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N°117/118

LA RADIOPROTECTION
LES NOUVELLES RECOMMANDATIONS
DE LA COMMISSION INTERNATIONALE DE PROTECTION RADIOLOGIQUE
(CIPR 60,1991)

     Nous avons évoqué succinctement dans la Gazette Nucléaire No105/106, janvier 1991) les principes nouveaux sur lesquels la Commission Internationale de Protection Radiologique tente de fonder ses nouvelles recommandations (CIPR 60 de nov. 1990 et publiée en 1991). Dans ce doesier nous les analysons d'une façon plus détaillée.

I - L'absence de seuil
     De nombreux articles des nouvelles recommandations sont consacrés à ce problème: y a-t-il un seuil de dose de rayonnement en-dessous duquel il n'y a aucun effet biologique (cancers et effets génétiques)?
     En 1977, la CIPR dans sa publication 26 fondait ses recommandations sur l'absence de seuil:
     "Il existe pour les les stochastiques une relation linéaire sans seuil entre la dose et la probabilité de l'apparition d'un effet" (Art. 27).
     Mais la Commission précisait qu'il s'agissait là d'une "hypothèse simplificatrice" prudente:
     "Plus cette hypothèse de linéarité est prudente, plus il devient important de reconnaître qu'elle peut conduire à une surestimation des risques dus aux rayonnements. Aussi, lorsqu'il s'agit de faire un choix entre plusieurs pratiques, les estimations des risques dus aux rayonnements ne devraient être utilisés qu'avec beaucoup de prudence et en reconnaissant explicitement la possibilité qu'aux faibles doses le risque réel peut être inférieur à celui déduit d'une hypothèse délibérément prudente de proportionnalité" (Art. 30).
     Ainsi tout en rejetant l'hypothèse du seuil pour fonder son système de radioprotection, la CIPR recommandait de ne pas l'utiliser!. Cela perrnettait aux responsables médicaux de la radioprotection de justifier l'absence de danger des irradiations.
     Dans la nouvelle publication, la CIPR ne considère plus l'absence de seuil comme une "hypothèse simplificatrice", elle consacre plusieurs articles à ce sujet tout au long de la publication.
     "Le processus d'ionisation change nécessairement les atomes et les molécules, du moins transitoirement, et peut ainsi parfois endommager des cellules. Si le dommage cellulaire se produit et n'est pas réparé d'une façon adéquate, il peut empêcher la cellule de survivre ou de se reproduire, ou il peut en résulter une cellule modifiée mais viable" (Art. 19).
     "Malgré l'existence de mécanismes de défense très efficaces, le clone de cellules résultant de la reproduction d'une cellule somatique modifiée mais viable, peut conduire après un retard prolongé et variable appelé période de latence à la manifestation d'une condition maligne, un cancer. La probabilité d'un cancer résultant du rayonnement augmente ordinairement lorsque les doses augmentent par incréments, probablement sans seuil et d'une façon qui est approximativement proportionnelle à la dose" (Art. 21).
     "Les mécanismes de défense ne sont probablement pas totalement efficaces même aux faibles doses, aussi, il est improbable qu'ils engendrent un seuil dans la relation dose/réponse" (Art. 62).
     "L'équilibre entre les dommages et les réparations dans les cellules et les mécanismes ultérieurs de défense peuvent influer sur la forme de la courbe de réponse, mais on ne peut en attendre qu'il en résulte un véritable seuil" (Art. 68).

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     La mise en évidence de la non existence d'un seuil aux faibles doses à partir d'observations directes est difficile. Il en est de même d'ailleurs, mais on ne le dit pas, pour la mise en évidence d'un seuil. La CIPR prend le soin d'expliquer le problème:
     "Pour de petits incréments de dose au-dessus du fond naturel, la probabilité d'induction d'un cancer additionnel est certainement petite et la valeur attendue du nombre de cas attribuables à l'incrément de dose dans un groupe exposé peut être bien inférieur à 1, même dans un groupe important. Ainsi il est presque certain qu'il n'y aura pas de cas additionnels, mais cela ne fournit pas la preuve de l'existence d'un vrai seuil" (Art. 69).

II - Les facteurs de risque
     Les recommandations de 1977 (CIPR 26) définissaient les facteurs de risques dus au rayonnement c'est-à-dire le nombre de cancers mortels et le nombre d'affections héréditaires graves radioinduits par unité de dose de rayonnement. La Commission précisait cependant que ces facteurs pouvaient surévaluer le risque. Ces facteurs apparaissaient comme des valeurs majorant les risques. Ces considérations revenaient à déconseiller l'usage de ces facteurs de risque pour une évaluation réelle des détriments causés par le rayonnement. Les valeurs numériques étaient les suivantes:
     - effets cancérogènes (mortels): 1,25.10-2 Sv-1 (1,25.10-4 rem-l) (soit 125 cancers mortels pour une dose collective de 1 million de rem x homme ou 10.000 Sv x homme),
     - effets héréditaires graves: 0,42.10-2 Sv-1 pour les deux premières générations (soit 42 cas pour 1 million de rem x homme ou 10.000 Sv x homme), 0,84.10-2 Sv-1 pour l'ensemble des générations, soit le double de l'effet sur les deux premières générations.
     Dans les nouvelles recommandations, la CIPR fournit de véritables facteurs de risque utilisables en tant que tels pour évaluer le détriment dû au rayonnement. Les restrictions ne portent plus sur ces facteurs mais, nous le verrons plus loin, sur l'appréciation globale du détriment, les effets biologiques du rayonnement n'étant qu'une des composantes de ce détriment global.

     1) Les effets cancérogènes sont réévalués à la hausse
     La CIPR définit deux facteurs de risque cancérogène, l'un pour les travailleurs, l'autre pour l'ensemble de la population.
     "Une petite différence a été faite entre les coefficients de probabilité pour les travailleurs et ceux pour l'ensemble de la population. Bien que petite, cette différence existe probablement car elle provient principalement du fait que la population dans son ensemble inclut les groupes d'âge jeunes qui sont les plus sensibles" (Art. 79).
     Ainsi la CIPR reconnaît l'existence de groupes beaucoup plus radiosensibles, les jeunes en particulier. Elle ne donne pas d'estimation du facteur de risque pour ces groupes à risque élevé. Elle ne tient pas compte de ce fait dans le système de radioprotection proposé car elle n'y introduit pas de normes différentielles spécifiques des divers groupes constituant la population. Cela revient à fonder la radioprotection sur la protection de la société dans son ensemble au détriment de la protection des individus...

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     Les nouveaux facteurs de risque sont les suivants:
     - pour les travailleurs : 4.10-2 Sv-1 (soit 400 cancers mortels par million de rem x homme ou 10.000 Sievert x homme;
- pour la population: 5.10-2 Sv-1 (soit 500 cancers mortels par million de rem x homme ou 10.000 Sv x homme). Cela représente un accroissement du risque d'un facteur 4 par rapport aux estimations de 1977 et, en fait, beaucoup plus puisque désormais il n'est plus dit que ce facteur majore le risque.
     La CIPR fonde son estimation du facteur de risque cancérogène à partir du suivi de mortalité des survivants japonais des bombardements atomiques. Elle divise le résultat brut de cette étude par un facteur 2 et justifie cette réduction par le fait que la radioprotection concerne des faibles doses reçues à faibles débits de dose (chroniques) alors qu'à Hiroshima et Nagasaki il s'agissait de fortes doses reçues à fort débit de dose. Dans le premier cas les réparations cellulaires fonctionneraient mieux ce qui conduirait à un risque plus faible.
     Ce point demanderait un examen détaillé que l'on peut résumerainsi:
     a) La cohorte recensée à Hiroshima et Nagasaki, afin d'être suivie sur toute la vie, comporte un nombre important de personnes ayant reçu des doses relativement faibles: la dose moyenne des individus de la cohorte est de 20 rem (0,2 Sv) et 77% des cancers ont été observés chez ceux ayant reçu des doses comprises entre 3 et 16 rem (voir la traduction de l'article d'Edward Radford dans la Gazette Nucléaire N°84/85, janvier 1988).
     b) L'étude de mortalité des survivants japonais ne montre pas d'augmentation du risque cancérogène par unité de dose quand la dose croît, sauf peut être pour les leucémies.
     c) La réduction du facteur de risque pour les faibles débits de dose (effet chronique) ne s'appuie sur aucune étude épidémiologique. Il s'agit là d'un véritable postulat.
     d) La valeur du risque retenue par la CIPR avant sa réduction par un facteur 2 est déjà une valeur réduite par rapport à l'estimation faite en 1987 par la Fondation officiellement chargée de l'étude sur les survivants japonais (D.L. Preston et D.A. Pierce, Rapport RERF 9-87). Depuis cette date de nouvelles estimations faites à partir des mêmes données conduisent à des valeurs plus faibles sans qu'il soit aisé d'en comprendre les raisons. Ce sont les estimations les plus faibles qui ont retenu l'attention de la CIPR.

     2) Les effets héréditaires
     La CIPR n'a pas sensiblement modifié le facteur de risque pour ces effets. Cependant elle ne limite plus ses recommandations aux effets sur les deux premières générations pour évaluer le risque génétique pour les travailleurs. Leur facteur de risque global en est augmenté d'autant.
     "La Commission considère que des coefficients nominaux de probabilité pour les effets héréditaires de 10-2 Sv-1 pour la population dans son ensemble et 0,6 10-2 Sv-1 pour les travailleurs représentent d'une façon correcte le nombre pondéré des effets héréditaires attendus dans toutes les générations. Le facteur de pondération ne tient compte que de la gravité des effets" (Art. 89).

     3) Effets des irradiations prénatales, cancers et retard mentaux
     En 1977 la CIPR ne consacrait qu'un court article assez vague à ce sujet:
     "L'exposition avant la naissance ou au cours de l'enfance peut gêner la croissance et le développement ultérieurs, en fonction de facteurs tels que la dose et l'âge au moment de l'irradiation. 

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Il semble également que la prédisposition à l'induction de certaines affections malignes soit plus élevée au cours de la période prénatale et de l'enfance que dans l'âge adulte" (CIPR 26, Art. 65).
     Dans ses nouvelles recommandations la CIPR est plus explicite:
     "Pendant la période qui va de 3 semaines après la conception jusqu'à lafin de la grossesse, il est probable que l'irradiation peut causer des effets stochastiques dont il résultera un accroissement de la probabilité de cancer pour les enfants nés vivants...
     La Commission suppose que le coefficient de probabilité de mortalité est au plus égal à plusieurs fois celui de la population prise dans son ensemble" (Art. 91).
     "Des valeurs du coefficient intellectuel (QI) plus faibles que celles attendues ont été signalées pour certains enfants exposés in utero à Hiroshima et Nagasaki... Un coefficient d' environ 30 points de QI par Sievert pour la dose reçue par le foetus pendant la période qui va de 8 semaines à 15 semaines après la conception" (Art. 92).
     "Le second résultat (observé sur les enfants irradiés in utero à Hiroshima et Nagasaki) est un accroissement, lié aux doses reçues, de la fréquence d'enfants classés comme "sévèrement retardés". Le nombre de cas est faible, mais les données indiquent une probabilité de l'excès de retard mental sévère de 0,4 à la dose de 1 Sv" (Art. 93).
     La CIPR dans sa publication 49 de 1986 avait déjà donné ces indications (voir Gazette Nucléaire N°96/97, juillet 1989). Le concept de retard mental grave défini par la CIPR s'applique à un individu qui ne peut pas formuler des phrases simples, ne peut effectuer des calculs arithmétiques simples, ne peut pas prendre soin de lui-même, est placé dans une institution.
     La CIPR à la fin de son chapitre sur ces effets tient à atténuer la gravité de ses propos:
     "Toutes les observations sur les QI et les retards mentaux sont faites à partir de fortes doses reçues à fort débit de dose et leur utilisation directe surestime probablement le risque" (Art. 93).
     Cet optimisme de la CIPR n'est guère justifié. En effet le recensement n'a été effectué à Hiroshima et Nagasaki qu'en 1950, 5 ans après les bombardements. Les survivants immédiats des bombardements ont connu une situation catastrophique dans des villes totalement détruites. Les enfants sévèrement attardés dans de telles conditions n'avaient guère de chance de survie et aucune d'être placés "dans une institution". Une grande partie des enfants touchés a donc pu éehapper aux statistiques de l'étude épidémiologique.

III - Les limites de dose et le système de radioprotection
     1) Les prémisses
     La prise de conscience du danger des rayonnements ionisants va croissant dans la population. Cela inquiète la CIPR. Elle désirerait bien dédramatiser la radioprotection:
     "Elle (la Commission) reconnaît aussi que la focalisation sur un danger unique parmi les nombreux dangers auxquels l'humanité doit faire face  peut causer un élément d'anxiété non désiré. La Commission, par conséquent, souhaite mettre en relief son point de vue que la rayonnement ionisant exige d'être traité avec précaution plutôt qu'avec peur et que les risques qui en résultent doivent être mis en perspective avec les autres risques" (Art. 14).
     Mais elle ne peut pas, sans se renier, occulter les dangers du rayonnement: cancers, retards mentaux lorsque les foetus sont irradiés, effets génétiques pour toute la descendance des irradiés et en plus elle doit reconnaître que ces effets peuvent être induits par des doses faibles.

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     2) L'importance des facteurs économiques et sociaux
     En principe les membres de la CIPR ont été sélectionnés (par cooptation) sur des critères de compétence scientifique en radioprotection. Il est donc assez curieux de constater que la CIPR insiste de plus en plus sur l'importance des facteurs économiques et sociaux dans les procédures de radioprotection. Il serait logique que la CIPR admette en son sein des économistes, des sociologues et même des psychologues et des psychiatres puisque la Commission tient à protéger la population de l'anxiété radioinduite!
     "Le but premier de la protection radiologique est de fournir une norme de protection des hommes sans limiter indûment les pratiques bénéfiques qui conduisent à des irradiations" (Art. 15) (souligné par nous).
     Lorsque l'industrie nucléaire irradie des individus cela ne peut être que globalement positif et la protection de ces individus ne doit pas se faire au détriment des pratiques industrielles. La CIPR 60 n'introduit là rien de nouveau car cette déclaration de foi se retrouve depuis fort longtemps dans les textes de la Commission mais il est bon de le rappeler.
     La CIPR ne se veut pas contraignante et laisse aux différents pays le soin d'adapter leur propre système à leurs besoins particuliers, c'est-à-dire à leur propre situation socioéconomique:
     "Comme les conditions d'application diffèrent pour les différents pays, la Commission n'a pas l'intention de fournir un texte réglementaire" (Art. 10).
     Là aussi rien de bien nouveau par rapport aux textes antérieurs. La CIPR n'en est pas à réclamer un droit d'ingérence (pour utiliser un concept à la mode) dans les affaires d'Etat pour protéger les individus.

     3) Il n'est pas possible de fonder la radioprotection uniquement sur la base de critères scientifiques (!)
     Il est intéressant de noter qu'en préambule à ses recommandations, la CIPR, aréopage de scientifiques, déclare que pour la radioprotection (en principe le but en est la protection des hommes)
     "(Le) but ne peut pas être atteint sur la base des seuls concepts scientifiques" (Art. 15).
     "Le cadre de base de la protection radiologique doit inclure nécessairement des jugements d'ordre social aussi bien que scientifique, car le but premier de la protection radiologique est de fournir un modèle approprié pour la protection des hommes qui ne limite pas indûment les pratiques bénéfiques qui donnent lieu à des irradiations" (Art. 100).
     En reprenant l'article 15 mentionné précédemment il semble assez clair que la CIPR privilégie les jugements socioéconomiques par rapport aux jugements scientifiques (biologiques) pour l'établissement d'un système de radioprotection.
     Bien sûr la Commission ne peut pas recommander de négliger les effets du rayonnement, mais ceux-ci ne doivent pas dominer dans les prises de position:
     "La Commission recommande que, lorsque des pratiques sont envisagées qui impliquent des expositions ou des expositions potentielles au rayonnement, le détriment dû au rayonnement doit être explicitement inclus dans les processus du choix. Le détriment à considérer n'est pas confiné à celui associé au rayonnement, il inclut d'autres détriments et le coût de la pratique" (Art. 115).
     "Pour toute source particulière relative à une pratique (d'irradiation), l'importance des doses individuelles, le nombre de personnes exposées, la probabilité du risque encouru lié à des irradiations dont il n'est pas certain qu'elles seront reçues, devraient tous être maintenus à des facteurs aussi faibles qu'il est raisonnablement possible de les réaliser, les facteurs économiques et sociaux étant pris en compte" (souligné par nous) (Art. 112).

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     Il est bien évident qu'en pratique, seuls les experts décideurs peuvent être habilités à faire ce genre d'optimisation. Les individus susceptibles d'être irradiés auraient naturellement tendance à considérer leur propre protection comme l'élément déterminant pour juger de la validité de la pratique qui les implique.
     La Commission exprime clairement qu'elle ne peut fonder son système de radioprotection sur des considérations de santé alors que ses membres sont censés avoir été sélectionnés pour leur compétence dans ce domaine.
     "L'intention de la Commission est de choisir les valeurs des limites de dose telles que toute irradiation continue juste au-dessus des limites de dose, conduise à des risques additionnels qui peuvent être raisonnablement décrits comme "inacceptables" dans des circonstances normales. Ainsi, la définition et le choix des limites de dose implique des jugements sociaux... Pour des agents tels que le rayonnement ionisant pour lesquels on ne peut supposer l'existence d'un seuil dans la courbe de réponse aux doses pour certaines conséquences de l'exposition, cette difficulté est incontournable et le choix de limites ne peut être basé sur des considérations de santé" (souligné par nous) (Art. 123).
     "L'approche multi-factorielle de la Commission pour la sélection des limites de dose, inclut nécessairement des jugements sociaux appliqués aux divers facteurs de risque" (Art. 170).
     Malheureusement la Commission reste très vague sur ces divers facteurs qui ont déterminé ses jugements si ce n'est qu'elle considère qu'ils ne sont pas de son ressort mais doivent être sous la responsabilité des Etats:
     "Ces jugements ne seraient pas nécessairement les mêmes dans tous les contextes et pourraient en particulier être différents dans diverses sociétés. C'est pour cette raison que la Commission propose que son guide soit suffisamment flexible pour s' adapter aux variations nationales ou régionales" (Art. 170).

     4) Les principes fondateurs des limites de dose et d'acceptabilité du risque
     En 1977 la CIPR avait élaboré un système cohérent une fois admis quelques postulats assez contestables. Mais l'édifice avait une belle allure d'objectivité scientifique. Il résultait d'une confiance absolue dans les faibles dangers qui pouvaient résulter du rayonnement. La logique qui en découlait était redoutable: si on admettait le concept du risque acceptable les limites de dose devaient dépendre directement des facteurs de risque.
     La CIPR considérait qu'1 mort par an pour 10.000 trav ailleurs était un risque acceptable car équivalent au risque de l'industrie la plus sûre (hypothèse contestable car ce risque en réalité correspond à celui de l'industrie chimique qui n'est pas spécialement réputée pour son extrême sûreté). Avec un facteur de risque cancérogène de 4.10-2 Sv-1 (4.10-4 Sv-1) il en découle une limite "acceptable" annuelle de 2,5 millisievert (0,250 rem) pour les travailleurs. Cela est bien évidemment inacceptable pour l'industrie nucléaire. La Commission a dû faire un sérieux ménage dans ses concepts et l'abandon du principe d'objectivité scientifique facilitait la tache en lui évitant d'expliciter logiquement ses choix.
     Certaines remarques de la Commission sont intéressantes à mentionner:
     "Puisqu'il y a des seuils pour les effets déterministes, il est possible de les éviter en limitant les doses reçues par les individus. Par contre les effets stochastiques (cancers et effets génétiques) ne peuvent être complètement évités car pour eux on ne peut invoquer l'existence d'un seuil" (Art. 100).
     Le système de radioprotection ne peut donc pas protéger intégralement les individus. On doit accepter pour eux un certain détriment (peut-être un cancer, peut être un enfant sévèrement retardé, peut être une descendance génétiquement affectée).

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     ìDans la pratique, plusieurs idées fausses sont apparues dans la définition et la fonction des limites de dose. En premier lieu, la limite de dose est largement, mais d'une façon erronée, considérée comme une ligne de démarcation entre l' "inoffensif" et le "dangereux". En second lieu elle est aussi largement, mais aussi d'une façon erronée, vue comme le moyen le plus simple et le plus efficace pour maintenir les irradiations à des niveaux faibles et pour contraindre à faire des améliorations. Troisièmement, elle est communément considérée comme la seule mesure de contrainte du système de protection. Ces idées fausses sont, dans une certaine mesure, renforcées par l'insertion des limites de dose dans les documents réglementaires" (Art. 124).
     Le respect des normes quelles qu'elles soient n'est pas une garantie de protection des individus. Dans les discours officiels, si les normes ne sont pas dépassées il n'y a aucun danger. La CIPR considère ces discours comme résultant de conceptions erronées. Dans ces conditions, la notion de "dangereux", très couramment utilisée, demande à être précisée. A la question "Est-ce dangereux ?" on ne peut répondre avant que l'on réponde à une question préalable: à partir de combien de morts dans un groupe donné considérez-vous qu'une situation est dangereuse?

     Risque "inacceptable", "tolérable", acceptable"
     "La Commission a trouvé qu'il était utile d'utiliser trois mots pour indiquer le degré de tolérabilité d'une irradiation (ou d'un risque). Ils ont nécessairement un caractère subjectif (souligné par nous) et doivent être interprétés en relation avec le type et la source de l'irradiation considérés. Le premier mot est "inacceptable", il est utilisé pour indiquer que l'irradiation, d'après les vues de la Commission, ne serait pas acceptable sur des bases raisonnables dans les conditions normales d'opération d'une pratique choisie pour son utilité. De telles irradiations pourraient devoir être acceptées dans des situations anormales, telles que celles qui apparaissent pendant les accidents. Les irradiations qui ne sont pas inacceptables sont ensuite subdivisées en celles qui sont "tolérables", signifiant par là qu'elles ne sont pas les bienvenues mais peuvent être raisonnablement tolérées, et celles qui sont "acceptables", signifiant qu'elles peuvent être acceptées sans nécessiter davantage d'amélioration, c'est-à-dire quand la protection a été optimisée. Dans ce cadre, une limite de dose représente une frontière sélectionnée dans la région située entre I' "inacceptable" et le "tolérable"" (Art. 150).
     La Commission se place délibérément dans une logique floue fondée sur des critères purement subjectifs qu'elle est totalement incapable de définir: une situation normale peut dans certaines conditions être considérées (par qui ?) comme anormale. Il en découle que l'inacceptable peut dans certaines conditions être déclaré acceptable (par qui?). Quelles sont ces bases "raisonnables" auxquelles la Commission se réfère sans les définir? Quelles sont ses critères de tolérabilité?
     En fin de compte la fixation d'une limite de dose acceptable implique que l'on considère comme acceptable un certain nombre de morts. En démocratie les citoyens ont-ils délégué leur pouvoir à certains représentants pour décider à leur place de ce nombre de morts acceptable? Et qui pourra se déclarer démocratiquement représentatif des générations futures qui auront à subir les détriments de pratiques décidées aujourd'hui?

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     5) Les nouvelles limites de dose, une réduction insuffisante. Pour les travailleurs:
     En 1977 la CIPR avait fixé la limite de dose à 50 mSv par an (5 rem/an). Cette limite semblait alors trop élevée mais la Commission précisait qu'avec une telle limite, dans les faits les doses moyennes ne dépasseraient pas 5 mSv/an (0,5 rem/an). D'autre part la pratique de l'optimisation des procédures et des installations respectant le concept ALARA (As Low As Reasonably Achievable: au niveau le plus bas qu'on puisse raisonnablement atteindre) devait assurer une réduction automatique des doses sans avoir besoin de baisser les limites maximales admissibles.
     C'est vraisemblablement l'échec de cette conception de la radioprotection qui a poussé la CIPR à réduire les limites de dose. Elle recommande pour les travailleurs une limite comptabilisée sur 5 ans égale à 0,1 Sv (10 rem) soit en moyenne une limite annuelle de 20 mSv (2 rem/an), sans dépasser à aucun moment 50 mSv/an (5 rem/an).

     Pour la population:
     La limite recommandée en 1977 était de 5 mSv/an (0,5 rem/an). En 1985, à la conférence de Paris, la CIPR recommandait une limite annuelle de 1 mSv en moyenne sur la vie (soit 70 mSv ou 7 rem en 70 ans) sans dépasser 5 mSv/an. Dans ses nouvelles recommandations la contrainte est renforcée: 5 mSv pendant toute période de 5 ans sans dépasser 5 mSv sur une année (0,5 rem/an).
     La limite proposée en 1985 n'a pas été introduite dans les Directives européennes. En 1992 les responsables de la radioprotection n'avaient pas encore introduit dans les législations nationales la limite recommandée en 1985 par la CIPR. (Voir Gazette Nucléaire No105/106, janvier1991). Si l'on tient compte de la dernière étude du NRPB sur les travailleurs britanniques du nucléaire qui remet en cause l'utilisation d'un coefficient de réduction sur le facteur de risque cancérogène c'est deux trains de retard qu'ont les responsables sanitaires.
     Autrefois, pour la CIPR ces limites étaient des limites admissibles, acceptables. Maintenant ces limites sont des limites d'inacceptabilité. Cette nouvelle façon de définir ces limites devrait renforcer leur aspect contraignant.
     Pour établir ces limites la CIPR a renoncé à tous les principes qu'elle avait pris soin de spécifier dans ses publications antérieures à savoir:
     - la mort par cancer radioinduit mesurait le détriment,
     - la protection était fondée sur une base annuelle.
     Désormais la Commission introduit de nombreux paramètres de pondération pour estimer le détriment d'une irradiation. Les plus impottants sont (Art. 153):
     - la probabilité de mortalité évaluée pour la durée de la vie,
     - la perte de durée de vie si la mort intervient,
     - la réduction de l'espérance de vie.
     Appliquer ces deux derniers critères à la justice reviendrait à réduire la culpabilité d'un criminel lorsque sa victime est âgée!. Si les juges utilisaient dans leur pratique des analyses du genre coût/bénéfice recommandées par la CIPR, l'assassinat de vieilles personnes pourrait être considéré comme bénéfique pour la société et les criminels pourraient être innocentés!
     Les critères d'acceptabilité du risque ne sont pas définis. D'ailleurs, ils n'ont pas à l'être car pour la Commission ils ne peuvent être que subjectifs.
     Que penser de gens qui décident de changer les régles du jeu qu'ils ont eux-mêmes établies lorsqu'une nouvelle distribution des cartes leur est favorable sinon qu'ils sont des tricheurs.
     On peut utiliser les critères à la base des recommandations de la CIPR en 1977 pour évaluer le nouveau risque accepté par laCIPRen 1990:

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     a) pour les travailleurs
     Une limite de dose annuelle moyenne de 20 mSv associée à un facteur de risque cancérogène de 4.10-2 Sv-1 conduit à un risque de mortalité de 8.10-4 (8 morts par an pour 10.000 travailleurs) soit 8 fois le risque déclaré comme acceptable en 1977. Si l'on ajoute le risque génétique on aboutit à un risque de 1 pour 1.000 soit 10 fois le risque professionnel considéré comme acceptable en 1977.
     b) pour la population
     Une limite de dose annuelle de 1 mSv et un risque cancérogène de 5.10-2 correspondent à 5 morts par an pour 100.000 personnes soit de 5 à 50 fois plus que le risque admis en 1977 qui était de 1 à 10 morts pour 1 million de personnes. Si l'on ajoute le risque génétique l'écart est encore plus grand. Dans ce risque les retards mentaux graves ne sont pas comptabilisés.
     Ainsi les nouveaux critères subjectifs permettent à la CIPR de relever d'un facteur 10 les niveaux de risque qu'elle considérait jusqu'à présent comme acceptables.

     6) Les modalités d'application des nouvelles recommandations
     La CIPR est soucieuse de ne pas perturber violemment l'industrie nucléaire en exigeant des responsables nationaux qu'ils adaptent rapidement leur réglementation aux nouvelles recommandations.
     "Du fait des difficultés à réagir rapidement à la mise en place des règlements plus sévères pour le fonctionnement des mstallations et avec des équipements déjà existants, la Commission admet que les agences chargées de la réglementation puissent souhaiter utiliser temporairement des limites de dose plus élevées" (Art. 168).
     Ainsi la CIPR recommande aux Etats de ne rien bousculer et de prendre du temps pour adopter ces nouvelles limites.
Les recommandations de 1977 ont été transcrites dans les Directives européennes en 1984 et les responsables français les ont introduites en 1988 (décret no 88-662 du 6 mai 1988 modifiant le décret no 75-306 du 28 avril 1975). Ainsi il aura fallu attendre plus de 10 ans.
     La limite de 1 mSv/an (0,1 rem/an) recommandée en 1985 n'est toujours pas reconnue réglementairement.
     On peut donc prévoir que les nouvelles recommandations de la CIPR n'interviendront pratiquement pas avant le troisième millénaire.

IV - Le rayonnement médical
     Les irradiations médicales ne font pas partie du champ de la radioprotection. Elles sont sous la seule responsabilité des médecins. Cependant la CIPR ressent le besoin d'aborder ce problème dans un chapitre spécial de ses recommandations.
Dans la publication 26 de 1977, la CIPR indiquait, à propos des "examens directement liés à une affection":
     "il est indispensable que la décision soit fondée sur une évaluation correcte de l'indication de l'examen, du bénéfice escompté de l'examen et de l'importance que les résultats peuvent avoir pour le diagnostic et le traitement médical ultérieur du patient. Il est également important que cette évaluation soit faite sur la base d'une connaissance suffisante des propriétés physiques et des effets biologiques des rayonnements ionisants" (Art. 197). Cela revient à mentionner aux médecins qu'un diagnostic ou un traitement médical par rayons X n'a pas à être effectué s'il n'est pas utile car il n'est pas sans danger pour le patient.
     En ce qui concerne les examens systématiques:
     "Pour les examens systématiques faits en vue du dépistage de masse, la justification devrait être fondée sur le bilan entre les avantages qu'ils comportent pour les individus excmunés et pour la population dans son ensemble, d'une part et les coûts, y compris le détriment, entraînés par le dépistage, d' autre part" (Art. 201).

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      Ce bilan revient à comparer l'efficacité des dépistages (nombre de personnes guéries) et les coûts correspondants. Pour la CIPR ce coût ne se réduit pas aux dépenses mais doit
aussi inclure le "détriment", c'est-à-dire le nombre de personnes qui développeront un cancer radioinduit. Brutalement cela revient à dire qu'il faut comparer pour chaque type d'examen systématique le nombre de personnes que l'on sauve et le nombre de personnes que l'on condamne à terme. Une bonne connaissance des effets biologiques du rayonnement est nécessaire pour faire ces évaluations. C'est certainement la raison pour laquelle la CIPR terminait ses recommandations concernant l'irradiation médicale par un article relatif à la formation professionnelle:
     "La Commission tient à souligner l'importance qu'il y a à inclure une formation suffisante en protection contre les rayonnements dans l'enseignement et la formation générale des individus qui s'engagent dans une profession médicale ou paramédicale... Une formation plus approfondie en protection contre les rayonnements est nécessaire pour ceux qui projettent de s'engager dans la voie de la radiologie ainsi que pour les scientifiques et les techniciens qui apportent leur assistance dans l'utilisation médicale des rayonnements" (Art. 208).
     La CIPR dans ses nouvelles recommandations est plus explicite concernant les irradiations médicales. Elle intitule un de ses paragraphes "Optimisation de la protection dans le cas des irradiations médicales".
     "Parce que la plupart des procédures qui sont cause d'irradiation médicale sont à l'évidence justifiées et que ces procédures sont habituellement directement bénéficiaires à l'individu exposé, moins d'attention a été portée à l'optimisation de la protection dans le cas des irradiations médicales que dans la plupart des autres applications des sources radioactives; il en résulte un champ d'action considérable en ce qui concerne la réduction des doses en radiodiagnostic. Des mesures simples et peu coûteuses sont disponibles pour réduire les doses sans perdre d'information dans le diagnostic, mais l'étendue de l'application de ces mesures varie beaucoup. Pour des investigations similaires les doses couvrent un domaine qui peut atteindre deux ordres de grandeur (deux ordres de grandeur = un facteur 100). On doit mettre à l'étude des questions telles que l'emploi de contraintes de dose, ou de niveaux d'investigation, sélectionnés par des spécialistes appropriés ou l'agence réglementaire pour leur application dans certaines procédures courantes de diagnostic" (Art. 180).
     La Commission ne semble pas penser que ses recommandations de 1977 concernant l'amélioration de la formation médicale sur les effets biologiques du rayonnement ont été efficaces. Elle propose maintenant un système plus contraignant pour s'assurer que les patients reçoivent le minimum de dose au cours des diagnostics ou des traitements par rayons X que leur état rend nécessaire.

V - Le rayonnement naturel
     Le rayonnement naturel est évoqué à plusieurs reprises par la Commission:
     "La composante de l'irradiation du public due aux sources naturelles est de loin la plus élevée, mais ceci ne fournit aucune justification pour réduire l'attention qu'on doit apporter aux irradiations plus faibles mais plus facilement maîtrisables dues aux sources artificielles" (Art. 140).
     «Parmi les composantes de l'exposition aux sources naturelles, celles dues au potassium 40 dans le corps, les rayons cosmiques au niveau du sol, et les radionucléides de la croute terrestre sont toutes hors de portée de toute maîtrise raisonnable" (Art. 135).
     D'une façon tout à fait incohérente, après avoir mentionné que le rayonnement naturel ne devait pas servir de référence lorsqu'on s'occupe de sources artificielles de rayonnement, la CIPR finit par utiliser le rayonnement naturel dans ses critères d'acceptabilité pour l'irradiation du public:

p.7

     «La seconde approche est de fonder le jugement sur les variations des niveaux de dose existants du fait des sources naturelles. Ce fond naturel peut ne pas être sans danger mais il donne seulement une petite contribution au détriment sanitaire que la société subit. Il peut ne pas être le bienvenu, mais les variations d'un endroit à un autre (à l'exclusion des fortes variations de dose dues au radon dans les habitations) peuvent difficilement être appelées inacceptables" (Art. 190).
     Puis, renonçant à tout autre critere objectif d'acceptabilité la Commission fonde ses limites de dose uniquement sur le niveau du rayonnement naturel:
     "En excluant les niveaux d'irradiation très variables dus au radon, la dose efficace annuelle due aux sources naturelles est d'environ 1 mSv, avec des valeurs en haute altitude et dans certaines régions géologiques, au moins deux fois plus fortes. Sur la base de toutes ces considérations, la Commission recommande une limite annuelle de dose efficace de 1 mSv" (Art. 191).
     On a vu comment ce critère conduisait à considérer comme acceptable pour la population en 1990 un niveau de rayonnement de 5 à 50 fois supérieur à celui que la Commission considérait comme acceptable en 1977. Il n'est pas venu à l'idée des experts que les populations pourraient éventuellement donner leur avis sur ce qu'elles sont prêtes à accepter.
     Dans sa publication 26 de 1977 la CIPR avait bien défini son point de vue concernant le rayonnement naturel et les critères d'acceptabilité:
     "Ainsi on considère que les variations régionales de 1'irradiation naturelle impliquent une variation correspondante du détriment exactement de la même manière que, par exemple, les variations régionales des conditions météorologiques ou l'activité volcanique entraînent pour les différentes zones des risques de dommage qui sont différents. Compte tenu de ce qui précède, il n'y a aucune raison pour que ces différences dans l'irradiation naturelle influent sur les niveaux acceptables des expositions provenant des activités humaines, pas plus que ne devraient le faire les différences inhérentes à d'autres risques naturels" (CIPR 26, Art. 90).
     Les experts de la CIPR ont pris en 1990 une position que les experts de 1977 (pour beaucoup ce sont les mêmes) jugeaient déraisonnables, sans avoir eu le souci d'expliquer un changement aussi radical de leurs critères.

VI- Le système de protection en cas d'intervention
     Des volontaires?
     En 1977, les accidents nucléaires extrêmement graves étaient du domaine de ce que les experts appelaient le "potentiel hypothétique", l'extrêmement peu probable (assimilé à l'impossible). Three Mile Island et Tchernobyl n'avaient pas encore marqué l'histoire de l'industrie nucléaire. Il est intéressant, puisqu'on analyse les conceptions de la CIPR, de regarder rapidement ce qu'elle envisageait en 1977 pour ce qu'elle appelait l"'intervention dans les situations anormales" sans définir exactement ce que cela signifiait. Voici les principes que la Commission recommandait:
     "Expositions exceptionnelles concertées. Dans de rares cas, il peut se produire, en marche normale, des situations telles qu'il peut être nécessaire d'autoriser quelques travailleurs à recevoir des équivalents de dose dépassant les limites recommandées. Dans de telles circonstances, les irradiations externes ou les incorporations de substances radioactives peuvent être autorisées sous réserve que la sommede l'équivalent de dose dû à l'irradiation externe et de l'équivalent de dose engagé dû à l'incorporation de radionucléides ne dépasse pas, à l'occasion d'un événement donné, deux fois la limite annuelle appropriée et cinq fois cette limite au cours de la vie" (CIPR 26, Art. 113). 

suite:
Au cours même d'un incident grave, l'action urgente nécessaire pour sauver des vies, pour prévenir des dommages aux personnes ou pour éviter une augmentation substantielle des proportions de l'incident, peut obliger à exposer quelques travailleurs au-delà des limites fixées pour une exposition exceptionnelle concertée. Ces travailleurs devraient être des volontaires et il est souhaitable qu'une information sur les risques dus à des expositions qui dépassent les limites soit donnée, dans le cadre de leur formation normale, à des groupes de travailleurs parmi lesquels on pourrait, dans un tel cas, trouver des volontaires (CIPR 26, Art. 191).
     Dans une publication de mai 1984, consacrée à la protection en cas d'accident majeur, la CIPR réaffirmait ce principe du volontariat (CIPR 40, Art. 45).
     "Une fois l'événement initial maîtrisé, il restera le problème du travail de réparation. Celui-ci devra généralement être effectué en assurant le respect des limites recommandées par la Commission, mais, exceptionnellement, on peut rencontrer des cas dans lesquels l'application des limites impliquerait une dépense excessive, une durée excessive des opérations ou le recours à un nombre excessif de personnes. Il conviendrait alors d'examiner s'il ne serait pas juste d'autoriser une exposition exceptionnelle concertée pour un nombre limité de personnes qui effectueraient diverses opérations essentielles" (CJPR 26, Art. 192).
     Tchernobyl (1986) est certainement un banc d'essai valable pour juger de la possibilité d'appliquer de tels principes.
     1) Ne pas dépasser pour les interventions concertées (en cas d'accident on peut supposer que toutes les interventions sont concertées) deux fois les limites de dose soit 0,1 Sv (10 rem).
     Les "responsables" soviétiques avaient-ils ce principe en tête quand ils envoyèrent des intervenants sur le toit du réacteur en détresse?
     2) Ils pouvaient envoyer ces gens, mais ce devait être des volontaires bien informés des risques qu'ils allaient courir. Les militaires que l'on a utilisés peuvent-ils être considérés comme des volontaires? Ont-ils eu des indications précises sur les effets biologiques du rayonnement, sur les conséquences pour leur santé, voire pour leur survie?
     A ce propos une information émanant d'EDF (Direction de la Production et du Transport) doit être mentionnée:
     "Prescription au personnel
     Troisième partie-projet  "Opérations sous rayonnements ionisants"
     Nous avons par ailleurs considéré que tous les agents de catégorie A (travailleurs sous rayonnement) doivent recevoir une information spéciale sur les risques des expositions dépassant les limites, et, sont "a priori volontaires" pour participer éventuellement à une intervention impliquant une exposition d'urgence" (publié par le Canard Enchainé du 19juillet1989).
    Les travailleurs sous rayonnement sont d'une façon générale tenus dans l'ignorance des risques qu'on leur fait subir ... La notion de volontaire "a priori" est assez nouvelle. Les employés d'EDF doivent ignorer qu'ils ont été déclarés a priori volontaires pour recevoir en cas de nécessité des doses importantes de rayonnement.
     L'usage de l'armée pour des interventions en cas d'urgence exclut a priori le critère de volontariat. De fait, la Commission en 1990 n'indique plus dans ses recommandations que les intervenants qui auraient à subir des irradiations à des doses supérieures aux limites doivent être choisis parmi des volontaires.
     Les recommandations de 1990 en ce qui concerne les interventions en cas de situation d'urgence ou pour la gestion postaccidentelle à long terme demeurent vagues afin de laisser plus de souplesse aux décideurs:
p.8

     "Il ne sera jamais correct d'appliquer les limites de dose à tous les types d'exposition, dans toutes circonstances. Pour les circonstances auxquelles elles ne sont pas destinées, comme les cas d'urgence ou au cours d'opérations spéciales d'importance considérable, elles peuvent souvent être remplacées par des prescriptions de limites spécialement développées ou par des niveaux spécifiés de dose requis pour la mise en oeuvre et le déroulement d'une action" (Art. 125).
     "Le système de protection radiologique recommandé par la Commission en cas d'intervention est basé sur les principes généraux suivants:
     a) L'intervention projetée doit apporter plus de bien que de mal, c'est-à-dire que la réduction des doses doit être suffisante pour justifier le mal et les coûts, coûts sociaux inclus, de l'intervention.
     b) La forme, l'étendue et la durée de l'intervention doivent être optimisées afin que le bénéfice net de la réduction des doses, c'est-à-dire le bénéfice de la réduction des doses moins les coûts de l'intervention, doit être aussi grand qu'il est raisonnablement possible de le réaliser.
     Les limites de dose ne s'appliquent pas dans le cas d'une intervention" (Art. 113).
     "Le coût d'une intervention ne se réduit pas au seul coût monétaire. Certaines actions de protection ou en vue de remédier à la situation peuvent impliquer des risques non radiologiques ou des impacts sociaux sérieux. Par exemple l'évacuation des gens pendant de courtes périodes n'est pas très coûteuse mais cela peut causer la séparation temporaire des membres d' une famille et une anxiété considérable peut en résulter. Une évacuation prolongée et un relogement permanent sont coûteux et ont parfois été hautement traumatisants" (Art. 213).
     "Il s'ensuit des paragraphes précédents qu'il n' est pas possible de définir des niveaux quantitatifs d'intervention pour des applications rigides en toutes circonstances" (Art. 214).
     Ainsi les contre-mesures en cas d'accidents doivent tenir compte des critères qui sont bien loin de la protection de la santé des individus. Les critères socio-économiques deviennent prépondérants.
     D'ailleurs le détriment dû au rayonnement (décès par cancers, etc.) est généralement traité d'une façon comptable. Dans la publication 40 de 1984 on peut voir (Art. 40) des diagrammes sur lesquels les experts ajoutent le coût des contre-mesures et le détriment. L'école primaire nous a appris qu'on n'a le droit d'ajouter que des éléments de même nature. Malheureusement on ne trouve aucune indication sur le coût d'un décès par cancer radioinduit ou d'un enfant gravement retardé mentalement.

VII- La protection des individus?
     1) Parmi les principes généraux concernant la radioprotection la CIPR recommande:
     "Aucune pratique impliquant des irradiations ne devrait être adoptée à moins qu'elle ne produise un bénéfice suffisant aux individus exposés ou à la société pour compenser le détriment causé par le rayonnement" (Art. 112 a).
      Comment évaluer la pratique qui consistait pour le CEA à se débarrasser clandestinement dans une décharge non autorisée de certains de ses déchets nucléaires par exemple sur Saint-Aubin et Itteville? (Voir Gazette Nucléaire No105/106, janvier1991).
     Y a-t-il eu compensation pour les individus qui ont pu être exposés ? Les responsables de telles pratiques ont-ils simplement jugé que cela permettait de réduire les dépenses du CEA et que cela ne pouvait être que bénéfique pour l'ensemble de la société?
     Optimiser sur des critères économiques est particulièrement dangereux pour la protection des individus. Ce genre de pratique n'est guère compatible avec la déontologie médicale. (Voir l'appel au corps médical publié dans la Gazette Nucléaire N°96/97, juillet 1989).

suite:
     2) Il peut y avoir des conflits d'intérêt entre divers groupes de la population concernant leur protection. La CIPR en mentionne quelques-uns:
     "Si l'irradiation du public est due au relâchement de déchets dans l'environnement, une réduction de cette irradiation pourrait conduire à un accroissement de l'irradiation professionnelle dû au retraitement additionnel et au stockage des déchets" (Art. 208).
     "L'inspection systématique des installations peut réduire la probabilité des défaillances mais seulement aux dépens d'une irradiation professionnelle additionnelle, et la réduction de l'irradiation du public par un accroissement du stockage des déchets peut causer un accroissement des irradiations potentielles des travailleurs et du public" (Art. 209).
     La protection optimale des travailleurs peut ne pas coïncider avec celle de la population. Elle peut être en contradiction avec la protection de leur propre famille qui fait partie de la population. On ne voit guère comment résoudre ce genre de contradiction mais occulter ces problèmes n'est certainement pas le meilleur moyen d'y arriver.

Evolution des normes de radioprotection de la CIPR

Pour les travailleurs:
De 1934 à 1950: 46 rem/an,
1950: l5 rem/an,
1956: 5 rem/an,
1990: 2 rem/an (20 mSv/an).

Pour la population:
1959: 0,5 rem/an (5 mSv/an),
1985: 0,1 rem/an (1 mSv/an).

     Nota: En France la réglementation fixe les limites annuelles à 50 mSv (5 rem) pour les travailleurs et à 5 mSv (0,5 rem) pour la population. La réglementation française ne respecte donc pas les recommandations de la CIPR.

Effets cancérogènes à long terme

     Si 1 million de personnes reçoivent 1 rem (10 mSv), quel sera le nombre de cancers mortels radioinduits?
La réponse dépend de l'institution qui effectue l'estimation!

CIPR-26(1977): 125
UNSCEAR (1977): 75 à 175
BEIR III (1980): 158 à 501
MSK(1980): 6000
RERF(1987): 1.740
BEIR V (1990): 800
CIPR-60 (1990): 500
NRPB(1992): 1000

CIPR: Commission Internationale de Protection Radiologique.
UNSCEAR: Comité scientifique des Nations Unies pour les effets des rayonnements atomiques.
BEIR: Comité de l'Académie des Sciences des Etats-Unis pour l'étude des effets biologiques du rayonnement ionisant.
RERF: Fondation américano-japonaise pour l'étude du suivi des survivants japonais des bombes atomiques. (La valeur indiquée correspond aux résultats bruts, avant l'utilisation des coefficients de réduction).
MSK: Mancuso, Stewart et Kneale. Equipe de chercheurs ayant étudié la mortalité par cancers parmi les travailleurs de l'usine nucléaire américaine de Hanford. (la valeur indiquée est déduite de leur dose de doublement)
NRPB: National Radiological Protection Board (Agence Nationale de Protection Radiologique du Royaume-Uni). D'après le suivi de mortalité effectué sur les travailleurs de l'industrie nucléaire du Royaume-Uni.

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LES NORMES DE RADIOPROTECTION

LES EXPERTS FRANÇAIS S'OPPOSENT
AUX NOUVELLES RECOMMANDATIONS
DE LA COMMISSION INTERNATIONALE DE PROTECTION RADIOLOGIQUE


     La CIPR a élaboré en février 1990 un premier projet de Recommandations devant remplacer celles de 1977 (CIPR 26) en tenant compte des dernières éwdes sur les effets biologiques du rayonnement, recommandant entre autres une réduction des limites de dose annuelles pour les travailleurs. Ce projet a circulé pour avis dans les instances officielles des différents pays. Une deuxième version de novembre 1990 a été adoptée après modifications mineures et les nouvelles Recommandations figurent dans la publication CIPR de 1991 (CIPR 60, vol. 21, 1-3, 1991).
     Un rapport de 18 pages ("Analysis of the ICRP text", 26 mars 1990) a été fourni à la CIPR par les experts français. Cette analyse, et les critiques qui en découlent, exprime le point de vue officiel français concernant les principes généraux de la radioprotection. Les principaux intéressés, les travailleurs et la population, n'ont pas été consultés ni même informés. Seuls les experts impliqués dans l'industrie nucléaire ont été habilités à donner leur avis.
     Il faut remarquer que la procédure choisie par la CIPR pour établir ses nouvelles recommandations est des plus curieuses. En effet les membres de la CIPR insistent beaucoup sur leur totale indépendance vis-à-vis des divers pouvoirs. Dans ces conditions on ne comprend pas pourquoi ils ressentent la nécessité de consulter ces pouvoirs avant de prendre des décisions.
     Nous commenterons dans l'analyse des experts français les points qui nous paraissent les plus représentatifs de la position officielle française et qu'on retrouve finalement sous une forme ou sous une autre dans tous les textes et déclarations émanant du pouvoir médical qui, dans le domaine de la radioprotection, a davantage le souci de protection de l'industrie nucléaire et des utilisateurs de sources de rayonnement que de la protection des travailleurs et de la population.

La CIPR et le facteur de risque cancérogène
     Dans l'analyse globale, les experts français reprochent d'emblée à la CIPR d'adopter une attitude prudente, conservatrice:
     "La CIPR souhaite présenter une position équilibrée en interprétant les données disponibles. Cependant bien qu'il subsiste des incertitudes considérables concernant les effets à long terme des faibles doses sur l'homme, la CIPR a généralement tendance à adopter I'hypothèse la plus conservatrice".
     Qu'en est-il en réalité?
     Dès septembre 1987, dans le compte rendu de sa réunion plénière à Côme, la CIPR mentionnait que de nouveaux résultats modifiaient à la hausse l'estimation du facteur de risque cancérogène du rayonnement. Cependant il était précisé: "Puisque les données sur le risque sont loin d'être décisives, la Commission attendra le résultat des études d'ensemble de ses sources d'informations épidémiologiques qui sont publiées régulièrement avant d'en juger les conséquences pour la révision de son système de limitation des doses."
     Entre 1987 et février 1990 aucune étude nouvelle n'est intervenue pour l'évaluation du facteur de risque cancérogène du rayonnement et ce n'est qu'en février 1990 que la CIPR se décide à tenir compte de ce qui était connu avant 1987 pour modifier les limites de dose. 

suite:
On voit que la CIPR est toujours largement en retard par rapport aux connaissances acquises sur les effets biologiques du rayonnement. Loin d'avoir une position "conservatrice" vis-à-vis de la protection des individus, la CIPR a manifestement une position "conservatrice" vis-à-vis des promoteurs de l'industrie nucléaire.

     Le suivi des survivants Japonais des bombes A
     Nos experts déplorent en fait que la Commission privilégie l'étude relative au suivi des survivants japonais des bombes A: "les données utilisées pour calculer le risque sont limitées à celles concernant les Japonais irradiés a Hiroshima et Nagasaki".
     Ils émettent des critiques sévères au sujet des résultats obtenus à partir de cette cohorte et aimeraient que les études effectuées sur les patients soignés par radiothérapie soient davantage prises en considération.
     Quelques commentaires à ce propos: jusqu'à présent la CIPR a toujours fondé son estimation du risque cancérogène du rayonnement essentiellement sur le suivi de mortalité des survivants japonais. C'était aussi l'attitude de la plupart des comités d'experts en radioprotection. Les données obtenues sur les malades soignés par radiothérapie, sur les travailleurs ayant utilisé du radium (pour les cadrans lumineux) et autres résultats n'étaient là qu'en appoint pour confirmer la validité de l'étude sur les survivants des bombes A. Toutes les autres études en contradiction avec les conclusions du suivi des survivants japonais et qui conduisaient à un risque cancérogène plus élevé étaient systématiquement rejetées (par exemple l'étude dite d'Oxford reliant cancers des enfants et irradiation in utero par radiodiagnostics, l'étude des travailleurs de l'usine nucléaire américaine de Hanford, etc.).
     A partir de 1981 la situation se complique notablement puisque c'est au sein de l'establishment nucléaire qu'il y a contestation: on découvre que le système international de radioprotection est fondé sur des données fausses (voir la Gazette Nucléaire N°56/57, déc. 1983). Toute la dosimétrie doit être révisée et l'étude reprise complètement. La diminution de la contribution des neutrons dans la dose totale d'une part, l'augmentation du nombre de cancers mortels d'autre part liée à un suivi plus long conduisent à une réévaluation en hausse de l'effet cancérogène du rayonnement gamma. De plus l'hypothèse du seuil en-dessous duquel il n'y aurait aucun risque est remise en cause. Il y a un effet cancérogène même aux doses faibles.
     Pour les officiels il s'agissait là d'une "ténébreuse affaire" dont ils prévoyaient les conséquences désastreuses. Maintenant, cette étude qui autrefois était le "must" de la radioprotection est bonne à jeter à la poubelle. En somme pour de nombreux experts (et les Français sont les leaders en ce domaine) une étude épidémiologique n'est valable que si elle aboutit à montrer que le rayonnement est tout à fait inoffensif...
     Revenons au texte des experts français. A propos de l'étude des survivants japonais ils "regrettent que ces données ne soient pas accessibles a tous les scientifiques".
     1 - Pendant longtemps ces données, propriété de la fondation américano-japonaise chargée de l'étude des survivants, furent effectivement confidentielles et inaccessibles aux scientifiques indépendants.

p.10

Nos experts auraient-ils lu nos protestations à ce sujet dans la Gazette? Par contre nous n'avons pas eu connaissance de réclarnations provenant des chercheurs de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire employés alors par le CEA ou d'autres épidémiologistes, de l'Institut Gustave Roussy par exemple...
     2 - Affirmation aujourd'hui erronée: depuis quelques annèes ces données sont accessibles aux scientifiques. L'épidémiologiste anglaise Alice Stewart a pu vérifier la validité de ses hypothèses concernant la mortalité par maladie autres que les cancers grâce à une copie informatisée des données.
     3- Edward Radford (Président du comite BEIR III de l'Académie des Sciences des USA) après un séjour d'un an à la fondation RERF a pu faire sa propre analyse des données. Il a rendu son étude publique en novembre 1986 (voir la Gazette Nucléaire N°84/85, janvier 1988).
     Toujours à propos de l'étude des survivants japonais nos experts font remarquer que "de nombreux aspects (de cette étude) peuvent donner lieu à des critiques car l'irradiation par une explosion atomique est très différente de l'irradiation observée dans le champ couvert par la protecdon radiologique". C'est l'évidence même, les survivants de telles catastrophes sont certainement très différents d'une population "normale" soumise à de faibles doses chroniques. Mais la rationalité de nos experts n'est pas choquée quand ils affirment que les malades traités par radiothérapie représentent une population normale et qu'on peut déterminer le risque cancérogène en étudiant les cancers secondaires causés par le rayonnement diffusé aux organes. En somme un malade et un individu bien portant sont identiques.
     Il est évident que le suivi de toute cohorte particulière présente des difficultes lorsqu'on veut étendre les résultats à une population différente. La première critique dans ce sens date de 1972. Elle a éte formulée par Alice Stewart et fut rejetée a priori par les experts officiels. Le biais qui pouvait être introduit par cette population qui avait survécu à une situation catastrophique conduisait à sous-estimer le risque cancérogène lorsqu'on déterminait le facteur de risque aux faibles doses par extrapolation à partir des fortes doses (Gazette Nucléaire N°56/57, déc. 1983). Il en est est certainement de même, pour des raisons différentes, pour les malades traités par radiothérapie. Un malade est une personne qui d'une façon générale est en mauvaise santé et a une forte probabilité de mourir avant que le cancer radioinduit par son traitement ait pu s'exprimer. Quant aux travailleurs qui ont utilisé le radium, la dosimétrie est calculée à partir de modèles qui ne s'appuient guère sur des données expérimentales.
     Rejeter actuellement une étude qui met en évidence un risque plus élevé que prévu, alors qu'auparavant elle était adoptée sans critiques est la marque de tricheurs qui désirent que les règles du jeu ne soient définies qu'après que les cartes aient été distribuées.

     Facteur de risque et coerncients de réduction
     A partir des résultats bruts de l'étude des survivants japonais les experts appliquent des coefficients de réduction pour en déduire le facteur de risque de populations subissant une irradiation à faible débit de dose (DREF: Dose Rate Effectiveness Factor), à faible dose et faible débit de dose (DDREF: Dose, Dose Rate Effectiveness Factor) alors que les habitants d'Hiroshima et Nagasaki ont subi un "flash" et une fraction de la cohorte a reçu des doses très élevées. La CIPR utilise un facteur de réduction égal à 2 qui est vigoureusement contesté par nos experts car trop petit selon eux. Or d'autres études montraient qu'au contraire il ne fallait pas utiliser de coefficients de réduction. Nous verrons que les premiers résultats de l'étude publiée par le National Radiological Protection Board sur les travailleurs britanniques du nucléaire semblent leur donner raison.

suite:
     L'hypothèse du seuil
     Enfin nos experts reprochent à la CIPR de rejeter l'hypothèse du seuil. Pour réfuter le choix de la CIPR nos experts s'appuient sur un court passage du Rapport du Comité BEIR (Comité de l'académie des sciences des USA pour l'étude des effets biologiques des rayonnements ionisants) dans leur publication BEIR V "Effets sanitaires de l'exposition à de faibles niveaux de rayonnement ionisants" (1990) qui indique: «De plus, les études épidémiologiques ne peuvent en toute rigueur exclure l'existence d'un seuil dans le domaine du millisievert (la centaine de millirem)". Mais à ce propos ils sont plus royalistes que le roi puisque dans le Sommaire de 8 pages qui chapeaute le livre et dont on peut penser qu'il représente l'essentiel du message du Comité BEIR il est précisé: "Les données nouvelles ne sont pas en contradiction avec 1'hypothèse, du moins en ce qui concerne l'induction de cancers et les effets génétiques héréditaires, que la fréquence de tels effets augmente avec des niveaux de rayonnement faibles selon une loi linéaire sans seuil enfonction de la dose". Et plus loin il est ajouté: "Le Comité reconnaît que ses estimations de risque deviennent plus incertaines quand elles sont appliquées aux très faibles doses. Cependant, l'écart par rapport au modèle linéaire à très faible dose pourrait soit augmenter, soit diminuer le risque par unité de dose". Il est donc envisagé qu'aux très faibles doses le modèle soit quadratique (diminution de l'effet) mais également supra-linéaire (augmentation de l'effet).

La CIPR modifie les limites de dose
     La CIPR recommande une réduction des limites de dose des travailleurs et c'est là où le bât blesse les experts français. Actuellement cette limite de dose est de 50 mSv par an (50 millisievert ou 5 rem par an). La CIPR recommande 100 mSv en 5 ans soit une dose annuelle de 20 mSv (2 rem/an). Compte tenu de l'augmentation du facteur de risque cancérogène du rayonnement d'après les récentes études épidémiologiques, cette réduction de la dose annuelle est, selon nous, insuffisante. Ce n'est pas le point de vue de nos experts qui soulignent les répercussions qu'aurait l'adoption d'une telle limite.
     Nous donnons ci-dessous la traduction des extraits de leur analyse qui nous paraissent les plus importants. Ils seront indiqués en italique.

"Les conséquences de l'abaissement des limites de dose.
     "Dans l'industrie
     "Le problème principal est celui des mines d'uranium (souligné par nous). Bien que cela ne soit pas spécifié par la CIPR il est inconcevable que le cas des mineurs soit réglé à une date ultérieure. De fait la CIPR et les instances nationales prennent leurs dispositions en totalisant toutes les expositions (radon, poussières de minerai, irradiation externe) sur la base d'une limite annuelle de 50 mSv [5 rem.] Tout changement de cette limite, par exemple une limite de 100 msv cumulée sur 5 ans, aurait ainsi des répercussions immédiates si la CIPR ne fournit pas de réponses aux questions qui ne manqueront pas de lui être posées à ce sujet.
     Il faut bien réaliser que la limite de 100 msv en 5 ans aurait des conséquences dramatiques pour la marche des installations des mines d'uranium, en particulier les mines souterraines (souligné par nous). Dans la période allant de 1984 à 1988 parmi les 1276 mineurs qui ont été sous contrôle, 410 mineurs ont été exposés au radon, c'est-à-dire que 32% ont dépassé la valeur de 100 mSv. Le même problème existe certainement dons toutes les mines du monde. Mais il faut noter que dans de nombreux pays les recommandations usuelles de la CIPR ne sont pas appliquées, en particulier en ce qui concerne la prise en compte des expositions dans leur totalité (au Canada en particulier) où c'est un système de contrôle collectif qui est utilisé ce qui a peu de sens concernant l'exposition des individus."

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     On voit clairement dans ces critiques que pour nos experts en radioprotection les critères économiques passent avant les critères sanitaires.
     La réglementation pour les mineurs d'uranium a toujours été particulière. La limite était pour eux supérieure à celle adoptée pour les autres travailleurs sous rayonnement (Gazette Nucléaire N°111/112, nov. 1991). Lorsque la CIPR tenta au début des années '80 de normaliser la situation et recommanda pour les mineurs une limite stricte annuelle de 5 rem en y incorporant l'action du radon et des particules radioactives, les responsables miniers déclarèrent l'impossibilité de respecter cette réglementation. Le passage à 20 millisievert par an (2 remian) avec les nouvelles recommandations rend la situation encore plus difficile.
     Les experts français font remarquer que les nouvelles normes risquent de compliquer la gestion de l'industrie nucléaire. Ainsi:
     "Certaines activités comme la fabrication du combustible, la maintenance des réacteurs, les actions d'urgence lors d'accidents de fonctionnement et les travaux nécessités par le démantèlement des installations ont pour conséquence des niveaux d'irradiation dépassant 100 mSv en 5 ans pour de petits groupes d'individus de très haute compétence technique. On estime qu'il y a environ 1.500 personnes qui dépassent le seuil [la limite] de 20 mSv par an dans l'ensemble des installations nucléaires françaises. (souligné par nous).
     On peut également escompter des difficultés dans l'estimation de la contamination interne. La mesure des activités correspondant aux LAI de 1988 [limites annuelle d'incorporation] est déjà extrêmement difficile - sinon impossible - à réaliser. Quelles dispositions devront être prises au cas où les LAI seraient diminuées dans le futur ? De nouvelles difficultés apparaîtraient aussi dans la dosimétrie externe des neutrons.
     Il y a de nombreuses incertitudes quant à la façon dont la réduction des limites de doses individuelles vont affecter les nombreuses limites et variables dérivées (LDCA, Limite Dérivée de Contamination de l'Air), décharges, débit de dose en bordure des sites, contenu des colis de produits radioactifs lors du transport, commerce des produits alimentaires en cas d'accident nucléaire etc.). Si ces limites sont réduites dans la même proportion que les limites de dose des travailleurs cela aura des conséquences majeures dans de nombreux secteurs."(Souligné par nous).
     Ainsi nous voyons que l'abaissement des limites de dose annuelle pose de graves problèmes à l'industrie nucléaire française, tant dans les mines d'uranium que dans de nombreux autres secteurs du cycle nucléaire. Nos "responsables" en radioprotection s'inquiètent des futures diminutions des Limites Annuelles d'Incorporation qui peuvent gêner le nucléaire. Où est donc exprimée leur sollicitude quant à la protection des populations et des travailleurs?

     "En médecine
     "... Des problèmes peuvent survenir dans les services de radiothérapie où de nombreux malades sont traités et où il n'y a pas de protection des sources."
     C'est reconnaître par là que de nombreux employés dans les services de radiothérapie reçoivent des doses importantes par suite de l'insuffisance des moyens de protection autour des sources de rayonnement. Il semble évident que l'adoption de nouvelles normes plus contraignantes obligerait à améliorer la protection du personnel ce qui ne pourrait être que bénéfique. Mais bien sûr le coût de l'opération ne serait pas négligeable et c'est finalement le seul aspect qui semble intéresser nos experts.
     A ce sujet nous rappellerons qu'au début des années 80 une grève a eu lieu à Villejuif car le personnel des services de radiothérapie se plaignait des conditions de travail et de l'insuffisance de la radioprotection. Nous suggérons au Pr Tubiana de réaliser une étude épidémiologique sur l'ensemble de la cohorte des travailleurs employés à l'Institut Gustave Roussy...

     L'exposition professionnelle des femmes
     Dans ses articles 177 à 178 (paragraphe 5.3.3) du projet de février 1990, la CIPR précisait ses recommandations afin de protéger le foetus concernant les femmes enceintes suseeptibles d'être irradiées au cours de leur travail: quand la grossesse est déclarée, la dose limite depuis cette date jusqu'à la fin de la grossesse ne doit pas dépasser 5 mSv avec pas plus de 1 mSv pour la période de gestation allant de la 8e à la 15e semaine.

suite:
     Voici ce qu'en pensent nos experts:
     "..La gestion de l'exposition des femmes enceintes avec une limite de dose de 1 msv entre la 8e et la 15e semaine de gestation peut être délicate et poser des problèmes psychologiques résultant de l'exclusion des femmes enceintes hors des zones contrôlées dans certains services. En d'autres termes la limite de 5 mSv ne devrait causer aucun problème, leur exclusion des départements de radiothérapie et de médecine nucléaire étant fréquemment observée dans la pratique."
     Pour notre part, il nous paraîtrait souhaitable que les femmes défendent le droit à l'intégrité mentale et physique de leur enfant à venir et qu'elles puissent être soustraites complètement à l'exposition aux radiations - sans brimades professionnelles -quand elles le demandent.
     "Quand de nouvelles techniques sont introduites dans le domaine de l'irradiation médicale, des périodes de développement sont fréquemment nécessaires pour obtenir un bénéfice net (de cette pratique par rapport au risque que cette pratique engendre). Ceci justifie un degré de flexibilité dans la réglementation des limites de dose."
     Cette remarque de nos experts montre que la radioprotection avec pour objectif la réduction des doses est rarement intégrée par les concepteurs de nouvelles techniques et que leur mise en oeuvre n'implique pas obligatoirement un "bénéfice net". Là encore des normes plus contraignantes avec la ferme volonté de les appliquer pourraient modifier d'une façon bénéfique pour tous, la pratique des concepteurs de techniques nouvelles.

     "Autres conséquences
     "Bien que la CIPR (paragraphe 1-2, article 8) mentionne l'importance qu'elle attache à la stabilité de ses recommandations pour éviter la confusion, elle a certainement sous-estimé les conséquences psychologiques, sinon légales, des modifications qu'elle propose.
     En vérité la limite de dose proposée de 100 msv sur une période de 5 ans aurait automatiquement pour résultat d'avoir en France en pratique une limite de 20 mSv par an (2 rem/an). Il doit bien être compris que cette réduction aurait un effet psychologique désastreux sur le public (souligné par nous) et aussi sur les responsables des installations nucléaires. Comment empêcher que le public n'y voie une justification de ses peurs et un désaveu des dirigeants techniques ? (souligné par nous). Quant aux spécialistes, la plupart se demandent si la Commission n'est pas motivée par le désir de satisfaire certains groupes de pression."

En conclusion
     L'essentiel des propositions des experts français est simple et clair:
     - qu'on ne parle pas d'absence de seuil de dose en-dessous duquel il n'y aurait aucun effet biologique du rayonnement,
     - en ce qui concerne les limites de dose des travailleurs:
     "En aucun cas la limite de dose de 100 mSv en 5 ans ne doit être acceptée."
     Ils proposent l'adoption d'une limite de dose cumulée sur la vie professionnelle de 1 Sievert (sans changer la limite de dose annuelle de 50 mSv).
     La CIPR ne semble pas avoir tenu compte des critiques des experts français dans ses recommandations définitives. Il n'est pas évident que nos experts s'avouent vaincus et on peut s'attendre à ce qu'ils interviennent très vigoureusement dans les comités d'experts européens qui vont rédiger les prochaines directives concernant la radioprotection. Leur poids risque d'étre important si les individus concernés, travailleurs et population, se désintéressent de leur protection et ne s'immiscent pas activement dans le processus de décision. Les principes élémentaires de la démocratie leur en donnent le droit.
     Si la CIPR a ressenti le besoin d'abaisser les limites de dose c'est qu'il ne lui est plus possible de ne pas réviser en hausse le risque cancérogène du rayonnement. Bien évidemment il apparaîtra clairement que le rayonnement est plus dangereux que ce qui était admis auparavant avec beaucoup de certitude par les experts. Effet psychologique désastreux mais reflet d'une situation objective: les experts ont sous-estimé notablement le risque lié au rayonnement. Cela devrait justifier la réouverture du dossier nucléaire. Les dangers du rayonnement sont une composante déterminante pour l'appréciation de l'acceptabilité de l'industrie nucléaire.

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10% DE SACRIFIÉS PARMI LES TRAVAILLEURS A RISQUE?

     Les experts français ont proposé à la CIPR une limite de dose cumulée sur la vie professionnelle de 1 Sievert. Avec le facteur de risque cancérogène de l'étude du NRPB sur les travailleurs du nucléaire du Royaume-Uni, 10% par Sievert, cela revient à condamner 10 travailleurs sur 100 qui cumuleraient cette dose à mourir d'un cancer professionnel radioinduit!
     Voilà ce qui est "acceptable" aux yeux de nos experts...

LE SUIVI DE MORTALITÉ DES TRAVAILLEURS
DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE BRITANNIQUE:
UNE NOUVELLE ESTIMATION DU FACTEUR DE RISQUE CANCÉROGÈNE
DU RAYONNEMENT


     Les premiers résultats d'une étude de mortalité portant sur plus de 95.000 travailleurs de l'industrie britannique ont été publiés en janvier 1992 par le National Radiological Protection Board (organisme chargé de conseiller le gouvernement sur les problèmes de radioprotection).
     L'étude montre une augmentation statistiquement significative de la mortalité par leucémies en fonction de la dose reçue (leucémie lymphoïde chronique exclue). Pour les cancers dans leur ensemble l'association est également positive entre l'excès de morts et la dose sans toutefois être statistiquement significative au stade actuel de l'étude.
     Il a été tenu compte de 1' "effet du travailleur en bonne santé" (the "healthy worker effect") et des temps de latence (2 ans pour la leucémie, 10 ans pour les autres cancers). La dose moyenne cumulée est faible: 33,6 mSv (3,36 rem).
     Les facteurs de risque trouvés sont sensiblement 2 fois plus élevés que ceux pris en compte par la CIPR en novembre 1990 lorsqu'elle a recommandé de diminuer les limites de dose annuelle des travailleurs.
     L'irradiation des travailleurs par exposition chronique à faibles doses apparaît donc aussi dangereuse à dose cumulée égale que l'exposition unique en un temps très court (cas des survivants d'Hiroshima et Nagasaki) et 2 fois plus dangereuse que ne l'a admis la CIPR en 1990.
     Néanmoins le NRPB juge inopportun sur la base de cette étude de rediminuer les nouvelles limites de dose en alléguant que les marges d'erreur sur les facteurs de risque sont grandes et incluent les valeurs recommandées par la CIPR en 1990.
* * * *
     Les autorités responsables de la radioprotection du Royaume Uni, le National Radiological Protection Board (NRPB), ont publié au début de l'année les résultats d'une étude menée sur la mortalité des travailleurs de l'industrie nucléaire sous la forme d'un volumineux rapport du NRPB (1) et d'une synthèse publiée dans le British Medical Journal (2). Nous ne ferons ici qu'une brève analyse de ces importantes publications.
suite:
     L'étude a commencé en 1976 par l'établissement d'un Registre National groupant les informations relatives aux travailleurs sous rayonnement (National Registry for Radiation Workers, NRRW). La cohorte de cette première analyse regroupe les travailleurs dépendant du Ministère de la Défense, les travailleurs du secteur de la fabrication des combustibles nucléaires, des centres de recherche, de l'industrie électronucléaire (3).
     Pour chaque travailleur sont enregistrées 24 informations concernant son identification civile et professionnelle, la dosimétrie externe, la contamination interne et les incidents radiologiques éventuels.
     L'enregistrement de 1976 a été effectué sur la base du volontariat: 1.304 travailleurs ont refusé de faire partie du registre NRRW.
     Les publications de janvier 1992 donnent les résultats préliminaires du suivi de mortalité jusqu'au 31 décembre 1988. L'étude doit se continuer pour accroître la durée du suivi (jusqu'au 31 décembre 1990) et pour augmenter la cohorte. La prochaine publication est prévue pour 1994.

Quelques indications sur les données
     - Nombre de personnes suivies : 95.217 (87.522 hommes et 7.695 femmes) représentant 1.218.000 personnes x années.
     - Date de naissance médiane: 1944.
     - Début du suivi: à panir de 1955 et variable selon l'établissement. (Les données antérieures à 1955 n'ont pas été jugées fiables).
     - Dose collective: 3.198 homme x sievert (319.000 homme x rem). La dose due aux neutrons est faible, estimée à environ 50 homme x sievert.
     - Dose externe moyenne: 33,6 mSv (3,36 rem). 36,8 mSv (3,68 rem) pour les ouvriers, 30,3 mSv (3,03 rem) pour les non-ouvriers, 36,0 mSv (3,60 rem) pour les hommes, 6,1 mSv (0,61 rem) pour les femmes.
 

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     Pour l'instant il n'a pas été tenu compte de la dose d'irradiation par contamination interne. Les 13.663 travailleurs contrôlés pour contamination interne ont recu une dose externe supérieure à la moyenne, 47 mS v).
     - Répartition sociale: ouvriers: 59,0%, non-ouvriers 37,1%, non spécifiés: 3,9%.
     - Bilan de mortalité au 31 décembre 1988: vivants: 86.636, décédés: 6.660(7,1%), émigrés: 1.850, perdus de vue: 69.
     Parmi les 6.612 morts certifiés en décembre 1988 il y a 1.828 morts par cancers.
     Le rapport du NRPB comporte 102 pages dont 33 pages de tableaux numériques fournissant l'essentiel des données de base et des résultats.

Les résultats
     Kendall et al, les auteurs de l'article du British Medical Journal, soulignent dans l'introduction l'importance de leur étude pour la détermination du facteur de risque cancénogène du rayonnement:
     "Les estimations du risque des rayonnements ionisants reposent essentiellement sur les résultats observés sur les survivants japonais des bombes atomiques et sur les gens irradiés pour des raisons médicales. Ces groupes fournissent des informations sur les risques des irradiations par de fortes doses délivrées à fort débit de dose. Il y a peu de résultats sur les effets de doses plus faibles délivrées à des débits de dose caractéristiques des irradiations professionnelles. Pour mettre en évidence ces effets, le National Radiological Protection Board, après une large consultation de l'industrie nucléaire et les autres groupes intéressés, a mis en place le "National Registry for Radiological Workers" (Registre National des travailleurs sous rayonnement), afin de pouvoir suivre les individus chez leurs divers enployeurs".
     Nous avons montré dans d'autres articles concernant les normes de radioprotection combien ce point est important. C'est à partir de l'hypothèse d'un effet spécifique lié aux faibles doses de rayonnement délivrées à faible débit de dose que la CIPR a introduit un coefficient (DDREF: Dose, Dose Rate Reduction Efficiency Factor) pour réduire d'un facteur 2 le facteur de risque observé chez les survivants japonais. Les experts français auraient préféré que la CIPR adoptât un facteur de réduction de 10 ce qui dans les faits revenait à considérer que les faibles doses ne comportaient quasiment aucun danger.
     Les auteurs de l'article du NRPB font remarquer que ces facteurs de réduction étaient fondés essentiellement sur des études animales.

     1 - L'effet du travailleur en bonne santé
     Cet effet ("healthy worker effect") est clairement mis en évidence. La mortalité générale et celle par cancer sont plus faibles chez les travailleurs de l'énergie nucléaire que dans la population générale. Ce point est maintenant considéré comme une banalité. Il y a encore une dizaine d'années il n'en n'était rien et les études n'en tenaient pas compte. On prenait souvent argument de ce fait pour affirmer que l'industrie nucléaire loin d'être dangereuse, était bénéfique pour la santé des travailleurs. Les responsables français n'étaient pas les derniers à utiliser ce genre d'argument.
     Rappelons ici, car c'est largement oublié aujourd'hui, que c'est vers la fin des années 70 que l'effet du travailleur en bonne santé fut mis en évidence et analysé par l'équipe Mancuso, Stewart et Kneale au cours de leur étude sur le suivi de mortalité des travailleurs de l'usine nucléaire américaine de Hanford (3). Cela posait de facon aiguë le problème de la population de référence qu'il fallait utiliser pour détecter d'éventuelles anomalies de mortalité parmi les travailleurs. 

suite:
Dans les industries à risque il y a une sélection, à l'embauche sur des criteres médieaux, ou très rapidement par élimination aux postes de travail pénibles des travailleurs ayant une trop mauvaise santé pour supporter les contraintes imposées par les conditions de travail. Disons tout de suite que cette notion n'a pas encore pénétré à l'IPSN (Institut de Protection et de Sûoeté Nucléaire) car les études qui y sont produites n'en tiennent guère compte.
     Pour éviter le biais que peut produire cet effet du travailleur en bonne santé, le NRPB a effectué, comme autrefois Mancuso, Stewart et Kneale, une analyse interne à la cohorte, c'est-à-dire une étude détaillée de mortalité en fonction des niveaux de dose reçue. Ainsi on peut supposer que les travailleurs ayant reçu des doses très faibles ou nulles servent en fait de référence interne en supposant que l'efficacité du tri sanitaire a été la même pour eux que pour le reste de la cohorte. Cependant cette référence interne est traitée d'une façon qui est loin d'être évidente dans les deux publications sur les travailleurs du Royaume Uni.
     Pour l'instant il n'est tenu compte que des doses externes.

     2 - Le problème des temps de latence
     Le suivi des survivants japonais a montré que les leucémies radioinduites ne s'exprimaient qu'après un temps de latence supérieur à 2 ans et que pour les tumeurs solides ce temps de latence était supérieur à 10 ans. La prise en compte des personnes ayant commencé à etre irradiées à une date assez rapprochée de celle de leur décès peut introduire un biais. C'est pourquoi les auteurs complètent leur étude en éliminant de la cohorte des individus qui, a priori, compte tenu du moment de leur irradiation initiale, ne peuvent pas développer de leucémie radioinduite (période de latence 2 ans) ou de tumeurs solides (période de 10 ans). De même, dans l'analyse interne, les doses cumulées avant le décès ne sont pas comptabilisées sur une période de 2 ans pour les leucémies et sur 10 ans pour les autres cancers.

     3- L'étude met en évidence un excès de mortalité par leucémies lié à la dose de rayonnement
     Au stade actuel de l'étude cet excès est statistiquement significatif (p = 0,03). Les leucémies lymphoïdes chroniques (LLC) ont été traitées à part car leur induction est considérée comme peu sensible au rayonnement.
     L'augmentation, en fonction de la dose, du taux de décès par leucémies (sans les LLC) correspond à un excès de décès observé par rapport au nombre attendu (excès du risque relatif) de 430% par sievert soit 4,3.Sv-1. Le facteur de risque sur la vie qui en résulte est alors de 0,76% par sievert (0,76.10-2 Sv-1), 2 fois supérieur à celui pris en compte par la CIPR (0,4.10-2 Sv-1). Il est très voisin de celui déduit de l'étude des survivants japonais avant l'utilisation des coefficients de réduction.
     Pour les myélomes multiples, l'excès de risque relatif est de 687% par sievert (6,87Sv-1 avec une précision voisine de la significativité statistique à 5%).

     4 - L'étude met en évidence un excès de mortalité par tumeurs solides lié à la dose de rayonnement
     Il y a une corrélation positive entre la mortalité par tumeurs solides et les doses reçues. L'excès du nombre de cancers observés par rapport au nombre attendu (excès de risque relatif) est de 47% par sievert (0,47 Sv-1). Il en résulte un facteur de risque sur la vie de 10% par sievert (0,1 Sv-1) soit 2,5 fois celui pris en compte par la CIPR en 1990, 4% par sievert (4.10-2 Sv-1) pour les travailleurs. Ce facteur est voisin de celui trouvé chez les survivants japonais avant réduction par le coefficient DDREF. Mais pour les tumeurs solides, compte tenu des temps de latence assez longs, la durée du suivi est trop courte pour que les erreurs statistiques soient faibles. Le résultat est donc considéré comme non significatif statistiquement.

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Les barres d'erreur incluent la valeur choisie en 1990 par la CIPR ce qui, aux yeux du NRPB, justifie la non prise en compte de ce résultat nouveau pour établir les normes de radioprotection.
     En clair, cette étude conduit à des facteurs de risque cancérogène du rayonnement voisins de ceux obtenus dans l'étude de mortalité des survivants d'Hiroshima et Nagasaki. L'utilisation par la CIPR (et par la plupart des experts en radioprotection) d'un facteur de réduction pour tenir compte de la différence des conditions d'irradiation n'est pas justifiée. A dose cumulée égale, le fait d'irradier à faible débit de dose (chronique) ne réduit pas le risque par rapport à une irradiation rapide (aiguë). Le risque par unité de dose n'est pas plus petit aux faibles doses qu'aux fortes doses.
     Robert Clarke, le Directeur du NRPB, dans le communiqué qu'il a publié pour annoncer la sortie de cette étude termine par:
     "Environ 95% de la population étudiée est encore en vie. Par conséquent, pour atteindre une puissance statistique comparable à celle des données sur les survivants japonais des bombardements atomiques, il sera nécessaire d' effectuer un suivi sur une période beaucoup plus longue de la cohorte NRRW. Néanmoins, l'étude est importante. Elle ne fournit aucun appui à ceux qui accusent la CIPR de choisir d' une façon irréaliste une estimation de risque trop élevée. L'exposition professionnelle aux rayonnements conduit à des risques et les estimations courantes de ces risques utilisés pour les normes de radioprotection ne sont pas déraisonnables".
     Il semble bien que ces remarques visent les experts français.

Quelques commentaires à propos de cette étude
     1- Les cancers prolessionnels
     En utilisant les facteurs de risque cancérogène du rayonnement qui découlent de cette étude et connaissant la dose collective de rayonnement reçue par cet ensemble de travailleurs, il est possible d'estimer le nombre de décès par cancers qui ont été radioinduits par l'activité professionnelle. On trouve une valeur voisine de 350. Le communiqué du responsable du NRPB ne donne pas d'indication concernant une indemnisation des familles de ces victimes du travail.
     A ne voir que l'aspect scientifique on évacue un problème qui a son importance. Des travailleurs de l'industrie nucléaire britannique ont été victimes de maladies professionnelles et les responsables n'ont pas été obligés de les indemniser. Il ne semble pas que les Autorités ayant en charge la radioprotection des travailleurs aient l'intention d'intervenir pour obliger les responsables de ces décès à indemniser les familles. Bien sûr le problème est fort complexe car il n'est pas possible d'identifier les victimes mais ce qui est certain c'est qu'il y en a eu.

     2- L'effet du travailleur en bonne santé
     D'après les résultats de l'étude du NRPB: L'effet des contrôles de santé à l'embauche sur la réduction du taux de mortalité est très variable.
     - Il dépend du sexe.
     - Il dépend de l'établissement. Pour les divers établissements de l'industrie nucléaire concernés par l'étude, le taux de mortalité rapporté à la mortalité nationale (le Standard Mortality Ratio SMR) varie de 98% à 64%.
     - Il dépend de la catégorie sociale. La position dans la hiérarchie sociale joue aussi sur le taux de mortalité. Le haut de la hiérarchie a une mortalité moindre que celle du bas. Le rapport du NRPB indique une réduction de mortalité de 7% pour les ouvriers par rapport à la mortalité nationale alors qu'elle est de 37% pour les non ouvners.
     La réduction des taux de mortalité par rapport à la moyenne nationale est sensiblement la même pour les diverses causes de décès par maladies: 14% pour l'ensemble des cancers, 16% pour les autres maladies.

suite:
     L'utilisation d'une cohorte hétérogène provenant de l'agglomération de groupes venant d'établissements variés, situés dans des régions géographiques différentes peut introduire un biais important. Vouloir mélanger dans une même cohorte l'ensemble des travailleurs de l'énergie nucléaire britannique, américaine, voire française afin d'augmenter la précision statistique des résultats risque fort de diluer les risques pour aboutir à une sous-estimation notable du risque cancérogène du rayonnement. C'est la tendance actuelle des nouvelles études qui sont en projet.

     3 - Les erreurs statistiques
     Pour le NRPB, le facteur de risque adopté par la CIPR en 1990 pour établir ses normes de radioprotection étant dans les barres d'erreur, il n'y a pas lieu de procéder à une nouvelle révision à la baisse de ces normes.
     Nous aimerions faire deux remarques au sujet de ces erreurs statistiques:
     a) L'amplitude des erreurs statistiques dépend de ce qu'on appelle le taux de confiance. Cette grandeur n'a pas de fondement objectif. Elle mesure la confiance que l'on désire avoir dans un résultat. Plus le taux de confiance est élevé plus les barres statistiques augmentent et l'anomalie recherchée doit etre plus grande pour qu'elle soit détectable d'une façon statistiquement significative. A la limite si l'on prend un taux de confiance de 100% il n'est plus possible de trouver une anomalie statistiquement significative quelle qu'en soit son importance.
     Si l'on ne veut pas pénaliser l'industrie nucléaire par un facteur de risque cancérogène qui aurait des chances d'être trop important, il faudra prendre, (ce qui est toujours fait), un taux de confiance élevé (90% et même 95%). Dans ce cas bien sûr le taux de confiance pour une bonne radioprotection est faible.
     Le choix du taux de confiance reflète ce que l'on désire protéger.
     b) La barre d'erreur signifie que la valeur cherchée se trouve quelque part entre ses limites. Par rapport aux barres d'erreur de l'étude du NRPB, le facteur de risque de la CIPR se trouve vers le bas de la barre. Il est donc fait confiance à la CIPR. Mais la valeur cherchée pourrait se trouver vers le haut de la barre, ce qui amplifierait encore l'écart avec la CIPR.
Ce que nous voulons faire remarquer par cette discussion est le point suivant: attacher plus d'importance au bas des barres d'erreur indique à qui on attribuera le bénéfice du doute. Dans le cas présent ce n'est pas à la protection des travailleurs.

     4 - Le suivi de mortalité est court
     Le suivi moyen est de l'ordre de 13 ans. Ce temps est peut être assez long pour aboutir à des résultats fiables en ce qui concerne la leucémie. Il faut cependant être prudent car le suivi des survivants japonais a mis en évidence un excès de décès par leucémies plus de 25 ans après l'irradiation; cet excès est certes faible mais pas forcément négligeable. Ainsi Shimizu et al (5) indiquent que la période d'apparition de leucémie radioinduites est au moins de 35-45 ans et non de 25 ans comme l'estime la CIPR. Un suivi de 13 ans est beaucoup trop faible pour aboutir à un résultat définitif concernant les décès par tumeurs solides. Les observations faites sur les survivants japonais montrent que l'excès de mortalité pour ces cancers commence à apparaître 10 ans après l'irradiation et pour la majorité d'entre eux croît d'une façon continue au cours du temps. L'augmentation du risque cancérogène observée sur les survivants japonais entre 1970 et 1987 s'explique en grande partie par le suivi plus long de la cohorte.
     Ainsi, les prochains bilans du NRPB qui correspondront à un suivi plus long réduiront bien sûr l'amplitude des erreurs statistiques mais pourraient également augmenter l'estimation du nsque cancérogène Celle éventualié n 'est pas envisagée dans les conclusions de l'étude.

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(1) G.M. Kendall et al, First Analysis of the National Registry for Radiation Workers. Occupational Exposure to Ionising Radiation and Mortaiity, NRPB-R251,january 1992,102 p.
(2) G.M. Kendall et al. Mortality and occupational exposure to radiation first analysis of the National Registry for Radiation Wotkers, Brit. Mcd. J., vol. 304, 25 january 1992, p. 220-225.
(3) les différents organismes dont les employés ont été enregistrés sont: MOD-AWE Minister of Defense, Atomic Weapons Establishment (Armements atomiques). MOD-DRPS Defence Radiological Protection Service (Services de radioprotection spécifiques à la défense chantiers navals nucléaires, etc.). BNFL British Nuclear Fuel Umited (fabrication des combustibles). Nudear Electric: électro-nucléaire. UKAEA : United Kingdom Atomic Energy Authorities: centres de recherche.
(4) 'Ihomas F. Mancuso, Alice Stewart and George Kneale. Radiation Exposures of Hanford worters dying from cancer and other causes Health Physics, vol. 33,no5,p.369-384, 1977.
(5) Yukiko Shimizu et al. Life Span Study Report 11. Part 2. Cancer mortality in the years 1950-85 based on the recently revised doses (DS 86). Technical Report RERF TR5.88 (1988), p. 43.
 
ET VOUS TROUVEZ QUE J'AI UNE TÊTE
À CROIRE QUE TOUS LES MATINS,
C'EST AU NUCLÉAIRE QUE JE ME RASE?

Pourtant, le nucléaire est là.
Là, sous la lumière qu'on tamise.
Là, entre chaque note de musique.
Dans le ronronnement familier
de la machine à laver.
Derrière la T. V.
Même là, dans nos petits plats.
Dans chacun de nos gestes quotidiens,
le nucléaire est là.
Car, aujourd'hui.
c'est le nucléaire qui couvre
plus des 3/4 de nos besoins en électricité.
C'est le nucléaire qui nous met à l'abri
des caprices
et des marchés et de l'actualité.
C'est le nucléaire enfin,
qui nous permet de ne pas manquer
de cette électricité
dont on ne saurait plus se passer.
Et ce bien-être.
cette autonomie et cette sérénité-la
c'est à EDF qu'on les doit.

Aujourd'hui, 75% de l'électricité est nucléaire

C.R.I.N. (Comité Régional d'information sur le Nucléaire)

ET VOUS VOUDRIEZ ME FAIRE CROIRE
QU'ON POURRA PAS CONTINUER
À BRONZER IDIOT?

Pourtant, le nucléaire est là.
Là, sous les couvercles plombés des déchets.
Là, dans nos cellules irradiées.
Dans le cliquetis familier des compteurs Geiger.
Derrière Tchernobyl et ses rats de trente-cinq ktlos.
Même là, dans nos petits cancers quotidiens.
Derrière nos vaches à deux têtes,
derrière les pyjamas à trois jambes de nos enfants,
les moustiques de deux mètres cinquante
et les iguanes géants de la Loire.
Le nucléaire est là.
Car aujourd'hui, c'est le nucléaire
qui s'achète les journaux qui vont nous demander
bientôt du fric contre le cancer.
C'est le nucléaire qui aide
nos pauvres dictateurs du Tiers-mande
à enrichir l'uranium pour la bombe atomique. C'est le nucléaire enfin qui permet de gaspiller l'électricité en regardant Foucault et Sabatier.
Et ce bien-être, cette autonomie
et cette sérénité-là,
c'est à EDF qu'on les doit.

Aujourd'hui, 75% de l'électricité est cancérigène

C.R.I.N. (Comité Régional d'informatIon sur le Nucléaire)

p.16
ET VOUS VOUDRIEZ ME FAIRE CROIRE QUE LE NUCLÉAIRE APPORTE LA LUMIÈRE?
OUI JE... CROIX.

Pourtant, DIEU est là.
Là sous la lumière qu'on tamise. Là entre chaque note de musique.
Dans le ronronnement familier de la machine à laver. Derrière la T. V.
Même là, dans nos petits plats. Dans chacun de nos gestes quotidiens,
DIEU est là.
Car aujourd'hui, c'est DIEU qui couvre plus des 3/4 de nos besoins en électricité.
C'est DIEU qui nous met à l'abri des caprices du marché et de l'actualité.
C'est DIEU enfin, qui nous permet de ne pas manquer de cette électricité dont on ne saurait plus se passer.
Et ce bien-être, cette autonomie et cette sérénité-là, c'est à EDF qu'on les doit.

Aujourd'hui, 75 % de DIEU est nucléaire
Aujourd'hui, 75 % de l'électricité c'est DIEU
C.R.I.N. (Comité Régional d'Information sur le Nucléaire)


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