LaG@zette Nucléaire sur le Net!
N°151/152
Dossier Superphénix

1- Commission scientifique chargée d'évaluer les capacités de Superphénix comme outil de recherche

     La Commission scientifique d'experts indépendants chargée d'évaluer les capacités de Superphénix a été mise en place le 4 octobre 1995 par :
     * Mme Corinne LEPAGE, Ministre de l'Environnement
     * M. Yves GALLAND, Ministre de l'Industrie
     * Mme Elisabeth DUFOURCQ, Secrétaire d'Etat à la Recherche
     Elle est présidée par le Professeur CASTAING et comprend:
MM. AUBERT
BIRKHOFFER
BAER
CHARPAK
PRIEDEL
QUÉRÉ
SCHAPIRA
SENÉ (démissionnaire, voir éditorial)
* rapporteur LAVERIE
Allemagne (ORS) Suisse

      Comme préalable à la parution du nouveau décret d'autorisation de création de Superphénix (Creys Malville) il avait été demandé à NERSA, EDF et CEA d'établir un programme d'acquisition de connaissances (PAC).
     Ce PAC a été soumis à l'évaluation de MM. Dautray (CEA, Haut Commissaire) et Detraz (CNRS-IN2P3) avant d'être approuvé par le ministre chargé de la recherche.
     Le décret 94.5.69 du 11-07-1994 comprend donc un PAC dont les trois volets sont:
     * démontrer la capacité d'un réacteur à neutrons rapides (RNR) à produire de l'électricité à un niveau industriel tout en contribuant à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie,
     * étudier la flexibilité des RNR utilisant le combustible plutonium et qualifier les solutions techniques développées dans le cadre des programmes de recherche visant à permettre de faire fonctionner ce type de réacteur en consommateurs nets de plutonium,
     * étudier la possibilité de destruction des déchets radioactifs de longue vie, en particulier les actinides mineurs, américium et neptunium, dans le cadre du programme de recherche SPIN (Séparation incinération) engagé par le CEA pour répondre aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991.

2 - Lettre de démission
     La lecture du projet de sommaire, contenant les résumés de conclusion, que vous avez rédigé ne fait que confirmer mon embarras et ma perplexité.
     Si nous avons un accord sur un grand nombre d'idées générales, nous sommes en désaccord sur les moyens de les mettre en oeuvre.
     Je partage, en grande partie, vos préoccupations relatives aux générations futures mais je crains fort que les modèles technologiques, énergétiques, économiques que notre société a développés, soient des impasses.
     En ce qui concerne le sujet précis de la mission qui nous a été confiée, il m'apparaît clairement que, sur de trop nombreux points, nous sommes en désaccord. La dernière audition que nous avons effectuée n'a pu que confirmer mon analyse qui porte sur les points suivants:

(suite)
suite:

     * La seule préoccupation de la NERSA (au demeurant parfaitement légitime) est de produire de l'électricité afin de récupérer une partie de son investissement, et c'est aussi considéré par la DGEMP comme la première priorité,
     * Tout l'habillage "recherche" n'était destiné qu'à se mettre en accord avec lignes directrices définies par le rapport Curien. Ce rapport était cependant très prudent en soulignant que Superphénix ne pouvait servir qu'à valider industriellement des voies explorées à l'aide de Phénix, sachant qu'en tout état de cause les travaux de recherche fondamentale en amont demanderaient plusieurs décennies. La machine qui pouvait permettre cette exploration est Phénix dont l'arrêt inéluctable à court-terme va imposer une révision complète des orientations.
     * Je ne crois pas à la logique industrielle des "Réacteurs à Neutrons Rapides - Sodium - Uranium - Plutonium" (RNR). Elle conduit à une machine beaucoup trop complexe pour avoir une fiabilité industrielle en accord avec les exigences de sûreté. Elle impose la voie du retraitement des combustibles irradiés et produit des quantités de transuraniens à vie longue dont l'hypothétique destruction est problématique.
     * Les problèmes d'inventaire du Plutonium et des actinides me semblent être dans une impasse avec ce type de filière. En suivant cette voie, notre souci de ne pas léguer aux générations futures une situation irréversible conduit à ce qu'au moment où une civilisation techniquement plus évoluée déciderait d'arrêter l'utilisation de cette filière ou même de ne plus avoir recours au nucléaire, elle serait obligée de faire fonctionner tout un parc de RNR pendant environ un siècle pour résorber partiellement l'inventaire de ces produits radiotoxiques.
     Ce n'est pas la première fois qu'un développement se fourvoie dans une impasse en France ou dans d'autres pays du monde. Il faut du courage politique et du réalisme pour décider de le stopper. La considération de l'énormité des capitaux déjà dépensés (30 milliards de francs admis aujourd'hui, sans compter les deux coeurs, les à coté et les antécédents qui doivent faire monter ce chiffre à plus de 50 milliards) n'est pas une raison en soi pour justifier la poursuite de l'utilisation de cet appareil. Nous avons heureusement arrêté la construction des abattoirs de la Villette (sans parler du financement de la recherche sur les avions renifleurs!) et stoppé le programme "Concorde". L'analyse des conséquences de cette dernière décision courageuse et impopulaire montre qu'elle a permis de dégager des moyens humains, financiers et techniques qui ont rendu possible le programme Airbus qui situe aujourd'hui le groupe Airbus Industrie dans les toutes premières places mondiales.
     Le maintien en fonctionnement de Superphénix n'apportera d'enseignements que pour lui même car je pense qu'il sera une réalisation sans suite.
     * Sur le plan de la métallurgie, la recherche peut s'effectuer avec d'autres moyens (échantillons placés dans une capsule neutrons rapides dans un réacteur à neutrons thermiques, sources de neutrons de spallation,...). Les travaux préliminaires à la construction de Rapsodie se sont fait en l'absence de ce type de réacteur et se sont réalisés.
     * Sur le plan de la thermohydraulique, du comportement des assemblages... etc., il existe au CEA de nombreux équipements (boucles d'essai, réacteurs d'essai tel CABRI...) qui permettent de mener à bien des études multiples sans avoir àsubir la lourdeur d'une installation de taille industrielle non conçue pour cet usage.
p.3


     * Sur le plan de la physique de la transmutation/incinération, les travaux sont au stade de la recherche et non de la validation. Et ce n'est pas l'irradiation pendant 5 à 6 cycles de 12 ans de quelques kilogrammes d'Américium qui apporteront des réponses en matière de physique fondamentale. Avant de passer à ce stade il y a des décennies de recherche de laboratoire à mener à bien.
     * Sur le plan des nouvelles filières, des voies de recherche séduisantes semblent se dessiner, comprenant en particulier l'amplificateur d'énergie (Thorium, Plomb) de Rubbia. L'énormité des moyens absorbés par Superphénix et son auto justification dans son unicité ne peuvent que gêner, voire bloquer l'émergence de nouveaux concepts.
     * Le maintien de Superphénix en activité exige la présence d'équipes importantes et compétentes pour que la sûreté du réacteur reste à un niveau équivalent à celui des réacteurs à eau légère malgré les problèmes rencontrés. Ceci grève le développement d'autres voies où ces équipes pourraient apporter leur savoir-faire.
     En conclusion, ma réponse à la question contenue dans notre lettre de mission:
     "SPX peut-il satisfaire aux trois points du programme d'acquisition de connaissance"
     est clairement non.
     Seul le premier point du programme d'acquisition de connaissance pourrait avoir un début de réalisation. En effet si Superphénix ne tombe pas en panne (seul l'avenir pourrait le dire si on décidait de ne pas l'arrêter et le passé ne rend guère plausible cette hypothèse de non-panne), il pourrait, alors, produire de l'électricité, unique objectif de ses promoteurs.
     Le travail au sein de cette commission fut très enrichissant tant en raison des sujets abordés que des rapports humains avec ses membres.
     Mais je pense qu'il ne serait pas honnête de ma part de vous faire perdre votre temps en discutant point par point, en essayant d'amender un texte auquelje ne pourrai pas m'associer.
     Dans ces conditions je vous fais part de mon intention de me retirer de votre commission.
     Je vous prie de croire, Monsieur le Professeur, en l'assurance de mes sentiments respectueux.
Raymond SENÉ
3- Analyse du dossier
et présentation de l'argumentaire

PAC 1

     "démontrer la capacité d'un réacteur à neutrons rapides (RNR) à produire de l'électricité à un niveau industriel tout en contribuant à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie"

     Quel intérêt peut présenter cette acquisition d'une expérience sur le fonctionnement à un niveau industriel d'un réacteur de la filière NEUTRONS RAPIDES - PLUTONIUM - SODIUM?
     En dehors de se conforter dans l'opinion que c'est une succession d'erreurs dans les choix techniques il n'y a guère de secteurs d'intérêt.
     Tout d'abord il ne faut pas oublier que dans la conjoncture actuelle tant économique qu'énergétique de la France et de l'Europe il n'est pas envisagé d'étudier un recours à autre chose qu'aux réacteurs à eau pressurisée (REP) avant 2050. 

(suite)
suite:

     Les raisons en sont simples. Les premiers réacteurs du parc de REP d'EDF vont arriver en fin d'utilisation dans une dizaine d'années. Etant donné qu'il faut de l'ordre de 10 ans pour aller des premières études à la production du premier kilowatt, en passant par toutes les phases des autorisations administratives et de la construction, les seules machines disponibles sont les REP du pallier N4 (1.500 MWé). Même le projet franco allemand EPR (European Pressurized Reactor) ne semble pas être à un stade d'élaboration suffisamment avancé pour pouvoir être programmé dès aujourd'hui.
     A fortiori il n'est pas question d'envisager le moindre réacteur à neutrons rapides (RNR). Le projet européen de réacteur à neutrons rapides, suite logique (???) de Superphénix (SPX) et de Kalkar, baptisé EFR (Experimental Fast Reactor) est abandonné par tous les partenaires européens, y compris et surtout sur le plan de la participation financière. Seules des équipes françaises continuent à y travailler, ce qui constitue plus une veille technologique que l'élaboration d'un projet industriel pouvant être concrétisé. Le projet français de RNR 1500, baptisé SPX 2, dont l'avant projet date de janvier 1984, fut présenté au" grand" public dans le numéro de février 1988 de Nuclear Engineering International par Remy Carle. Le "design" permettant de diminuer le prix de construction, donc celui du kWh, montrait un bâtiment de confinement aussi léger que celui des RBMK de Tchernobyl, ce qui peut paraître normal pour un type de réacteur qui a les mêmes caractéristiques de réactivité, avec coefficient de vide positif.
     Pour revenir à la question posée par le PAC 1 on peut la subdiviser en deux.

1. Sur le plan strict de la capacité de produire de l'électricité à un niveau industriel cette question sous-tend tout d'abord la capacité de production, puis le prix de revient de cette production pour avoir un quelconque intérêt économique. 

     1.1. Il ne faut pas oublier qu'en l'absence du barillet, mis hors service en 1987 en raison d'une fuite de sodium irréparable, les mouvements d'entrée sortie des combustibles se font à l'aide d'un poste de transfert de combustible (PTC) qui ne permet pas de faire plus de trois opérations par jour. Une opération d'échange des 358 assemblages fissiles demande au dire de NERSA/EDF environ 8 mois après trois années de fonctionnement. En comptant en plus un mois d'arrêt par an pour réarrangement du combustible, on arrive à un maximum théorique de dispombihté de SPX de 75%. S'il arrivait à fonctionner, en dehors de ces périodes d'arrêt "normales" à 75% de sa puissance nominale on arriverait bon an mal an à 50%, ce qui doublerait les estimations du prix du kWh, déjà fort pessimistes.
     1.2. Production à un niveau industriel sous-entend aussi avec un niveau de sûreté équivalent à celui des REP actuellement en service. Or il est clair qu'un des critères qui avait fait émettre les plus extrêmes réserves aux autorités de sûreté en 1994 concernait l'inspectabilité des structures internes du coeur du réacteur. La remarque qui avait été faite à l'époque, disant que l'inspection d'une partie essentielle pour la sûreté, située dans la cuve, qui demanderait un temps d'accès se chiffrant en jours, voire semaines sur un REP, demanderait ici un temps se chiffrant en année(s). Le "sous marin jaune", voguant dans le sodium liquide et permettant de voir des défauts apparus sur les structures internes, n'est pas pour demain.
     L'utilisation du sodium; bien que présentant un certain nombre d'avantages, engendre pour des raisons de sécurité évidentes, une complexité des dispositifs hors de dimension pour une installation industrielle. 

p.4

 
     Rappelons seulement les incendies survenus sur les RNR (ex) soviétiques, sur la centrale solaire espagnole d'Alméria et plus récemment sur le réacteur japonais de Monju. Dans ces cas, des incidents initiateurs minimes, qui sur toute autre installation seraient sans grande importance, ont produit sans toutefois mettre en cause la sûreté sur le plan nucléaire, des dégâts considérables.
     Un autre problème technique important limite le fonctionnement de ces réacteurs. C'est la limite du taux d'irradiation des gaines de combustible. Cette limite provient des déplacements des atomes sous l'action des neutrons, déplacements créant des dommages qui vont du gonflement des gaines (limitation du flux de caloporteur) aux fissurations (pouvant aller jusqu'aux ruptures de gaines). Ce sont ces effets qui limitent la durée de vie des assemblages combustibles ou expérimentaux. Contrairement à ce qui est couramment exprimé, ce n'est pas l'utilisation du flux intense de neutrons rapide émis par le coeur de Superphénix qui fera faire des progrès dans ce domaine essentiel de la métallurgie. C'est plutôt à partir d'un travail de laboratoire sur éprouvettes de petites dimensions, dans des conditions d'irradiation permettant des examens et des analyses à volonté que les ingénieurs pourront faire avancer leur connaissance des phénomènes. Il y a encore de nombreuses années de travail analytique à faire avant d'avoir à souhaiter effectuer une expérimentation "grandeur nature" qui ne peut servir qu'à confirmer et non à tester des hypothèses.

2. Contribution à la gestion du plutonium et à la réduction des déchets radioactifs de longue vie. 

     2.1. Gestion du plutonium. La question plutonium a plusieurs facettes. Est-ce un déchet ou une matière première énergétique?
     Si on le considère comme un déchet, il n'y a aucun intérêt à retraiter les combustibles irradiés.
     Si on considère le plutonium comme une matière première, sa valeur énergétique doit être pondérée par les coûts annexes que son utilisation implique: retraitement, usines Melox (le combustible MOX coûte plus cher que le combustible standard UOX), augmentation de la production des actinides mineurs donc de la radiotoxicité à très long terme... Cette question relève des analyses économiques auxquelles je vous renvoie (Dominique Finon IEJE Grenoble).
     Citons le rapport Curien "La modification du taux de génération sur les performances techniques et économiques d'une centrale électrogène se traduit par un surcoût qui reste à évaluer".
     # Le plutonium "sur l'étagère" cette situation paradoxale a été créée par la logique industrielle imposée au pays par le CEA. Les combustibles irradiés sont retraités pour produire du Pu destiné au(x) surgénérateur(s). Bien que le programme de RNR soit depuis de nombreuses années moribond, le retraitement se continue. Depuis on lui donne une connotation "écologique": réduire le volume des déchets (ce qui est faux) et leur nuisance à très long terme. Il n'empêche qu'on se retrouve avec des stocks de plutonium en attente "sur l'étagère" à l'usine COGEMA de La Hague. Il y a quelques années il nous était expliqué que ce plutonium extrait des combustibles provenant des REP était inapte à faire des bombes. Aujourd'hui la menace de la convoitise de terroristes pour ce produit à la connotation diabolique est brandie pour justifier l'usage sous forme de MOX, et surtout le fonctionnement de Superphénix. Il y aurait bien une solution simple pour éliminer le risque de détournement, ce serait d'arrêter le retraitement. Car avec son cortège de produits de fission et de transuraniens, le plutonium n'est pas très convivial !!!

(suite)

suite:
     * La facette plutonium militaire: avec l'arrêt de la guerre froide et le démantèlement de nombreuses armes nucléaires, on voit émerger tout un stock de Pu dit de qualité militaire, c'est-à-dire le plus pur possible au point de vue isotopique. Cette fois, s'il y a bien une utilisation adéquate, c'est sous forme de combustible MOX, car il a une très bonne valeur énergétique et après un passage en réacteur il est dénaturé sur le plan militaire.
     * La gestion du plutonium est généralement considérée sur le plan de l'élimination, mais rarement sur le plan de sa production globale. S'il est vrai que dans le cadre du programme CAPRA (voir PAC 2) on étudie cette question, cela représente une goutte d'eau par rapport à la dimension du problème. Comme on le verra il faudrait environ un RNR optimisé pour 2 à 4 REP, c'est à dire aujourd'hui de 10 à 30 Superphénix pour brûler chaque année la production de plutonium de notre parc de réacteurs à eau légère. (ordre de grandeur également cité dans le rapport Curien page 15)
     On verra aussi que si on considère que dans l'avenir l'utilisation de l'énergie nucléaire pourrait être une composante des ressources en énergie, il faudrait repenser complètement le problème. Les réacteurs n'ont pas été optimisés pour produire moins de Pu et d'actinides mineurs. Au contraire la première fonction des réacteurs était de produire le plus possible de plutonium. Encore une fois je citerai le rapport Curien: "Les RNR incinérateurs seraient assez sensiblement différents de Superphénix et d'importantes études doivent être menées pour définir et calculer un réacteur à forte capacité incinératrice. La réalisation d'un premier réacteur industriel prendrait environ 20 ans".

     2.2. Réduction des déchets radioactifs de vie longue. (voir PAC3)

Remarques d'ordre général:
     En tout état de choses, moins on fera de nucléaires, moins on aura de problèmes avec.
     40 ans de nucléaire génèrent plusieurs siècles de problèmes avec les déchets... bravo
     Dès à présent on ne retraite pas plus qu'un tiers des combustibles irradiés. Les 2/3 restants sont pour le moment considérés comme étant destinés à du retraitement différé. Cela signifie qu'avec la même capacité de retraitement, si dans 20 ans on arrêtait le nucléaire, il faudrait continuer le retraitement pendant 40 ans... Mais alors il ne restera plus guère qu'à faire marcher un parc de RNR pendant au minimum une soixantaine d'années... bravo pour les générations futures !

PAC 2

     "étudier la flexibilité des RNR utilisant le combustible plutonium et qualifier les solutions techniques développées dans le cadre des programmes de recherche visant à permettre de faire fonctionner ce type de réacteurs en consommateurs nets de plutonium"
     Pour préciser les idées, quelques chiffres:
     Compte tenu de la disponibilité actuelle de SPX la production d'électricité serait, à l00% PN 8TWh, donc à 50% 4TWh.
     Le tableau suivant donne des estimations (calculées) du bilan plutonium de diverses structures du coeur de SPX.

p.5

 
Coeur       état              bilan Pu           pour 4 TWh     envisagé
no 1           toutes            +36kg/TWh     +144kg/an        actuel
                  couvertures
no 1 bis      toutes            +28 Kg/TWh   +112kg/an        début97
                  couvertures*
no 2            sans radiale   +l5kg/TWh       +60kg/an          fin99
no 3            sans radiale   +15kg/FWh      - 60kg/an         2004
                  et axiale
CAPRA** 40%Pu,         - 50 kg/TWh    - 200kg/an
                 sans U

(*) la première rangée fertile est remplacée par des assemblages en acier
(**) CAPRA pour Consommation Accrue de Plutonium assemblages hypothétiques dont la matrice n'est pas encore définie et a fortiori n'a fait l'objet d'aucun test de qualification.

Coeur no1:
     Le réacteur contient actuellement le coeur d'origine. Rappelons qu'un coeur de RNR comprend:
     * une partie centrale "fissile", composée d'assemblages contenant un mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium (15 % Pu en moyenne)
     * une partie périphérique "fertile", comprenant:
     la couverture radiale constituée d'assemblages contenant uniquement un oxyde d'uranium naturel ou appauvri (Uranium 238)
     la couverture axiale constituée par les extrémités hautes et basses des aiguilles des assemblages fissiles remplies de pastilles d'oxyde d'uranium appauvri. (U 238).

Coeur no1 bis:
     Actuellement une diminution de la production de plutonium pourrait être obtenue en remplaçant la première couche fertile radiale par une rangée d'assemblages inertes en acier. Cette opération est en principe programmée pour être faite en temps masqué pendant le remaniement de coeur qui doit être opéré à 320 JEPN (jours équivalents puissance nominale, nouvelle appellation des JEPP, jours équivalents pleine puissance).
     SPX devait, suivant le planning de début 96, fonctionner dans cette configuration dans les premiers mois de 1997 et pour une période au bout de laquelle il aurait atteint 640 JEPN.
Coeur no2:
     La suppression de toute la couverture radiale devrait faire chuter le bilan de production de plutonium qui resterait encore positif malgré tout. Ceci n'est pas envisagé avec le coeur no1 parce que c'est une opération longue (en raison des moyens d'extraction "légers" disponibles) et que la fabrication en Italie des assemblages acier demande du temps. Comme dans l'esprit des promoteurs ce qui est prioritaire c'est la production de TWh, cette modification est repoussée au remplacement du coeur no1 par le no2 (actuellement en attente sur site), ce qui permettra de travailler en temps masqué. On remarquera au passage le dynamisme déployé pour mettre en oeuvre les points 2 et 3 du PAC.
     L'échange demanderait de l'ordre d une année et le démarrage avec le coeur no2 n'est pas envisagé avant fin 1999 (toujours suivant le planning de début 96)
     De plus cette configuration du coeur demande à être analysée sur le plan sûreté et devra être soumise à l'autorisation des autorités de sûreté comme toute autre modification.
     Dans ce coeur il est envisagé, si toutefois ils étaient fabriqués à temps, d'introduire 2 assemblages CAPRA à 35% de plutonium et 2 assemblages NACRE contenant du Neptunium (ce qui ne présente pas d'intérêt ainsi qu'on va le voir dans l'analyse du PAC 3)

(suite)
suite:
Coeur no 3:
     L'introduction du coeur no3 ne pourrait pas intervenir avant que le coeur no2 n'ait fonctionné 640 JEPN, ce qui conduirait, avec optimisme, à début 2004.
     De plus il n'est pas évident que la suppression des parties haute et basse de la couverture axiale ne pose pas de problèmes de sûreté.
     C'est dans ce coeur qu'auraient du être placés 20 assemblages CAPRA à 40% de Pu, dont certains avec des aiguilles contenant une matrice sans uranium. Ce qui sous entend que d'ici là on aura trouvé une matrice ne mettant pas gravement en cause la sûreté du réacteur, résistant aux irradiations, n'interagissant pas avec les gaines ni avec le sodium en cas de fissuration des gaines...
     Le planning d'utilisation des coeurs montre clairement ce qui nous semblait évident depuis longtemps, l'habillage recherche du décret de juillet 1994 ne sert qu'à recouvrir d'un voile pudique la seule et unique préoccupation (au demeurant tout à fait légitime) des investisseurs de la NERSA: rentabiliser leurs investissements.
     Le réacteur et ses équipements annexes représentent environ 50 milliard de francs (après avoir affirmé pendant longtemps que le coût ne dépassait pas 17 milliards F, le chiffre admis aujourd'hui est 33 milliards). Les coeurs 1 et 2 ont coûté chacun 2,6 milliards, et ce en considérant le plutonium "gratuit", car déjà payé par le retraitement des combustibles à eau légère (?!?!?!)
     EdF dédommage les partenaires étrangers de NERSA par une livraison d'électricité correspondant à ce qu'auraient produit les deux coeurs SI... SPX avait fonctionné à la puissance nominale. Ceci représente la livraison de 14,5 TWh pendant 6 ans.
     Les frais d'exploitation de Superphénix s'élèvent à environ 850 MF par an (il est même admis 1 milliard).
     On comprend aisément pourquoi, dans la mesure où cette machine continue à être autorisée de fonctionner, EdF a tout intérêt à produire le maximum d'électricité. Sur le plan financier il y a d'ailleurs des mystères hors des possibilités de compréhension du physicien moyen. L'électricité livrée aux partenaires de NERSA est comptabilisée à 9 centimes le kWh et celle produite par SPX est "vendue" à EdF entre 20 et 30 c le kWh selon les sources.
     A partir de toutes ces remarques on se rend compte que tant qu'on n'est pas au coeur 3, SPX ne répond pas au cahier de charge du PAC 2. Il n'est pas consommateur de plutonium. Le passage au coeur n°3 n'est pas une simple formalité et sans les assemblages NACRE sans uranium, les performances de consommation nette de plutonium sont dérisoires et d'un rapport rendement-prix sans aucune comparaison avec la (mauvaise) solution actuelle, le combustible MOX dans les REP.
     Quant aux assemblages NACRE sans uranium, ce sont pour le moment des hypothèses d'école sur lesquelles les équipes techniques ont encore de longues années de travail de laboratoire, tant théoriques qu'expérimentales.
     Par ailleurs l'outil qui devait permettre de faire le tri entre diverses solutions, de faire des expériences analytiques était Phénix. Ce petit RNR avait la souplesse de fonctionnement et les équipements annexes adaptés. Malheureusement pour cette machine, elle commence à avoir de l'âge et les autorités de sûreté refusent de l'autoriser à continuer de fonctionner tant que le CEA n'aura pas effectué des travaux très importants sur les structures internes. Pour mémoire rappelons que le coeur de Phénix est fixé sur les parois latérales de la cuve. Au cas où une de ces fixation lâcherait, une descente du coeur produirait une sortie des barres de contrôle, celles-ci étant retenues par leurs mécanismes fixés à la dalle supérieure.
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     En l'absence de Phénix, ou de tout autre machine équivalente, Superphénix devrait pouvoir servir successivement aux travaux de recherche puis à la validation de solutions au niveau industriel.

     La réponse est claire, pour le PAC 2, Superphénix ne présente pas la flexibilité nécessaire pour qualifier des solutions techniques qui auraient été développées dans le cadre des programmes de recherche visant à permettre de faire fonctionner ce type de réacteurs en consommateurs nets de plutonium.

PAC 3

     "étudier la possibilité de destruction des déchets radioactifs de longue vie, en particulier les actinides mineurs, américium et neptunium, dans le cadre du programme de recherche SPIN (Séparation incinération) engagé par le CEA pour répondre aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991."
     Parmi les radioéléments de longue vie contenus dans les déchets radioactifs, il n'y a pas que les actinides mineurs, il y a aussi des produits de fission, tels le technétium 99 (2.105 ans) et l'iode 129 (1,6.107 ans). Ces produits ne sont pas fissiles et leur destruction passe par des réactions en neutrons thermiques. Nous sommes donc dans le domaine d'utilisation des REP. Toutefois, malgré des taux de destruction qui pourraient atteindre 90 à 99 %, cette réduction ne serait pas suffisamment complète pour éliminer la nécessité d'un stockage spécifique pour déchets de haute activité.
     Pour ce qui est des actinides mineurs le programme tel qu'il est envisagé ne concerne que le neptnnium. En fait les éléments qui ont la plus forte contribution à la radiotoxicité à très long terme des combustibles irradiés sont par ordre décroissant le plutonium puis l'américium et enfin le curium.
     L'ordre de priorité adopté est expliqué par le fait qu'il y a encore de nombreuses années de recherche et développement pour arriver à extraire l'américium. Ce qui conduirait à une situation fort "intéressante" si on continuait dans cette voie. On ferait un effort important pour extraire le neptunium, pour fabriquer des aiguilles de combustibles qui seraient irradiées abondamment dans un réacteur et en fin de compte, à très long terme on en retrouverait autant dans les déchets puisque c'est un produit de filiation dans la décroissance radioactive de l'américium qui n'en serait pas extrait.
     Cet illogisme est expliqué par la hantise créée par l'interprétation faite de la loi de 1991 qui dit que les pouvoirs publics feront le point 15 ans plus tard (soit en 2006) pour savoir si on décide et ce qu'on décide en matière de déchets radioactifs. Cette agitation stérile entrant en conjonction avec la tentative de trouver une utilisation à Superphénix produit des effets pervers à défaut de produire des résultats.
     Mais il faut bien se rendre compte que ces problèmes se posent à l'échelle de dizaines de milliers d'années. Non pas qu'il faille se désintéresser des générations futures (et dans ce cas il aurait peut-être fallu se poser la question au démarrage du développement massif de l'énergie nucléaire) mais il serait sûrement plus utile de repenser le problème dans sa totalité.
     Aux USA, le "Comité sur les technologies de séparation et les systèmes de transmutation" vient de publier un rapport "Nuclear wastes. Technologies for separations and transmutation - Washington, 1996" faisant le point sur ces questions. 
     Ils estiment que leur comité n'a trouvé aucune preuve que les applications des techniques de séparation et de transmutation déjà développées procuraient un gain pour leur programme de déchets de haute activité et qu'il n'y avait pas de raisons pour retarder l'aménagement de leur premier site permanent pour les combustibles non retraités.
     Ils arrivent aux mêmes résultats que nos spécialistes. Un cycle ouvert produit moins d'actinides mineurs que le recyclage sous forme de MOX.
     Si on raisonne à la source, on doit se dire qu'au lieu de chercher à détruire les actinides mineurs il vaudrait mieux en produire moins, voire ne pas en produire.

(suite)
suite:
     La première voie serait de ne pas (de ne plus) utiliser l'énergie nucléaire. Dans cette hypothèse le problème se résume à comment détruire tout l'inventaire qui est aujourd'hui dans les réacteurs, dans les piscines de stockage et sous forme de déchets de catégorie B ou C en attente d'un éventuel stockage souterrain. Dès à présent, si on pensait utiliser des RNR, il faudrait gérer un parc d'une vingtaine d'enfants de Superphénix pendant au moins un siècle pour éliminer 90% des produits indésirables; avec de toute façon un stockage géologique pour les déchets provenant des combustibles irradiés retraités au fur et à mesure. Jolies perspectives pour des générations qui auraient décidé de ne plus avoir recours à l'énergie nucléaire!
     La seconde voie part de la constatation que les réacteurs qui ont été construits ont été conçus avec comme objectifs:
     > produire le plus possible de plutonium (à des fins militaires) UNGG, MAGNOX, RBMK.
     > être le plus compact possible pour la motorisation des sous marins (réacteurs à eau légère)
     Ces deux objectifs sont incompatibles avec la minimisation de la production d'actinides mineurs.
     Des nouveaux concepts commencent à émerger, tels les réacteurs à eau légère à rapport de modération accru (RMA), où en augmentant le rapport modérateur/combustible on peut minimiser l'absorption des neutrons par les résonances géantes de l'uranium.
     Une autre idée consiste à se dire que puisque la plus grande partie des produits à problèmes, les actinides mineurs, proviennent de captures successives à partir de l'uranium, il faudrait travailler avec un matériau de plus basse masse que l'uranium, le thorium par exemple. L'utilisation du thorium a été depuis longtemps envisagée. Elle était le cheval de bataille de Lew Kowarski, un des pères des réacteurs nucléaires (brevet de 1939 déposé par Joliot, Halban, Kowarski et Perrin). Si l'uranium a été préféré au thorium c'est pour la raison simple qu'il n'y a que dans le minerai d'uranium qu'on trouve un élément directement fissile, l'isotope d'uranium de masse 235. Le thorium 232, au même titre que l'uranium 238 demande à être d'abord irradié avec des neutrons pour donner un élément fissile, l'uranium 233 et le plutonium 239 respectivement. L'utilisation du thorium pose donc le problème de la phase initiale où il va subir un début de conversion. Le placer dans un mélange contenant de l'uranium 235 résout le problème du démarrage mais renvoie à la case départ quant aux transuraniens. Une solution pourrait être dans les systèmes de réacteurs couplés à un accélérateur. Le faisceau de l'accélérateur envoyé sur une cible produit un flux de neutrons qui assure le démarrage de l'opération, puis ensuite ces neutrons venant s'ajouter àceux produit par le réacteur lui-même, permettent de travailler avec un réacteur sous-critique. Plusieurs projets sont à des niveaux d'étude et d'expérimentation variés. Ce caractère de sous-criticité devrait, en première analyse, mettre ce type de machine à l'abri d'un Tchernobyl mais non d'un Three Mile Island, sans compter d'autres scénarios auxquels personne n a encore pensé.
     Pour revenir à la question telle qu'elle à été posée, "étudier la possibilité de destruction des déchets radioactifs de longue vie, en particulier les actinides mineurs, américium et neptunium, dans le cadre du programme de recherche SPIN (Séparation incinération) engagé par le CEA pour répondre aux dispositions de la loi du 30 décembre 1991", je pense qu'elle conduit à une impasse. L'idéal serait de profiter de la situation énergétique actuelle. Il y a une faible augmentation de la demande. Lorsque les prerniers réacteurs REP vont arriver au stade du remplacement (sous 10 à 15 ans) il n'y aura rien d'autre d'opérationnel que les REP actuels (même le projet EPR risque de ne pas être à un niveau d'élaboration suffisant). Donc sur le plan du développement de nouveaux concepts les physiciens et les ingénieurs ont devant eux 50 à 60 ans. C'est le moment où jamais de mettre à plat les problèmes et de réfléchir à toutes les options ouvertes, et ce ne sera possible que si l'avenir n'est pas bouché par le spectre de l'utilisation de la filière "Réacteur à Neutrons Rapides - Plutonium - Sodium".
     Le programme SPIN du CEA contient les lettres SP, c'est à dire le volet séparation. En tout état de chose, même si on change de filière, il faudra bien gérer les résidus actuels (dans tous les cas) ou produits par le demi siècle à venir (en cas de poursuite du recours au nucléaire). Ce qui pourrait être utile dans l'avenir c'est une machine dédiée à la destruction des actinides mineurs et qui pourrait servir de banc d'essai pour les nouveaux concepts.
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