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G@zette N°241/242
GAZETTE, NUCLEAIRE, MEME COMBAT...

LA DIFFICILE REFONDATION DE LA RADIOBIOLOGIE
Dr Abraham BEHAR
AMFPGN
(Association des Médecins Français pour la Prévention de la Guerre Nucléaire)



     Pour les autorités nucléaires françaises et internationales, le dogme central de la radiobiologie est basé sur les effets des rayonnements ionisants sur l'ADN des chromosomes situés dans le noyau de la cellule. Les cassures de l'ADN sont à l'origine de la mort programmée de la cellule ou de sa survie si la dose n'est pas trop importante et si la réparation de l'ADN intervient. Si la réparation est «fautive», elle peut être au départ du processus de cancérogenèse. Les effets sur la cellule sont fonction de la dose de radioactivité reçue. Quand la dosimétrie égale zéro ou est très basse, les autorités en concluent qu'il ne peut y avoir d'effets sur la santé.
     Depuis plusieurs années, des publications scientifiques ont mis en évidence des phénomènes nouveaux, comme l'instabilité génomique et l'effet de proximité qui remettent en cause la théorie de la cellule ciblée. Mais, ces publications ne sont pas prises en compte par les partisans du nucléaire.
     Devant l'accumulation de ces publications, le rapport 2006 du Comité scientifique des Nations Unies pour les effets des radiations atomiques (UNSCEAR) qui fait autorité sur ce sujet, commence sérieusement à aborder les effets non ciblés. Ce rapport a été analysé par l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). Il est très instructif.
     Une remarque préalable de l'UNSCEAR: «Les effets non ciblés ne sont pas en rapport avec un dépôt d'énergie au niveau du noyau de la cellule, phénomène qui constituait jusqu'à récemment le dogme central de la radiobiologie classique»[1]. Donc, ce ne sont pas des phénomènes proportionnels à la dose reçue. Il est donc nécessaire de refaire le point sur les effets non ciblés. Mais un avertissement préalable est nécessaire pour l'UNSCEAR:
     «Le comité souligne en outre que les conclusions du rapport peuvent avoir des incidences au plan socio-économique, car on assiste dans plusieurs pays et depuis quelque temps à de nombreuses requêtes de compensations pour des maladies de nature cancéreuse ou non que les plaignants attribuent à l'exposition aux rayonnements». 
     Amis victimes des essais nucléaires de l'AVEN, simples gens d'Ukraine et de Bélarus vivants autour de Tchernobyl, Hibakushas du Japon, vous voilà prévenus: S'appuyer sur la nouvelle radiobiologie est subversif, témoigner preuves à l'appui de la réalité des lésions radio-induites est insupportable... pour l'économie mondiale!
     Voici donc les derniers développements scientifiques dans le domaine des effets des rayonnements ionisants indépendant de la dose et indépendant de la lésion de l'ADN immédiatement constatée, c'est-à-dire les «effets non ciblés»
     L'instabilité génomique:
     C'est la première étape dans la genèse des lésions radio induites. Le mécanisme est à la fois une transmission de l'instabilité chromosomique au cours du temps, et l'amplification du signal avec une augmentation des altérations du génome[2]. Ce phénomène est connu depuis longtemps mais ce qui est nouveau c'est l'accumulation de preuves cliniques du phénomène comme la persistance d'aberrations chromosomiques des «travailleurs du plutonium» de SELLAFIELD (Ecosse) ou des survivants d'Hiroshima et Nagasaki[3]. Au-delà des preuves expérimentales, les données cliniques démontrent que l'instabilité génomique joue un rôle non négligeable dans la survenue et le développement des affections cancéreuses.

     L'effet de proximité (bystander effect - pdf):
     Rappelons qu'il s'agit: «de la capacité des cellules affectées par un agent extérieur (comme l'irradiation) de transmettre les manifestations du dommage à d'autres cellules qui ne constituaient pas la cible directe de l'agent causal et qui sont susceptibles de l'exprimer»[1].
     Cet effet des faibles doses explique le caractère d'amplification de l'instabilité génomique puisque les lésions sont multipliées par un signal destiné à des cellules non irradiées. Les études in vitro et in vivo ont étendu ce mécanisme à des transmissions d'anomalies chromosomiques à distance de la zone irradiée[4]. Cette diffusion de signaux capable d'induire aussi bien la mort programmée cellulaire à distance que l'augmentation du taux de transformation néoplasique est aujourd'hui admise par tous, même si des réticences se font jour ça et là[5]. Pour l'UNSCEAR: «la seule conclusion actuellement possible est que la cible d'une exposition aux rayonnements dépasse le volume du noyau cellulaire»[1].

suite:
     Les effets abscopaux:
     Ce nom barbare vient du préfixe «ab» (loin de) et du terme «skopos» (cible) et désigne «la réaction suivant une irradiation en dehors de la zone effectivement ciblée par le rayonnement»[6]. L'observation clinique princeps est la suivante: un sujet de 76 ans originaire de Nagasaki atteint d'hépatome (cancer du foie) primitif, a développé des métastases osseuses. Le traitement palliatif de la métastase du membre inférieur par les rayons a entraîné une régression du cancer du foie! Tout se passe comme si l'apoptose (mort cellulaire) se déclenchait dans la tumeur primitive à partir de signaux venus d'ailleurs. Expérimentalement, on a pu prouver que l'irradiation par un faisceau très fin de rayons dans un poumon de rat entraîne des lésions de l'ADN dans des cellules du poumon opposé non irradié. Ces effets abscopaux, visibles pour un mode de transmission du signal bien codifié déclencheur de la mort programmée cellulaire (apoptose) sont actuellement en discussion pour la transmission d'autres signaux à distance comme le déclenchement d'une lésion cancéreuse. Il s'agit peut-être de l'effet de «proximité» projeté au loin?

     Les facteurs clastogéniques:
     C'est peut être l'avancée la plus significative de la nouvelle radiobiologie: il s'agit de facteurs plasmatiques de sujets irradiés capables d'induire des effets délétères dans des cellules non irradiées des années après l'événement initial. Ces facteurs peuvent persister jusqu'à 30 ans après chez les survivants d'Hiroshima et Nagasaki[7]. Ces facteurs clastogéniques peuvent expliquer les résultats de l'étude du professeur Claude Parmentier[8] sur les cancers de la thyroïde de sujets polynésiens 30 ans après l'irradiation de la population par des tirs défectueux de 1974, puisqu'il existe chez ces patients un excès des lésions «stables» des chromosomes comme les «dicentriques».
     En même temps ces facteurs clastogéniques posent 2 problèmes:
     1) La dosimétrie biologique calquée sur une relation dose-effet immédiate et proportionnée des rayonnements ionisants doit-elle être remise en cause?
     2) Les produits alimentaires irradiés peuvent-ils être, par ce biais, néfastes pour la santé[1]
     Avec toute la prudence nécessaire, renforcée encore par la crainte de plaintes futures des victimes, l'UNSCEAR est obligé de reconnaître:
«S'il était démontré que ces effets sont courants à tous les types de rayonnements, les hypothèses actuellement prise en compte par la radioprotection conduirait à une sous-estimation du risque radiologique , tout au moins pour les niveaux d'exposition habituellement rencontrés dans la vie courante».
     Malgré les blocages, les dissimulations, malgré les barrages administratifs et politiques, malgré l'opposition farouche des fanatiques du nucléaire, la radiobiologie se refonde sur des nouvelles bases, c'est à dire principalement sur l'étude de la matière vivante. À nous d'en faire écho, et d'en tirer les conséquences pour tous les irradiés, y compris sur ordre de notre république.


BIBLIOGRAPHIE

1. NENOT J C, SUGIER A, Synthèse par l'IRSN Des rapports de l'UNSCEAR période 2003-2007. Rapport IRSN 2006-74. 
2. MEDECINE ET GUERRE NUCLEARE N°18,1,2003
3. MEDECINE ET GUERRE NUCLEAIRE N°2 21 2006 
4. KAMINSKI JM et al, The controversial abscopal effect, Cancer Treat. Rev. 2005, 31, 3, 159-172
5. SNYDER AR, Review of radiation induced bystander effects, Hum. Exp. Toxicol. 2004,23,2,87-89
6. MOSS RALPH W, The abscopal effect, Newsletter 73 02/14/03
7. VIOLOT D et al., Evidence of increase chromosomal abnormalities in French Polynesian thyroid cancer patients Eur. J. Nucl. Med. Mol. Imaging 2005,32,174-179.
8. EMERIT et al, Clastogenic factors in the plasma of Chernobyl accident recovery workers; anticlastogenic effect of ginkgo biloba extract. Rad.Res. 1995, 144, 2, 198-205.


voir le dossier "Energie nucléaire et santé"
p.25

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