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N°109/110

1986-1991- TCHERNOBYL ENCORE


Introduction

     En 1989 et 1990 ont été publiés, dans la Gazette Nucléaire, des dossiers faisant le bilan de la catastrophe de Tchernobyl (no96/97 et 100).
     Les informations concernant la situation dans les territoires contaminés des Républiques d'Ukraine, de Biélorussie et de la Fédération de Russie, disponibles en 1991 confirment une situation dramatique, créée par la catastrophe et nécessitant de nouvelles évacuations. On peut dégager quelques grandes lignes:

     1. L'aggravation de la situation sanitaire n'est plus niée par les officiels soviétiques. Son origine est cependant attribuée essentiellement à la radiophobie.
     2. Il y a conflit entre les autorités locales et le pouvoir central de Moscou en ce qui concerne les mesures à prendre pour protéger les populations en particulier sur les critères qui régissent le nombre d'habitants à évacuer actuellement.
     3. Le pouvoir central ne semble pas être en mesure de couvrir le coût de la protection sanitaire des populations, c'est-à-dire d'assumer les responsabilités qui sont les siennes en tant que maitre d'oeuvre de l'énergie nucléaire.
     4. En contradiction avec les scientifiques des Républiques, les experts du pouvoir central semblent s'être donnés la mission de minimiser à l'extrême les effets sanitaires de la catastrophe.
     5. Ces scientifiques escamotent leur propre responsabilité dans l'origine de la catastrophe et dans la gestion post-accidentelle. Ils tentent de justifier par des arguments "scientifiques" des décisions purement économiques.
     6. Leur action est fortement appuyée par les experts occidentaux qui ouvertement s'immiscent dans les affaires locales permettant au pouvoir central de se justifier au détriment de l'intérêt des populations.
     7. L'activité de ces experts occidentaux, liés d'une façon ou d'une autre à l'énergie nucléaire, vise à atténuer l'effet négatif que Tchernobyl a eu sur l'opinion occidentale face à l'énergie nucléaire.
     8. L'effet Tchernobyl risque, en effet, de pousser l'opinion publique occidentale à exiger le renoncement à l'énergie nucléaire. Ceci est particulièrement redouté en France et explique le rôle majeur joué par les experts officiels français auprès du pouvoir central soviétique.
     9. La gestion post-Tchernobyl est un champ expérimental exemplaire pour les puissances occidentales qui risquent de devoir faire face elles aussi à des catastrophes nucléaires.

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     10. Pour les populations des territoires contaminés et pour ceux que l'on a fait "travailler" sur le site pour le "nettoyer", la responsabilité des experts chargés de la gestion post-accidentelle est de plus en plus évidente. L'exigence de poursuivre ces experts en justice est de plus en plus aiguë.
     11. Dans ces conditions, l'aide que les experts occidentaux, sous le couvert des comités internationaux (AIEA, UNSCEAR, OMS...), apportent à ces responsables, relève de l'esprit de corps.
     12. Au moment où le pouvoir central cherche à "normaliser" la situation dans les territoires contaminés en introduisant un nouvau critère intitulé "le Concept" pour régir la vie quotidienne dans ces zones, il est à craindre que là encore il obtienne le soutien inconditionnel des experts occidentaux.
     13. Le fait que les informations concernant la situation en URSS ne parviennent pas à atteindre l'opinion française (sauf quelques jours au moment des anniversaires) n'est pas le fait d'une censure soviétique très stricte. Ces informations sont accessibles.      Cependant pour savoir si les décisions prises par les autorités centrales ou locales sont réellement appliquées ou relèvent simplement d'une logique bureaucratique, il serait nécessaire de procéder à des enquêtes sur place.
     Peu de journaux semblent décidés à faire cet effort.
     Ce dossier fait référence à deux conférences:
     - Le séminaire organisé à Luxembourg du 1 au 5 octobre 1990 et l'Union internationale de Radioécologie sur le sujet: "Estimation comparée de l'impact sur l'environnement des radionucléides libérés lors de trois accidents nucléaires, Kychtym, Windscale, Tchernobyl".
     La délégation soviétique comprenait 46 personnes et a présenté 50 communications sur les 66 du séminaire. Ce séminaire a été suivi par 1 membre du GSIEN.
     - La conférence Internationale sur "les accidents nucléaires et le futur de l'énergie, leçons tirées de Tchernobyl" organisée à Paris du 15 au 17 avril 1991 sous la patronage de la Société Française de l'Energie Nucléaire et de la Société Soviétique d'Energie Nucléaire. Les actes de la conférence ont été publiés.
     Le titre de cette conférence est particulièrement bien choisi puisqu'il lie le futur de l'énergie (nucléaire) aux leçons de Tchernobyl. Il est donc important pour les promoteurs inconditionnels de l'énergie nucléaire de contrôler soigneusement les leçons de Tchernobyl.
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LA SITUATION RADIOLOGIQUE
(La carte donnant les zones est page 21)
     L'état de la contamination en URSS est à la base du problème, fondamental aujourd'hui, de l'évacuation des habitants des territoires contaminés. Selon les critères choisis, l'évacuation concerne des centaines de milliers, voire un million de personnes. Nous verrons que les Républiques ont pris des décisions basées sur la contamination surfacique en Cs 137 qui s'avèrent beaucoup plus respectueuses de la radioprotection de la population (plus "conservatrices" comme on dit) que celles du pouvoir central. En gros, il s'agit d'évacuer au-dessus de 15 Ci/km2 pour les Républiques, au lieu de 40 Ci/km2 pour le pouvoir central. Nous discuterons de ce point en détail puisqu'un nouveau "Concept" est encours d'élaboration par le pouvoir central.
     Rappelons que les "normes" instituées dès le mois de mai 1986 pour la contamination surfacique du sol ont été fixées à:
Cs 137: 7 Ci/km2, relevé ensuite à 15 Ci/km2 (555 kBq/m2)
Sr 90: 3 Ci/km2 (222 kBq/m2)
Pu 239-240: 0,1 Ci/km2 (3.700 Bq/m2)
     Peu de changements auraient été observés au cours du temps en ce qui concerne les lignes d'isoactivité surfacique.
     Des zones sous contrôle ont été instaurées selon la contamination du sol en Césium 137 (Gazette N°96/97, page 10):
     - zones sous contrôle permanent, "strict": > 15 Ci/km2
     - zones sous contrôle périodique: 5 à 15 Ci/km2
     Les Républiques veulent évacuer tous les habitants des zones sous contrôle strict. Elles envisagent d'accorder désormais des avantages matériels à ceux qui vivent sur des territoires contaminés entre 1 et 5 Ci/km2. Jusqu'à présent, les avantages matériels étaient réservés aux habitants des zones sous contrôle.

I. La contamination par le Césium 137

     Les dernières cartes de contamination ont été publiées en septembre 1990 par la revue soviétique "Naouka i Jizn", n° 9 (1990) (Science et Vie) concernant la partie européenne de l'URSS. Cette mise à jour a été effectuée sous les auspices du Comité de l'Hydiométéorologie d'LRSS et les commentaires accompagnant ces cartes reprennent de larges passages de l'article du Directeur du Comité de l'Hydrométéorologie d'URSS, Youri Izraël publié par la Pravda le 20 mars 1989. Ne figure pas sur la carte de contamination par le Cs 137 la région de Brest, voisine de la frontière polonaise dont on sait cependant que le niveau de contamination, supérieur à 40 Ci/km2, nécessite l'évacuation de quelques villages.
     Il est précisé que les isolignes d'activité surfacique 5 Ci/km2 en Cs 137 ont été déterminées en 1988 et c'est en 1989 qu'ont été délimités les contours des zones à 1 Ci/km2 en Cs 137. Ce ne sont que les grandes lignes: "en 1990 devaient se poursuivre par aérogammaspectrométrie les analyses détaillées de plusieurs régions d'Ukraine, Biélorussie et de la Fédération de Russie. Les relevés devaient concerner les régions de Riazan, Belgorod, Smolensk, Lipetski, Voronej, Koursk, Tambovsk, Vinitza, Rovno, les parties ouest des régions de Gomel et Moghilev et le sud de la région de Minsk".

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     Des données existent désormais pour quelques villes. Ainsi une carte détaillée de la contamination de la ville de Kiev a été publiée par le journal Kiev-Soir (1/10/90). Y sont répertoriées un grand nombre de zones contaminées entre 1 et 2 Ci/km2 en Cs 137 avec des enclaves de 2 à 3 Ci/km2 et plus.
La ville de Gomel serait contaminée entre 1 et 5 Ci/km2 avec quelques taches atteignant 7 Ci/km2 (Biélorussie Sov. 7/11/90). Des taches ont été récemment détectées dans la station balnéaire de Sotchi, à plus de 1.000 km de Tchernobyl[1].

La région de Moghilev, en Biélorussie, a-t-elle été contaminée par des pluies artificielles en mai 1986?
     Le recensement des territoires contaminés par le Cs 137 s'étend désormais de Briansk jusqu'à Toula, à 180 km au sud de Moscou. On savait, par le document soviétique présenté à la conférence de l'AIEA à Vienne en août 1986 que des débits de dose élevés avaient été enregistrés dans cette région. La carte des isolignes de débit de dose au 10 mai 1986, mais publiée seulement en 1989, en témoigne (Pravda, 20/3/1989). Néanmoins, les cartes des zones contaminées en Fédération de Russie n'avaient été divulguées que pour la région proche de la frontière biélorusse, sur environ 40 km. On ignorait l'étendue de la contamination au-delà de Briansk.
     En juillet 1989 la revue scientifique britannique "Nature" (vol 340, 27 july 1989) relate l'accusation portée par Zianon Pazniak, président du Front Populaire de Biélorussie, contre les autorités centrales de Moscou: "Des pluies auraient été provoquées artificiellement début mai 1986 au-dessus de la région (oblast)[2] de Moghilev contaminant sévèrement certaines zones, afin de sauver Moscou". C'est effectivement dans cette région qu'on trouve des niveaux de contamination surfacique en Cs 137 supérieurs à ceux de la zone des 30 km (notamment à Tchoudiane et Malinovka, 140 Ci/km2 (Gazette N°100, mars 1990).
     Une première question se pose: y a-t-il eu des pluies artificielles début mai 1986 dans la stratégie de gestion de la phase d'urgence des autorités soviétiques? Certains météorologistes sont sceptiques quant à l'efficacité des méthodes d'ensemencement des nuages prônées par des scientifiques soviétiques pour modifier les conditions météorologiques en général[3]. Le point bizarre dans cette affaire est que le fait lui-mëme est revendiqué par le Directeur du Comité d'Etat à l'Hydrométéorologie d'URSS, Youri Izraël. Dans l'article qu'il a publié dans la Pravda (20 mars 1989), on peut lire en effet, intercalé au milieu de la description de la contamination de l'eau du Pripet et des réservoirs de Kîev, un paragraphe mystérieux et difficile à traduire: "Incidemment, le travail de quatre avions du Comité d'Etat à l'Hydrométéorologie a contribué à faire pleuvoir sur de larges étendues [éloignées?], hors des trajectoires radioactives, jusqu'à la mi-juin". On peut alors se poser une deuxième question: s'il y a eu effectivement des pluies artificielles, n'auraient-elles pas "rencontré" des trajectoires radioactives au-dessus de la Biélorussie?

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La contamination par le Césium 137 dans les trois Républiques de Biélorussie, Ukraine, et Fédération de Russie (RSFSR)
     Nous donnons dans le tableau suivant les informations publiées par l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (Vienne, 25 juillet 1990, rapport INFCIRC/383) analogues aux données de Belyayev et Demin (Paris, avril 1991). Certains chiffres varient selon les sources: ainsi selon nos informations ce sont 11.600 habitants et non 9.700 qui habitent en Biélorussie des terres contaminées à plus de 40 Ci/km2 (Gazette100). Nous avons adjoint à ce tableau la contamination entre 1 et 5 Ci/km2 et fait figurer quelques informations complémentaires indiquées entre crochets [ ]. Les superficies sont données en km2 et le nombre d'habitants concernés en milliers de personnes.
Nota: les chiffres entre parenthèses donnent le nombre de km2 évacués en
1986. [La définition des zones sous contrôle a été donnée dans la Gazette N°96/97, p. 10].

     En résumé: sur l'ensemble des trois Républiques:
     - Environ 240.000 personnes vivent sur des zones > 15 Ci/km2 dont 44 % en Biélorussie, 20% en Ukraine, 36% en RSFSR
     - Plus de 820.000 personnes vivent sur des zones > 5 Ci/km2 dont 45% en Biélorussie, 31% en Ukraine, 24% en RSFSR
     - Près de 2,2 millions de Biélorussiens vivent sur des territoires contaminés à plus de 1 Ci/km2 (environ 20% de la population). Nous ne connaissons pas le nombre d'habitants sur les zones 1 à 5 Ci/km2 en Ukraine et RSFSR. L'ensemble doit représenter environ 2 millions d'habitants: en tout près de 4,5 millions d'habitants directement concernés.
     En ce qui concerne les terres agricoles, en Biélorussie 20% des terres sont contaminées et 2.500 km2 ont déjà été mis hors cultures. Cette superficie devrait prochainement s'élever à 5.000km2.

II. La contamination par le Strontium 90
(d'après Biélorussie Soviétique, 20avril1990)

Région proche de Tchernobyl
     La contamination supérieure à 3 Ci/km2 est concentrée dans la zone des 30 km, mais couvre également une région au nord et nord-ouest de Tchernobyl, jusqu'à plus de 45 km de Tchernobyl, là où des villages (18.700 personnes en tout) ont été évacués seulement entre juin et août 1986 (Gazette N°96/97).

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De petites enclaves à 3 Ci/km2 existent cependant en dehors de la région évacuée, certaines étant même à l'extérieur des zones sous contrôle.
     Les lignes d'isoactivité surfacique sont indiquées sur la carte. On peut en conclure qu'au nord-ouest de Tchernobyl (aux environs de Mozir) une superficie d'environ 1.200 km2 (35 km x 35 km) a une contamination surfacique moyenne de 0,5 Ci/km2 (de 0.85 à 0.17 Ci/km2).

Régions lointaines
     Des taches de contamination de 2 à 3 Ci/km2 et enclavées dans des zones à contamination plus faible (1-2 Ci/km2) sont trouvées dans des secteurs très fortement contaminés en Cs 137 (> 40 Ci/km2) comme c'est le cas aux environs de Gomel et Vietka (Vietka est à 160 km de Tchernobyl et à 24 km au nord-est de Gomel).
     De multiples petites taches 1-2 Ci/km2 sont éparpillées de part et d'autre de la frontière séparant la Biélorussie de la Fédération de Russie le long d'un axe parallèle à la direction Gomel-Slavgorod. Les lignes d'isoactivité surfacique sont indiquées, variant entre 0,15 et 0,7 Ci/km2 couvrant une région qui est par ailleurs contaminée en Cs 137 entre 5 et 15 Ci/km2.
La carte publiée ultérieurement par Naouka i Jizn[4] en sept. 1990 est identique à celle de Biélorussie soviétique (sans les lignes d'isoactivité surfacique). Toutes ces informations fournies par la presse coïncident avec les données concernant la contamination en Sr 90 du bassin versant du Dniepr (O. Voitcekhovitch, Institut d'hydrométéorologie de Kiev, Luxembourg, oct. 1990).
     Notons qu'on peut donc avoir des informations fiables (ou du moins identiques aux informations officielles dans ce cas précis) en consultant la presse soviétique accessible dans les bibliothèques. L'absence d'information dans les médias français ne provient pas essentiellement de la censure soviétique mais du manque de curiosité des journalistes.

Augmentation des leucémies
     Le Sr 90 est un émetteur bêta pur, donc difficile à mesurer. Sa période effective, qui tient compte de la période physique et biologique, est voisine de 18 ans. Il se fixe sur les surfaces osseuses et endommage la moelle osseuse sanguino-formatrice. L'augmentation des maladies du sang, dont les leucémies, observées actuellement en Biélorussie au Centre d'hématologie infantile de Minsk pourrait être liée à la présence du Sr 90 qui se surajoute à l'action des autres radionucléides et à l'irradiation externe. L'exemple du district de Vietka, rapporté par le Dr A. Bénassy (Le Généraliste, 29 mai 1990, n° 1176) nous paraît significatif à cet égard car ce district est situé dans une zone fortement contaminée en Cs 137 (5 Ci/km2, 15 Ci-40 Ci et > 40 Ci/km2) et en Sr 90 (1-2 Ci/km2 et 2-3 Ci/km2): avant Tchernobyl, sur les 10.000 enfants du district, la pédiatre avait enregistré en 14 ans une seule leucémie et aucun lymphosarcome. Depuis Tchernobyl, trois cas de leucémie et un cas de lymphosarcome.

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Trois remarques à propos de la contamination interne par le Strontium 90
     1. Lorsqu'il s'agit d'une ingestion chronique (permanente) d'un radionucléide, la charge corporelle augmente régulièrement au cours du temps pour atteindre un état d'équilibre. Cet équilibre est approximativement atteint au bout de 4 périodes effectives du radionucléide considéré. Pour le Césium 137, cette période est d'environ 100 jours et l'équilibre est donc rapidement atteint. Pour le Strontium 90, la période effective est de 18 ans. On voit donc que la charge corporelle en Sr chez les habitants des zones contaminées par le Strontium et qui sont soumis à une incorporation chronique est loin d'avoir atteint l'équilibre. La charge corporelle en Sr devrait augmenter jusqu'à la fin de leur vie si la nourriture ingérée est contaminée. Les problèmes de migration dans le sol et de transfert aux plantes sont donc fondamentaux.
     2. Le niveau d'équilibre pour la charge corporelle Q dans le cas d'une incorporation chronique constante (qBq/an) est égal à
Q corporelle = (1/0,693) q T effective
     A incorporation identique q pour deux radionucléides, la charge corporelle à l'équilibre sera d'autant plus grande que la période effective est plus grande. On voit donc que pour le Strontium 90 l'effet de la contamination interne devrait encore s'aggraver dans les années à venir.
     3. Les auteurs du rapport soviétique à la Conférence de Vienne en août 1986 (voir Gazette N°73/74, nov.-déc. 1986) mentionnaient dans l'annexe VII concernant les problèmes médicaux et biologiques (page 65): "Au bout d'un certain temps il est possible que ce nucléide (Sr 90) soit d'une importance fondamentale avec le césium".
     Fonder les estimations de dose à partir du Césium comme le font généralement les experts officiels, en négligeant le Strontium pourrait conduire à une sous-estimation notable.

III. La contamination par le Plutonium

     D'après la carte publiée par Biélorussie Soviétique (20 avril 1990), le territoire contaminé au-dessus de 0,1 Ci/km2 est entièrement contenu dans la zone d'exclusion initiale des 30 km - et c'est une chance ! - à l'exception d'une petite bande située entre cette zone et le bourg de Polieskoyé (qui n'aurait été évacué qu'à l'été 1989 selon le Dr Bénassy).
     Les lignes d'isoactivité surfacique à l'extérieur du cercle de 30 km indiquent des niveaux s'échelonnant dans la partie biélorussienne sur une couronne de 20 km de large entre 0,09 Ci/km2 et 0,005 Ci/km2. Cependant on retrouve une pointe à 0,1 Ci/km2 au sud-est du village de Narovlya dans une zone également contaminée en Sr 90 (2 à 3 Ci/km2) et à plus de 40 Ci/km2 en Cs 137 non évacuée en juin-août 1986. Normalement les habitants auraient dû être évacués en 1990 d'après le programme du parlement biélorussien. Il nous paraît important de vérifier s'il n'y a pas de contamination en plutonium dans les secteurs lointains des environs de Gomel et Vietka où la contamination en Cs 137 et surtout Sr 90 est analogue à celle observée à Narovlya.
Il pourrait être important de collecter les dents des enfants où se concentrent Sr et Pu et dont l'analyse permettrait d'avoir des informations sur la dose engagée par ces nucléides[5,6].

IV. Les particules chaudes

Plusieurs communications[7] leur ont été consacrées au Colloque de Luxembourg (oct. 1990).

suite:
Si la situation est confuse concernant leur composition et leurs caractéristiques physicochimiques un point a été souligné: l'importance des particules chaudes pourrait avoir été notablement sous-estimée dans la contamination de l'environnement.

     On peut schématiser de la façon suivante:
     Outre les rejets de gaz rares et radionucléides volatils (Iode, Césium, Tellure), il y a eu émissions de poussières très radioactives, particules dites "chaudes" qui sont des fragments de combustible, expulsés par l'explosion du coeur ayant détruit le combustible et l'incendie de graphite (température atteinte ~2000-3 000°C). Du point de vue de leur composition, ces particules dont la matrice est de l'oxyde d'Uraniurn - renferment Cérium 144, Zirconium/Niobium 95..., du Strontium et des émetteurs alpha: transuraniens dont les Plutonium (Pu 238, 239, 240). La dimension des particules est variable, de l'ordre du micron à des dizaines, voire des centaines de microns. Certaines particules sont à matrice de graphite. On trouve également des particules sans émetteurs alpha, qui ont été formées par la condensation de radionucléides rendus volatils par la haute température atteinte. Il n'est pas certain que les particules de Ruthénium 103 fassent partie de cette catégorie (il a été question au cours de la discussion de la possibilité de formation d'inclusions de Ru avant l'accident).
     Victorova se sert des feuilles des plantes comme "planchettes" réceptrices de particules et analyse les particules chaudes par autoradiographie. Elle a constitué un herbier afin d'étudier révolution des particules dans la plante. D'après Victorova, certaines particules sont solubles et donc peuvent participer au métabolisme humain par l'intermédiaire de la nourriture. Elle les étudie en milieu acide (ClH) pour simuler l'action de l'estomac.
     Pour mesurer l'activité alpha des particules, les méthodes d'extraction chimique sont inadéquates à cause de l'insolubilité de la matrice UO2. On utilise une méthode physique; la mesure de l'activité gamma du Ce 144 associé au plutonium dans les particules permet de déterminer l'activité des Pu car il existe un rapport constant (~9 à 10x10-4) entre l'activité alpha des Pu (238,239, 240) et l'activité gamma du Ce 144. [Koulakov] Les activités indiquées par Kerekes sur des particules recueillies en Suède correspondent à la ê me valeur de cette constante.

Autopsies
     La question concernant l'importance radiobiologique des particules est évidemment posée par le risque lié à l'inhalation des particules chaudes, surtout celles renfermant des émetteurs alpha (transuraniens).
     Il a été indiqué (Kérékès, Budapest) qu'on trouve des particules chaudes sur toute la Biélorussie. Ce point a été confirmé par Pétryayev (Minsk) qui a principalement étudié trois polygones représentatifs des régions contaminées de Biélorussie. Il y aurait dans ces régions de 103 à 103 particules chaudes au m2. De granulométrie variée, elles sont dispersées dans l'air et ingérées par l'homme comme le montrent les autoradiographies de tissus pulmonaires prélevés après autopsie. L'étude porte sur 200 autopsies et on a observé des particules chaudes dans 70 % des cas.
     Nous avions signalé (Gazette N°96/97, p. 20) que l'accroissement considérable des maladies respiratoires dans le district de Khoïniki pouvait être dû à l'inhalation de plutonium, Khoïniki se trouvant en bordure de la zone évacuée en 1986. Dans cette partie méridionale de la région adininistrative de Gomel, le nombre de particules chaudes est de 104 à 105 par m2... (Izvestia, 26 mars 1990).

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LES PROBLÈMES SANITAIRES
     On a vu récemment, lors du colloque organisé à Paris par la Société Française de l'Energie Nucléaire (15-17 avril 1991) d'ardents défenseurs de l'énergie nucléaire se plaindre dans les couloirs de la langue de bois de leurs collègues soviétiques surtout celle de M. Iline, responsable de la radioprotection d'URSS, lui reprochant de ne pas "moduler" son discours, le rendant de ce fait peu crédible. Il se cramponne au chiffre de 31 morts pour le bilan de Tchernobyl.
     Pour notre part, nous remettons en cause l'ensemble des estimations effectuées par les autorités du pouvoir central de Moscou et des divers Instituts d'URSS qui y sont rattachés.
     Ces estimations concernent le nombre de morts déjà observé parmi les "liquidateurs", soldats et travailleurs ayant participé - et participant toujours - à la décontamination du site de Tchernobyl ainsi que les doses qu'ils ont reçues au cours de leur intervention. Elles concernent également les doses reçues par les populations qui vivent sur les territoires contaminés et dont dépendent les décisions d'évacuation à mettre en oeuvre actuellement. Sur ce dernier point nous versons une pièce au dossier prouvant les mensonges de M. Iline et de ses amis.
     La sous-estimation systématique des doses déjà reçues par les populations de Biélorussie, d'Ukraine, de la Fédération de Russie et de celles, calculées, qu'elles recevront à ravenir, entraîne une sous-estimation des effets à long terme, cancérigène et génétique. Pour le présent elle oblige les autorités sanitaires à invoquer en priorité la radiophobie pour expliquer l'augmentation de la morbidité que désormais elles ne peuvent plus nier.
     Selon les informations fournies par K.K. Douchoutine (URSS) à Luxembourg (oct. 1990) 2,5 millions de personnes seraient suivies médicalement par l'Institut de Biophysique d'URSS (Moscou) et le Centre de Médecine Radiologique (Kiev). Des données existent concernant les personnes ayant travaillé à l'élimination des conséquences de l'accident de Tchernobyl, les "liquidateurs" et les habitants des zones sous contrôle mais aucune précision sur le nombre de personnes suivies appartenant à ces deux catégories n'a été communiquée lors du séminaire.
     Nous traiterons séparément la morbidité relevée dans la population des zones sinistrées et celle relative aux "liquidateurs" qui est très spécifique en utilisant plusieurs sources communications au séminaire du Luxembourg, presse, communications personnelles, etc.

La morbidité dans les zones sous contrôle

     Selon K.K. Douchoutine "il n'y a eu aucune modification de l'état sanitaire des populations vivant dans les zones sous contrôle permanent, d'après les études effectuées lors des deux années ayant suivi l'accident". Il nous renvoie aux publications de Romanenko et al, Kiev, 1988, sur "les aspects médicaïix de l'accident du réacteur de Tchernobyl". Emise en octobre 1990, soit deux ans après ces publications, cette affirmation est une demi-vérité ou un demi-mensonge. 

suite:
En fait, elle n'est pas en contradiction avec les informations émanant de la presse soviétique puisque ce n'est qu'à la fm 1988 qu'une détérioration notable de la santé s'est manifestée d'une façon visible chez les résidents des zones contaminées, rapportée tout d'abord par les Nouvelles de Moscou en février 1989 (voir Gazette N°96/97).

En Ukraine
On nous a transmis des informations concernant l'état sanitaire du district de Maline[8], en Ukraine, à 80 km à l'ouest de Tchernobyl. C'est un district relativement épargné puisque d'après les cartes ne figure qu'une seule tache de Cs 137 entre 1 et 5 Ci/m2.
     Rapportée à 1.000 enfants, l'évolution de l'anémie, l'hyperplasie de la thyroïde et de la pneumonie est la suivante entre 1985 et 1989:
 

1985 1986 1987 1988 1989
anémie 5,7 8,1 10,7 18,0 112,8
hyperpiasie de la thyroïde 32,2 36,7 49,3 53,7 124,1
pneumonie 19,5 18,9 27,5 30 27,2

     C'est donc en 1989 qu'on note une augmentation brutale d'anémies et d'hyperplasies de la thyroïde. Les médecins ont noté également chez les enfants et les adolescents une hyperréactivité aux tests tuberculiniques bien qu'il n'y ait pas eu contact avec des tuberculeux.
     Une augmentation notable des anémies a été constatée chez les femmes enceintes malgré un contrôle constant des gynécologues et les mesures prophylactiques prises.
     D'une façon générale, les maladies digestives sont en augmentation. Les délais de convalescence sont plus longs pour les traumatismes affectant la vie quotidienne.
     Remarquons que vis-à-vis des affections pulmonaires, la situation à Maline est très différente de celle de Khoïniki en Biélorussie où durant l'hiver 88-89 l'accroissement du nombre de ces maladies a été spectaculaire (nous avions suggéré un effet d'inhalation de plutonium).

En Biélorussie
     L'augmentation de la morbidité a été décrite par le Directeur de l'Institut de Radiologie de Minsk, E. Konoplya dans sa communication "La situation radioécologique en Biélorussie et son impact sur les fonctions vitales humaines" (Luxembourg 1-5 oct. 1991). Dans cet institut sont effectuées également des expérimentations animales.
     Nous résumons succinctement quelques points de la communication de E. Konoplya sur la situation sanitaire dans les régions contaminées.

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Tous les systèmes de régulation, endocrinien, immunitaire, cardiovasculaire, sont atteints:
     - les sécrétions d'hormones thyroïdiennes sont très perturbées et on observe beaucoup d'hyperplasies de la thyroïde chez les enfants[9].
     - les défenses immunitaires sont amoindries avec pour conséquence l'augmentation des maladies infectieuses comme le montre la comparaison des données sanitaires entre 1985 et 1988 dans les régions de Gomel et Braguine. On observe également une augmentation des maladies auto-immunes et une diminution de l'activité antitumorale.
     - Des perturbations de la régulation neuro-hormonale du système cardio-vasculaire entraînent dystonie végétative, hypo et hypertension et une diminution des défenses anti-stress.
     Du point de vue dosimétrique l'étude des aberrations chromosomiques du sang des habitants de la région de Gomel montre un nombre de dicentriques de plusieurs fois supérieur à celui du groupe témoin vivant dans une région non contaminée.
     La charge en radionucléides est étudiée après autopsie. Outre le Césium on trouve également du Pu et du Sr dans les tissus des habitants des régions de Gomel et de Moghilev et cette charge ne diminue pas au cours du temps [Ceci implique une contamination chronique par la nourriture et par inhalation].
     A cette énumération de E. Konoplya ajoutons quelques chiffres fournis par P. Kravchenko, Ministre des Affaires Etrangères (23 oct. 1990,45ème session des Nations Unies):
     - le nombre de problèmes thyroïdiens graves a doublé en Biélorussie méridionale
     - les cas d'anémie ont été multipliés par 8 dans les régions contaminées
     - les pathologies chroniques nasopharyngées ont été multipliées par 10
     - la leucémie et autres cancers sont en augmentation, principalement chez les enfants.
     A la session du parlement biélorussien de janvier 1991, il a été indiqué que le nombre d'anomalies congénitales était en augmentation. Un programme spécial de surveillance des nouveaux-nés et de diagnostic prénatal va être instauré (Report on the USSR, vol 3, n°7,  l5 feb. 1991).

     Conclusion: Désormais, contrairement aux affirmations réitérées depuis 1988, les officiels reconnaissent "qu'il y a une augmentation de presque toutes les maladies qui sont connues" (Belyayev et Demin, avril 1991, Paris). Il est affirmé que ce n'est pas dû au rayonnement: "En règle générale il n'a pas été trouvé de dépendance quelconque entre l'augmentation du nombre de maladies et la dose de rayonnement reçu". Cependant, on place maintenant, même si c'est en dernière position, les effets de l'exposition aux rayonnements comme cause possible dans la liste des causes énumérées.

L'état sanitaire des "liquidateurs".
Pas de cancers: ils mourront avant...?

     Selon K.K. Douchoutine, le suivi effectué par les deux instituts de Kiev et Moscou porte sur 4 ans. En ce qui concerne la mortalité, il dit la même chose que L. Iline, Directeur de l'institut de Biophysique (et donc son supérieur hiérarchique): l'étude ne montre pas de modification de la mortalité des liquidateurs par rapport à la population normale, sans aucun chiffre à l'appui.
     Par contre, la morbidité est tout à fait spécifique: elle révèle un profil multifactoriel d'effets combinés conduisant à un état d'hypertension des mécanismes d'adaptation dont le résultat est de promouvoir des conditions favorisant l'accélération du processus de vieillissement, une augmentation du risque pour le système cardio-vasculaire, le système nerveux central, une augmentation des maladies du système digestif, du système locomoteur. L'augmentation de ces maladies est plus accentuée pour ceux âgés de plus de 40 ans. D'après K.K. Douchoutine, les conséquences les plus importantes pour le futur sont uniquement psychosomatiques [le mot stress a été utilisé dans la communication à la fois avec son sens psychologique commun et avec le sens de tension des mécanismes d'adaptation].
     Selon Douchoutine, "les effets à long terme des petites [?!] doses de rayonnement reçues par le personnel travaillant dans la zone des 30 km ne conduiront pas à des cancers mais à des dommages sur la santé dont le résultat sera une baisse de l'aptitude au travail et un raccourcissement de l'espérance de vie".

suite:
     Aucune donnée n'a été fournie concernant la mortalité des différentes classes d'âge de la cohorte par rapport à celle de la population. A une question de la salle concernant la répartition des doses reçues, il a été répondu que les données dosimétriques sont insuffisantes pour certains sous-groupes.

     Commentaire Gazette
     Finalement le profil de morbidité décrit par K.K. Douchoutine correspond assez bien aux témoignages rapportés dans la presse. Les maladies des liquidateurs existent bel et bien et il serait normal que leur soit reconnu un statut leur accordant l'aide médicale et les compensations dont ils ont besoin.
     On ne doit pas être surpris par la conclusion qui, au premier abord, peut paraître erronée, affirmant que les doses reçues par les liquidateurs ne conduiront pas à des cancers: les liquidateurs mourront avant que des cancers n'aient en le temps de s'exprimer! (à l'exception des leucémies).
     Il est tout à fait invraisemblable qu'il n'y ait pas déjà une augmentation de la mortalité parmi les liquidateurs, à partir du moment où il est admis que le rayonnement est un facteur de vieillissement, ce qui est connu depuis longtemps. Il faudrait connaître la mortalité par différentes causes et par classes d'âge dans les diverses régions d'URSS dont sont originaires les "liquidateurs".
Il est encore plus scandaleux de savoir que ceux qui sont malades ne peuvent pas se faire soigner. En effet, ne sont reconnus comme malades que ceux dont les troubles peuvent être attribués au rayonnement; or ils sont censés n'avoir reçu que les doses inscrites sur les registres et qui ne dépassent pas 25 rem. Selon un témoignage rapporté en avril 1990[10]: "ces doses étaient portées au pifomètre. Il y avait des secteurs où l'on ne pouvait rester que quelques minutes, d'autres que quelques secondes. Mais personne ne surveillait cela très attentivement. A ceux qui faisaient des réflexions, on leur répondait qu'ils étaient restés le temps qu'il fallait et que l'on reportait sur les registres la dose qui devait l'être. Et les liquidateurs ne prêtaient pas trop garde aux chiffres qui étaient inscrits".
Les doses reportées sur les registres prennent une importance cruciale. En effet, "une petite dose ne vaut qu'un titre "ordinaire" d'invalidité. Les personnes dans ce cas, âgées de 30 à 40 ans, perçoivent entre 70 et 120 roubles[11] par mois. Alors qu'elles dépensent plus chaque mois uniquement pour leurs médicaments! Et comment travailler comme chauffeur, comme ajusteur, lorsque l'on ne tient pas sur ses jambes, que l'on s'évanouit périodiquement et que l'on est contraint à de longs séjours à l'hôpital? Pour percevoir une pension égale à leur ancien salaire moyen, les "liquidateurs" doivent avoir mentionné dans leurs papiers une dose importante".
     Il y a eu de nombreux grévistes de la faim en janvier 1990 dont le but était de faire reconnaître que la détérioration de leur état de santé - le diagnostic est en général "dystonie neurocirculatoire" - était liée à leur travail effectué à Tchernobyl mais on leur répond: "radiophobie". Les médecins habilités à établir si les troubles d'un ancien de Tchernobyl sont liés au travail effectué sur le site sont peu nombreux. Il s'agit "d'un petit cercle de médecins travaillant dans deux établissements: l'hôpital n°6 de Moscou dépendant de l'Institut de Biophysique..., l'Institut de Radiologie clinique de Kiev faisant partie du Centre National de recherche de la médecine radiologique dépendant de l'Académie de médecine dURSS spécialement créé après l'accident de Tchernobyl"[12]. Les réclamations des liquidateurs sont nombreuses et "les gens croient que les décisions du gouvernement seront appliquées. Or les plaintes sont examinées par ceux-là mêmes contre qui elles sont dirigées. C'est ainsi qu'un Conseil central d'expertise interministériel chargé d'établir le lien de cause à effet pouvant exister entre les travaux d'élimination des conséquences de l'accident de Tchernobyl et les affections et l'invalidité a été mis sur pied. Mais le directeur du dit Conseil est A. Romanenko, celui-là même qui dirige le centre de recherche national de la médecine radioactive"...[12]... "L'état de santé des anciens de Tchernobyl doit être suivi non pas par des instances dont les services ont toujours été liés au nucléaire ou à d'autres administrations secrètes mais par des spécialistes indépendants"[12].
     Ainsi nous retrouvons les deux instituts qui sont chargés de faire les études épidémiologiques. Faut-il s'étonner si nous n'avons pas confiance dans leurs résultats?

p.8

ILS MENTENT...
Des responsables de la radioprotection d'URSS écrivent à M. Gorbatchev
pour imposer la "dose-vie" de 35 rem
Cette lettre est datée du 14 septembre 1989. Elle est cosignée par 92 scientifiques[13], dont L. Iline, travaillant dans les domaines de la médecine radiologique et de la radioprotection, au sujet de la situation créée par l'accident de Tchernobyl. Elle est adressée à M. Gorbatchev, Président du Soviet Suprême d'URSS. Elle demandait que soit "discuté de manière urgente l'ensemble des données concernant les conséquences médicales de l'accident afin de prendre toutes les mesures sévères permettant la réalisation des recommandations découlant du concept élaboré par la Commission Nationale de Radioprotection", le concept de dose-vie de 35 rem. Cette dose-vie est devenue légale en URSS au 1er janvier 1990.

I. Le contexte

     Rappelons que dans la phase d'urgence plus de 100.000 personnes ont été évacuées des régions proches de Tchernobyl. Le nombre des évacués a varié selon les publications de 135.000 à 116.000. Si l'évacuation des 45.000 habitants de Pripyat a été relativement rapide, celle des habitants de la zone des 30 km l'a été beaucoup moins tandis que d'autres évacuations dans la partie biélorussienne affectant des villages situés jusqu'à environ 50 km de Tchernobyl se sont poursuivies jusqu'en août 1986 (Gazette N°96/97).
     En dehors de la zone évacuée, des zones sous contrôle ont été créées sur des territoires contaminés situés à des centaines de kilomètres du site. Le principal composant des dépôts radioactifs est le Cs 137 (période 30 ans). C'est l'activité surfacique en Cs 137 qui sert à définir les différentes zones (zones sous contrôle permanent, 'strict", et zones sous contrôle périodique).

     Des normes temporaires de limites de doses "admissibles" ont été établies après la catastrophe:
     10 rem la 1ère année (irradiation externe + contamination interne)
     3 rem la 2ème année
     2,5 rem la 3ème année
     2,5 rem la 4ème année
     Dès l'automne 1988, les autorités sanitaires soviétiques ont élaboré le concept de "dose-vie" afin de réglementer les conditions d'habitation des populations des territoires contaminés. M. Iline a défendu le concept de 35 rems sur la vie. C'est une dose calculée par les différents instituts dépendant du ministère de la Santé d'URSS (M. Iline est Directeur de l'Institut de Biophysique et responsable de la radioprotection d'URSS). Elle tient compte de l'irradiation externe par les dépôts au sol de Cs 137 et de la dose engagée par contamination interne provenant de l'ingestion d'aliments contaminés. La longévité est supposée être de 70 ans. Tous ces calculs impliquent des modèles: modèle de migration du césium dans le sol, de contamination des plantes, modèles concernant l'alimentation, le métabolisme, le mode de vie, etc. Si la "dose-vie" calculée pour des habitants en un lieu donné est supérieure à 35 rem, la décision d'évacuation est prise. Si elle est inférieure à 35 rem les limitations concernant la nourriture ne sont plus nécessaires, la vie redevient normale.
     M. Iline a toujours affirmé que cette norme de 35 rem était conforme aux recommandations internationales, ce qu'on contesté les scientifiques biélorussiens et ukrainiens membres des Académies des Sciences. Pour eux, les recommandations de la CIPR étalent de 7 rem sur une vie (de 70 ans). De plus, ils exigeaient de tenir compte du strontium, et des particules chaudes, de l'existence de groupes à risque plus élevé (enfants, femmes enceintes, malades...). Les scientifiques biélorussiens et ukrainiens s'opposèrent à la dose-vie de 35 rem imposée par le pouvoir central et préconisèrent une dose-vie de 7 rem, certains d'entre eux ont recommandé 10 rem.
p.9

II. De quelques arguments du pouvoir central

     Nous nous intéressons ici aux arguments contenus dans la lettre, spécifiques à la situation post-Tchernobyl et non aux considérations générales identiques à celles largement répandues chez nous (régions du monde à rayonnement naturel élevé, irradiations chroniques par rapport à l'irradiation aiguë, excès de cancer non détectable par rapport aux cancers naturels, etc.). Notons seulement (p. 4, 5ème ligne, "De plus on a tenu compte du fait que, d'après les recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique, pour un grand nombre de personnes y compris les enfants qui habitent autour des installations nucléaires a été considérée comme admissible depuis plus de 30 ans une dose allant jusqu'à 0,5 rem par an, soit 35 rem pour une durée de vie de 70 ans".
     Nous donnons cette précision car nous trouvons dans le rapport de l'IPSN "Tchernobyl-cinq ans après", 11 avril 1991: "Le choix de cette valeur [35 rem] a été source de malentendus: la valeur de 350 mSv a été comprise comme 5 mSv/an pendant 70 ans". Apparemment, M. Iline aussi l'a compris de cette façon.
Remarquons que les 92 co-signataires de la lettre semblent ignorer que depuis 1985 la CIPR recommande 0,1 rem/an en moyenne, ce qui conduit à une "dose-vie" de 7 rem en 70 ans! (Gazette N°96/97).

1. Les doses déjà reçues par les populations des zones contaminées sont trop importantes pour qu'on puisse fixer une dose-vie inférieure à 35 rem[13]
     Nous lisons à la page 4 de la lettre: "Dans le choix de la dose limite, la Commission Nationale de Radioprotection d'URSS [en russe NKRZ] a prêté attention au fait que cette valeur de 35 rem inclut la dose déjà reçue au cours des trois premières années et que dans quelques agglomérations cette dose est sensiblement la moitié de la dose totale recommandée sur la vie [souligné par nous]. Tandis que dans une série de villages (Yacène, du district de Chevchenk-Polyesk - oblast de Kiev -, Tchoudiane et Malinovka - oblast de Moghilev -et d'autres) la décision d'évacuer a été prise depuis longtemps mais pour des raisons incompréhensibles l'évacuation n'a pas été effectuée, la limite de la dose-vie 35 rem peut être atteinte ces prochaines années".

2. Les conséquences qui résulteraient de l'adoption d'une dose-vie de 10 ou 7 rem préconisée par les "autres" scientifiques biélorussiens ou ukrainiens
a) Cette dose a déjà été atteinte ou est en voie de l'être dans les zones à contrôle strict, permanent (contamination supérieure à 15 Ci/km2 en Cs 137)
     Nous lisons page 8: "Des valeurs de dose sur la vie différentes [de celle de 35 rem] ont été proposées, 10 et 7 rem soit 0,13 et 0,1 rem par an. Conformément à l'hypothèse linéaire sans seuil, la probabilité des risques d'irradiation va être diminuée. Le principe de diminuer la dose jusqu'au minimum possible, nous le soutenons entièrement... Cependant, nous considérons qu'il est de notre devoir d'attirer l'attention sur certains aspects qui apparaissent lorsque sont proposées des valeurs très faibles (7-10 rem) pour les doses reçues durant la vie...
     Il faut garder en vue que par irradiation postérieure àl'accident, cette dose 7-10 rem a déjà été atteinte ou sera atteinte dans un proche avenir pour la plupart des agglomérations des territoires soumis au contrôle permanent". 

suite:
b) Le nombre de personnes qui seraient concernées par l'évacuation: près d'un million de personnes
     Page 9: "Il faut ausi considérer cette proposition [d'une dose-vie] de 10 et 7 rem du point de vue du stress psychosociologique profond qui serait provoqué par l'évacuation de centaines de milliers (jusqu'à un million) de personnes (souligné par nous) dont résulterait inévitablement un détriment pour leur santé, provoqué par le changement de mode de vie et l'organisation des soins médicaux et des contrôles. En cas d'acceptation de la dose de 7-10 rem comme critère d'évacuation, ce problème apparaîtrait pour les habitants de plusieurs grandes villes et centres de districts. (souligné par nous)
     Du point de vue médical, d'après notre profonde conviction, l'attribution de moyens matériels pour les soins médicaux de la population des régions sinistrées aura beaucoup plus d'effet qu'une évacuation massive".
     Page 10.... "Enfin, il apparaît des doutes quant aux possibilités réelles d'application concrète, même de façon plus modeste, des recommandations sanitaires insistantes émanant depuis plus d'un an du corps médical, à l'échelle de populations déplacées massivement. Dans ce cas, peut-on parler de garanties possibles des soins médicaux et de garanties sociales dans le cadre d'un plan prévoyant le déplacement d'un million de personnes?"

Conclusion

     La lettre adressée à M. Gorbatchev, Président du Soviet Suprême d'URSS par M. L. Iline et ses supporters pour faire entériner la dose-vie de 35 rem comme critère de décision dont le dépassement entraîne l'évacuation prouve:
     - ou bien qu'ils ont menti en septembre 1989 en évaluant les doses déjà reçues par les habitants des zones sous contrôle permanent, strict à 7 rem, 10 rem et plus.
     - ou bien qu'ils mentent aujourd'hui en affirmant que ces habitants n'auraient reçu que 3,5 rem (35 mSv) (voir "les doses intégrées reçues sont en peau de chagrin").
     Iline et ses supporters admettent que l'alternative proposée par les scientifiques biélorussiens et ukrainiens d'une dose-vie de 7 ou 10 rem (70 et 100 mSv) conduirait à l'évacuation d'un million de personnes.
     Cette dernière implication est bien évidemment le noeud du problème. Elle est impossible à assumer par les Républiques sans l'aide financière du pouvoir central qui a ainsi tout intérêt à minimiser les doses reçues par les populations. Il devrait être évident qu'il appartient aux populations et à elles seules de décider du niveau de risque qu'elles considèrent comme "acceptable".

Note
     Parmi les signataires on trouve des scientifiques de différents instituts connus de Moscou, Léningrad, Obninsk, etc. mais aussi d'instituts créés après Tchernobyl. Par exemple une filiale biélorussienne de l'Institut de Recherche Radiologique agricole a été créée à Gomel.

p.10

Les doses intégrées reçues sont peau de chagrin,
elles diminuent avec le temps...
     Comme nous allons le montrer, ce point est manifeste pour les doses reçues par les habitants des zones sous contrôle permanent, "strict", représentant environ 250.000 personnes pour l'ensemble des trois Républiques de Biélorussie, Ukraine, Fédération de Russie.
     Selon S.T. Belyayev et V.F. Demin, la dose moyenne reçue par ces habitants entre 1986 et 1989 s'élève à 3,5 rem (35 mSv) dont 2,7 rem par irradiation externe.
     Cette donnée figure dans les Actes de la Conférence Internationale tenue à Paris en avril 1991 dans la communication intitulée "Les conséquences à long terme de Tchernobyl. Les contre-mesures et leur efficacité".
     Or, cette dose représente une diminution drastique par rapport aux évaluations antérieures qui portent pourtant sur des périodes d'exposition plus courtes.
     1. Les premières données dont nous avons eu connaissance concernent les Biélorussiens. Elles ont été rendues publiques par le Dr Bouriak, médecin chef sanitaire de Biélorussie, adjoint du Ministre de la Santé (Biélorussie Soviétique, 9 février 1989): "La dose totale reçue par les habitants des zones sous contrôle durant les années 86-88 a été de 9 rem et sur les autres parties du territoire 3,3 rem alors que la dose admissible était de 15,5 rem (10 rem la 1ère année, 3 rem la 2ème année, 2,5 rem la 3ème année). Quelques personnes, c'est vrai, ont dépassé ces limites, 38 dans la région de Gomel, 10 dans la région de Moghilev".
     Il pouvait y avoir ambigüité sur le terme "zones sous contrôle". Englobait-il les zones sous contrôle permanent et les zones sous contrôle périodique, les autres parties du territoire étant le reste de la Biélorussie? Cette ambiguité est levée par le Président du Conseil de Biélorussie, M. Kovalev (Pravda du 11 février 1989): "Les habitants des zones sous contrôle permanent ont reçu 9 rem durant les années 86-88 alors que ceux des zones sous contrôle périodique ont reçu moins de 3 rem". En Biélorussie sont répertoriés à l'époque 103.000 habitants dans les zones à contrôle permanent, strict (contamination en Cs 137 supérieure à 15 Ci/km2) et 206.000 habitants dans les zones sous contrôle permanent (5 à 15 Ci/km2).
     La dose moyenne des 309.000 habitants des zones sous contrôle serait alors de 5,2 rem.
     2. Dans l'important article de la Pravda du 20/3/1989 consacré à Tchernobyl sous le titre "Le passé ; prévisions pour le futur", le Directeur du Comité d'Etat à l'hydrométéorologie d'URSS, Y. Izraél, indiquait: "Les équivalents de dose efficace tant par irradiation externe que par contamination interne correspondant à l'exposition durant la première année et lès années suivantes ont été calculés pour des habitants de centaines de villages. Une étude soignée des radionucléides présents et des spectres gamma a permis de faire des calculs avec un degré de précision suffisant.
     La dose individuelle (tant externe qu'interne) accumulée jusqu'à l'automne 1988 par la majorité de ces habitants est en moyenne de 5,3 rem. Aucune maladie des rayons sous quelque forme que ce soit n'a été trouvée".
suite:
     Ainsi, Y. Izraël redonne la même valeur de dose que pour les Biélorussiens, mais ne précise ni le nombre d'habitants concernés ni l'activité surfacique des zones incriminées.
     3. Six mois plus tard, en septembre 1989, dans leur lettre à Gorbatchev, les 92 signataires - et parmi eux les principaux responsables de la radioprotection d'URSS - indiquent que la majorité des habitants, des zones sous contrôle strict [ou zones à contrôle permanent, contamination en Cs 137> 15 Ci/km2] ont déjà reçu la dose de 7 à 10 rem ou l'atteindront prochainement. il s'agit pour l'ensemble des trois Républiques touchées par la pollution radioactive d'environ 250.000 personnes et l'estimation correspond en gros à celle donnée pour les 103.000 Biélorussiens des zones sous contrôle strict.
     4. Désormais, en avril 1991, "d'après les données disponibles, la population dans la zone strictement contrôlée a reçu de 1986 à 1989 une dose moyenne pour l'ensemble du corps de 35 mSv" (3,5 rem) (Belyayev et Demin, Paris, avril 1991). L'optimisme de Y. Izraël sur la qualité des contrôles dosimétriques effectués est contredit par ses collègues: "En raison de l'énorme échelle de l'accident, du manque d'un nombre suffisant de techniques de mesure et de certaines dificultés d'organisation, il n'a pas été possible de faire des mesures en quantité nécessaire. Une partie des mesures ont été éliminées parce que n'étant pas suffisamment fiables" (souligné par nous).
     Il n'est pas indiqué si les mesures rejetées correspondaient à des valeurs élevées que les responsables jugeaient a priori comme non fiables ou s'il s'agissait de valeurs anormalement faibles.
     Les auteurs continuent: "A présent, un certain travail est effectué sur l'amélioration des données concernant les doses précédemment reçues, sur la base des résultats de mesure, d'études des conditions locales, et de modèles améliorés". (?!...)
     Il est difficile d'expliquer une diminution d'un facteur voisin de 3 pour les doses reçues par les habitants des zones contaminées à plus de 15 Ci/km2. A moins que les Biélorussiens ne fassent pas partie des statistiques de M. Belyayev et Demin? Tout cela ressemble fort à un tripatouillage des résultats, on adapte les mesures et les modèles suivant ce qu'on désire trouver. Ce genre de pratique ne semble pas troubler les "scientifiques" occidentaux.
     Il est à craindre que les "modèles améliorés" dans les bureaux de Moscou et Leningrad ne tiennent pas compte de la situation réelle. Toutes les informations convergent au sujet de la difficulté de s'approvisionner en nourriture "propre" dans les zones contaminées et du peu de sérieux du contrôle dosimétrique de la nourriture.
     Etant donné l'enjeu, puisque le nombre des personnes à évacuer va dépendre des doses reçues, il est normal que les doses diminuent! Il faudra invoquer encore plus de radiophobie pour expliquer l'accroissement de la morbidité chez les habitants qui continueront à résider dans les zones contaminées!
p.11


Du passé, faisons table rase:
le nouveau "Concept" des autorités soviétiques.
Vers la "normalisation" dans les zones contaminées
     Ce nouveau "concept" qui, pour les autorités centrales soviétiques, devrait régir les conditions de vie dans les régions affectées par la catastrophe de Tchernobyl a été présenté à Paris lors du colloque organisé conjointement par les sociétés française et soviétique d'énergie nucléaire sur les accidents nucléaires et le futur de l'énergie (15-17 avril 1991). Il s'agit d'un document préparé par un groupe de travail présidé par l'académicien S. Belyayev. Le fait que la date indique "1991" sans autre précision, nous incite à penser qu'il s'agit d'un projet en instance d'adoption par le Soviet Suprême d'URSS. Il est possible que les auteurs du projet, L. Iline et al, soient venus chercher des appuis auprès de leurs collègues français, tout comme ils avaient fait donner la garde pour le critère de la dose-vie de 35 rem, en l'occurrence P. Pellerin (voir Gazette N°100, mars 1990).
     Ce document est rendu plus compréhensible si on le complète par l'interview de V. Goubanov (Président du Comité chargé de l'élimination des conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl) accordée à l'agence Novosti (Bulletin du Bureau d'Information Soviétique, avril 1991).
     Jusqu'à présent, depuis le 1er janvier 1990, les niveaux d'intervention nécessités par les contre-mesures mises en place suite à la catastrophe étaient régis par une limite supérieure de dose, la "dose-vie" de 35 rem. On estime que la situation actuelle nécessite d'autres mesures. Ainsi le nouveau "concept" élabore les critères déterminant les contre-mesures aujourd'hui et introduit un niveau inférieur d'intervention.
     Concrètement, désormais on suppose que toutes les contre-mesures entreprises jusqu'à maintenant et qui visaient à limiter la dose-vie à une valeur inférieure à 35 rem ont été couronnées de succès! Il s'agit essentiellement de l'évacuation des habitants des territoires contaminés à plus de 40 Ci/km2 en Cs 137. Ces personnes ayant été évacuées ou étant en instance d'évacuation dans le cadre de la réalisation du programme d'Etat et des Républiques 1990-1992 pour la liquidation des conséquences de l'accident de Tchernobyl, il n'est plus nécessaire d'avoir une limite supérieure pour la "dose-vie": la limite de 35 rem ne sera plus atteinte par personne. Voilà en gros le raisonnement simpliste d'Iline et al. Ceci est d'autant plus facile à mettre en oeuvre pratiquement que ce sont les Services dépendant d'Iline qui font les calculs de dose. Dans ces conditions les doses reçues entre 1986 et 1991 ne sont plus à prendre en compte (nous montrons par ailleurs comment les doses calculées pour les habitants des zones sous contrôle permanent ont diminué au fur et à mesure que le temps passait). Il n'y a plus besoin d'un niveau supérieur d'intervention dans la stratégie des contre-mesures à mettre en oeuvre!
     Ainsi, grâce à l'efficacité des mesures qui ont été prises pour réduire les doses reçues par la population, aucune autre "réimplantation" massive obligatoire n'est justifiée en dehors de celles prévues pour 1990-1992! (en plus des habitants des zones contaminées à plus de 40 Ci/km2, devraient être impliqués par ces évacuations obligatoires des résidents de zones moins contaminées [15-40 Ci/km2] à situation familiale particulière: familles à enfants de moins de 14 ans, femmes enceintes, malades. D'après V. Goubanov, les évacuations obligatoires 1990-1992 concerneraient, pour les trois Républiques, environ 140.000 personnes). Une conséquence immédiate en résulte: "Les réimplantations additionnelles possibles ne peuvent être que volontaires".
     Ainsi on peut considérer que la 2ème phase de gestion de la crise post-accidentelle ayant succédé à la phase d'urgence est terminée. Désormais commence la phase de "normalisation" de la vie quotidienne qui nécessite la fixation d'un niveau inférieur d'intervention qui, s'il est vérifié, ne nécessite plus aucune restriction.

Le niveau inférieur d'intervention (1 mSv/an)
     L'excédent de dose admissible (par rapport au rayonnement naturel et anthropogénique d'une localité donnée) des populations exposées aux retombées de Tchernobyl est fixé ainsi: l'équivalent de dose efficace moyen annuel ne doit pas dépasser 1 mSv/an (0,1 rem/an) pour 1991 et les années suivantes.

suite:
     "Pour des niveaux inférieurs ou égaux à 1 mSv, les conditions de vie et de travail des populations ne nécessitent aucune restriction. On appliquera les mesures sanitaires et d'hygiène habituelles, en vigueur dans les régions non contaminées d'URSS" (Document élaboré par le Groupe de travail présidé par S. Belyayev, Paris, avril 1991).

Niveau intermédiaire d'intervention (5 mSv/an)
     "A un niveau supérieur à 1 mSv/an, les mesures suivantes seront prises:
     Si cela s'avère nécessaire, surveillance radiologique de l'environnement et de la nourriture décontamination et autres mesures pour diminuer la contamination radioactive de l'air, de l'eau, du sol mesures agrotechniques pour réduire la teneur en radionucléides de la production réduction des doses d'exposition médicale par examens de radio-diagnostic par rayons X, etc.
     Cet ensemble de mesures de protection doit tendre à la réduction continue de l'exposition aux rayonnements et du niveau de contamination tandis que s'opère un allégement des restrictions qui grèvent la vie quotidienne et les fonctions vitales. La réalisation de ces buts devrait être optimisée de façon à ce que l'équivalent de dose efficace ne dépasse pas en moyenne 5 mSv (0,5 rem) en 1991 avec une diminution la plus grande possible de cette limite jusqu'à 1 mSv (0,1 rem) dans le futur" (Document de travail, Paris, avril 1991).
     Ces mesures qui pourraient être éventuellement prises appellent quelques commentaires:
     Point 1: Sur quels critères jugera-t-on nécessaire une surveillance radiologique lorsqu'on aura décidé d'après les calculs qu'il ne peut plus y avoir de problème?
     Point 2: La décontamination radioactive sur le terrain a été un échec d'après les responsables eux-mêmes (Gazette N°96/97, p. l2 et 13).
     Point 3: La réduction de la contamination des aliments par des mesures agrotechniques n'a pas été possible en dehors de quelques cas très particuliers traités en laboratoire.
     Seules semblent efficaces l'alimentation "propre" du bétail avant abattage, ce qui réduit la contamination de la viande de boucherie et la transformation du lait contaminé en beurre moins contaminé.
     Point 4: Réduire les examens radiologiques pour radio-diagnostic revient à réduire la protection sanitaire. Signalons là une incohérence; l'accroissement des maladies pulmonaires observé sur les territoires contaminés a été attribué par les officiels à la radiophobie: les habitants des zones contaminées craignant les rayonnements refusaient massivement les examens radiologiques. Les officiels eux-mêmes seraient-ils atteints de radiophobie?

Conclusion: Avec le "on efface tout et on continue", les autorités du pouvoir central s'opposent directement aux décisions des Républiques. Que va-t-il se passer alors que celles-ci avaient décidé d'évacuer les populations des zones contaminées à plus de 15 Curies/km2? (environ 250.000 personnes pour les trois Républiques). Le Parlement ukainien a même envisagé en janvier 1991 l'évacuation des habitants des zones contaminées entre 5 et 15 Ci/km2 (évacuation dite "garantie" pour la différencier de l'évacuation obligatoire des habitants des zones contaminées à plus de 15 Ci/km2). Vu les problèmes financiers rencontrés pour rendre ces évacuations effectives, il est à craindre que le pouvoir central n'ait finalement gain de cause.
     En introduisant le niveau inférieur de 1 mSv/an (0,1 rem), les autorités sanitaires semblent donner satisfaction aux scientifiques biélorussiens et ukrainiens qui réclamaient une dose-vie de 7 rem, soit 0,1 rem/an. La ficelle est un peu grosse puisque selon l'aveu même de M. Iline et de ses amis une telle dose-vie aurait impliqué l'évacuation de près d'un million de personnes!

 p.12

LA SITUATION
EN FÉDÉRATION DE RUSSIE

     Pendant longtemps les autorités officielles ont nié que la contamination radioactive puisse affecter la population. Pourtant, dès octobre 1989, des reportages ont fait état de problèmes sanitaires soulevés tant par les vétérinaires que par les médecins. En février 1990, l'Institut de Recherche Radiologique de Léningrad (dirigé par Ramzaïev, membre de la CIPR) répond que ces problèmes sont dus à la radiophobie et à l'avitaminose car les gens ne mangent plus leurs légumes.
     Nous avons toujours insisté dans la Gazette sur la nécessité du suivi vétérinaire car les animaux sont de bons bio-indicateurs sanitaires: fécondité (et donc taux d'avortements spontanés), mortalité, malformations à la naissance, etc. Apparemment, cela n'a pas inquiété Ramzaïev et Popov... Leurs oreilles vont-elles chauffer? Nous apprenons en effet qu'au cours de la "Résolution du Soviet Suprême de la RSFSR sur le programme d'élimination des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl 1990-1995" il est décidé: "Une commission d'enquête est chargée d'instruire le dossier des officiels qui ont caché les informations sur les conséquences de l'accident de Tchernobyl dans un certain nombre de régions (oblast) de la Fédération de Russie et de leur faire rendre compte de leur action incorrecte ou leur inaction dans l'élimination des conséquences du désastre au cours des années 198&1990" (article 1).
     Il est indiqué que "du temps a été irrémédiablement perdu et que la solution à de nombreux problèmes, en particulier l'évacuation des habitants de zones dangereuses pour la santé (environ 110.000 personnes dans la seule région administrative de Briansk) a été retardée d'une façon injustifiée. 

Ces habitants n'ont pas été approvisionnés en nourriture propre d'une façon suffisante, les soins médicaux et les services publics n'ontpas été assurés de façon satisfaisante".

     Des tensions sociales sont apparues dans les régions contaminées à cause du retard apporté à prendre les mesures nécessaires et une perte de confiance dans les autorités locales et centrales en est résultée dans une partie de la population.
     "Il est injustifié de reporter jusqu'en 1995 l'évacuation des habitants vivant sur des territoires contaminés à plus de 15 Ci/km2, aussi le Parlement demande à ce que l'évacuation et la réimplantation en zone non contaminée des habitants se fassent au plus tard en 1991".
     "Un programme spécial concernant les enfants doit être entrepris sous le nom "Les enfants de Tchernobyl" afin de limiter et réduire au maximum les effets néfastes sur la jeune génération... Une loi spéciale doit fixer le statut légal des victimes du désastre sous l'intitulé "Sur les droits des citoyens ayant souffert de la tragédie de Tchernobyl" (article 4).
     La production agricole contaminée doit être bannie de même que celle de la viande. Le Conseil des Ministres doit étudier la possibilité d'utiliser les terres contaminées à d'autres fins économiques et reconvertir l'activité économique sur ces territoires (article 5) (Extraits, Sovietskaya Rossiya, 2 novembre 1990).
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NOUVELLES D'UKRAINE
Les conditions de vie dans les territoires sous contrôle. Le projet de loi de janvier 1991 du Parlement ukrainien

     Les trois Républiques, Ukraine, Biélorussie, RSFSR avaient décidé d'évacuer les populations vivant sur des territoires contaminés à plus de 15 Ci/km2 en Césium 137.
     Les informations les plus récentes dont nous disposons concernent l'Ukraine où une double limitation d"'admissibilité" est définie: contamination surfacique et dose annuelle d'irradiation. Il s'agit du projet de loi proposé par la Commission chargée en Ukraine des problèmes liés à la catastrophe de Tchernobyl et qui s'intitule "Loi sur le statut du territoire ayant subi la pollution radioactive suite à l'accident de Tchernobyl" (Pravda d'Ukraine, 25 janvier 1991).
     Ce projet est en contradiction flagrante avec le nouveau "concept" élaboré récemment sous l'égide des autorités de Moscou. En particulier il rend obligatoire ("inconditionnelle") l'évacuation des territoires contaminés à plus de 15 Ci/km2 en Cs 137, envisage l'évacuation par étapes de ceux contaminés entre 5 et 15 Ci/km2, instaure un contrôle radioécologique dans les zones contaminées entre 1 et 5 Ci/km2 et décrit l'ensemble des activités interdites dans les différentes zones. Il introduit des normes dans les différentes zones pour le Strontium 90 et le Plutonium.

Loi sur le statut du territoire ayant subi la contamination radioactive (Janvier 1991)
     1) Définition des territoires contaminés
     "Les territoires, dans le cadre de la République dUkraine, ayant subi la contamination radioactive suite à l'accident de Tchernobyl sont ceux où la contamination permanente de l'environnement est la suivante pour les isotopes de:
     Cs> l,0Ci/km2
     Sr >0,15 Ci/km2
     Pu >0,01 Ci/km2
     mais également les territoires où la dose d'irradiation d'un individu peut dépasser de 0,1 rem/an (1 mSv/an) le niveau de rayonnement naturel qui existait au même endroit avant l'accident, ce qui porte atteinte à la vie et à la santé des gens, à l'état normal du système écologique, crée des difficultés dans l'activité agricole et industrielle y compris dans la production de produits "propres" et exige l'application de moyens spéciaux pour lutter contre les conséquences de l'accident" (Art. 1, chapitre 1).
     2) Différents types de zones
     Outre la zone d'exclusion initiale ayant entrainé l'évacuation des populations en 1986, on distinguera:
     · La zone d'évacuation obligatoire, inconditionnelle
     · La zone d'évacuation dite "garantie"
     · La zone sous contrôle radioécologique
     · La zone sans mesures spéciales (territoires considérés comme non contaminés).

suite:
I. Zone d'évacuation obligatoire (inconditionnelle)

Définition
     "Ce sont les territoires ayant subi une pollution radioactive intense par les radionucléides à longue durée de vie avec un niveau de contamination du sol:
     en Csl37> l5Ci/km2
     ou en Sr90 >3Ci/km2
     ou en Pu >0,1Ci/km2
     où la dose d'irradiation d'un individu peut dépasser 0,5 rem/an (5 mSv)" (art. 2, chapitre 1).
     - Du point de vue agricole "ces terres sont considérées comme dangereuses: l'habitation permanente des populations est impossible et on ne peut pas obtenir de produits agricoles dont les niveaux de contamination correspondent aux normes de la République.
     Ces terres sont exclues du cycle agricole; elles sont confisquées à leurs propriétaires et exploitants" (art. 3, chapitre 1).
     - Activités dans cette zone et également dans la zone d'exclusion de 1986: "Le but de la législation dans ces deux zones est de créer les conditions empêchant la migration des radionucléides en dehors de ces zones, de limiter les équivalents de dose d'irradiation tant individuels que collectifs pour les personnes participant aux travaux qu'il est indispensable d'effectuer sur ces territoires" (art. 10, chapitre 2).
     - Activités interdites
     "Sont interdites:
     · l'habitation permanente de la population
     · l'activité économique dans le but d'obtenir une production destinée à la vente
     · la présence de personnes n'ayant pas un permis spécial
     · l'exportation en dehors de ces zones, de terre, d'argile, de sable, tourbe, bois, produits agricoles destinés à la nourriture du bétail, plantes médécinales, champignons, baies et autres fruits sauvages des forets à l'exception des échantillons nécessaires aux études scientifiques
     · l'exportation en dehors de la zone de véhicules et d'outillages, de matériaux de construction, d'objets à usage domestique et autres, sans avoir au préalable une autorisation spéciale des services du contrôle dosimétrique
     · le pâturage du bétail, la perturbation de l'environnement du milieu sauvage, la chasse et la pêche (même sportives), le passage des animaux, le transport du bois par voies d'eau, le transit au travers de la zone par tous moyens de transport. L'accès à la zone est effectué uniquement à travers des points de contrôle et avec un permis spécial
     · toute forme d'activité contrevenant à la réglementation concernant la radioprotection" (art. 11, chapitre 2).

p.14

     - Activités permises dans la zone d'exclusion et d'évacuation obligatoire:
     · "liées à l'exploitation de la centrale de Tchernobyl jusqu'à sa fermeture et les activités technologiques liées aux blocs-réacteurs jusqu'à leur démantèlement
     · propres à assumer une situation sûre [au niveau de la sécurité] du bloc réacteur n° 4 [celui qui a explosé]
     · destinées à empêcher la migration des radionucléides hors la zone
    · liées à la surveillance permanente de la situation radiologique dans l'environnement naturel, au maintien sur le territoire d'un état sanitaire approprié avec une protection contre les incendies, au traitement et à l'enfouissement des déchets radioactifs de basse et moyenne activité selon des procédés conformes aux normes et aux connaissances actuelles, à l'application de méthodes biologiques permettant d'assurer la fixation des radionucléides..." (art. 12, chapitre 2)

II. Zone d'évacuation dite" garantie"

Définition:
     "Cette zone consiste en des territoires où la contamination en Cs 137 est comprise entre 5 et 15 Ci/km2, où la dose d'irradiation d'un individu peut dépasser 0,1 rem/an (1 mSv/an)" (arL 2, chapitre 1).
     - Utilisation des terres
     "Les terres situées dans la zone d'évacuation garantie sont considérées comme polluées par la radioactivité et donc leur usage est réglementé par le Conseil des Ministres d'Ukraine. Si d'après les conditions économiques et écologiques l'usage de ces terres est considéré comme impossible, elles sont considérées comme dangereuses du point de vue des radiations. Les propriétaires et les utilisateurs de ces terres ont droit à des compensations pour leur production si elle ne correspond pas aux normes concernant les radionucléides et s'ils ont bien effectué les mesures [agrochimiques] spéciales nécessaires pour provoquer la baisse de la contamination en radionucléides de leur production" (art. 15, chapitre III).
     - Activités interdites dans la zone
     · "la construction d'entreprises nouvelles, l'extension et la reconstruction d'entreprises existantes qui ne sont pas directement liées aux activités de radioécologie et de radioprotection de la population
     · toute forme d'activité pouvant provoquer le transport de produits radioactifs et la migration secondaire du territoire..." (art. 16, chapitre III).
     - Mesures préconisées pour abaisser les risques de maladie pour la population des zones d'évacuation garantie
     · "En vue de diminuer le risque de maladies dans ces zones, on garantit l'évacuation par étapes de la population avec une compensation complète
     · on procède au changement d'orientation des productions [locales] en vue d'obtenir une production écologiquement "propre"
     · un contrôle dosimétrique permanent est effectué concernant la contamination des sols, l'eau, l'air, les produits alimentaires, les produits comestibles des forets, le bois, les matières premières utilisées par la chimie, mais aussi les habitats et les entreprises
     · on prend toutes les mesures pour apporter à la population en quantité suffisante tous les médicaments nécessaires ainsi que les produits alimentaires "propres" et aussi les produits qui favorisent l'élimination des substances radioactives hors de l'organisme
     · un contrôle sanitaire annuel de toute la population sera effectué dans les dispensaires afin de détecter les maladies oncologiques à un stade précoce et toutes autres maladies

suite:
     · pour la population de ces zones ont été instaurés certains provilèges et des compensations selon la loi régissant le "Statut des citoyens sinistrés suite à la catastrophe de Tchernobyl" et d'autres actes de législation sont en cours..." (art. 17, chapitre III).

III. Zone sous contrôle radioécologique

Définition:
     "Cette zone consiste en des territoires où la contamination en Cs 137 est comprise entre 1 et 5 Ci/km2 et où l'excédent de dose d'irradiation par rapport au niveau de rayonnement naturel avant l'accident et au rayonnement médical ne doit pas dépasser 0,1 rem/an (1 mSv/an)" (art. 2-4, chapitre I).
      - Mesures obligatoires à prendre dans ces zones
     · "un contrôle médical régulier des habitants ainsi que des mesures sanitaires et prophylactiques seront effectuées
     · contrôle dosimétrique systématique de la production agricole
     · surveillance de la contamination de l'eau, du sol, de l'atmosphère
     · une série de mesures agrochimiques et agrotechniques d'amélioration des terres et autres afin d'abaisser la concentration en radionucléides dans tous les produits agricoles" (art. 19, chapitre IV).
     - Activités interdites
     · "la construction d'entreprises nouvelles, l'extension et la reconstruction des entreprises en activité ayant une influence nocive sur l'environnement à l'exception des cas où ces travaux ont pour but d'abaisser cette influence négative
     · tout type d'activité qui peut provoquer l'accroissement du niveau de pollution radioactive..." (art. 20, chapitre IV).

IV. Zones sans mesures spéciales

     "Ce sont les territoires où la pollution radioactive du sol en Cs, Sr et Pu est respectivement inférieure à 1 Ci/km2, 0,15 Ci/km2,0,0l Ci/km2.
     Ils sont considérés comme utilisables pour l'habitation et l'agriculture sans introduction de limitation du point de vue des rayonnements et sans qu'il soit nécessaire de prendre des mesures spéciales" (art. 2, chapitre I).

     Le chapitre V du projet de loi décrit le contrôle de la législation dans les zones ayant subi la contamination radioactive (rôle des soviets locaux, organismes d'Etat, etc.). Ainsi la surveillance radiologique du territoire, les travaux méthodologiques et la coordination des travaux sont confiés au service ukrainien de l'hydrométéorologie; celle des terres au Ministère de l'agriculture, etc.
     Le contrôle radiologique du niveau de pollution des véhicules et les problèmes liés aux autorisations pour leur déplacement hors de la zone d'exclusion et de la zone d'évacuation inconditionnelle sont confiés aux services du ministère de l'intérieur d'Ukraine. Les décisions concernant les problèmes liés aux permis d'exportation des objets domestiques, des outillages et des matériaux de construction en dehors des territoires pollués par les radionucléides dont on envisage l'évacuation de la population sont confiées au Comité d'Etat de la République d'Ukraine de protection de la population contre les conséquences de l'accident de Tchernobyl (ceci afin d'éviter la migration secondaire de la radioactivité)...

p.15

NOUVELLES DE BIÉLORUSSIE

    Le parlement biélorussien avait invité M. Gorbatchev lors de sa session de juin 1990 alors qu'il traitait des mesures urgentes à prendre pour aider les personnes subissant des détriments suite à la catastrophe de Tchernobyl. M. Gorbatchev n'est pas venu et cela a été mal perçu par la population d'autant plus que le gouvernement central n'a versé que 3 milliards de roubles au lieu du minimum nécessaire de 17 milliards prévus pour la décontamination et l'évacuation des habitants des zones très contaminées. M. Gorbatchev a essayé de se rattrapper en février 1991. S'adressant au Parlement de Biélorussie le 26/2/1991, il a déclaré qu'allait être élaborée une loi sur la protection sociale des citoyens ayant subi des préjudices suite à la catastrophe de Tchernobyl: "le maximum va être fait pour assurer les moyens sociaux et les dédommagements matériels aux personnes ayant pris part à l'élimination des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl et à ceux qui résident temporairement dans les territoires contaminés".
    Il est instructif de suivre les préoccupations du pouvoir politique des différentes républiques suite à la catastrophe de Tchernobyl. A titre d'exemple, nous présentons "les décisions du Soviet Suprême de Biélorussie sur les mesures d'accélération du programme d'Etat concernant la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl" prises à la fin juillet 1990 et publiées dans "Sovietskaya Bielorussia" du 4 août
1990. Le style est assez langue de bois et pour en faciliter la lecture nous avons regroupé différents articles de ces "décisions" sous quelques rubriques. Les intertitres sont donc de la Gazette. Notons que, désormais, dans tous les textes officiels biélorussiens, le mot "accident" (avaria) a été remplacé par "catastrophe" (catastropha).
Décisions du Soviet Suprême de Biélorussie

Décision du Soviet Suprême de Biélorussie
sur les mesures d'accélération du programme d'Etat concernant la liquidation des
conséquences de la catastrophe de Tchernobyl (juillet 1990)

     "...La République Socialiste Soviétique de Biélorussie est déclarée zone de catastrophe nationale... Elle soutient la Décision du Soviet Suprême d'Ukraine d'exiger du gouvernement d'URSS la fermeture de la centrale de Tchernobyl, au plus tard en 1992.
 

Les évacuations
     En ce qui concerne la décision d'évacuation des habitants des zones contaminées et afin de trouver des solutions aux problèmes qui en découlent, le conseil des ministres de Biélorussie aura le pouvoir de mobiliser les ressources de la population et la puissance industrielle (indépendamment des attributions ministérielles) en établissant un système d'intéressement économique pour les participants (système de primes, exonérations fiscales, etc.)... Les Soviets locaux doivent créer des commissions municipales aux pouvoirs exceptionnels pour résoudre les problèmes liés à l'évacuation... 20 % des logements construits en 1990-1991 doivent être attribués à des personnes évacuées des régions contaminées et les pertes subies de ce fait par les différents organismes qui assurent la construction doivent être compensées en 1992.
     Il faut terminer vers 1991 l'évacuation des personnes qui habitent sur les territoires pollués à plus de 15 Ci/km2, trouver les crédits en 1991 pour les travaux nécessités par la construction de 15.000 appartements dont 6.000 dans la ville de Minsk. On ne doit décider d'évacuer vers Minsk que les retraités dont les enfants résident d'une façon permanente dans cette ville, les invalides et les familles qui comprennent des invalides, ainsi que les personnes âgées sans famille.

La production agricole
     Il faut créer un système de contrôle des niveaux de radioactivité des produits alimentaires qui soit public, indépendant des services départementaux.
     Il faut arrêter en 1991 la production de produits alimentaires
dont la contamination est supérieure aux norme admissibles, indépendamment des niveaux de contamination surfacique des territoires agricoles [on peut produire un lait "sale" même sur des territoires contaminés entre 1 et 5 Ci/km2].
     Il faut interdire après 1990 l'utilisation des productions obtenues sur les territoires contaminés, sauf autorisation de la Commission sanitaire de l'académie des sciences agricoles.
     Il faut réaliser en 1990-1991 l'étude détaillée de la contamination en radionucléides des terres agricoles. Les terres sur lesquelles il est impossible d'obtenir des productions "propres" doivent être exclues du cycle agricole.
     Il faut réduire le plan de 1990 de production de viande de 100.000 tonnes et de produits laitiers de 650.000 tonnes. NdT: il s'agit de la production que la République de Biélorussie fournit aux organismes centraux d'URSS et autres Républiques)

La production industrielle
     Il faut prévoir la réduction du plan de production des tracteurs, automobiles, pièces détachées... Tous ces matériels doivent être envoyés dans les régions sinistrées.
     Les pertes qui en résultent pour les organismes producteurs doivent être compensées par les moyens financiers accordés àla lutte pour l'élimination des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl.
     Le gouvernement de la République et les Commissions du Soviet Suprême doivent élaborer un plan permettant de dispenser d'impôts les entreprises dont les activités sont orientées vers la lutte pour la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl.

Les zones contaminées entre 1 et 5 Ci/km2
     [Rappelons qu'elles concernent environ 1,8 million de personnes en Biélorussie]
     Il faut instaurer à partir du 1er août 1990 une prime de 15 roubles par personne et par mois pour les habitants des territoires contaminés entre 1 et 5 Ci/km2.

suite:
      Il faut élaborer, au cours du mois, un système de privilèges et d'avantages matériels pour les médecins et infirmiers, les instituteurs, les services de police et autres catégories de spécialistes qui travaillent dans les territoires contaminés à plus de 1 Ci/km2 afin de les attirer dans ces régions pour protéger les populations victimes de la contamination et leur assurer une vie normale.
     [Nous avions signalé dans la Gazette N°100, mars 1990, les difficultés de la vie quotidienne dans ces territoires].

Protection sanitaire
     Créer une Commission nationale pour la protection de la population entre les radiations.
     Créer un organisme chargé du contrôle de l'enfouissement des déchets et de celui des animaux [contaminés].
     Etablir un programme national de prévention des conséquences génétiques sur la population suite à la catastrophe de Tchernobyl.
     Prendre toutes les mesures pour répondre aux exigences de la population concernant les vitamines et les médicaments.
     Etablir un programme spécial "Les enfants de Tchernobyl" et un projet de législation concernant la protection sociale des enfants.
     Réaliser un ensemble d'accords avec les organes syndicaux, les komsomols, etc. concernant certains sanatoriums, maisons de repos, etc. afin que la population ayant subi la contamination radioactive puisse y effectuer des cures.

L'information
     Introduire dans les programmes scolaires, les écoles techniques et l'université l'étude de l'influence des radiations ionisantes sur l'organisme humain, sur les règles de comportement et les mesures à prendre dans les territoires contaminés.
     Le Conseil des Ministres et les députés des Soviets locaux doivent fournir une information complète à la population, concernant la situation radiologique et écologique.
     Le gouvernement de la République doit mettre au point la publication d'un hebdomadaire concernant ce problème.

Les relations (tendues) avec le pouvoir central et la souveraineté
     - Au cas où le gouvernement soviétique tarde à fournir à la République les moyens de réaliser le programme de lutte pour la liquidation des conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, le gouvernement biélorussien peut arrêter le versement des impôts au budget de l'URSS.
     - Le Conseil des ministres de Biélorussie a le droit de stopper sur le territoire de la République l'application des décisions administratives du gouvernement central d'URSS au cas où elles empêcheraient la réalisation du programme (de lutte pour la liquidation...).
     - Le Conseil des Ministres de Biélorussie doit former une Commission spéciale afin de déterminer les pertes économiques subies par la République suite à Tchernobyl.
     - Il faut préciser le concept de souveraineté économique de la Biélorussie liée à la nécessité de compensations de la part du gouvernement d'URSS suite aux pertes économiques liées à la catastrophe.
     - Il faut exiger le reversement des moyens financiers que le Ministère de l'Energie Atomique de l'URSS a versé sur le compte n° 904 (Ndlr: il y a eu un scandale au sujet des collectes effectuées en URSS après Tchernobyl car les fonds collectés auraient été consacrés aux travaux sur le site même de la centrale de Tchernobyl au lieu d'être attribués aux collectivités les plus affectées par la radioactivité. Nous ignorons s'il s'agit de ce problème).
     - Pour compenser les pertes du territoire agricole contaminé, demander une compensation pour l'amélioration des terres et des techniques agricoles au 13ème plan quinquennal d'un montant de 2,5 milliards de roubles dont 1,8 milliards pour les travaux de construcuon...

p.16
     MM. Tubiana, Pellerin et autres "experts" internationaux (AIEA, OMS, Croissant Rouge, FAO, etc.) devraient exciter leur imagination pour expliquer comment la radiophobie a pu gagner les sphères politiques du gouvernement biélorussien au point de leur faire prendre de telles décisions.
Les évaluations biaisées de l'UNSCEAR:
l'exemple de la Biélorussie
     Dans le rapport UNSCEAR (United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation - Comité des Nations Unies sur les effets des radiations atomiques) de 1988 "Sources, effects and risks of ionizing radiation", un chapitre est consacré à Tchernobyl et aux irradiations qui vont résulter de l'accident. Afin d'évaluer la contamination en URSS et en déduire les doses engagées, l'URSS a été divisée en 5 régions. La Biélorussie dans sa totalité constitue une des 5 régions (région n° 1) et sa contamination surfacique est évaluée à (p.353):
     39 kBq/m2 en Cs 137
     21 kBq/m2 en Cs 134
     Si l'on se réfère aux données de l'AIEA de juillet 1990, identiques à celles de Belyayev et Demin ,Paris, avril 1991), on trouve que la superficie du territoire biélorussien contaminé est:
     entre 5 et 15 Ci/km2 (en Cs 137): 10.l60km2
     entre l5 et 40Ci/km2 (en Cs 137): 4.210km2
     au dessus de 40 Ci/km2 (en Cs 137): 2.150 km2
     En prenant respectivement comme valeurs moyennes 10,27 et 60 Ci/km2, on arrive à une contamination globale du dépôt en Cs 137 de 344.270 Ci pour une superficie de 207.000 km2 soit une activité surfacique moyenne de 1,66 Ci/km2 ou 61,5 kBq/m2 au lieu de 39 kBq/m2! Or on doit tenir compte du territoire biélorussien contaminé entre 1 et 5 Ci/km2 et qui couvre environ 20 à 25.000 km2. Ceci introduit 50.000 Ci dans le total! Les 80 % "non contaminés" de la Biélorussie ne sont pas exempts de contamination. il s'agit de 165.000 km2 dont on peut estimer l'activité surfacique moyenne à 0,1-0,2 Ci/km2 ce qui rajoute entre 16;000 et 30;000 Curies. Ainsi la contamination totale est d'environ 414.000 Ci, soit une activité moyenne de 2 Ci/km2 ou 74 kBq/m2. On aboutit ainsi à un facteur de sous-estimation voisin de 2 à partir des données officielles (dont on a toute raison de penser qu'elles ne noircissent pas la réalité) et donc une sous-estimation d'un facteur 2 pour les doses engagées rien que par la contarnination surfacique.
A propos de la viande "propre" en Biélorussie

     La région de Gomel en Biélorussie est une région d'élevage sévèrement touchée par la contamination. Un des problèmes est donc de produire de la viande et du lait "propres". Nous indiquons par ailleurs que de la viande contaminée est exportée hors de Biélorussie.
     Nous avions déjà signalé qu'une des méthodes utilisées pour abaisser la contamination était de nourrir le bétail avec de la nourriture "propre" juste quelques mois avant l'abattage de façon à ce que les bétes éliminent le Cs radioactif. Ce point a été confirmé par R.G. Iliazov (Luxembourg, octobre 1990). L'élimination du Césium est décrite par 2 fonctions exponentielles avec des périodes biologiques de 14 jours et 80 jours.
     Question d'un participant: Quel est l'état sanitaire des bêtes?
     Réponse: Dans 24 régions touchées de Biélorussie, il y a des visites vétérinaires systématiques, une par trimestre pour les régions les plus touchées.
     On observe une dépression de la fonction thyroïdienne et des modifications histologiques, biologiques et hématologiques. On considère que ces bêtes sont saines.

Commentaire:
     L'ingestion de fourrage contaminé produit, nous dit-on, des modifications d'un certain nombre de paramètres biologiques dans le bétail. Il suffit de déclarer que les bêtes sont saines. N'en serait-il pas de même pour les humains quand M. Douchoutine déclare qu'il n'y a pas eu de modification de l'état sanitaire de la population? Les bêtes sont-elles aussi atteintes de radiophobie?

p.17

PROTECTION DES ENFANTS
ET CONTAMINATION PAR LES CÉSIUMS
     Dans les récents modèles de radioprotection (NRPB-GS8, 1987), il est supposé que la période biologique du Césium pour les enfants de 1 an est réduite d'un facteur 5 par rapport à celle des adultes, ainsi il n'est pas nécessaire d'envisager des limites dérivées plus faibles, spécifiques pour les enfants. En fait, on connaît très peu de choses sur la période biologique des césium 137 et 134 chez les enfants.
     D'après Leggett R.W. (Health Physics, vol. n°6, june 1986, 747-759):
 
Auteurs Nbre de sujets Groupe d'âge (en jours) Période biologique (en jours)
  plage moyenne
Wilson (1967) 4 0-183 1 à 22 12
Bengtsson et al (1964) 2 2-12 10 à 25 23
Pendleton (1965) 5 17-143 12 à 33 19

     La valeur moyenne de la période biologique à partir d'un si petit nombre de cas n'a guère de signification. La limite supérieure qui devrait être prise en compte pour la radioprotection pourrait être plus grande que 33 jours. Pour déterminer cette limite, il est nécessaire d'obtenir des données sur des cohortes d'enfants beaucoup plus importantes, incluant divers paramètres: le sexe, l'âge, le poids, des paramètres spécifiques (conditions sanitaires du système musculaire, etc.).

     La charge corporelle dépend de la période biologique. Pour calculer les doses engagées relatives à une certaine incorporation de césium, il est nécessaire pour la radioprotection de connaître la valeur maximum de la courbe de dispersion pour les enfants qui appartiennent au groupe critique et pour lesquels il serait nécessaire d'avoir des limites dérivées spécifiques.

     Ce texte a été présenté en anglais sous forme de poster[23, voir note p. 23] au séminaire organisé par la Commission des Communautés Européennes concernant la comparaison de l'impact sur l'environnement de trois accidents nucléaires majeurs, Kychtym, Windscale, Tchernobyl (Luxembourg, 1-5 octobre 1990).
     Le métabolisme du Césium et la charge corporelle résultant de l'ingestion de Cs radioactif sont peut-être beaucoup plus complexes que ne le laisse supposer la fixation d'une seule LAI (Limite Annuelle d'Incorporation) par ingestion indépendamment de l'âge (nourrisson, jeune enfant, adolescent, adulte).
     Le rapport annuel d'activité de l'IPSN de 1989 au paragraphe intitulé "Transfert dans la chaine alimentaire" (chapitre 1-3 "La maîtrise des conséquences radiologiques des accidents") indique que le problème s'est posé au niveau européen (Bruxelles, 1988 et 1989) pour le bétail (p. 43). Les niveaux maximaux admissibles de contamination pour la commercialisation des aliments du bétail devraient être différents pour les animaux jeunes et les adultes. En effet, "le fort coefficient de transfert chez les animaux jeunes par rapport aux sujets adultes pose pour les aliments du bétail le problème de la fixation, non pas d'un seul, mais de deux niveaux d'intervention, l'un bas pour les animaux jeunes, l'autre plus élevé pour les animaux adultes".

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PROBLÈMES ET QUESTIONS
Au sujet des évacuations effectuées en 1990

Il nous a été impossible d'avoir des précisions sur les personnes qui ont été réellement déplacées en 1990 dans les régions contaminées des Républiques d'Ukraine, de Biélorussie et de la Fédération de Russie car les nouvelles sont complètement contradictoires et fantaisistes. Ainsi "Report on the USSR[14], vol. 3, n° 7, 15 feb. 1991" indique que 72.700 personnes auraient été évacuées d'Ukraine et Biélorussie selon l'agence Tass, d'après des informations fournies par Victor Goubarov, Président du Comité d'Etat chargé de l'élimination des conséquences de l'accident de Tchernobyl. Une dépêche de l'agence Tass du 17 avril 1991 rapporte que 88.000 personnes auraient été déplacées alors que 29.000 étaient prévues. Or, une interview du même V. Goubarov publiée en avril 1991 dans le bulletin édité par le Bureau soviétique d'information[15] de Paris, indique "on prévoyait de transférer l'année dernière 29.000 personnes. Selon les chiffres que nous possédons et qui ne sont pas définitifs, 26.900 l'ont été réellement... Les transferts les plus intenses ont lieu en Biélorussie".
     Les informations provenant directement de la presse biélorussienne sont beaucoup plus pessimistes puisqu'on peut lire dans Sovietskaya Biélorussia du 27/11/1990 lors de l'interview de A.C. Kamaï, membre du Comité Central du PC de Biélorussie: "nous devons faire tout notre possible pour déplacer cette année les habitants des zones coptaminées à 40 Ci/km2 et plus (Soit 7.454 familles) et pour déplacer au cours du 1er semestre 1991 les familles ayant des enfants de moins de 14 ans, les femmes enceintes, les personnes ayant des contre-indications médicales habitant dans les zones contaminées entre 15 et 40 Ci/km2. Réaliser cet objectif est extrêmement difficile, mais la situation est exceptionnelle".
     Il y a donc énormément de retard dans la réalisation du programme élaboré par le parlement biélorussien en octobre 1989 et qui prévoyait l'évacuation urgente de 17.000 personnes en 1990-1991 habitant les zones contaminées à plus de 40 Ci/km2 (Gazette N°100, mars 1990) et l'évacuation ultérieure d'environ 100.000 personnes habitant les zones contaminées entre 15 et 40 Ci/km2. Il semble bien que les décisions d'août 1990 soient restées sans effet, faute de moyens de financement.

La contamination du bassin hydrographique

     Pour stopper la contamination du fleuve Pripet (appelé aussi Pripyat), des travaux importants ont été réalisés dès mai 1986 sur le site même de Tchernobyl: construction de digues et d'un mur souterrain pour confiner les eaux provenant de la zone proche du réacteur et des zones avoisinantes (Y. Izraël, Pravda, 20/3/1989).
     Des barrages de filtrage, plus d'une centaine, ont été construits sur les rivières pour empêcher la migration des radionucléides vers l'aval dans le lac réservoir de Kiev. Ceux-ci n'ont pas toujours donné les résultats escomptés si l'on en croit A. Volkov, Directeur du laboratoire agricole de Polésie: lors des crues, les sédiments contaminés passent au-dessus des barrages et se redéposent dans des endroits où le courant de la rivière est plus calme. Il a fallu détruire certains barrages car ils risquaient de faire changer le niveau de la nappe phréatique (Izvestia 26/3/1990).

suite:
     Selon A. Volkov, le Pripet est pratiquement perdu avec son bassin versant et devrait être utilisé uniquement comme réserve écologique. Toutes les rivières (Pripet, Soj, Niesvitch, Ipout, Beced, Braguinka, Kolpita, Kopot) transportent vers le Dniepr les limons contaminés puis dans le lac réservoir de Kiev et ensuite la Mer Noire via le Dniepr. Il fait remarquer que les centrales hydro-électriques situées sur le Dniepr sont menacées et que dans cette région jusque vers la Mer Noire, vivent 40 millions d'habitants.
     Dans leur communication sur "les aspects hydrologiques et physico-chimiques de la contamination des bassins versants suite à l'accident de Tchernobyl", O. Voïtcékhovitch et al (Luxembourg, octobre 1990) font une estimation de la contamination des sédiments du lac réservoir de Kiev: elle s'élèverait à 2.575 Ci en Cs 137 pour une superficie totale de 922 km2, soit une activité surfacique moyenne de 2,8 Ci/km2. La contamination est plus élevée à l'amont, au confluent du Pripet et du Dniepr, et à l'aval à l'embouchure du Dniepr. Elle atteint 33 Ci/km2 au point le plus contaminé.
     La contamination de l'eau inquiète beaucoup certains scientifiques. Dans l'importante compilation effectuée pour la Commission des Communautés Européennes et l'Union Internationale des Radioécologistes: "Impact radioécologique de l'accident de Tchernobyl sur les écosystèmes aquatiques continentaux" (Rapport XI-3522/90 FR) les auteurs L. Foulquier et Y. Baudin-Jaulin font la citation suivante: à la question posée au professeur Grodzinski quelle est votre principale inquiétude pour les suites de Tchernobyl?, il répond: "Les fonds aquatiques. Il est difficile d'identifier précisément les fonds que l'on doit surveiller et stabiliser. Il y a un danger de remise en solution des radioéléments et transfert vers le milieu vivant".
     Enfin, il ne faut pas oublier les enfouissements hâtifs de déchets contaminés sur le site même de Tchernobyl dans des puits et tranchées insuffisamment étanches. Par lessivage, des radionucléides commenceraient à contaminer les eaux souterraines (Zh. Medvedev, Nuclear Engineering International, april 1991).

La migration des radionucléides dans le sol

     Elle se révèle extrêmement complexe, dépendant entre autres de la fraction soluble/insoluble de la forme chimique sous laquelle se trouve le radionucléide considéré et de la nature du sol: composition et acidité du milieu, structure cristalline (argiles, sables podzol, etc.). Elle dépend aussi du "modelé" et des paysages (végétation et occupation des sols, espaces forestiers, prairies, terres agricoles...) de la topographie du terrain (réseau hydrographique, relief, etc.).
     D'après E.P. Petryayev (Luxembourg, octobre 1990), les études effectuées dans trois régions considérées comme représentatives de l'ensemble des zones contaminées de Biélorussie montrent que 4 ans après l'accident 50 à 97 % du Cs est toujours dans la couche superficielle du sol, de 0 à 1 cm de profondeur. 

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Cs et Sr ont des comportements différents dans la terre: en 1989, 76 à 99 % du Cs se trouve à l'état fixé, non échangeable (c'est-à-dire qu'il ne peut être extrait de la terre quand elle est traitée par de l'acide chlorydrique). Par contre, le Sr est plus soluble (environ 16 %) et échangeable (environ 90 %), la fraction échangeable augmentant avec la distance à Tchernobyl.
     Remarques: nous avions indiqué dans la Gazette N°96/97 le modèle utilisé par le National Radiological Protection Board concernant l'évolution du débit de dose efficace en fonction du temps pour un dépôt initial de 1 Bq/m2 en Cs 137. Au bout de 5 ans, le débit de dose par jour diminuait de moitié, passant de 4.10-11 Sv au temps t = 0 à 2,1.10-11 Sv au temps t = t0 + 5 ans, impliquant une période géophysique de migration dans le sol voisine de 6,5 ans (période physique du Cs 137 = 30 ans). Les résultats de Petryayev et al semblent indiquer une fourchette de périodes géophysiques plus longues. En tout cas, elles sont incompatibles avec les valeurs très courtes indiquées par Belyayev et Demin (Paris, avril 1991): 2 à 4 ans. De telles valeurs leur ont permis de diviser les doses par irradiation externe mais paraissent peu crédibles. C'est sur la base de telles estimations qu'ont été évaluées les doses externes reçues au cours des années 1986-1989 par les populations des zones,sous contrôle strict (ainsi que la dose pour l'année 1990: 0,1 mSv par Curie de Cs 137 et par km2 pour la population rurale...).
     Nous voyons sur cet exemple que seules les études a posteriori et en temps réel permettent d'évaluer la situation radîoécologique en un lieu donné et qu'il est facile de biaiser les résultats en réduisant la période géophysique d'un facteur 2 à 3 et plus, ce qui diminue d'autant les doses externes reçues.

La migration secondaire

     Nous avons déjà indiqué que la radioactivité se répand par les transports sur les routes non goudronnées, les travaux agricoles, l'utilisation pour le chauffage de tourbe et bois contaminés, le déplacement du bétail, etc.
     E. Konoplya a donné deux exemples de dispersion de la radioactivité observés en Biélorussie (Luxembourg, octobre 1990):
     - à Moghilev, ville "propre", on observe 2 pics de radioactivité chaque année d'avril à juin et d'août à octobre à cause des travaux agricoles dans les zones contaminées. [D'après les cartes de contamination, la zone la plus proche (40 Ci/km2 en Cs 137) est à 70km de Moghilev (Gazette N°100, p. 16-17)].
     - Après un incendie de forêt à environ 10 km de la zone interdite, une élévation importante de la radioactivité ambiante, jusqu'à 10 et 15 fois, a été enregistrée dans toute la Biélorussie.

Le terme source et les doses reçues dans la "phase d'urgence"

     Des divergences existent concernant le terme source de la catastrophe de Tchernobyl entre les données soviétiques et celles calculées par les chercheurs du Lawrence Livermore National Laboratory (P.H. Gudiksen, Luxembourg, octobre 1990) pour qui la totalité des gaz rares, 60% des Iodes, 40% des Césium, 10% du Tellure et environ 1% d'éléments réfractaires, ont été rejetés. Les données soviétiques (Borovol, Luxembourg, octobre 1990) indiquent 20% pour l'iode 131 et 13% pour le Césium 137. Toutes ces données sont sujettes à révision.

suite:
     Ces données sont importantes pour tenter d'estimer les doses reçues par les populations au cours de la phase d'urgence qui s'est prolongée bien au-delà du 15 mai. Pas seulement par rayonnement externe mais également par inhalation et migration des radionucléides dans l'alimentation et l'eau, en particulier par l'iode 131 et autres radionucléides à vie courte, sans oublier les Césium 134 et 137. Quel a été le niveau réel de contamination de l'eau alimentant Kiev et ses environs? Nous ne sommes guère convaincus par l'affirmation de Y. Izraël (Pravda, 20 mars 1989) selon laquelle l'eau n'aurait pas atteint la "norme" soviétique de 10-8 Ci/l (370 Bq/1) en rayonnement bêta.
     Il ne faut pas oublier que le scénario Tchernobyl ne s'est pas déroulé selon les prévisions des experts concernant l'accident majeur: les émissions massives se sont poursuivies pendant 15 jours. On est loin des 24 à 48 heures de la phase d'urgence régissant les PPI (Plans Particuliers d'Intervention) français.

Les fissures du sarcophage
     Elles représentent une surface d'environ 1.000 à 1.500 m2. Il reste environ 180 tonnes de combustible à l'intérieur du sarcophage, représentant une activité de 9 mégacuries (9 millions de curies). Une partie est sous forme de "lave" (il s'est formé des cristaux de silicate d'uranium-zirconium de nature inconnue avant Tchernobyl).
     Le combustible serait dans un état nettement sous-critique. La partie dangereuse pour l'environnement consiste en des aérosols de poussières, fragments du coeur sous forme de particules fmes de combustible. Des dispositifs ont été installés pour rabattre les poussières et, selon Belyayev et al (Paris, avril 1991), le rejet à l'intérieur "serait insignifiant"... (in "Conduite technique sur le site de Tchernobyl. Etat et devenir du sarcophage", p. 30).

Avenir du "sarcophage"
     Belyayev et al poursuivent:
     "Peut-on laisser en place le "sarcophage" le temps pour lequel il a été calculé, c'est-à-dire environ 20 ans? De notre point de vue, cela est risqué.
     Premièrement, avec le temps, le magma se trouvant dans le "sarcophage" acquiert des formes de plus en plus mobiles. La "lave" se désagrège, formant pour l'essentiel de la poussière de combustible et en partie des composés solubles.
     Le danger potentiel de rejet à travers les fissures et d'entraînement radioactif avec l'eau, s'accroît (l'eau pénètre dans le bâtiment à travers les fissures et est ensuite rejetée vers l'extérieur).
     Deuxièmement, le danger de destruction des structures internes sous l'influence d'actions naturelles (du fait des fuites du bâtiment) augmente avec le temps. Leur renforcement est de plus en plus onéreux aussi bien du point de vue coût financier, qu'en dépense en doses d'irradiation du personnel.
     Troisièmement, la non-étanchéité du "sarcophage" s'accroît avec les années.
     Ainsi, la part de risque augmente et peut atteindre une limite dangereuse non pas dans 20 ans, mais dans 7-10 ans. Et plus tôt ce danger cessera de croître, mieux cela sera.

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     Ainsi, quel est le destin du "sarcophage?". La variante principale consiste à proposer d'assurer l'étanchéité par réalisation du "sarcophage-2" (ou Protection 2). Sa réalisation permettra d'une part de protéger l'environnement des conséquences de la destruction de la tranche 4, et d'autre part préservera la possibilité d'accès à la concentration de combustible et, à l'avenir, rendra possible l'évacuation des matériaux radioactifs.
     Jusqu'à quel point cette évacuation est-elle possible?
     On sait qu'après l'accident de T.M.I., le combustible détruit est resté à l'intérieur d'enveloppes étanches. Cette situation a été mise à profit pour effectuer le démontage sous l'eau à l'aide d'un robot spécialement construit à cet effet. Ce travail a nécessité plus de dix ans d'efforts et a coûté un milliard de dollars. L'accident de Tchernobyl est de beaucoup plus grande ampleur. La possibilité de remplir d'eau la tranche accidentée, les robots capables de travailler dans ces décombres n'existent pas non plus.
     Aussi, si l'on envisage malgré tout de démonter le "sarcophage" dans 5 à 10 ans, il est indispensable, en parallèle avec l'amélioration de l'étanchéité de la construction existante, de commencer activement à étudier les méthodes et les moyens pour le démontage projeté.
     D'ores et déjà, il existe des idées originales. Puisqu'on ne peut entreprendre un démontage sous eau, peut-etre est-il possible de remplir avec des composés légers spéciaux à durcissement rapide, lier avec eux la poussière des combustibles et passer au démontage de la tranche 4 ; comme placée alors dans une "solution solide".
     De notre point de vue, il serait très souhaitable d'associer aux discussions et à la solution du problème de l'avenir du "sarcophage" les chercheurs et les ingénieurs de diverses spécialités aussi bien dans notre pays qu'à l'étranger". (p. 30 idem)

     - La zone interdite évacuée en 1986 n'est pas un cercle de 30 km de rayon. Elle s'étend en Biélorussie j'usqu'à 50 km du réacteur (carte AIEA publiée par Zh. Medvedev in Nucl. Eng. Int., april 1991; Gazettes Nucléaires no 96/97 et 100).
     - Les niveaux de contamination en Cs 137 et Sr 90 sont repris de Naouka i Jizn, sept 1990. Remarquons que la région de Brest n'est pas indiquée comme fortement contaminée alors que des villages sont en instance d'évacuation...

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L'ENSEIGNEMENT DE TCHERNOBYL
EN FRANCE
Trois fois 35 rem, ce que le gouvernement français considère comme "acceptable" en cas d'accident nucléaire majeur

     Monsieur Pellerin, fonctionnaire du Ministère de la Santé, a préconisé en Biélorussie une limite d'intervention allant jusqutà 105 rem. C'est la dose engagée pour un individu vivant pendant 70 ans sur un territoire contaminé[16,17]. Rappelons qu'une dose de 105 rem sur 70 ans, soit en moyenne 1,5 rem (15 mSv) comme dose limite annuelle, représente 3 fois la limite légale française actuelle qui est de 0,5 rem (5 mSv) et 15 fois celle recommandée depuis 1985 par la Commission Internationale de Protection Radiologique qui est de 0,1 rem par an (1 mSv). N'ayant pas été rappelé à l'ordre par le Ministère de la Santé, ni par le Premier Ministre, on est en droit de penser que M. Pellerin a exprimé l'opinion du gouvernement. D'ailleurs, nous n'avons reçu aucune réponse à la lettre adressée au Ministre de la Santé dans laquelle nous nous étonnions des prises de position de son fonctionnaire[17]. Une réponse pour septembre 1990 avait été promise à la délégation qui s'était rendue en juin au Ministère de la Santé. Depuis, rien.
     En cas d'accident nucléaire, appliquer ce critère de 105 rem veut dire laisser vivre des habitants sur des territoires contaminés au lieu de les évacuer. Ils recevraient au bout de 70 ans une dose engagée de 105 rem par ingestion d'aliments contaminés, inhalation de poussières radioactives, irradiation externe par les dépôts au sol.
     Appliquer ce critère à 10 millions d'habitants revient à "accepter" un nombre de morts par cancers radioinduits. Cet excès de morts par cancer est le suivant, selon les différents facteurs de risque adoptés:
     - d'après la CIPR version 1990: 525.000 morts
     - d'après les résultats bruts du suivi des survivants japonais (RERF-l987):1.800.000 morts
     Du point de vue des maladies héréditaires graves, la CIPR version 1990 (février et novembre 1990) indique 100 cas pour les générations à l'équilibre, dont 40 se révélant dans les deux premières générations lorsque la dose collective est de 1 million d'homme x rem (ou 10.000 hS v). Pour 10 millions d'habitants recevant 105 rem, le nombre de cas à l'équilibre serait de 105.000. Selon le généticien soviétique V. Chevchenko, il pourrait être de 2 à 14 fois plus élevé[18], soit de 210.000 à 1.470.000...
     Est-ce cela que notre gouvernement considère comme socialement acceptable en cas d'accident majeur dans une centrale française?
     Il n'est pas sûr que les "responsables" politiques aient bien réalisé les conséquences de leurs décisions. On aimerait quelques précisions de leur part. La question est simple: En cas d'accident nucléaire grave, quel est le nombre de morts que notre gouvernement considère comme acceptable?

suite:
Il ne s'agit pas seulement des morts à court terme (on oublie d'ailleurs que, s'il avait plu à Kiev en avril-mai 1986, ce n'est pas 31 morts parmi les intervenants rapprochés qu'il y aurait eu à déplorer, mais des milliers de morts par maladie des rayons dans la population de la capitale ukrainienne) mais des morts par cancer à plus long terme [19,20] dont on évite soigneusement de parler et qui donnent pourtant aux catastrophes nucléaires leur dimension spécifique.
     Il y a lieu d'être très inquiets. Lors du séminaire tenu à Luxembourg (octobre 1990), nous avons diffusé aux participants la lettre au ministre de la Santé, Claude Evin. Le Dr E.D. Stoukine, scientifique soviétique qui travaille à la surveillance radiologique du site de Tchernobyl (et ne comprenait pas le sens de cette lettre), nous a précisé le point suivant: lors d'une table ronde à la télévision de Kiev (courant janvier 1990 semble-t-il), le Pr Pellerin aurait affirmé qu'en cas d'accident nucléaire en France, on appliquerait comme critère d'évacuation dans la gestion du moyen terme une dose-vie bien supérieure à 35 rem. Nos craintes semblent donc, hélas, justifiées...

Nota: Les densités de population en France autour des centrales sont beaucoup plus élevées qu'en URSS et il n'est pas déraisonnable de penser qu'un accident majeur pourrait concerner 10 millions d'habitants. Cela ne veut pas dire que l'accident serait du type Tchernobyl ! Rappelons ce que disait une intervenante lors du Colloque de Montauban[21] suite aux communications de P. Tanguy et R. Sené[22]. En voici un extrait: "Je voudrais faire un commentaire sur le retour d'expérience dont ont parlé MM. Tanguy et Sené et qui caractérise le fonctionnement de notre système industriel.
     Lorsqu'un accident se produit, on analyse le déroulement et les causes de cet accident. On définit ce qu'il faut faire pour que cet accident précis ne se produise pas. Mais il est clair que celui-ci ne se reproduira pas! Le prochain accident nucléaire ne sera ni Three Mile Island, ni Windscale, ni Tchernobyl... Ce sera quelque chose d'autre, quelque chose qui n'aura pas été prévu - car s'il avait été prévu, il ne se produirait pas".
     M. Tanguy: "Si nous nous limitions à éviter que le même accident ne se reproduise, nous ne ferions pas tout à fait notre travail: nous essayons d'aller au-delà. Nous bénéficions d'un échange d'expériences internationales très large: nous essayons de tirer les enseignetnents des incidents qui interviennent ailleurs que chez nous. L'ensemble des accidents possibles est tout de même limité, de sorte que nous pensons pouvoir couvrir avec le temps la totalité des cas possibles. Mais je reconnais que nous ne sommes pas sûrs d'être absolument exhaustifs et que s'il doit se produire un accident, ce sera celui que nous n'aurons pas prévu".

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LES EXPERTS INTERNATIONAUX
     Certains comités d'experts internationaux interviennent de plus en plus souvent et de plus en plus ouvertement dans les affaires internes des Républiques de Biélorussie, d'Ukraine et de Russie concernant la gestion post-Tchernobyl. Il est intéressant d'apporter quelques précisions sur ces comités et sur leurs experts.

     1. L'AIEA (Agence Internationale de 1'Energie Atomique).
     Le statut de l'AIEA est défini par le traité signé le 26 octobre 1956 au siège de l'organisation des Nations Unies. Pour la France, ce traité a été ratifié par une loi le 1/8/1957 (Journal Officiel du 3/8/1957).
     L'article 3, paragraphe A, alinéa 1, définit:
     "L'Agence a pour attributions:
     D'encourager et de faciliter, dans le monde entier, le développement et l'utilisation pratique de l'énergie atomique à des fins pacifiques et la recherche dans ce domaine".
     L'AIEA est donc d'abord avant tout une agence de promotion internationale de l'énergie nucléaire (atomique).
     La prise de conscience au niveau mondial des effets catastrophiques que peuvent avoir certains accidents nucléaires est bien sûr une gêne considérable pour le développement de l'énergie nucléaire et l'implantation massive des installations nucléaire un peu partout dans le monde, y compris dans les pays ayant de faibles infrastructures techniques et industrielles. Dans ces conditions, il entre bien dans les "attributions" de l'Agence d'atténuer ces effets néfastes qui peuvent à la limite stopper net tout développement de l'énergie nucléaire.
Nous avons publié en janvier 1988 (Gazette N°84/85) certaines perles de Morris Rosen, le Directeur de la Division de la Sûreté Nucléaire à l'AIEA[23]. "Un accident nucléaire n'est certainement pas tolérable pour l'individu mais pourrait être tolérable pour la société", a-t-il déclaré le 8 janvier 1987 à Paris. Il ne définit pas bien sûr qui doit décider de ce qui est "tolérable": les individus ou les représentants auto-proclamés comme lui de la société. D'après les références qu'il avançait, on pouvait se faire une idée de ce qu'il concevait comme la catastrophe "intolérable": un accident où il n'y aurait pas de survivants!
     Enfin, pour lui "Même s'il y avait un accident de ce type [Tchernobyl] tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante" (Le Monde, 28 août 1986).

     2. L'UNSCEAR (Comité Scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des radiations atomiques). Ce comité scientifique a été créé lors de l'assemblée générale des Nations Unies de 1955. Il est constitué par des représentants de 21 pays qui sont désignés par les gouvernements.

suite:
De par sa nature, malgré son titre de comité scientifique, l'UNSCEAR est un organisme représentatif des gouvernement et bien sûr de leurs intérêts. Le représentant des intérêts français est H. Jammet, un employé du CEA qui depuis sa mise à la retraite est conseiller technique auprès de la direction du CEA. On y trouve aussi les personnes suivantes[24]: Lafuma (CEA), Bertin (EDF), Tubiana (Comité médical de l'EDF), Dutrillaux (Conseiller au CEA), Bouville[25] (CEA), Masse (CEA), Uzzan (CEA), Lemaire (?) et Pellerin (bien connu). Le gouvernement français a choisi pour être représenté dans ce comité scientifique des gens qui, dans leur quasi totalité, sont des employés rémunérés par le CEA ou l'EDF.

     3. L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé). La constitution de l'OMS a été adoptée par la Conférence internationale de la Santé (New York, juin-juillet 1946) et signée par les représentants de 61 Etats le 22 juillet 1946.
     Le préambule de sa constitution précise quelques points qui doivent définir son action:
     "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social.
     "La possession du meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constitue l'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race (sic), sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale.
     "Le développement sain de l'enfant est d'une importance fondamentale.
     "Les gouvernements ont la responsabilité de la santé de leurs peuples ; ils ne peuvent y faire face qu'en prenant les mesures sanitaires et sociales appropriées".
     Comment l'OMS concilie-t-elle ces obligations avec son appui aux autorités centrales du pouvoir soviétique qui refuse d'évacuer des populations vivant sur des territoires contaminés? Mieux, elle a envoyé certains de ses représentants (dont notre Pellerin) pour proposer des normes d'évacuation plus élevées que celles des experts soviétiques officiels. Cette pratique se comprend mieux quand on oublie le texte fondateur de l'OMS et qu'on se réfère aux décisions de la Douzième Assemblée Mondiale de la Santé, le 28 mai 1959, approuvant l'accord entre l'AIEA et l'OMS. Le premier article de cet accord stipule: "L'AIEA et l'OMS conviennent que, en vue de faciliter la réalisation des objectifs définis dans leurs actes constitutifs respectifs, dans le cadre établi par la Charte des Nations Unies, elles agiront en coopération étroite".
     Les tâches de l'OMS étant la protection inconditionnelle de la santé des individus, on voit mal comment cela peut s'articuler avec la tache fixée à l'AIEA de promouvoir l'énergie nucléaire.

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L'EFFET BÉNÉFIQUE
DU CÉSIUM RADIOACTIF!...
     Nous avons trouvé la citation suivante de D. Popov, autorité scientifique "éminente" d'URSS:
     "Dans les régions contaminées par les radionucléides, des conditions favorables se sont créées d'elles-mêmes où les gens reçoivent gratuitement des doses de Césium curatives [!!!...] qui correspondent à des bains dans des eaux riches en radon".
     "Dans ces régions, il y a une augmentation de certaines maladies mais le seul diagnostic est: radiophobie de masse".
(dans Izviestia 26/3/1990,
"La catastrophe. Les leçons de Tchernobyl")


     Ce genre de conception sur l'effet bénéfique des faibles doses de rayonnement n'est pas nouveau. Le défenseur le plus farouche de cette idée a été Maurice Delpla, membre du Comité de Radioprotection d'EDF (actuellement à la retraite).
     En 1974, il présentait avec G. Wolber (lui aussi membre du Comité de Radioprotection d'EDF) une communication au Premier Congrès régional de radioprotection (Bombay, 15-20 décembre 1974): "Modèles mathématiques sanitaires et leur emploi malencontreux". On peut y lire: "Nos connaissances de ce domaine, depuis 1957, ont progressé, révélant l'existence de seuils et probablement d'effets qu'on pourrait qualifier de radioprotecteurs. Ceux-ci s'observant autant dans le domaine somatique que génétique". Le 29 avril 1975, les deux auteurs précédents à qui s'était joint un troisième membre du Comité de Radioprotection d'EDF, Suzanne Vignes, présentaient à la Société Française de Radioprotection leurs travaux sur "Les cancers à Nagasaki et à Hiroshima". En résumé, pour ces auteurs: "Il semble bien que l'irradiation à une cinquantaine de rems ait ajouté un risque négatif de leucémogénèse".

     Maurice Delpla a continué à publier sur cet effet radioprotecteur des doses de 50 rem (par exemple Delpla, Chevalier: Negative Leukaemia excess risk, in proceedings of the British Nuclear Energy Society international conference, mai 1987, Londres).
     Dans leur article de 1974, Delpla et Wobler avaient bien vu l'importance de ce phénomène radioprotecteur (actuellement appelé Hormésis). Ils écrivaient : "L'usage incorrect des modèles handicape actuellement la radiologie et, si l'on n'y prend garde, va peser lourdement et en pure perte sur les applications industrielles de l'énergie nucléaire... Il est grand temps de revenir à des attitudes plus réalistes".
     Suivant ces auteurs, la contamination due à Tchernobyl devrait donc avoir des effets bénéfiques... Il ne serait pas "réaliste" d'évacuer les gens des territoires touchés. Normalement, d'après leur conception de l'effet du rayonnement, on pourrait y implanter des industries fortement polluantes en produits cancérigènes car les gens ont, par suite de Tchernobyl, été soumis à un traitement radioprotecteur!

     Est-ce un hasard si des personnages ayant de telles conceptions sur les effets biologiques du rayonnement ont été sélectionnés pour faire partie du Comité de Radioprotection d'EDF?

p.24a

BREVES
Un procès contre les officiels soviétiques responsables de la gestion post-accidentelle de Tchernobyl

     Selon l'agende Tass, 7février1991, rapporté par la BBC (Summary of world broadcasts, SU/0991i-8 feb. 1991): "Le procureur général d'URSS instruit un dossier criminel accusant les officiels de négligence et d'abus de pouvoir dans la gestion post-accidentelle de l'accident de Tchernobyl. Une enquête révèle que les officiels n'ont pas évalué correctement l'ampleur du désastre. La population n'a pas été évacuée de zones contaminées, on n'a pas tenu compte des niveaux de rayonnement présents et des déchets radioactifs n'ont pas été enfouis d'une façon garantissant la sécurité. De nouveaux logements ont été construits dans des zones contaminées et il n'y a pas eu de contrôles sur la vente de produits alimentaires provenant des zones contaminées".
     Note Gazette: Gageons que si un jour Iline, Ramazaïev, Borovoï, etc. sont jugés, ils auront comme témoins à décharge Pellerin, Tubiana, etc.

Les pertes économiques causées par l'accident de Tchernobyl

     "Une estimation des pertes occasionnées par la contamination des terres suite à l'accident de Tchernobyl s'élève à 94,5 mllliards de roubles. Il est clair qu'il sera impossible d'utiliser ces terres pendant des décennies.
     Le montant total des pertes causées par l'accident avoisinerait 215 milliards de roubles" (Moscou, 24/11/1990, retransmis par la BBC).
     Note Gazette: Dans la promotion de l'énergie nucléaire, le coût d'un accident majeur n'est jantais pris en compte pour évaluer le prix du kW/h électrique...

Et la production "sale"?

Brève de Biélorussie
     Dans les trois Républiques, il est demandé de ne plus produire d'aliments contaminés. Que devient la production sale? Elle est complètement écoulée sur le marché, au besoin après mélange avec des produits "propres" (c'est le cas des saucissons fabriqués à Léningrad après broyage et mélange des viandes - Gazette N°96/97, p. 14). Parfois les rouages grippent C'est ainsi qu'on apprend que 37 wagons réfrigérés stationnent dans des entrepôts près de Gomel (à Ioltch) paroe qu'ils ont été refusés en Géorgie ! Plus de 2000 tonnes de viande sont dans des frigos (SovietskayaBielorussia,30 mars1991).
     Le système de contrôle de la nourriture est notoirement insuffisar~t avec l'appareillage existant (qui néoessiterait un temps de comptage long pour que la mesure soit valable). Le correspondant de Biel. Sov. indique qu à Minsk le système sanitaire ne peut contrôler que 3 à 4% des produits alimentaires; il fait d'ailleurs remarquer que le consommateur n'est pas spécialement exigeant puisqu'il y a un manque de produits alimentaires...
     La pénurie alimentaire pourrait être une aide précieuse dans la gestion des catastrophes nucléaires!

p.25b

Bibliographie:
1 Izvestia, 9 fév. 1991. D'après Actualité Soviétique, avril 1991.
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2 Oblast: certains traduisent par "province".
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3 Communication personnelle, H. ApSimon.
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4 Les cartes distribuées aux participants de la Conférence de Paris (avril 1991) sur "les accidents nucléaires et le futur de l'énergie" sont les mêmes que celles publiées par Naouka i Jizn mais avec des couleurs différentes.
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5 C. Badie, C. Arnould, J. Sarbach, M. Arnaud, R. Lemercier, C.Bernard, P. Howell, T. Texier, "Teneur en 90Sr de dents humaines collectées en Polynésie française", Radioprotection (1987), vol. 22, n° 4, pp. 325-332.
6 V. Renaud Salis, G. Lataillade, H. Métivier, "Effet of Mass, Oxidation State and duration of chronic ingestion on plutonium absortion in fed rats", Int. J. Radiol. Biol., 1990, vol. 58, n°4, pp. 691-704.
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7 URSS: Roumantsiev, Petryayev, Victorova, Stoukine, Koulakov. Suède: Kérékes, chercheur de Budapest, ayant étudié les particules chaudes de Suède.
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8 N.M. Pavlichine, J.P. Strelchuk, Paramètres sanitaires de la population du district de Maline, 1985-1989. Activité des Etablissements prophylactiques. Nous remercions vivement les personnes qui nous ont transmis ces données.
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9 Il a été fait état à la télévision (film NHK, avril 1991) de cancers de la thyroïde chez des enfants soignés à Minsk. Des médecins français en mission à Kiev ont également signalé des cas de cancers de la thyroïde chez des enfants.
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10 Dossier "Téléthon pour Tchernobyl". Bureau Soviétique d'information, page X, avril 1990.
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11 1 rouble vaut approxirnativement 10 francs.
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12 Idem p. XI et XII. Rapporté par le Dr. Saliamon.
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13 Les sous-titres et intertitres sont de la rédaction de la Gazette.
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14 On peut consulter au CEDUCEE, Documentation Française, 31 Quai Voltaire, 75007 Paris.
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15 14 place du Général Catroux, 75017 Paris.
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16 Gazette N°100, mars 1990
17 Gazette N° 101/102, p.32 (lettre du 5 mars 1990)
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18 Nous avons calculé ces valeurs à partir d'une communication personnelle de V. Cnevchenko, membre de l'UNSCEAR, de l'Institut de Génétique Générale (Moscou). Nous y reviendrons dans une prochaine Gazette.
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19 Un premier bilan a été effectué dans la Gazette N°96/97, juillet 1989.
20 B. Belbéoch, R. Belbéoch: La catastrophe de Tchernobyl. Eléments pour un bilan. SEBES, nov. 1990, p. 53, édité par l'APAG, Case Postale 506, CH-1212, Grand-Lancy 1, Suisse. (accès webmaistre)
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21 Colloque Nucléaire-Santé-Sécurité, p. 495 (Conseil Général du Tarn et Garonne, Montauban 21-22-23 janvier 1988).  Les actes du colloque peuvent être commandés au Conseil Général du Tarn et Garonne, BP 82013 Montauban Cedex.
22 Idem pp. 425 à 448, P. Tanguy, R. Sené.
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23 B. Belbéoch, GSIEN.
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24 Cette liste est établie à partir du rapport 1988 de l'UNSCEAR.
25 Actuellement au National Cancer Institute, Bethseda, USA.
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