La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°143/144

LES DECHETS
     Quelques mots pour introduire le dossier.
     Le texte de l'ANDRA est là pour vous rappeler que l'ANDRA agit comme un commis voyageur. Elle se donne des missions scientifiques mais elle n'a aucun moyen pour les effectuer. Quant aux consultations, il y en a. Sont-elles correctes, permettent-elles un débat, seront-elles un élément dans les discussions, à vous de répondre. Mon pessimisme naturel me pousse à penser que c'est de la poudre aux yeux mais je peux me tromper.


ANDRA - le 7 février 1995
     Madame, Monsieur le Professeur,
     Le Secrétaire Général de la Société Française d'Énergie Nucléaire nous a informé que vous vous étiez doté de l'appareillage «C.R.A.B.», Compteur de Radioactivité Béta destiné à l'enseignement de la radioactivité.
     La démarche montrant l'intérêt que vous portez à un enseignement précis et clair dans le domaine de la radioactivité a retenu notre attention.
     Pour cette raison, je vous adresse ci-joint quelques documents de présentation de notre Agence l'Agence Nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).
     Vous trouverez également un catalogue de nos publications muni d'un bon de commande.
     Dès réception de votre bon de commande, nous serons très heureux de vous adresser gratuitement les documents que vous souhaitez obtenir.
     Dans l'attente, je vous prie de croire, Madame, Monsieur le Professeur, en l'expression de mes sentiments distingués.
E. Boissac
Directeur de la communication
p.5a

Critique du rapport de scientifiques lorrains concernant l'éventualité de l'implantation dans la Meuse d'un laboratoire d'études géologiques dans le cadre de la loi 91-1381 du 30 décembre 1991
relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs
Monique Sené
22 février 1995
Préambule
     Le Conseil Général de la Meuse a confié une mission à des scientifiques lorrains, mission consistant principalement à répondre aux questions suivantes:
     - Le protocole de recherche de l'ANDRA tient-il compte de la nécessité d'assurer la réversibilité d'un éventuel stockage souterrain?
     - La mise en oeuvre du protocole de recherche de l'ANDRA ne nécessite-t-elle que l'utilisation de sources radioactives dont l'activité, en termes de rayonnement et de chaleur, n'est pas supérieure à celle d'un hôpital, telle que prévue?
     - Le protocole de recherche de l'ANDRA tient-il compte de la sécurité physique et sanitaire des populations locales?
     - Le laboratoire dont l'implantation est envisagée s'inscrit-il réellement dans un programme de recherche international et donc susceptible de connecter la Meuse aux grands axes scientifiques européens et internationaux?

Analyse chapitre par chapitre
Introduction
     Après un rappel de la loi et du contenu de différents articles (article 3,5,6,7) il est donné un aperçu des recherches à entreprendre pour solutionner le problème des déchets incinération et transmutation. Il est rappelé que 60 MF doivent être affectés par an au développement local.

     Il est mentionné un certain nombre d'études antérieures et la participation de l'ANDRA aux programmes communautaires. Puis il est redonné la liste des recherches à entreprendre dans un laboratoire souterrain: acquisition de données hydrogéologiques, faisabilité des ouvrages puis recherches en géomécanique, en géochimie, etc.

Critiques
     Il faut souligner qu'il n'y a à ce stade aucune référence étrangère. La bibliographie ne comporte pas le rapport Castaing ni les rapports de Ghislain de Marsily. Il n'y a pas les rapports belges, suédois, anglais et américains. Il n'y a pas non plus les nombreuses études de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire. Sur un sujet aussi vaste et aussi sensible il est préférable de consulter le maximum de documents émanant de diverses sources. Il n'est, donc pas étonnant que l'exposé des motifs reprenne l'argumentaire officiel:
     «Aucune des trois voies de recherche définies à l'article 4 de la loi n'est privilégiée par rapport aux deux autres dans la mesure où elles seront effectuées simultanément et seront dotées de moyens financiers nécessaires.
     Les études des possibilités de stockage doivent progresser parallêlement à l'autre voie de recherche: la séparation d'éléments radioactifs à vie longue et leur transformation par incinération dans les réacteurs nucléaires ou transmutation par bombardement neutronique à haute énergie..., il y aura toujours des déchets ultimes en plus faible quantité, de nature variable et de période plus courte certes mais, qu'il conviendra de stocker sur des durées plus courtes

p.5b

     Avant de penser laboratoire et de répondre à des questions laboratoire, il faut se poser le problème plus globalement sinon le découpage en rondelle du sujet laisse aux instances officielles le soin de faire leur choix, l'intervention des citoyens se bornant au choix de la couleur des géraniums destinés à enjoliver le site. Les scientifiques peuvent et doivent aider par des recherches et des études, mais ils se doivent aussi de replacer ces recherches et études dans leur cadre plus général.
     Or avant de stocker il y a des questions préalables que la loi n'a pas effleurées et qui manquent toujours dans la prise en charge des déchets. C'est un peu facile de parler déchets si on ne s'intéresse pas à leur production et c'est pervers de parler réduction de volume par retraitement poussé et incinération sans chercher la réduction à l'origine. Chacun sait que le meilleur moyen pour ne pas polluer est... ne pas produire de déchets!!

     Faisons le tour de quelques questions:
     - Pourquoi la loi se borne-t-elle à la séparation et incinération des éléments?
     - Pourquoi n'est-il pas envisager le stockage en l'état de combustibles usés car doit-on retraiter?
     - Pourquoi le stockage en profondeur et non pas une étude de tous les moyens possibles?
     - Pourquoi avoir laissé de côté les déchets des sites de mines?
     Il y a perversion à entretenir l'idée qu'il s'agit de site de laboratoire. Je rappelle que le coût élevé de l'opération (1,5 milliards de francs) a conduit l'I.P.S.N. à admettre:
     «Si les travaux sur la barrière géologique sont privilégiés actuellement c'est que tous les spécialistes s'accordent pour juger que c'est l'alternative la plus avancée et le passage obligé pour tout mode d'élimination... Les travaux seront réorientés, si nécessaire, en fonction de l'avancée éventuelle de solutions nouvelles ou du retour en grâce de solutions examinées autrefois.»[souligné par le GSIEN]
     Puis
     Il y a une nuance importante entre deux types de laboratoires. Les premiers servent à la validation et à la progression des connaissances. On peut mettre dans cette catégories les études sur sites de l'IPSN... Une deuxième catégorie est celle pour laquelle on a tendance à réserver la dénomination - laboratoire souterrain. Ce type de laboratoire, normalement de dimensions représentatives d'un stockage est avant tout destiné à vénfier qu'un site déterminé est apte au stockage. On élimine donc a priori tout emplacement pour lequel on a un doute sur son aptitude future. En principe, ne serait-ce que pour des questions de coûts, on devrait être sûr de disposer de modèles et techniques nécessaires avant d'entreprendre ce type de construction... En pratique, la phase d'exploration préliminaire offre encore des possibilités de validation
     Ainsi il est ajouté:
     «Du point de vue scientifique la limite est floue. La diférence est dans la finalité: les premiers sont consacrés à l'avancement des sciences et techniques alors que les seconds, comme le médiateur le rappelle souvent, sont des reconnaissances de sites et pourront se transformer en stockage s'il se confirme qu'ils sont adaptés
     Toute la question est là: Sont-ce des véritables reconnaissances de sites et se retirera-t-on d'un de ces sites s'il s' avère inadéquat. Une claire réponse à une telle question clarifierait le débat.
     Que les déchets soient un problème et qu'il faille le traiter pour essayer de trouver des solutions est une évidence. Que l'on continue impunément à en produire alors qu'il n'existe aucune solution fiable en est une autre.

suite:
     La loi est étroitement limitée aux déchets de haute activité, ignorant les autres. Mais le cycle du combustible va de la mine à la sortie du réacteur, il nous faut le rappeler au législateur et exiger que ce problème des déchets soit correctement traité.
     Le GSIEN n'accepte pas cette stratégie laboratoire car il affirme que des questions préalables importantes ont été négligées:
     - Compte tenu du dossier et de ses incertitudes, le stockage profond est loin d'être la panacée pour le long terme, pourquoi cette hâte subite? Pourquoi la transmutation?
     Il serait préférable de fournir un calendrier détaillé sur la gestion des déchets, calendrier que l'on devrait justifier et expliciter.
     - L'analyse complète des déchets, en cas de retraitement, sans retraitement, ainsi que la prise en charge du démantèlement et des résidus miniers clarifierait le recours au nucléaire. Une telle opération vérité nous apporterait un élément sur la place possible et gérable du nucléaire.
     - Un bilan des déchets du passé nous fournirait également un élément d'appréciation sur ce que le nucléaire a produit, sur les progrès qu'on a pu réaliser. Ce bilan nous guiderait pour mieux appréhender les nuisances potentielles et pour les minimiser.
     - La loi a prévu une analyse des conditionnements. Il serait préférable de savoir si on est capable de définir un cahier des charges pour ces emballages et surtout si on est capable d'en réaliser obéissant à ce cahier.
     - Les questions de sûreté et de protection des populations doivent être analysées dès la phase laboratoire car elles conditionnent des options importantes comme le rebouchage des galeries, l'accès éventuel à ces galeries, la fermeture et le suivi du site, etc.

Analyse des réponses aux questions posées
Question n°1: Notion de réversibilité*
     La réversibilité reste un point ambigu. S'agissant d'un laboratoire on peut penser que ce sera possible. S'agissant d'un site de stockage, une fois le site fermé, ce ne sera pas possible, sinon ce site ne serait pas étanche.
     L'analyse du rapport est complète sur ce point. Il est repris les termes de la loi de 1991 et ceux de la loi de 1976, ainsi que le décret de 1993 qui précise les modalités d'installation d'un laboratoire. En particulier le cahier des charges prévoit la remise en état du site s'il n'est pas retenu comme stockage.
     L'examen de la notion de réversibilité conduit à la définition suivante:
     «c'est la possibilité de ressortir des colis qui auraient été stockés dans des galeries en profondeur
     Il est d'ailleurs ajouté que: «La réglementation en vigueur ne précise actuellement pas les modalités technique de la réversibilité, en particulier, la durée pendant laquelle une reprise est possible...
     Le projet de l'ANDRA prévoit actuellement une période de réversibilité garantie sur une période de 50 à 100 ans
     Il est introduit le concept de réversibilité reposant sur:
     «- le type de soutènement à adopter pour maintenir l'accessibilité des puits et galeries de stockage,
     - le type de matériaux utilisés mis en place entre les colis de déchets et la galerie souterraine pour garantir à la fois une bonne protection contre la corrosion et une reprise des colis,
     - le type de matériel de surveillance... »


* Puisqu'on est sur internet, nous joignons deux dossiers Gazettes:
N°169/170 (octobre 1998) et N°167/168 (août 1998) 
p.6

     A partir de ces définition on apprend que l'ANDRA a défini 2 niveaux de réversibilité:
     «-1er niveau:
     colis stockés dans une galerie ouverte dans laquelle ils seraient accessibles, la reprise des colis se faisant avec les mêmes moyens que pour leur mise en place,
     2ème niveau:
     galeries remblayées pour améliorer le confinement à long terme, mais qui pourraient être déblayées.»
     En conséquence:
     «Pour vérifier l'efficacité de la réversibilité le projet ANDRA prévoit, dans la phase future de stockage, de n'introduire qu'une quantité limitée de déchets pour vérifier, sur quelques dizaines d'années, le caractère opérationnel du dispositif de réversibilité. D'après les connaissances actuelles, il est raisonnable de penser qu'une réversibilité peut être garantie jusqu'en 2050 voire 2100, c'est â dire durant la durée d'exploitation industrielle du site
     Il est ajouté un point important:
     «Notons que la notion de réversibilité n'intervient pas dans les projets de stockages souterrains des autres pays de la communauté internationale. Il semblerait que cette notion soit spécifiquement introduite dans la législation française et nécessite des recherches complémentaires, avant d'être opérationnelle

Etudes pour garantir la réversibilité
     Définition des contraintes techniques:
     - soutènement,
     - remblayage,
     - études de mines anciennes.
     Il apparaît que des recherches devront être menées sur:
     - «tenue mécanique de cavités devant rester stables sans remblayage en milieu fluant»
     L'ANDRA prévoit l'étude du dimensionnement des cavités et de leur soutènement en laboratoire souterrain jusqu'en 2002 est-il expliqué.
     - maîtrise et contrôle des températures,

Etudes complémentaires
     La réversibilité impose des contraintes pour manipuler les colis. On va donc étudier:
     - conteneurs et surconteneurs
     études jusqu'en 2001, tests de qualification achevés en 2006.
     - comportement à long terme des conteneurs.
     il s'y ajoute:
     - spécification des matériaux de bouchage,
     - analyse de l'évolution des matériaux,
     - conception de la barrière ouvragée,
     - système de confinement multibarrières
     - évaluation de sûreté en situation réversible.

Conclusion
     Le projet de laboratoire prend en compte la notion de réversibilité. De manière plus pragmatique.... il faut veiller à ce que le projet prévoie la réhabilitation du site dans les conditions identiques à celles d'une exploitation minière.

Critiques
     La notion de réversibilité est valable pour un laboratoire et encore. En effet demander un niveau de réhabilitation comme les sites de mines n'est pas une forte contrainte. On peut seulement espérer que cela marchera mieux que pour les mines classiques et d'uranium.
     L'ANDRA a un calendrier qui suppose que le laboratoire est quasiment construit en 1999. En effet il faut 3 ans pour la construction qui ne démarrera pas avant 1996. Les tests de conteneurs ne dureront pas longtemps.

suite:
     De toute façon la réversibilité ne peut pas être garantie et demande encore de raffiner beaucoup de paramètres. Il est étonnant de vouloir construire à tout prix ce grand machin qui sera difficile à gérer. Des petites unités sont encore nécessaires pour fixer des paramètres et pour aider à la compréhension des phénomènes.
     Les remblais, le contenu des colis, la tenue des galeries ne réclament pas des km pour être testés. En effet les diverses expériences menées en Allemagne, Etats unis, Belgique donnent des indications qui montrent que la réversibilité est un concept séduisant mais impossible à mettre en oeuvre avec des produits radioactifs.

Question n° 2: loi du 31 décembre 1991
     La loi précise que le laboratoire ne pourra utiliser que des sources radioactives et aucun déchet. Il est clair que si sur le site se trouvent des personnels compétents le risque sera faible pour les populations. Cependant l'utilisation des traceurs peut effectivement induire des risques supplémentaires. Normalement le transfert des radionucléides est faible mais il peut exister des cas pathologiques où le transfert s'accélère.
     La comparaison avec un service de médecine n'est pas pertinente car on traite des malades et ce peut être décisif pour leur futur état de santé. De toute façon il faut limiter les examens au strict nécessaire pour éviter des expositions inutiles. Rappelons que toute dose a un effet, même rejeté sur le long terme; cet effet doit être le plus faible possible.
     Quant à la conclusion sur «Le site sera globalement moins radioactif qu'avant» cela suppose que l'on emmène les terres sur une décharge qui sera plus radioactive qu'avant (!!!) parce que la radioactivité ne disparaîtra pas dans le transport.
     De plus comme les terres seront léchées par l'eau et qu'elle seront segmentées en petits morceaux, la radioactivité reviendra plus vite vers les populations (c'est la raison pour laquelle on fait le café avec du café moulu, en grain cela fournit peu d'arôme).

Question n° 3: sécurité des populations
     Le dossier de l'ANDRA constitue un travail important pour situer le problème de l'implantation éventuelle d'un laboratoire souterrain en vue d'étudier les conditions de stockage profond de déchets nucléaires en particulier dans la Meuse. Cependant il doit être clair que notre réponse à la question posée ne concerne que le projet d'implantation d'un laboratoire souterrain et non celui d'un stockage de déchets.
     Il est donné la liste des études préliminaires à l'implantation:
     - données géologiques et géophysiques locales et régionales,
     - données hydrogéologiques,
     - l'impact de la construction.
     La conclusion est que l'ANDRA a prévu un protocole d'implantation de bonne qualité. Il manque cependant:
     «Une réserve importante doit être faite concernant le mode de traitement des effluents gazeux et liquides qui n'est pas détaillé. Ces traitements devront être effectués en relation avec les expérimentations faites en surface et en profondeur dans le laboratoire, mais de telles expérimentations sont pour l'instant peu décrites

Critiques
     Il y a mélange entre laboratoire et site de stockage. Ce qui fait que l'ANDRA a «oublié» de préciser le régime de traitement des effluents du laboratoire. Elle a aussi omis de préciser les expérimentations qui seront menées. Il en résulte une étude de sûreté tronquée qui ne permet pas de donner un avis motivé. Le rapport des scientifiques lorrains souligne ce fait mais donne quand même l'aval au projet.
     Le GSIEN a maintes fois souligné cet aspect des dossiers et se refuse à donner un blanc seing à une Agence certes d'état mais pas plus sérieuse que le CEA ou EDF.

p.7

Question n°4: programmes internationaux programmes communautaires
Rappel des programmes communautaires:
     - mine de sel de Asse en Allemagne
     - laboratoire HADES à Mol en Belgique
     - mine de potasse Amélie en France
     - tunnel de Tournemine en France
     - secteur de Sellafield en Angleterre
     intérêt de la Meuse
     conclusion
     - création éventuelle d'un pôle Universitaire Européen lor-ram.

Conclusion générale
     «La France depuis plusieurs décennies et principalement compte tenu de la politique énergétique qu'elle a adoptée, produit des déchets nucléaires.»
     «Cette situation, compte tenu de l'état d' avancement des recherches actuelles sur les énergies nouvelles d'une part et de la demande énergétique liée à l'activité économique d'autre part, ne pourra que se prolonger encore pendant des années (au moins vingt ans) et ce, même si une solution ou des solutions peu polluantes, économiques venaient à se développer
     ...
     «Elle - cette situation - oblige quels que soient les volumes de déchets à entreposer, de poursuivre sans relâche les recherches et tout particulièrement celles relatives au stockage profond par la construction de laboratoires souterrains, actuellement l'une des voies les plus sûres qui puisse être proposée surtout lors qu' il s'agit des formations argileuses du Callovo-oxfordien de la Meuse, situées dans une zone de faible activité sismique

Critique
     Il est vrai que la France a un programme nucléaire développé. Elle a même tellement développé son programme qu'elle exporte 20% de sa production. Malheureusement elle garde les déchets sur son sol puisque la seule obligation de retour des déchets concerne les contrats de retraitement.

suite:
     Il est urgent de prendre en main le problème des déchets mais celui lié aux déchets issus du retraitement, bien que crucial, ne l'est pas autant que ceux liés aux résidus de mines et au démantèlement des installations. Les volumes mis en oeuvre ne permettent pas d'ignorer plus longtemps l'ampleur du désastre. Ces déchets ne seront ni transmutés ni stockés en profondeur pas plus d'ailleurs que ceux issus du retraitement.
     C'est pourquoi il nous faut réviser notre politique énergétique, engager un vigoureux programme d'économies d'énergie. Il nous faut éviter de bloquer la situation en engageant des sommes importantes dans des recherches qui ne résolvent en rien le devenir des déchets radioactifs.
     Cette nouvelle approche doit se mettre en place dès maintenant. C'est pourquoi le problème des déchets doit certes être étudié mais il ne doit pas peser trop lourdement sur la partie énergétique. De plus le volet non retraitement, stockage ou entreposage doit aussi être exploré. Après avoir «oublié» les déchets pendant des décennies il ne faut pas rater les études et prendre des décisions trop rapides.
     Quant à l'étude des analogues naturels type Oklo au Gabon ou Cigar Lake au Canada, il est inutile de chercher à prouver avec eux que nos stockages auront la même longévité. On étudie un site qui a 2 milliards d'années, où un réacteur naturel a pu se faire (profondeur initiale à Oklo: 500 m, concentration en uranium 235 permettant la réaction en chaîne). Les analyses donnent des indications sur la migration de certains éléments à vie longue. La conclusion est que le minerai (de l'uraninite, un oxyde d'uranium) est un excellent piège pour la plupart des produits radioactifs. Ces propriétés sont confirmées par le stockage en piscine des éléments combustible.
     On ne peut pas affirmer à Oklo que les produits radioactifs n'ont pas atteint la biosphère puisque le gisement est passé de moins 500 m à la surface, simplement par érosion.
     Le sujet est difficile, il faut tout étudier et prendre en compte mais il faut savoir questionner, seule manière d'oublier le moins de paramètres.
p.8

Audition par l'instance locale de concertation et d'information de la Meuse, le 6 mars 1995
 Didier Anger
L'expérience d'élus locaux sur l'implantation d'un site nucléaire
     Les méthodes d'implantation des installations nucléaires de base ont évolué dans le temps du silence antidémocratique au contournement de la démocratie lorsque le silence est devenu impossible.
     C'est d'une expérience de plus de 20 ans en Cotentin, dontje veux vous parler.
     D'abord, on pratique le silence qu'on a du mal a rompre même 25 ans plus tard.
     Lorsque la première usine de la Hague a été construite au début des années soixante, on n'a pas dit que c'était pour y extraire du plutonium pour le CEA dont les fonctions étaient civiles et militaires: nous avons hérité du «secret confidentiel défense» des militaires. Les terrains ont été achetés pour une... usine.
     On a fini par l'apprendre au moment de la construction.
     Quant au Centre de stockage de déchets nucléaires envisagé à coté du centre de retraitement et qui inquiétait les maires du canton, on en a minimisé l'ampleur.
les déchets sur son sol puisque la seule obligation de retour des déchets concernent les contrats de retraitement.
     Pierre Godefroy, Député «a rassuré les maires en déclarant: «qu'il est dès à présent exclu que les déchets provenant d'autres centres soient apportés dans la Hague» cité La Presse de Manche du 22 novembre 1967.
     En 1969, sans étude d'impact et sans enquête publique, le CEA était autorisé à stocker des déchets radioactifs dits de faible et moyenne activité, en provenance d'autres centres de recherche, hôpitaux, entreprises, centrales nucléaires qu'il confiait à une entreprise sous-traitante INFRATOME, qui n'existe plus aujourd'hui, remplacée sur le site par l'ANDRA depuis 1979, devenue indépendante du CEA avec la loi du 30-12-91.
     Les déchets et même des déchets étrangers issus du retraitement contrairement à ce qu'exige cette même loi, sont toujours là, eux, parfois sur la terre, à cru, et les rivières, surtout la Sainte Hélène, au nord et l'anse Saint-Martin, sont polluées.
     L'ANDRA, sans nouvelle autorisation, a déjà recouvert une bonne partie du centre de stockage Manche avant enquête publique; les choses seront-elles réversibles? Pourra-t-on aller rechercher ce qui s'y trouve et ne devrait pas s'y trouver, ce qui est mal conditionné et pollue?
     Lorsque le silence n'est plus possible, on utilise le langage et les figures de style pour mieux tromper les populations:
     Ainsi l'ensemble des centrales nucléaires est-il devenu: le parc nucléaire, l'extraction du plutonium, le retraitement, l'accident majeur avec un surgénérateur, une excursion nucléaire, les fûts et conteneurs de déchets sont-ils appelés des colis, et les centres d'enfouissement, des laboratoires...
     Tous cela fait plus propre et plus... écologique!
     Pour convaincre, on cible les publics à atteindre.
     C'est clairement défini dans une conférence tenue, début 1975 par Monsieur Toureau, responsable à l'environnement à EDF, au moment du développement démesuré du programme électronucléaire, pour les cadres EDF (rapporté par Témoignage Chrétien):
     «On peut se prêter à des débats contradictoires uniquement dans le cadre de milieux bien définis (conseils municipaux, clubs de médecins, d'ingénieurs, Rotary club, etc.). Il est préférable que le message soit transmis par des organismes étrangers à EDF: l'information sera mieux reçue si elle est fournie par des organismes indépendants. Il est inutile de perdre son temps pour convaincre les protestataires de métier. Il faut faire en sorte que la population ne soit pas contaminée par la propagande adverse
     On conseille des «contacts fréquents avec la préfecture, le conseil général, la mairie... contacts avec les différents cultes (très influents en Alsace)... contacts avec la chambre d'agriculture, les sociétés d'ingénieurs, les médecins, le corps enseignant...»
     «Au niveau de l'école et de l'université, il faut apprendre à vivre avec les rayonnements (radiations nucléaires) de même que l'on vit avec les microbes...»
     «La grande presse devrait de temps en temps publier des articles...»
     Monsieur TOUREAU se référait ensuite à l'organisation d'un voyage d'étude des parlementaires alsaciens (90 personnes) à Saint-Laurent des Eaux, discussion libre en dehors de la présence d'EDF avec les élus locaux du Loir et Cher «pour se féliciter au fait que cette visite a eu un impact important et s'est révélée très profitable pour EDF»
     C'est ainsi qu'il a été pratiqué à partir de fin 1974 à Flamanville pour convaincre de la nécessité d'implanter des réacteurs de 1.300 mégawatts.
suite:
     On propose des moyens financiers aux communes concernées:
     «On ne se souvient des pays oubliés que pour mieux les exploiter.» a dit le poète. On choisit de préférence une région peu développée économiquement; on promet des taxes importantes à des conseils municipaux sans moyens (ou avec si peu...), des routes, des écoles, des gymnases, des tennis, des piscines, des golfs...
     Dans le canton de Beaumont-Hague (où se situe le centre de retraitement) et celui des Pieux (où se situent les deux réacteurs nucléaires de Flamanville) des districts ont été mis en place. Trois parts ont été faites pour distribuer «la manne» nucléaire: pour la commune, écrêtée, pour le district, et le département. Pour le district de Beaumont, 80% environ du budget est fourni par la COGEMA (taxe professionnelle et foncier bâti) soit plus de 100 millions de francs par an. Le département a plus de six fois plus. Le budget du district des Pieux est inférieur d'à peu près deux fois à celui de Beaumont (68 millions en 1994): 85% des recettes proviennent du nucléaire!
     Les communes d'accueil des installations nucléaires ont un pouvoir énorme par la fixation des taux d'imposition plus que par le bénéfice financier particulier qu'elles en tirent. Écrêtées, elles sont obligées de participer à un district et profitent du partage en son sein. C'est le département qui tire le plus grand hénéfice de ces installations, même s'il en redistribue une partie aux communes - parfois hors districts - où habitent des employés COGEMA ou EDF. On comprend pourquoi les élus du sud, à la tête du département de la Manche, ont toujours voulu nucléariser la pointe nord.
     Certaines communes avaient anticipé des dépenses avant la mise en place des districts: elles ont d'abord été en difficulté pour rembourser les emprunts. Mais on ne peut nier le coup de fouet que les installations nucléaires ont constitué pour les équipements (routes, gymnases, piscines, tennis...) et le district des Pieux, le département de la Manche avaient beaucoup misé sur les réacteurs 3 et 4 de Flamanville, pour l'instant retardés ou abandonnés. Des investissements trop lourds ont été engagés par le district des Pieux (serres à tomates, centre équestre, extension du port de Diélette...) et par le département (autoroute des estuaires, notamment).
     Celui-ci a des remboursements d'emprunts qui le mettent en difficulté jusqu'en 1998 (la région va se substituer à lui pour les aides à la pêche par exemple) et il a réduit des dépenses de remise en état des collèges.
      L'extension du petit port de Diélette est ralentie du fait que la construction des réacteurs 3 et 4 de Flamanville n'est plus programmée et que les taxes ne sont ce qui était prévu.
     Ces taxes sont d'abord un «piège.à élus», ensuite un moyen de les tenir en otages (cf. Superphénix dont les élus locaux de Malville ont demandé le redémarrage pour des raisons financières, au mépris du risque) et enfin une provocation à toujours en demander plus pour les imprudents. C'est également un anesthésiant puissant de l'esprit critique que devraient manifester ces mêmes élus à propos des risques inhérents à ces installations (maladies professionnelles, risques d'accident, plans particuliers d'intervention). Un exemple en ce qui concerne l'étude épidémiologique: un registre des cancers du département de la Manche avait été établi sur trois ans seulement de 1979 à 1981, mais il a été interrompu car les élus du conseil général n'ont pas alors estimé nécessaire de continuer son financement; il a fallu une pétition de plus de 600 médecins du département pour qu'il reprenne maintenant seulement.
     Aujourd'hui on continue: on promet 60 millions de francs par an et pendant 15 ans aux communes qui accepteront un... «laboratoire». C'est de l'ordre de ce qu'apporte la centrale électronucléaire de Flamanville. Sous quelle forme? La situation que je viens de décrire ne peut être comparable ni par la quantité, ni par le mode de répartition à ce qui se fera dans les années à venir. La loi de 1994, sur l'aménagement du territoire prévoit une péréquation de la richesse nationale. Sa mise en application doit commencer en 1997 et être totalement effective en 2010. Cette péréquation sera-t-elle égalitaire, comme pour les prix du kWh que l'on soit près ou loin d'un site nucléaire? Il y a trop d'incertitudes sur le mode de répartition de la «manne» pour que ce soit un argument décisif dans le choix d'un site de déchets nucléaires.

     On a pratiqué le chantage à l'emploi des ouvriers et parfois même la corruption
     Les chantiers, quels qu'ils soient, sont «un coup de fouet» évident à l'emploi.
     Pour la construction de deux nouvelle usines à la Hague depuis le début des années 80 jusqu'à maintenant, on est passé de 3.000 emplois permanents à 9.000 au plus fort, mais on revient progressivement à 3.000.
     Pour la construction de deux réacteurs à Flamanville, on est passé de 0 à 2.500, pour revenir à environ 500, avec très peu de «locaux» (recrutement FDF national).

p.9

     Pour le centre de stockage - Manche, on passe de 150 à une poignée, à la fermeture, pendant... 300 ans (?)
Mais c'est aussi une accélération de la concentration dans le bâtiment et les travaux publics : des entreprises locales ont fermé. Le chômage s'est accru de 600 % aux Pieux, de 1975 à1984, et de 250 % à Flamanville, pour les hommes. De
1 000 % et 200 % pour les femmes. En fonctionnement normal, hors grand chantier, l'emploi est essentiellement masculin: le chômage féminin, pas toujours recensé, est très important. Les risques à moyen terme et long terme de la mono-mdustrie ne sont pas toujours évalués:
1) A part la sous-traitance, vient-on s'installer à l'ombre des installations nucléaires?
2) l'agriculture, la pêche, le tourisme s'y développent-ils facilement ? Le val de Saire, pointe Est du Cotentin, qui vit essentiellement du maraîchage, de l'aquaculture et du tourisme et à qui on proposait un «laboratoire», a préféré le refuser
3) toute activité humaine est limitée dans le temps, le tout nucléaire comme le tout charbon. Lorsqu'on sortira du nucléaire, et qu'on n'aura pas diversifié les activités, la crise économique et sociale se révélera catastrophique. C'est le rôle des élus et pas seulement des entreprises de prévoir.

Le nord-Cotentin, depuis plusieurs années, a un taux de chômage supérieur à la moyenne européenne, avec la fin des grand chantiers. Ceci lui a valu une première aide européenne au titre de l'objectif 2, et une seconde maintenant.
Malgré ces réalités, il arrive que certains syndicalistes se fassent propagandistes du nucléaire. Certains par conviction, d'autres du fait d'arguments financiers. Ainsi, dans un document du parquet de Caen, en date du 08/12/1992, à propos du procès des grands chantiers et de S.A.S. sur la Hague, on peut lire:
«Pour obtenir l'agrément des syndicats, et notamment de la C.G.T., il fallait soumettre à leurs exigences financières (avantages en nature distribués aux responsables syndicalistes et versements de sommes mensuelles), versements qui garantissaient tant la signature des contrats de régie que la paix sociale sur les chantiers. Pour les responsables syndicaux, notamment Monsieur T..., les enveloppes représentaient 10 à 15 000 francs par mois en liquide (plus les achats)?»

suite:
     Le lobby nucléaire a souvent contourné la loi et bafoué la démocratie pour s'implanter:
     A propos de la construction des deux réacteurs de Flamanville, après la loi de protection de la nature de 1976, on a été obligé de mener une étude d'impact et on a été soumis à déclaration d'utilité publique, mais les enquêtes publiques successives ont été morcelées (D.U.P., rejets chimiques, rejets radioactifs gazeux et liquides, couloirs de lignes T.H.T.).
     On a tenu compte d'un référendum de 1975 mené sur la seule commune de Flamanville, et favorable à la centrale à 60%, mais pas de 12.000 signatures opposées un an plus tard au moment de l'enquête publique. On n'a pas tenu compte des référenda défavorables à l'extension de l'usine de la Hague, en 1980, à Octeville, Couville, Oréville, etc.
     En 1978, le C.R.I.L.A.N. a obtenu le sursis à exécution du permis de construire la centrale nucléaire de Flamanville de la part du Tribunal administratif de CAEN. Les travaux ont été interrompus 15 jours, puis ont repris sur décision gouvernementale. Un deuxième permis a été délivré à EDF. Nous avons déposé un nouveau recours. EDF a retiré son deuxième permis, en a déposé un troisième et continué les travaux. Nous avons arrêté ce «petit jeu», au cours duquel une centrale nucléaire aurait pu être construite sans aucun permis ou avec quelques dizaines de permis de construire.
     Les méthodes ont-elles changé? En 1993 et 1994, des travaux dits préliminaires et divers ont été menés pour préparer l'éventuelle construction des tranches 3 et 4, sans nouvelle enquête publique ni permis.
     Aujourd'hui, nous sommes à nouveau devant le tribunal de Cherbourg où nous avons déposé une plainte contre X pour stockage que nous estimons hors la loi, de déchets radioactifs et pollution sur le centre de stockage Manche (géré par l'ANDRA).
     Avec le nucléaire, l'état de droit et la démocratie ne sont vraiment pas respectés: le combat pour les rétablir doit être mené.
     C'est enfin un problème de morale.
     Certains déchets nucléaires ont une durée de vie de plusieurs centaines de milliers et même de millions d'années. A-t-on le droit, même démocratiquement, de décider maintenant d'abandonner cela à nos enfants, aux enfants de nos enfants, à des milliers de générations à venir? Quel est le régime politique assez stable pour surveiller ceux-ci pendant de telles périodes?
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UN GROUPEMENT DE SCIENTIFIQUES
POUR L'INFORMATION SUR L'ENERGIE NUCLEAIRE

    Depuis 1976, il existe, en France, un groupement de scientifiques indépendantsqui diffuse de l'information sur les nombreuses questions que soulèvent le développement de l'industrie nucléaire en France. Lors de l'accident nucléaire de Tchernobyl, ce groupe a été abondamment sollicité par la presse et le public pour répondre aux carences des services officiels.
    Les compétences pluridisciplinaires du Groupe de Scientifiques pour l'Information sur l'Énergie Nucléaire ont été largement reconnues puisque plusieurs de ses membres ont participé à des expertises de projets nucléaires... à l'étranger. En réclamant l'accès à la documentation, la pluralité des analyses, afin d'obliger les services officiels à fournir une inforrnation sincère, le GSIEN a témoigné qu'une large fraction de la communauté scientifique française souhaitait des structures d'évaluation indépendantes d'un des plus importants programmes nucléaires au monde.
    La catastrophe de Tchernobyl a largement montré qu'en France, l'information sur le nucléaire est biaisée: on ne peut être en même temps promoteur et garant de la sûreté, on ne peut confier aux mêmes services la sûreté des systèmes et les conséquences de l'échec de ces mêmes systèmes.
    Rappelons que c'est l'absence totale de débat démocratique sur l'énergie nucléaire qui est à l'origine du GSIEN et la motivation de son activité, compte tenu de la démission du pouvoir politique vis-à-vis des nucléocrates du CEA, de l'EdF et de l'indifférence absolue de ceux-ci vis-à-vis de l'opinion publique et même de la législation.
    Le GSIEN, c'est plus de 120 dossiers scientifiques publiés dans la revue «La Gazette Nucléaire»,c'est la publication de plusieurs livre et de nombreuses interventions devant des organismes officiels ou pour le public, c'est aussi la réponse à de nombreuses demandes (scolaires, journalistes, associations...)
    Ce groupe indépendant, à but non-lucratif, ne fonctionne que par la volonté de ses membres et avec les financements de leurs cotisations. A l'heure (*) où les importantes avaries du réacteur surgénérateur Superphénix soulèvent des inquiétudes et son redémarrage sans cesse repris les confirme, il est important qu'un groupe tel que le GSIEN puisse continuer à bien fonctionner. Cela dépend largement de votre soutien.

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