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N°105/106

A PROPOS DE LA SURETE DES CENTRALES
RAPPORT DU SCSIN PRÉSENTÉ AU CSSIN (28.11.90)


Introduction
     Sur le plan de la sûreté nucléaire, l'été 1989 a été marqué par plusieurs incidents, dus à des défaillances dans les opérations de maintenance, et pour lesquels le service central de sûreté des installations nucléaires a estimé que des dispositions correctives relatives à l'organisation de ce type d'opération devaient être prises.
     Le ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire et le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, ont alors demandé au directeur général d'Electricité de France de prendre des mesures afin d'éviter le renouvellement de ces incidents.
     Ce rapport présente les principales actions mises en œuvre rapidement par Electricité de France ainsi que les réflexions à plus long terme menées au sein de cet établissement afin d'améliorer la qualité et la sûreté des opérations de maintenance.

Le rappel des incidents
     Durant l'été 1989, des défaillances dans la réalisation des opérations de maintenance ont provoqué un certain nombre d'incidents (dont ceux de Gravelines et Dampierre décrits respectivement en annexes 1 et 2)*.
     Il convient de souligner que ces incidents n'ont eu aucune conséquence réelle sur la population, ou pour l'environnement. Cependant,
     - ils résultent chacun d'une intervention menée simultanément sur des voies redondantes, créant un mode commun de défaillance,
     - les opérations de maintenance réalisées n'étaient suivies d'aucune requalification ou vérification complémentaire avant redémarrage"
     L'incident, décrit en annexe 3, survenu sur la centrale de Philippsburg 2 (RFA) le 20 avril 1987, en constitue un autre exemple.
     Or, les études probabilistes de sûreté ont montré qu'un accident grave résultait généralement d'une série d'erreurs a priori sans conséquence mais qui, cumulées, mettaient en défaut les protections du réacteur. Aussi, la répétition à l'identique de certaines défaillances dans les opérations de maintenance devenaient préoccupantes.

II. Les demandes de l'autorité de sûreté
     Dans ces conditions, le ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire et le secrétaire d'Etat auprès du Premier ministre, chargé de l'environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs ont demandé en septembre 1989 à l'exploitant d'engager une analyse critique de l'ensemble de l'organisation et des moyens mis en œuvre pour assurer la qualité des opérations de maintenance. Cette analyse devait porter plus spécifiquement sur:
     - l'amélioration de la définition des opérations de maintenance qui, pour les plus importantes d'entre elles, doivent être définies au niveau central et appliquées ensuite à l'ensemble du parc;


Voir Gazette N°98/99)
suite:
     - le renforcement de la préparation et du suivi des opérations confiées à des prestataires lors des arrêts de tranche;
     - l'amélioration de la rapidité et de l'exhaustivité de la correction des erreurs mises en évidence par l'expérience acquise (notion de retour d'expérience);
     - le renforcement du poids des structures destinées à assurer la sûreté à l'intérieur des centrales.
     De plus, cette demande précisait que la mise en œuvre de ces différentes orientations pouvait nécessiter une augmentation des moyens des structures correspondantes (éventuellement par des redéploiements internes).
     Enfin, pour la période transitoire qui précédait la réalisation de ces actions, le SCSIN a demandé que lui soit proposées des mesures à court terme (dites mesures compensatoires) applicables dès le 1er janvier 1990).

III. Les mesures compensatoires proposées par Electricité de France
     Electricité de France a fourni au service central de sûreté des installations nucléaires par lettre du 3 janvier 1989, une liste de mesures compensatoires portant essentiellement sur la culture de sûreté des intervenants, l'organisation, la qualité des dossiers d'intervention et la qualité du contrôle et du suivi.

IV. Un premier bilan des mesures compensatoires
     Les différentes inspections et analyses menées au cours du premier semestre 1990 n'ont pas mis en évidence d'améliorations notables de la qualité des opérations de maintenance. L'inspection nucléaire d'Electricité de France soulignait pour sa part que ces mesures ne permettraient d'obtenir une maintenance satisfaisante que sur 40% des centrales.
     De plus, de nouveux incidents sont survenus, confirmant la nécessité d'actions en profondeur, mais aussi d'actions correctrices à court terme plus ambitieuses: l'incident de Dampierre 1 survenu le 5 septembre 1990 (décrit en annexe 4)* illustre ce point.
     En conséquence, le service central de sûreté des installations nucléaires a demandé par lettre du 3 octobre 1990 que le service de la production thermique renforce les actions mises en œuvre, en particulier dans les domaines du traitement des anomalies, du contrôle des travaux réalisés dans les centrales nucléaires, des requalifications ou encore des interventions sur des matériels redondants.

1 - Traitement des anomalies
     Le SCSIN a demandé à pouvoir analyser, préalablement au redémarrage des réacteurs, les fiches d'anomalies ouvertes à l'occasion des arrêts de tranche. 
Cette demande vise à s'assurer non seulement du bon traitement technique des fiches d'anomalies mais aussi et surtout du pilotage effectif par les centrales des dossiers relatifs aux fiches d'anomalies pour lesquels un recours aux services centraux d'EDF reste souvent nécessaire.

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2 - Contrôle des travaux
     Le renforcement de la surveillance par les centrales des différents prestataires intervenant sur les sites doit être poursuivi afin de satisfaire les exigences de l'arrêté qualité.
     De plus, des documents particuliers, dits plans «qualités», destinés à formaliser pour les principaux matériels les exigences essentielles de la qualité (définition préalable des risques encourus, de la surveillance associée à l'opération et des points d'arrêt... ) doivent être mis en œuvre dans les meilleurs délais.

3 - Intervention sur des matériels redondants
     Avant le début de chaque arrêt de tranche, une liste précisant les mesures particulières prises par la centrale pour assurer un suivi particulier des principales interventions prévues sur les matériels redondants doit être transmise à l'autorité de sûreté. Il peut d'ailleurs être regretté qu'un guide à l'usage des centrales leur permettant de mieux identifier, et contrôler les interventions sur des matériels redondants ne soit pas disponible un an après l'incident de Gravelines.
     Par ailleurs, au-delà de ce renforcement de la surveillance, l'exploitant devrait limiter au maximum ce type d'intervention.

4 - Requalification
     L'enseignement essentiel tiré des différents incidents de l'été 1989 portait sur la nécessité d'une requalification systématique de tous les systèmes importants pour la sûreté sur lesquels une intervention a été réalisée, si minime soit-elle. Il convient qu'une telle règle soit strictement appliquée par les centrales, et que les résultats des opérations correspondantes soient analysées en préalable au redémarrage par des spécialistes (commission d'arrêt de tranche).

5 - Gestion des outillages provisoires utilisés durant l'arrêt de tranche
     Compte tenu du retour d'expérience acquis et des réflexions menées depuis près d'un an par Electricité de France, le SCSIN considère que de nouvelles défaillances observées dans l'utilisation de ces outillages constitueraient un incident sérieux, susceptible de remettre en cause la crédibilité du travail fourni par Electricité de France.
     Plus généralement, il apparaît nécessaire que les différentes centrales prévoient une certaine souplesse dans les calendriers d'arrêt de tranche pour tenir compte de ces demandes techniques et de la réalisation d'actions supplémentaires destinées à la prise en compte des aléas qui surviennent en cours d'arrêt. Il apparaît aussi nécessaire que les centrales prévoient, avant redivergence, une période de reprise en main des installations consacrée à la vérification du bon déroulement de toutes les opérations réalisées durant l'arrêt de tranche ainsi que de la disponibilité réelle des matériels et systèmes de sauvegarde.

V. L'amélioration globale de la maintenance
     Les réflexions engagées sur ce thème par Electricité de France ont été transmises aux ministres à la fin du mois de juin. Celles-ci ont ensuite été analysées par le service central de sûreté des installations nucléaires et ses appuis techniques, notamment le groupe permanent chargé des réacteurs.
     L'ampleur des modifications prévues doit tout d'abord être soulignée. Indépendamment de l'ensemble du rapport présenté par ailleurs, peuvent ainsi être notamment citées:
     - la réorganisation prévue des différents sites destinée à mieux responsabiliser les hommes et à simplifier les lignes hiérarchiques,
     - la création de contrôleurs de travaux, d'une ingénierie de maintenance et le renforcement de la mission sûreté-qualité,
     - la création de chantiers écoles permettant d'entraîner les différentes équipes de maintenance des centrales,
     - la création d'une structure permanente d'arrêt de tranche,
     - le relèvement à terme du niveau professionnel des agents de la centrale.
     De manière générale, ces différentes propositions devraient contribuer à améliorer le niveau de sûreté des opérations de maintenance et des travaux qui y sont associés. Il convient cependant de souligner que ces différentes mesures, compte tenu de leurs profondes répercussions sur les structures et les effectifs des différents services, ne pourront trouver leur pleine efficacité qu'au bout de plusieurs années. 

suite:
EDF fixe en effet une échéance de fin 1992 pour la mise en place des organisations rénovées et l'échéance de 1995 comme date à laquelle les dispositions proposées sont censées porter tous leurs fruits. Ce délai accent ue encore la nécessité du renforcement des mesures compensatoires qui devront rester d'application durant la période transitoire.
     De plus, le dossier proposé par Electricité de France ne présentait pas les réformes relatives aux services centraux de la production thermique.
     Or, une bonne réalisation des différentes opérations de maintenance suppose non seulement l'existence sur les sites d'équipes compétentes et bien organisées mais aussi la présence de services centraux capables de conseiller les centrales, ce qui implique des moyens importants en hommes. De tels services doivent en outre pouvoir assurer:
     - la rédaction d'instructions précises auprès des centrales (doctrines de maintenance actualisées régulièrement en incluant les enseignements tirés du retour d'expérience, dossier de modification comprenant les compléments à apporter aux procédures de conduite...),
     - l'analyse rapide des anomalies ou incidents qui ne relèvent pas de la compétence des centrales,
     - l'analyse de deuxième niveau des principaux incidents survenus,
     - etc...
     Par ailleurs, la démarche employée pour ces différentes réformes repose sur la définition par le service de la production thermique d'axes généraux et sur leur mise en œuvre par les différents sites. Cette responsabilisation pleine et entière des différents sites nucléaires est un élément indispensable de la réussite de ces réformes: il appartient néanmoins au service de la production thermique de veiller à l'existence effective d'un important noyau de cohérence entre les actions menées par les différentes centrales nucléaires.
     Plus généralement, les principes présentés par Electricité de France doivent contribuer à améliorer la sûreté en exploitation, leur mise en pratique reste cependant à effectuer. Dans ce cadre, Electricité de France devra prouver la bonne adéquation des moyens mis en place. A titre d'exemple, l'action des contrôleurs de travaux ne sera efficace que s'ils sont suffisamment nombreux, que s'ils reçoivent une formation adéquate et que s'ils ont connaissance du retour d'expérience acquis par les diverses centrales dans leur domaine.
 

Conclusion
     En 1989, le rapport annuel du SCSlN insistait sur la nécessité de poursuivre des contrôles sur l'organisation des travaux pendant les arrêts de tranche et sur l'importance qu'il convenait d'apporter aux problèmes de facteur humain.
     Les incidents de maintenance de l'été 1989 n'ont fait que confirmer ces deux priorités.
     Ils en ont montré de plus l'urgence. Même si les conséquences de ces événements ont été nulles sur l'environnement et sur la population, le service central de sûreté des installations nucléaires a jugé nécessaire qu'une réflexion en profondeur sur les opérations de maintenance soit menée;
     Dans ces conditions, le ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire et le secrétaire d'état auprès du premier ministre, chargé de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs ont demandé au directeur général d'Electricité de France d'engager les actions nécessaires afin d'éviter le renouvellement de ces incidents.
     Pour répondre à cette attente, un certain nombre de mesures, dites mesures compensatoires, ont été mises en œuvre dès le début de l'année 1990: leur efficacité ne s'est avérée que partielle et devra être renforcée dans les prochains mois.
     Au-delà de ces premières actions, Electricité de France a défini une série de réformes destinées à améliorer en profondeur la qualité et la sûreté des opérations de maintenance et qui ne devraient être d'application que dans plusieurs années. Certaines d'entre elles paraissent clairement positives, même si leur efficacité ne pourra être appréciée qu'au vu des actions réellement engagées et des moyens qui leur seront consacrés. 

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