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N°90/91
SUPERPHENIX: LA FUITE EN AVANT

LE DECLASSEMENT DE LA CENTRALE NUCLEAIRE DE BRENNILIS
 

      En 1962, le Commissariat à l'Energie Atomique décida de construire EL4, un réacteur prototype à uranium naturel-eau lourde-gaz sur le site de Brennilis dans les Monts d'Arrée. EL4 a divergé le 23 décembre 1966. En 1973, la filière à eau légère sous pression ayant été adoptée pour le programme électronucléaire français, EL4 ne servit plus qu'à la production d'électricité avec une puissance faible (70 Mégawatts).
     On apprend maintenant que cette centrale a toujours été très polluante. D'après le chef du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI), le Prof. Pierre Pellerin, «elle rejetait beaucoup trop de gaz radioactifs par rapport à sa faible production. Cette centrale était carrément hors normes» (témoignage rapporté dans Libération le 11 août 1987). Il faut signaler que Monsieur Pellerin n'a pas l'habitude d'exagérer la pollution radioactive des centres nucléaires. Si l'on croit les propos recueillis par divers journalistes dans la région, il me semble que la population ait été prévenue de ces fuites radioactives.
     Brennilis a démarré avant que les diverses procédures d'autorisations liées aux installations nucléaires de base aient été mises en place. Il n'y avait donc aucune autorisation de rejets radioactifs qui imposait des limites. Le Prof. Pierre Pellerin ne semble pas avoir fait quelque tentative que ce soit pour normaliser une situation que maintenant il trouve anormale.
     EL4 a été définitivement arrêtée le 31 juillet 1985. En 1986, son périmètre a été officiellement modifié. Les Salaisons de l'Arrée se sont installées sur le terrain ainsi libéré dans le voisinage immédiat du réacteur. La référence à Brennilis améliorerait-elle l'image de marque de la charcuterie bretonne?
     Le déclassement (ou démantèlement) de EL4 est une première pour la France et cela pose quelques problèmes.

1. Aspects réglementaires du déclassement des installations nucléaires de base
     L'article écrit par F. Habib du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires, dans la Revue Générale Nucléaire de mars-avril 1985, donne quelques indications sur la réglementation française en matière de déclassement:

... «La réglementation nucléaire française est fondée sur le décret du 11 décembre 1963, modifié par le décret du 27 mars 1973; elle subordonne la création ou la transformation d'une installation nucléaire de base à une autorisation délivrée par un décret signé du Premier ministre. 
     Plus précisément, l'article 6 de ce décret précise «qu'une nouvelle autorisation... doit être obtenue... lorsque l'installation nucléaire de base doit faire l'objet de modification de nature à entraîner l'inobservation des prescriptions préalablement imposées». Ceci est à l'évidence le cas dès le début des travaux de déclassement.
suite:
     Cette autorisation n'est accordée qu'après une évaluation technique de la sûreté des dispositions prévues par l'exploitant, sur la base de l'examen d'un rapport de sûreté décrivant les travaux à effectuer et montrant que les précautions prévues seront suffisantes pour éviter de faire courir des risques notables au personnel ou à l'environnement.
     Selon l'état final auquel l'exploitant amènera l'installation, celle-ci pourra constituer une installation nucléaire de base ou non.
     Il faut, en effet, noter que le décret du 11 décembre 1963 précité classe comme installations nucléaires de base:
     - les réacteurs nucléaires,
     - les grands accélérateurs de particules,
     - les usines de préparation, de fabrication ou de transformation des substances radioactives,
     - les installations destinées au stockage, au dépôt ou à l'utilisation des substances radioactives, y compris les déchets.
     La pratique administrative consiste alors à ne délivrer l'autorisation qu'au terme de la procédure instituée par le décret de 1963 déjà cité; cette procédure prévoit notamment une information des populations concernées sous la forme d'une enquête locale.
     Le déclassement du réacteur de Chinon El4 a été couvert par une telle procédure.»...
     Le déclassement d'un réacteur change la nature des risques et la finalité de l'installation; administrativement, elle doit donner lieu à une nouvelle autorisation de création qui, obligatoirement, dans ce cas, doit être précédée d'une enquête publique locale. Jusqu'à présent, une telle procédure n'a pas été engagée.

2. Les travaux en cours à Brennilis concernent-ils un déclassement ou simplement un arrêt définitif ?
     a) Différentes informations font état explicitement d'un démantèlement. Par exemple le compte rendu de la 17e réunion du Conseil de Direction de l'IRDI (Institut de Recherche Technologique et du Développement Industriel) du 29 octobre 1987 à Saclay indique au chapitre «Mission Déclassement»: «M. Chatoux (Directeur de l'IRDI et président du Conseil de Direction) fait le point des discussions actuellement en cours avec EDF en ce qui concerne le démantèlement du réacteur EL4».
     b) L'ampleur des travaux entrepris depuis l'arrêt définitif (le 31 juillet 1985) correspond à un véritable démantèlement et non pas à une simple mise à l'arrêt définitif pour laquelle il s'agit essentiellement d'une évacuation du combustible

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     c) Le personnel gardé sur place est important (environ 60% du personnel initial). Il est envisagé pour ce personnel des travaux de surveillance, voire de sûreté radiologique.
     d) Certains incidents rapportés par le «Bulletin sur la Sûreté des Installations Nucléaires (SN)» du Ministère de l'Industrie, montre bien qu'il s'agit de travaux différents d'une simple mise à l'arrêt définitif.
     Il est rappelé que cette centrale est à l'arrêt définitif depuis le 31 juillet 1985. Le déchargement des éléments combustibles irradiés du réacteur se poursuit.
     La période considérée a été marquée par:
     - l'ouverture accidentelle de deux emballages, le 16 mai 1986, lors des opérations de conditionnement de déchets;
     - la chute, le 4 juin 1986, d'un élément de protection biologique de 550 kg conduisant à la détérioration de deux poubelles de déchets radioactifs.
     Ces deux incidents n'ont eu aucune conséquence radiologique sur les opérateurs et l'environnement.
     Compte tenu de ces incidents, le 18 juin 1986, le chef du service central de sûreté des installations nucléaires a soumis à autorisation la reprise des opérations de conditionnement des déchets radioactifs.
     Par ailleurs, par lettre en date du 15 mai 1986, le ministre de l'industrie, des P. et T. et du tourisme a transmis pour enquête au commissaire de la République du Finistère le dossier établi par l'exploitant pour la réduction du périmètre de l'installation nucléaire de base en vue de la création de nouvelles acrivités sur le site.

Extrait du Bulletin sur la Sûreté des Installations Nucléaires (mai-juin 1986) 

     Ces incidents ne semblent pas concerner un simple déchargement de combustible puisqu'il s'agit pour l'un deux du déplacement d'un élément de protection biologique. Ces incidents ont été suffisamment sérieux pour justifier un arrêt des travaux pendant un mois environ suite à une intervention du Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires.

3. Les rejets de Tritium dans l'environnement
     Bien que la centrale de Brennilis présentait de nombreuses fuites gazeuses, d'après le Directeur de SCPRI, on ne trouve aucune mesure de pollution radioactive de l'atmosphère dans le Bulletin mensuel de ce service.
     Ces fuites gazeuses, dont le Tritium devait être une composante importante, auraient dû conduire les autorités sanitaires (le SCPRI) à procéder à des mesures du taux de Tritium lié aux molécules organiques dans les végétaux (voir la Gazette Nucléaire n°78/79) afin de suivre la contamination de l'environnement par le Tritium. Ceci entrait dans ses obligations. En effet, d'après l'arrêté du 13 novembre 1956 créant le «Service Central de Protection contre les Radiations lonisantes», l'article 2 déclare: «Il effectue, en liaison avec les organismes existants et notamment avec le commissariat à l'énergie atomique, des recherches sur la protection contre les radiations ionisantes, et en particulier sur l'établissement des normes, sur les méthodes de mesure et sur les techniques de prévention... Il encourage toutes les études qui peuvent être menées dans le domaine de la protection».

suite:
     En ce qui concerne les rejets liquides dans la rivière Ellez, les Bulletins mensuels du SCPRI en 1986 et 1987 donnent les valeurs suivantes:
avril 1986: 360 Bq/l 
novembre 1986: 460 Bq/l 
décembre 1986: 780 Bq/l 
février 1987: 810 Bq/l 
mars 1987: 820 Bq/l 
novembre 1987: 710 Bq/l 
     Pour les autres mois de 1986 et 1987, l'activité rapportée par les bulletins du SCPRI est très faible, voire non mesurable ou non indiquée.
     En 1985 avant l'arrêt définitif de juillet 1985, les valeurs relevées dans les bulletins du SCPRI sont généralement inférieures à 15 Bq/l.
     Les autorisations de rejets liquides de Tritium pour les centrales de forte puissance imposent des concentrations maximales de 80 Bq/l. La centrale de Brennilis ayant été mise en place avant que soient établies les procédures d'autorisation, n'était soumise à aucune réglementation et ne relevait pas de ces procédures.
     L'activité anormalement élevée en Tritium qui a été mesurée représente-t-elle la concentration maximum en Tritium? Il n'est pas possible d'y répondre car une seule mesure (en début de mois) est rapportée pour chaque mois.
     Cette activité élevée n'est pas explicable par une simple opération du déchargement du combustible.
     Les opérations effectuées à Brennilis, tant par la nature des travaux effectués que par l'importance des rejets liquides, concernent un véritable déclassement dans sa phase initiale.
     La procédure administrative aurait dû imposer une demande de création d'une nouvelle installation nucléaire de base pour le site de Brennilis avec obligatoirement une enquête publique préalable.

4. Intervention des Associations

C.LE.L.E.
Centre d'Information sur l'Energie et L'Environnement
Rennes, le 29.6.88
à Mr le Préfet du Finistère,
Commissaire de la République
Lettre ouverte au sujet de la centrale nucléaire de Brennilis

Monsieur le Préfet,
     Par courrier du 15.2.1988, nous vous avions fait part de notre demande d'informations concernant:
     - 1. le statut actuel de la centrale nucléaire de Brennilis en cours de démantèlement;
     - 2. les taux de rejets radioactifs admis lors de ce démantèlement (en particulier en Tritium); les normes de référence dans l'air et dans l'eau et si ces normes n'ont pas été dépassées en 1987 et 1988.
     Nous vous remercions d'avoir répondu au point l, le 19.5.1988 par l'intermédiaire de Mr Leroux, chargé de mission.
     En ce qui concerne le point 2, vous avez transmis notre courrier au Professeur Pellerin, directeur du Service Centrai de Protection contre les Rayonnements lonisants (SCPRI). Quatre mois se sont écoulés depuis notre demande et nous n'avons reçu aucune réponse. Nous pensons donc saisir la Commission d'Accès aux Documents Administratifs et lzq Ministères concernés.

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     Depuis l'accident nucléaire de Tchernobyl, le CIELE a entrepris un suivi des mesures de radioactivité effectuées en Bretagne par les services officiels ou les laboratoires indépendants. A de nombreuses occasions, nous avons pu consulter, à la Préfecture de Région, les tableaux mensuels de mesures publiés par le SCPRI et apprécier la complète collaboration du service de Protection Civile de la préfecture de Rennes.
     De ces mesures offiçielles effectuées sur 23 mois, nous avons extrait les résultats concernant la radioactivité en Tritium des eaux de surface et souterraines de la centrale de Brennilis (retenue et rivière Ellez>. Les principaux résultats concernant l'Ellez sont présentés sur les figures jointes. Il apparaît que sur 23 séries de mesures effectuées de mai 1986 à mars 1988 que:
Radioactivité de l'Ellez à BRENNILIS
1986-1987

Radioactivité de l'Ellez à BRENNILIS
1987-1988

     - 13 montrent un taux de radioactivité en Tritium très faible;
     - 8 présentent un taux de radioactivité élevé. Par exemple  810 Bq/l en février 87, 820 Bq/l en mars 87, 710 Bq/l en novembre 87;
     - pour quelques mois, les mesures dans l'Ellez n'ont pas été effectuées ou non publiées.
     Les «pointes» de radioactivité observées dans l'Ellez sont nettement supérieures à la limite de concentration maxiniale autorisée dans les rejets liquides pour les cen-traies nucléaires de puissance (80 Bq/l). Elles amènent plusieurs interrogations
· Ces montées de radioactivité sont-elles «normales» ou accidentelles lors des opérations de démantèlement? Quelles sont leurs origines? Ont-elles fait l'objet d'autotisations officielles?
· Compte tenu de la période radioactive du Tritium (12,35 ans) et des caractéristiques radio-toxicologiques de celui-ci, les rejets dans l'Ellez peuvent-ils avoir des conséquences sur l'environnement et la santé?
· La presse régionale s'est fait l'écho de l'utilisation possible du réservoir St.-Michel à Brennilis pour alimenter en eau les communes du Sud-Finistère. Quel est l'état de ce réservoir du point de vue de la radioactivité?

suite:
     Le démantèlement de la centrale nucléaire de Brennilis constitue une des premières opérations de ce type en France, comme vous, nous pensons que cette «première» doit se faire dans des conditions irréprochables et dans la transparence.
     Dans l'attente d'une réponse aussi complète que possible, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Préfet, l'assurance de notre haute considération.
pour le C.I.E.L.E. D. BERNARD
membre du G.S.I.E.N. Groupe de Scientifiques
pour l'Information sur l'Energie Nucléaire

Pièces jointes:
- Courbes de radioactivité du Trïtium dans l'Ellez;
- Mesures de radioactivité du SCPRI de mars 1987 et novembre 1987
- Fiche technique de radioprotection du Tritium.

Annexe à la lettre
SIN FAR N°11502/88 du 6 mai 1988
Centrale nucléaire des Monts d'Arrée
(INB n°28)

     La centrale électronucléaire des Monts d'Arrée est une installation nucléaire de base qui a fait l'objet d'une déclaration le 27 mai 1964 en application des dispositions de l'artide 14 du décret n°63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires (J.O. du 14.12.1963).
     Après arrêt définitif de l'exploitation de la centrale le 31 juillet 1985, une procédure de réduction du périmètre de l'installation nucléaire de base a été mise en oeuvre à la demande de l'exploitant conformément aux dispositions de l'article 3 du décret susvisé, pour favoriser la reconversion du site et le retour de la zone non nucléaire à l'état de terrain industriel libre.
     Par décret en date du 28 mars 1988, paru au Officiel du 1er avril 1988, le commissariat à l'énergie atomique a été autorisé à modifier le périmètre de l'installation.
     Les travaux de mise à l'arrêt définitif de la centrale, autorisés par le service central de sûreté des installations nucléaires après examen des dossiers correspondants et entrepris au cours de l'été 1985, se poursuivent suivant le programme prévu. Ils devraient se terminer en 1988. Les travaux de démantèlement proprement dit qui suivront la mise à l'arrêt définitif ne peuvent donc être envisagés avant la mi-1989.
     Ces travaux feront l'objet d'une procédure complète, comme s'il s'agissait de la création d'une nouvelle installation nucléaire de base, conduisant, après enquête publique, à la parution d'un décret. Les aspects relatifs aux rejets d'effluents radioactifs au cours de cette période seront réexaminés à cette occasion.

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