les métaux et ce d'autant plus que la température est élevée.
suite:
B. Article publié en septembre 1986
dans le journal municipal de Bruyères-le-Châtel

     Le Centre d'Etudes du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique) de Bruyères-le-Chatel nous communique l'article ci-après destiné à la bonne information de la population de Bruyères
     Le Centre d'Etudes de Bruyères-le-Chatel, plus connu sous le nom de BIII qui, depuis sa création, en 1956, travaille au profit de notre force de dissuasion, s'ouvre progressivement à des activités plus pacifiques.
     Déjà une partie de ce Centre bénéficiait, depuis 1973, d'un statut particulier; l'accès dans cette zone dite «zone ouverte» était facilitée aux chercheurs français et étrangers, qui collaborent à des travaux de recherche en physique nucléaire. C'est ainsi que chaque année, le Centre reçoit des stagiaires étrangers. Le Laboratoire de Physique Nucléaire mondialement connu est l'un des mieux équipés pour l'étude des interactions entre les neutrons et les noyaux des atomes.
     Le Laboratoire de Détection et de Géophysique, également basé à Bruyères-le-Chatel, est chargé de la surveillance sismique du territoire national. Il participe à des études sismiques de sites en France et dans le monde. Il a installé des réseaux à la demande de plusieurs pays d'Afrique et a travaillé pour la Chine ainsi que pour d'autres pays d'Extrème Orient. Ses experts sont actuellement en Equateur où ils étudient l'implantation d'un barrage.
     La technologie des matériaux donne lieu aussi à des travaux au profit de l'industrie.
     Actuellement, plusieurs actions sont en cours pour faire bénéficier les Communautés Européennes des connaissances acquises dans la technologie du tritium. Cet acquis, unique en Europe, est particulièrement précieux pour le développement des réacteurs de fusion contrôlée.
     C'est pour cette raison qu'une étude destinée à mieux connaître les risques potentiels du tritium, qui sera présent en grande quantité dans les futurs réacteurs à fusion, a été confiée par les Communautés Européennes aux spécialistes de BIII.
     Rappelons simplement pour éclairer ce qui suit, que le tritium est un «isotope» de l'hydrogène et qu'il lui est de ce fait quasi équivalent du point de vue chimique. Comme tout hydrogène, il peut se combiner à l'oxygène pour former de l'eau.
     Le risque radiologique lié au tritium sous forme d'eau tritiée est plus élevé que le risque dû au tritium sous forme gazeuse du fait de l'assimilation rapide de l'eau par l'organisme.
     L'objectif de cette étude est la mesure du taux de conversion du tritium en eau tritiée dans l'environnement en se rapprochant le plus possible des conditions d'exploitation d'un réacteur de fusion.
     Cette étude consiste à effectuer une expérimentation de deux lâchers contrôlés dans l'atmosphère de tritium gazeux en faible quantité à deux ou trois semaines d'intervalle.
     Afin de pouvoir suivre la formation d'eau tritiée en fonction du temps et de la distance, une trentaine de détecteurs seront mis en place à différentes distances du point d'émission (voir carte) à proximité immédiate du Centre et dans la zone du Camp Militaire.

p.3

zones de mesures

     Au total, nombre de conditions sont à remplir pour effectuer une telle expérience:
     Il faut une très bonne pratique des manipulations tritium à tous les niveaux et, en ce qui concerne le site, un terrain favorable à la mise en place des détecteurs dans un secteur précis ; une station météorologique spécialisée est indispensable pour assurer les prévisions en vitesse et 4irection du vent et le suivi de la manipulation.
     Le Centre d'Etudes de Bruyères-le-Chatel répond à ces spécifications. La proximité de la région parisienne permet en outre un accès facile aux différents participants étrangers.
     Le déroulement de l'expérience est prévu à partir du début du mois de septembre 1986.
     Des répétitions de mise en place de matériel ont été effectuées en juillet-août.
     Cette expérience sera dirigée et effectuée par des agents de BIh, avec des renforts d'agents d'autres Centres du CEA.
     Parmi les personnes ou organismes intéressés et effectuant des mesures particulières, on peut citer:
     - différents services de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (CEA)
     - le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (Ministère de la Santé)
     - des représentants de divers pays européens (Allemagne, Angleterre, Belgique, Italie, Suède)
     - un représentant du Canada.
     Les résultats ne sont bien entendu pas connus àl'avance, mais il est possible de déterminer «l'enveloppe» à l'intérieur de laquelle se trouve le risque radiologique maximum.
     Les conditions les plus défavorables que l'on puisse imaginer sont ainsi les suivantes:
     - une période de transformation du tritium en eau tritiée très faible
     - une dilution atmosphérique peu importante et surtout la consommation par une personne «d'une salade» ayant la concentration maximale calculée.
     Dans ces conditions et malgré ces hypothèses irréalistes, on obtiendrait un risque d'exposition théorique égal à 0,2 millirem pour le point le plus exposé, situé dans les champs à quelques centaines de mètres environ du point de lâcher.
     Cette valeur est à comparer à l'exposition due à l'irradiation naturelle qui est de l'ordre de 100 .millirem par an pour les habitants de la région parisienne.
     Les estimations de risque ont été faites d'après les valeurs recommandées par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR). Le modèle de diffusion atmosphérique a été vérifié par des expériences avec un traceur inactif.
     Les autorités et Commission de Sûreté concernées par ce projet ont donné leurs avis et accords sur le dossier d'estimation du risque. Jl s'agit
     - du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI), dépendant du Ministère de la Santé
     - de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN)
     - de la Commission de sûreté des Laboratoires et Usines (CSLU).
suite:
     Ces deux derniers organismes agissant pour le compte du Ministère de l'Industrie.
     Compte tenu de l'absence de risque, aucune mesure particulière n'est à prévoir dans la zone concernée par l'expérience ni pour les expérimentateurs, ni pour les populations.
     Ces nouvelles études civiles effectuées au profit des Communautés Européennes sont toutefois marginales en volume dans les activités du Centre de Bruyères-leChatel, dont les préoccupations essentielles restent liées ànotre armement nucléaire.

C. Suite du roman tritium
(page du journal municipal de mai 87)

La page environnement CEA tritium

     C'est seulement le 31 mars 1987 que la Mairie a été informée par le Centre d'Etudes de Bruyères des résultats de la première phase de l'expérimentation de lâcher de tritium auquel il a été procédé le 15 octobre 1986. Cette expérience avait lieu dans le cadre d'une étude destinée àmieux connaître les risques potentiels du tritium pour l'environnement.
     La seconde phase devrait avoir lieu entre le 15 avril et le 15 mai 87 Si les conditions météorologiques le permettent.
     Ci-après communication «in-extenso» de la note d'information reçue du CEA concernant le premier lâcher de tritium et l'annonce de la deuxième phase de l'expérimentation
     «Dans le cadre d'Etudes de Sûreté liées au développe-ment des réacteurs de fusion, les Communautés Européennes ont confié au Centre d'Etudes de Bruyères4e-Chatel une étude destinée à mesurer dans l'atmosphère la vitesse de conversion du tritium en eau tritiée.
     Les conditions de sûreté de cette expérimentation ont été examinées et ont reçu l'accord des autorités suivantes:
     - M. le Directeur du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI),
     - M. le Haut Commissaire à l'Energie Atomique,
     - M. le Commissaire de la République de l'Essonne.
     Des actions d'information ont été menées au niveau du personnel du Centre ainsi que des représentants des communes avoisinantes, notamment au cours d'une réunion organisée en juin 1986 au Centre d'Etudes de Bruyèresle-Chatel.
La première phase de l'expérience a été réalisée le 15 octobre 1986 et après l'exploitation des résultats, les remarques suivantes peuvent être faites:
     - les conditions expérimentales prévues ont été strictement respectées,
     - les résultats obtenus par les différents laboratoires français et étrangers sont concordants,
     - la vitesse de transformation du tritium dans l'atmosphère est très faible pendant la première demi-heure après le lâcher,
     - c'est ensuite par réémission au niveau du sol que l'on observe de fortes concentrations en eau tritiée,

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     - les conséquences sanitaires, même dans les zones les plus proches sous le vent ont été insignifiantes, de l'ordre de 0,01 millirem (à comparer sur 100 à 200 millirem par an apportés par l'irradiation naturelle). Aucune détection de tritium n'a pu être faite sur les agents ayant participé à l'expérimentation.
     Ces résultats ont été confirmés par le SCPRI
     Conformément aux prévision et suite aux nouveaux accords des autorités concernées, la seconde phase de l'expérimentation est prévue à partir de début avril 1987 en fonction des conditions météorologiques.
     Les conditions expérimentales sont très voisines de celles du 15 octobre 86 et les zones de mesures sont celles indiquées sur le plan page 3.

Extraits de l'article (page 2 à 3 et 7 à 10)

Mesures de tritium de surveillance
de l'environnement
H. Camus - C. Siméon - D. Carrère
Commissariat à l'Energie Atomique
Centre d'Etudes Nucléaires
de la Vallée du Rhône
DPS/GETA

II. Applications

   L'emploi raisonné de ces techniques permet de satisfaire à trois objectifs principaux:
     · Reconstitution de l'historique des rejets tritium sur un site donné.
     · Surveillance «chronique» du niveau d'activité rencontré dans l'environnement au voisinage des installations.
     · Suivi ponctuel de l'évolution d'un rejet exceptionnel.
    En ce qui concerne la reconstitution historique, il est nécessaire de se procurer une «tranche» de tronc d'un arbre ayant poussé dans la région considérée. Ainsi que nous l'avons dit, le tritium fixé à la matière organique de structure l'est «à demeure». En isolant les anneaux ligneux, qui sont chacun formés pendant une année végétative, on isole du même coup le tritium fixé pendant l'année correspondante.

suite:
Aux corrections de décroissante près, les variations de quantité mesurées et exprimées en taux de substitution des hydrogènes par des tritium (Bq de tritium/grammes d'hydrogène) sont représentatives des variations de teneur du milieu.
    A titre d'exemple, nous avons mené ce type d'étude sur un chêne en provenance de la région du cap de la Hague. (Les résultats sont présentés en figure 3.)
     Les Canadiens avaient, en 1978, entrepris ce même type d'expérience sur des conifères de la région de Chalk-River, et avaient, déjà à l'époque, démontré la bonne corrélation entre les pics observés et l'historique comme des rejets tritium.
     On peut parallèlement remarquer que quelques arbres sont marqués par voie atmosphérique, mais également par voie racinaire. Ainsi, la vitesse de décroissance de l'activité à partir d'un pic isolé donne des informations sur la vitesse d'auto-épuration de la nappe.
     En ce qui concerne la surveillance «chronique» de l'environnement, il est bon de rappeler qu'elle est actuellement effectuée par analyse des eaux souterraines ou de l'eau libre de la végétation. Or, nous savons que la période biologique du tritium dans cette fraction végétale est de l'ordre de 2,5 jours. Un suivi efficace devrait être mené à partir de prélèvements au moins hebdomadaires ce qui conduit à l'analyse d'une quantité impressionnante d'échantillons.
     Nous proposons de remplacer en partie cette méthode par une analyse annuelle de la fraction non labile* du tritium fixé sur des rameaux d'arbres ou d'arbustes. Le prélèvement doit avoir lieu en hiver, et le résultat d'analyse représente une fraction de l'intégrale des quantités présentes dans le milieu tout au long de l'année.
     Au sujet de cette expérimentation de lâcher de tritium du 15 octobre 1986 et de l'information faite aux Bruyérois, ou plutôt de leur non information selon la lettre d'un parti politique distribuée dans notre commune fin mars 1987,... sans vouloir entamer de polémique, il paraît cependant nécessaire de rétablir la vérité et de rappeler que dans le Bulletin Municipal n° 5 de septembre 1986, trois pages étaient consacrées à cette étude et que l'information a été donnée avant le début de l'expérimentation. (dont acte).
* labile: fixé aux molécules organiques, facilement échangeable avec les atomes d'hydrogène.
p.5

Extraits de l'article

Mesures de tritium de surveillance
de l'environnement
H. Camus - C. Siméon - D. Carrère

     Les centrales électronucléaires rejettent, même en fonctionnement normal, une certaine radioactivité dans le milieu environnant. (voir ci-dessous; souligné par la Gazette...)
     L'accident récent survenu à Tchernobyl a montré l'importance de l'environnement en tant qu'interface entre la source de pollution et les activités industrielles ou agricoles.
     La forte densité en installations nucléaires rencontrées dans certaines régions rend souhaitable le suivi permanent des rejets nucléaires et de leur interactions avec les rejets chimiques industriels afin de connaître l'évolution du niveau de marquage de l'environnement, et l'évolution de la capacité de réception du milieu.
     De plus, à fins d'expertise, il pourra être utile de reconstituer l'historique des rejets auxquels aura été soumise une région particulière.
     Pour subvenir à l'ensemble de ces besoins, nous proposons une série de méthodes simples et de coûts modiques, toutes basées sur des mesures d'activité en tritium d'échantillons prélevés dans l'environnement considéré.

I. Données de base
     Le tritium est le radioélément le plus abondamment (hors gaz rares) rejeté au long de presque toutes les étapes du cycle du combustible nucléaire. A titre d'exemple, nous proposons en tableaux 1 et 1 bis les ordres de grandeur des rejets annuels d'un REP de 1000 MWe, et les quantités de tritium produites annuellement, par le retraitement du combustible de ce même réacteur:

TRITIUM Effluents gazeux
 

Effluents liquides

100 - 500 Ci (3,7.1012 - 55.l012Bq)

1.000 - 1.500 Ci (3,7.l013 - 5,5.1013 Bq)

AUTRES RADIOELEMENTS Effluents gazeux

Effluents liquides
 

Gaz rares

< 1 Ci (< 3,7.1010 Bq)

10-50 Ci (3,7.1011 - 1,9.1012 Bq)

50 - 20.000 Ci ( 1,9.1012 - 7,4.1014 Bq)

Tableau 1: Rejets annuels d'un REP de 1.000 MWe
TRITIUM Effluents gazeux
 

Effluents liquides

500 - 2.500 Ci (1,9.1013 - 9,3.1013 Bq)

20.000 Ci (7,4.1014 Bq)

TABLEAU 1 bis: Production annuelle d'effluents pur le retraitement du combustible d'un REP de 1.000 MWe

     Les hôpitaux, les laboratoires de recherche médicale, les laboratoires de biologie cellulaire et certaines industries sont également de grands utilisateurs de tritium. Leurs rejets, licites ou non, sont moins bien connus.
     Ces quantités non négligeables, de rejets autorisés sont, à la lumière des connaissances médicales actuelles, sans effet sur la santé des populations aux niveaux considérés et autorisés.

suite:
     Le tritium est en effet un émetteur bêta «mou», c'est-à-dire que son émission est relativement faible en énergie (au maximum 18 keV), qui ne présente aucun risque d'irradiation externe. Par contre, le fait qu'il soit isotope de l'hydrogène lui confère un fort potentiel de contamination interne (diffusion au travers de la peau, absorption au niveau des plaies ou au niveau des poumons...). Fort heureusement, sa période biologique est très courte: 10 jours environ*, fonction de la forme chimique de la source. L'eau tritiée, qui constitue la majeure partie de la quantité totale rejetée dans l'environnement, suit exactement le cycle de l'eau**. Le risque sanitaire est donc quasi-nul actuellement.
     Ainsi, s'il ne présente que peu d'intérêt sur le plan purement sanitaire, le tritium peut servir d'indicateur et d'outil pour le calcul des rejets radioactifs totaux auxquels est soumise une région donnée. Encore faut-il être en mesure de le quantifier de façon aisée et fiable.
     Pour toutes les opérations de suivi de l'environnement, nous nous intéressons en priorité au milieu végétal, et ce pour des raisons évidentes (pérénité en un lieu donné...). Nous en subdiviserons la matière vivante en trois compartiments: l'eau «libre», composante principalement du cytoplasme; les composés énergétiques et les composés de structure.
     La période biologique du tritium dans l'eau libre des végétaux est voisine de 2,5 jours. De même, en ce qui concerne le tritium entrant dans la constitution des molécules «énergétiques». En ce qui concerne les composés de structure (lignine, cellulose...), on peut considérer que le tritium qui entre dans leur composition y est fixé «à demeure», c'est-à-dire durant toute la vie de la plante***. (sa période biologique égale alors sa période physique, soit 12,3 ans environ).

II. Applications
     L'emploi raisonné de ces techniques permet de satisfaire à trois objectifs principaux:
     · Reconstitution de l'historique des rejets tritium sur un site donné.
     · Surveillance «chronique» du niveau d'activité rencontré dans l'environnement au voisinage des installations.
     · Suivi ponctuel de l'évolution d'un rejet exceptionnel.
     En ce qui concerne la reconstitution historique, il est nécessaire de se procurer une «tranche» de tronc d'un arbre ayant poussé dans la région considérée. Ainsi que nous l'avons dit, le tritium fixé à la matière organique de structure l'est «à demeure». En isolant les anneaux ligneux, qui sont chacun formés pendant une année végétative, on isole du même coup le tritium fixé pendant l'année correspondante. Aux corrections de décroissante près, les variations de quantité mesurées et exprimées en taux de substitution des hydrogènes par des tritium (Bq de tritium/grammes d'hydrogène) sont représentatives des variations de teneur du milieu.
     A titre d'exemple, nous avons mené ce type d'étude sur un chêne en provenance de la région du cap de la Hague.
     Les Canadiens avaient, en 1978, entrepris ce même type d'expérience sur des conifères de la région de Chalk-River, et avaient, déjà à l'époque, démontré la bonne corrélation entre les pics observés et l'historique comme des rejets tritium.


* Note GSIEN: sous la forme associée à des molécules organiques, il semble que la période soit plus longue.
** Note GSIEN: ceci signifie qu'il peut agir partout où il y a de l'eau.
     Notons que le- tritium est rarement relâché seul. Il fait en général partie d'un cocktail caractéristique de l'installation considérée. La connaissance de la composition de ce mélange et de la quantité effectivement rejetée pour l'un des composants peut donc permettre de quantifier le terme source dans sa totalité.
*** Note GSIEN: et pour les humains, si le tritium va jusqu'à la cellule, est-il fixé définitivement? Bien que bêta mou, mon que se passe-t-il?
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     On peut parallèlement remarquer que quelques arbres sont marqués par voie atmosphérique, mais également par voie racinaire. Ainsi, la vitesse de décroissance de l'activité à partir d'un pic isolé donne des informations sur la vitesse d'auto-épuration de la nappe.
     En ce qui concerne la surveillance «chronique» de l'environnement, il est bon de rappeler qu'elle est actuellement effectuée par analyse des eaux souterraines ou de l'eau libre de la végétation. Or, nous savons que la période biologique du tritium dans cette fraction végétale est de l'ordre de 2,5 jours. Ùn suivi efficace devrait être mené à partir de prélèvements au moins hebdomadaires ce qui conduit à l'analyse d'une quantité impressionnante d'échantillons.
     Nous proposons de remplacer en partie cette méthode par une analyse annuelle de la fraction non labile* du tritium fixé sur des rameaux d'arbres ou d'arbustres. Le prélèvement doit avoir lieu en hiver, et le résultat d'analyse représente une fraction de l'intégrale des quantités présentes dans le milieu tout au long de l'année.
     Afin de démontrer la faisabilité de la méthode et sa supériorité par rapport à la méthode «classique» en ce qui concerne l'établissement de bilans annuels, nous avons effectué quelques séries de mesures dans l'environnement de Pierrelatte. Nous avons utilisé des points du réseau de surveillance U et F exploité par le CEA / IPSN / DPS / GETA, et avons effectué deux campagnes par an, l'une à l'automne et l'autre au printemps. Toutes les mesures effectuées sur le tritium «organique» des feuilles de vigne et des graminées sont significatives, ce qui n'est pas le cas de toutes les mesures effectuées sur l'eau «libre». La méthode est donc suffisamment sensible pour être employée dans l'environnement. D'autre part, on remarque que les résultats en tritium «organique» sont beaucoup plus resserrés autour de la moyenne que les résultats «eau libre», et ce pour chacun des prélèvements. Ceci montre bien que dans le cadre du suivi d'une surface importante, les mesures de tritium «organique» sont plus facilement exploitables que celle d'eau libre (plus forte homogénéité pour une date de prélèvement donnée).

     Enfin, à partir de ce même réseau, nous avons prélevé une fois, en fin d'automne, des sarments de vigne. Les résultats sont représentés ci-dessous. On constate que les deux sites nucléaires présents dans la zone (Pierrelatte - Eurodif - Tricastin et Marcoule) sont parfaitement repérables. L'extension de la «tache» du site Tricastin vers le nord-ouest correspond bien à la direction principale des vents par temps calme (donc au dépôt maximum).
     Une démonstration plus complète est prévue pour le mois de janvier 1987, couvrant 1.400 km2 du Nord de Cruas au Sud de Marcoule. Cependant, on peut d'ores et déjà prévoir qu'une densité de prélèvement de l'ordre d'un échantillon pour 10 km2 est parfaitement satisfaisante pour un suivi annuel de l'évolution du niveau de marquage de l'environnement.


* labile: fixé aux molécules organiques, facilement échangeable avec les atomes d'hydrogène.
suite:
     La dernière application des mesures de tritium dans l'environnement est le suivi particulier d'un rejet exceptionnel. Cette fois, le compartiment «eau libre» des végétaux nous semble particulièrement bien adapté. On peut en effet considérer que chaque végétal se comporte comme un réservoir d'eau en équilibre isotopique avec l'eau atmosphérique. Chaque prélèvement est donc représentatif de l'état des lieux à l'instant du prélèvement (à quelques facteurs correctifs pris, dus principalement à la climatologie et à l'espèce végétale choisie). Il va de soi, en ce cas, que l'intervale entre deux prélèvements sur un même point doit être de l'ordre de 2 à 3 jours, ce qui conduit à une quantité importante d'échantillons. Par contre, les résultats sont très précis et le suivi des événements est donc de grande qualité.

Conclusion
     Nous avons vu que le tritium était l'élément radioactif métabolisable le plus rejeté, lors de presque toutes les étapes ducycle du combustible nucléaire. Les techniques de mesure sont actuellement suffisamment fines pour en permettre la quantification dans l'environnement naturel, dans les deux «compartiments» de la matière végétale où il est susceptible d'être intéressant pour le radioécologiste (eau libre et matière organique de structure).
Nous retenons trois emplois principaux de la mesure tritium:
     · Reconstitution de l'historique des rejets auxquels a été soumis un site donné. On emploie alors une coupe d'arbre d'âge suffisant et on en isole les anneaux ligneux. A l'heure actuelle, on peut estimer le prix de revient d'un tel historique sur 30 ans à environ 200.000 F (1986), prélèvement non compris.
     · Suivi annuel de l'évolution du niveau d'activité dans une région: on s'intéresse cette fois à des rameaux «de l'année» prélevés sur des arbres. Un prélèvement suffit pour couvrir une surface de l'ordre de 10 km2; ce qui met le prix de revient du suivi d'une zone de 500 km2 à environ 150.000 F (1986) par an.
     · Etude d'un rejet atmosphérique exceptionnel, par étude de l'eau libre des végétaux placés sous le panache. Le nombre d'échantillons est fonction de l'étendue de l'étude, dans l'espace et le temps. Il est nécessaire, en un point, d'effectuer trois prélèvements par semaine et le prix de revient de chacun (analyse comprise) est d'environ 1.500 F (1986).
     Ces trois méthodes permettent de répondre aux besoins actuels en matière de surveillance tritium, à des prix a priori moindre que ceux en cours et avec une fiabilité largement supérieure aux méthodes «classiques» de mesure dans les eaux souterraines, dans les eaux de pluie ou dans l'eau libre des végétaux.
     Ce système de surveillance permet ainsi de suivre l'évolution de la capacité de réçeption du milieu dans le temps et dans l'espace.
     L'interprétation statistique et mathématique des résultats obtenus fournit une appréciation des tendances à terme et autorise ainsi une véritable gestion prévisionnelle des rejets d'une région considérée.
     Le «canevas» du réseau ainsi constitué peut également servir à toutes mesures effectuées dans le cadre d'une procédure spéciale.

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Isovaleurs d'OBT de la campagne de Sarment 1985

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