La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°189/190, mai 2001
Commission Française du Développement Durable

Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement
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AVIS N° 2001-05 (Février 2001) sur le Rapport " Charpin - Dessus - Pellat "
ÉTUDE ÉCONOMIQUE PROSPECTIVE DE LA FILIÈRE ÉLECTRONUCLÉAIRE


     Une étude économique prospective de la filière électrique nucléaire a été réalisée à la demande du Premier ministre et rendue publique le 28 juillet 2000. Partant du parc nucléaire existant en France et de la nécessité d'envisager l'évolution du système de production électrique, elle révèle que le retraitement du combustible nucléaire irradié en vue de le recycler n'est pas efficace au regard du traitement des déchets, ni justifié sur le plan économique.

     Le gouvernement doit réagir aux rapports qu'il commande
     Le gouvernement n'a donné actuellement aucune suite à ce rapport. La CFDD se réjouit certes que gouvernement et Parlement soient à l'origine de multiples rapports, mais elle déplore que les commanditaires n'aient pas l'obligation d'organiser des débats autour de ces rapports ou d'indiquer quelles conséquences ils en tirent en termes de politiques publiques. La CFDD estime en effetcrucial de permettre à une opinion publique dûment informée en matière de politique énergétique, de faire valoir ses attentes à l'égard du monde qu'elle souhaite léguer à sa descendance.

     Une bonne méthode d'élaboration pour un rapport sur une question conflictuelle
     La CFDD a été vivement intéressée par la méthode de travail suivie par les auteurs du rapport qui n'avaient jamais caché leurs divergences sur une question évidemment conflictuelle. Cette méthode pourrait être suivie pour d'autres questions controversées.

     Les auteurs ont dans un premier temps rassemblé des données qu'ils ont soumises à la critique de chacun. Une fois l'accord obtenu sur des données physiques ou économiques non contestées, ils se sont entendus sur les règles de confection de scénarios, acceptant d'avance les résultats inattendus auxquels ils pourraient aboutir, et n'ont pas préconisé de solutions, sachant qu'ils n'auraient pu se mettre d'accord, in fine, sur des conclusions. Il en est résulté la production d'une base factuelle large, qui regroupe éléments techniques et économiques sur lesquels un accord a pu être trouvé. Cette méthode a l'avantage de donner au pouvoir politique des éléments non contestés sur lesquels il est libre de prendre des décisions informées par les experts sans que le contenu ne lui en soit dicté. En revanche, la CFDD regrette que d'autres éléments soient passés sous silence, particulièrement de nombreuses externalités, négatives ou positives: risque d'accident majeur, risque de dissémination, coûts de surveillance des déchets, évaluation des éventuelles subventions qui ont été fournies à la filière nucléaire, signification pour la société, modes de vie, emploi, etc..

     Les coûts liés au parc existant n'appartiennent pas qu'au passé
     Le rapport évalue les coûts liés au parc existant (58 centrales) en tenant compte de la durée de vie des centrales, de leur qualité d'usage (coefficients d'utilisation, de disponibilité, etc.) et de la poursuite, du renforcement ou de l'arrêt des procédures de retraitement et recyclage du combustible irradié. 

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Il apparaît, contrairement à ce qui était généralement avancé, que les coûts d'exploitation des centrales nucléaires représentent une part élevée des coûts cumulés (43%) alors que le coût du démantèlement est relativement faible (de l'ordre de 5 à 6%).

     L'intérêt du retraitement est discutable
     Depuis l'arrêt en 1997 de Superphénix (qui brûlait du plutonium), le plutonium issu du retraitement des combustibles usés sert à fabriquer du MOX (mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium) utilisé comme combustible dans certains réacteurs, aux côtés de l'uranium enrichi. Le rapport démontre la faible efficacité de cette option retraitement - recyclage, le MOX n'étant économiquement recyclable qu'une fois. La seconde; fois, le coût du retraitement devient trop élevé. Ensuite, la quantité de poisons dans le combustible irradié rend techniquement inenvisageable tout nouveau recyclage. Or, un seul cycle de retraitement du MOX ne réduit la consommation d'uranium naturel que de l'ordre de 5% et la production de transuraniens (plutonium et actinides mineurs) de 12 à 15%. La quantité de déchets dangereux n'est donc que faiblement diminuée par l'opération.
     Par ailleurs, l'avantage financier de l'économie d'uranium ne compense pas le coût du recyclage. Chaque tonne de transuraniens évitée en poursuivant le retraitement au-delà de 2010 coûte 0,4 milliard de francs. Au total, le retraitement coûtera environ 40 milliards à la France pour éviter de produire de l'ordre de 100 tonnes de transuraniens sur un total d'environ 500 tonnes prévues pour 2050 (à la fin de vie du parc).
     Enfin, le rapport révèle une différence majeure entre la gestion de l'uranium (UOX) irradié et celle du MOX irradié. Avant de stocker ces déchets de façon définitive, il faut les entreposer - et les surveiller - dans des piscines. Or, l'UOX doit être entreposé 50 ans avant de pouvoir être stocké alors que le MOX doit être entreposé 150 ans. De ce fait, si l'on entrepose à partir de 2020, il faut s'organiser jusqu'en 2070 pour l'UOX et jusqu'en 2170 pour le MOX, ce qui représente un changement d'échellede difficultés au plan de l organisation.
     Sur la base de ces résultats, la CFDD relève trois éléments
     1) L'étude économique prospective de la filière électrique nucléaire prouve que le discours du Ministère de l'industrie et de la compagnie générale des matières nucléaires (Cogema), qui prétend que le retraitement divise par six la quantité de déchets générée, n'est pas exact. Le gouvernement dispose ainsi, depuis huit mois, d'un rapport qui contredit sa justification officielle de poursuivre le retraitement.
     2) La CFDD juge que l'option MOX n'est pas équitable pour les générations futures car elle leur impose une gestion technique délicate de déchets sur une période de temps trois fois plus longue que pour l'option UOX (sans recyclage).
     3) Cette option UOX, plus facile à gérer, économise environ 40 milliards de francs d'ici 2050 avec comme seul inconvénient une production légèrement plus forte de transuraniens. La CFDD estime que cette donnée très intéressante devrait être portée à la connaissance du public pour qu'il puisse, sur cette base, faire valoir son opinion sur le bien fondé de poursuivre le retraitement.

suite:
     Sept scénarios, une conclusion: favoriser les économies d'énergie
     La seconde partie du rapport compare sept avenirs énergétiques fixés à l'horizon 2050 pour tenir compte de l'inertie du parc. Sur la base d'une hypothèse commune de croissance économique (2,3% du PIB de 1998 à 2020 et 1,6% de 2020 à 2050), sept scénarios (trois pour une demande énergétique haute, quatre pour une demande basse) se distinguent sur le choix des filières (nucléaire, gaz, énergies renouvelables). Dans les scénarios nucléaires, différents types de réacteurs et de combustibles sont envisagés. Le rapport décrit les flux de combustibles et de déchets que chaque scénario engendrerait et les gestes techniques qu'il impliquerait, et présente un calcul des coûts cumulés à divers taux d'actualisation.
     Une seule donnée économique significative émerge de cette évaluation: en permettant une basse consommation d'électricité, une forte maîtrise de la demande entraînerait une économie de l'ordre de 15 à 20% de la consommation, soit 15 milliards de francs par an, quel que soit le prix du gaz naturel. En outre, le coût de l'électricité au kWh des scénarios "basse demande d'électricité » est plus faible que celui des scénarios « haute demande d'électricité ".
     Autrement dit, la maîtrise de l'énergie apporte un gain considérable qu'aucune filière - nucléaire, gaz, énergies renouvelables - ne peut remplacer.

      Nucléaire et effet de serre
     On présente généralement le nucléaire comme la solution permettant de réduire les émissions de C02, donc l'effet de serre; le faire de manière aussi réductrice revient à oublier de prendre en compte les problèmes liésau stockage des déchets. Pour sortir de ce schéma implicite, les auteurs du rapport ont proposé une méthode que la CFDD juge intéressante: valoriser la tonne de déchets nucléaires hautement radioactifs évitée durant la période 2000-2050, comme on valorise la tonne de gaz carbonique évitée, dans le cadre des accords de Kyoto à travers la mise en place d'un mécanisme d'échange, « les permis négociables ». Cette approche permet une comparaison plus juste des filières fossile et fissile. Sans ce parallèle, l'option nucléaire bénéficie d'un avantage comparatif que les nuisances liées au cycle du combustible nucléaire ne justifient pas.


Commission Française du Développement Durable
AVIS n ° 2000-03 (novembre 2000)
sur LES «MÉCANISMES DE FLEXIBILITÉ DE KYOTO»

     Depuis plusieurs années, des négociations internationales sur le réchauffement climatique sont engagées. Dans quelques jours. la conférence de La Haye (du 13 au 24 novembre 2000) va marquer une étape dans ce processus. A cette occasion, la CFDD souhaite d'une part attirer l'attention de l'opinion sur l'importance de cette réunion, et d'autre part rappeler aux pouvoirs publics la nécessité de respecter les exigences du développement durable dans ses composantes sociales et écologiques, en insistant sur les valeurs d'équité et de solidarité.
     A Kyoto en 1997, un certain nombre de pays industrialisés se sont engagés à réduire leurs émissionsde gaz à effet de serre par rapport à leurs niveaux d'émissions de 1990. L'accord de Kyoto prévoyait de plus la possibilité, pour les pays qui s'engagent à ces réductions, d'avoir recours à des mécanismes dits de "flexibilité" fondés sur la notion d'échange:

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     - Soit il s'agit d'échanges entre pays qui ont fixé leurs réductions d'émissions: par le biais de "permis négociables" ou "d'application conjointe ", ils pourront atteindre leur objectif à moindre coût, grâce à des échanges de nature commerciale (c est ce que l'on a .baptisé communément l'achat de droits d'émettre).
     - Soit il s'agit d'échanges entre pays industrialisés et pays en développement: les pays en développement peuvent acquérir des technologies dites "propres " (à moindre émission de gaz à effet de serre), et les pays industrialisés pourvoyeurs de ces technologies inclure dans leur engagement la réduction des émissions ainsi obtenue ailleurs. Ce mécanisme est connu sous le nom de "mécanisme de développement propre ".
     L'un des objectifs majeurs de la prochaine conférence de La Haye est de définir précisément les modalités et les règles de fonctionnement et de contrôle de ces nouveaux mécanismes.
     La CFDD tient à rappeler que la mise en oeuvre éventuelle de ces mécanismes doit tenir compte des principes fondateurs du développement durable, avec les exigences de solidarité, d'équité et de souci du long terme qui y sont attachées.
     Du point de vue du développement,la CFDD met en garde contre les effets pervers d un emploi irréfléchi des mécanismes de flexibilité sur le développement des pays concernés. En effet:
     L'échange de permis négociables, dans celui des pays qui contraint son économie et sa population à de plus fortes réductions d'émission pour vendre sur le marché des crédits d'émission, peut entraîner un renforcement des inégalités sociales.
     Certains projets présentés au titre du "développement propre ", comme la " séquestration " de carbone par la plantation de forêts, reviennent à de l'exportation de déchets plutôt qu'à de réels projets de développement dans les pays qui les hébergent. En effet ceux-là présentent un contenu nul voire négatif pour les pays d'accueil en terme de développement, qui exige de valeur ajoutée et emplois locaux, transferts de technologie, etc..
     Les pays les moins avancés, parce qu'ils émettent encore très peu de gaz à effet de serre, risquent d'être laissés pour compte des bénéfices qu'ils seraient en droit d'attendre de l'application du "mécanisme de développement propre", au profit des pays en développement les plus avancés.
suite:
     Du point de vue de la durabilité du développement, la CFDD alerte l'opinion et les pouvoirs publics sur les points suivants:
     L'impérieuse nécessité de prise en compte des autres risques d'environnement global dans l'appréciation à porter sur les mécanismes de flexibilité de Kyoto (épuisement des sources fossiles, risques associés à l'énergie nucléaire, concurrence d'usage et dégradation des sols, pertes de biodiversité globale). En effet l'emploi de ces mécanismes, justifié par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, est susceptible d'aggraver ces autres risques.
     En particulier, la CFDD considère que l'application du principe de précaution doit conduire à exclure les technologies nucléaires des mécanismes de flexibilité de Kyoto, tant que des engagements de limitation de la croissance des flux et des stocks de déchets nucléaires à haute activité et longue durée de vie n'auront pas été élaborés. Car si l'électricité nucléaire ne produit pas de gaz à effet de serre, elle accumule des déchets dangereux pour lesquels les pays industriels eux-mêmes ne disposent pas pour l'heure de solution satisfaisante.
     L'importance de la poursuite à long terme des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La CFDD rappelle tout d'abord que l'objectif de réduction globale des émissions de gaz à effet de serre ne saurait être atteint sans un effort effectif majeur de réduction des émissions des pays industrialisés eux mêmes. La CFDD considère de plus que la notion de convergence de tous les pays vers un objectif à long terme commun à tous les hommes ( par exemple une quantité d'émissions de gaz à effet de serre par habitant en 2060 ) est un élément primordial de cohésion internationale et de mise en cohérence des engagements de chacun.
     La CFDD met donc en garde l'opinion et les pouvoirs publics contre les risques qu'une marchandisation sans finalité de convergence clairement affirmée peut induire à long terme. Un emploi non maîtrisé des différents mécanismes de flexibilité conduirait en effet à augmenter avec le temps les écarts des situations d'émission des pays y faisant appel au lieu de les atténuer.
     La CFDD souhaite vivement que ces recommandations soient prises en compte par les pouvoirs publics français et par l'Union européenne, dans les négociations qui s'ouvrent à La Haye.
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