La G@zette Nucléaire sur le Net! 
G@zette N°256
Secret et démocratie:
cohabitation impossible

Le gouvernement canadien rejette l'idée de construire un nouveau réacteur producteur d'isotopes pour la médecine
Le gouvernement Saskatchewan est déçu de cette décision
http://www.thestarphoenix.com/
Mars 2010

     Article de Andrew Mayeda, Canwest News Service, with files from James Wood, The Star Phoenix March 31, 2010 
     Les espoirs de la  province du Saskatchewan en la construction d'un réacteur de recherche produisant des isotopes pour la médecine à l'université de Saskatchewan semblent détruits.
     Ce mercredi, le gouvernement a annoncé qu'il ne serait pas construit un réacteur producteur d'isotopes pour la médecine pour remplacer celui de Chalk River (Ontario) qui est fermé depuis l'été dernier.
     Nous sommes au courant de la décision prise par le gouvernement fédéral et nous sommes très déçus, a fait savoir aux journalistes le ministre de l'Energie et des Ressources.
     Dans un rapport rendu en décembre, une commission d'experts rémunérée par le gouvernement a recommandé qu'Ottawa s'engage rapidement  dans la construction d'un «réacteur de recherche multi utilisateurs» pour remplacer la vieille installation.  La commission a précisé qu'un nouveau réacteur était la meilleure façon pour créer une production d'isotopes médicaux utilisés pour diagnostiquer le cancer, les maladies cardiaques et autres. Depuis la fermeture de Chalk River, il y a pénurie d'isotopes. 
     Cependant, dans une réponse à propos du rapport de décembre, le gouvernement note que le nouveau réacteur coûtera très cher et qu'il faudra des années pour le construire.
     «Le gouvernement trouve que les coûts très élevés et le long temps de mise en route rendent cette option peu attractive. En s'appuyant sur l'expérience des autres pays, il serait préférable de réfléchir 10 ans ou plus avant de lancer un réacteur de recherches
     De plus, les coûts élevés et la capacité de production sont disproportionnés en regard des besoins canadiens et ne rapportent pas assez. Le handicap provenant de la production de déchets associés à un réacteur producteur d'isotopes serait très significatif et difficile à équilibrer.
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     L'été dernier, le parti gouvernemental et l'Université du Saskatchewan ont présenté un projet de réacteur produisant des isotopes radioactifs situés sur l'université. Le concept épaulé par un partenariat avec l'agence gouvernementale «Uranium Development» qui a analysé diverses voies pour valoriser  la province la plus puissante sur le marché de l'uranium.
     Le projet remis au gouvernement fédéral couvre 550 millions de dollars sur les 750 prévus pour la construction et de 45 à 70 millions de dollars pour le fonctionnement annuel.
     Dans son rapport, la commission d'experts estime le prix de construction d'un nouveau réacteur entre 500 millions et 1,2 milliard de dollars.
     La réponse gouvernementale pointe qu'un nouveau réacteur ne va pas donner de solution au problème à la chaîne dans son ensemble car elle restera fragile s'il y a un problème, puisque, dans le même temps, on décourage les investissements dans une source alternative.
     Au lieu de cela, le gouvernement veut investir dans la recherche et le développement des technologies commerciales fournissant des isotopes, ouvre le système de santé et travaille avec la communauté internationale pour coordonner des réponses étatiques.
     En fait, le but est que la production d'isotopes au Canada soit valable commercialement sans apport du gouvernement.
     Toute cette approche rend encore plus incertain l'avenir des laboratoires de l'Energie Atomique Canadienne à Chalk River, à environ 180 km d'Ottawa. Le gouvernement veut vendre la firme AECL’s CANDU reactor, mais doit d'abord clarifier ce qu'il veut faire de Chalk River.
     Le Premier Ministre Stephen Harper a répondu que le gouvernement envisageait de fermer le commerce des isotopes. Pour le moment Ottawa garde en fonctionnement le réacteur Chalk River aussi longtemps les producteurs d'isotopes des autres pays se soient approprié la production.
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Dimanche 27 juillet 2008
«Les nomades du nucléaire»
Alexandra Colineau
Association des journalistes de l'information sociale.
http://juralibertaire.over-blog.com/

     On les appelle les «nomades du nucléaire». Ils parcourent la France de centrales en centrales pour effectuer les travaux de maintenance dans les zones les plus radioactives. En quinze ans, leurs conditions de travail et de vie se sont dégradées. Et les experts craignent pour le bilan sanitaire des années à venir. Enquête sur ceux qui se surnomment «les esclaves du nucléaire».
     «Le nucléaire ne m'intéresse plus, mais je n'ai pas le choix. Faut bien gagner sa vie.» Philippe Caens a 41 ans, dont 20 passés au chevet des centrales nucléaires françaises. Electricien, il exerce son métier aux cotés des agents EDF, dont il partage les difficultés. Mais pas le confortable statut. Son employeur, la société Clemessy, est moins prodigue en avantages sociaux, moins généreuse en salaire.
     Désormais attaché à la centrale de Flamanville (Manche), Philippe a aussi connu, pendant quatre ans, «les grands déplacements» à travers la France, de centrales en centrales. De 40 à 60.000 kilomètres parcourus chaque année au gré des arrêts de tranche, ces périodes où les réacteurs sont arrêtés pour maintenance. «Je suis divorcé, comme la plupart de mes collègues
     Comme Philippe, ils sont 22.000 en France, chaudronniers, électriciens, soudeurs, robinetiers, employés par des sous-traitants. 
     On les appelle les «nomades du nucléaire». Beaucoup sont nés à proximité d'une centrale, dans des régions où, comme le Nord, le chômage dépasse largement la moyenne nationale. Ils connaissent par cœur les 58 réacteurs nucléaires français, répartis dans 19 centrales. Des milliers de kilomètres de câbles et de tuyaux à vérifier et à réparer dans les zones les plus radioactives.
     Ces employés sont payés au Smic, auquel s'ajoutent les primes  journalières, de 54 à 60 € pour couvrir les frais de logement et de nourriture. «On essaie de faire de la marge sur les primes», raconte Philippe, qui avec ses 20 ans d'ancienneté, émarge à 10,50 € de l'heure. Pour le logement, les plus vieux ont pu investir dans une caravane ou un camping-car. D'autres choisissent les hôtels bon marché, à plusieurs dans une chambre. Il y a aussi la solution du gîte, «c'est le moins désagréable, mais en période de vacances les prix explosent». Il y aussi ceux qui dorment dans leur voiture, sur le parking de la centrale. «Ceux-là n'aiment pas trop en parler parce qu'ils ont honte, confie Philippe. Je me souviens d'un arrêt de tranche où le responsable des prestataires passait à 6 heures 30 le matin sur le parking pour réveiller les gars
     Autour des centrales, une petite économie locale s'est formée. Dans les campagnes ont fleuri les gîtes, et le long des routes, les marchands de kebab.
     Au début des années 90, les sous-traitants assuraient 50% des activités de maintenance des centrales nucléaires. Ce chiffre s'élève aujourd'hui à 80%. Une dizaine de grands groupes se partagent le marché. Parmi eux, Vinci, Areva, ou Suez. Ces multinationales disposent chacune de plusieurs dizaines de filiales. Pour un seul arrêt de tranche, 30 à 70 sociétés différentes sont amenées à coopérer. Cela représente plusieurs milliers de prestataires, et  jusqu'à cinquante conventions collectives différentes à gérer.
La politique du moins disant
     La direction d'EDF affirme appliquer «la politique du “mieux disant”». «Nous on dit que c'est au “moins disant”, ironise Yves Adelin, ancien cadre d'EDF, responsable CGT. En fait EDF fixe officieusement un prix. Aux sociétés de proposer moins
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     Et quand le contrat d'une société n'est pas renouvelé, des salariés  se retrouvent sur le carreau. C'est ce qui s'est produit en février à la centrale de Cruas (Ardèche). La société CIME qui employait 71 salariés a perdu son contrat au profit de la société Essor. Cette dernière s'était engagée à reprendre tous les employés. Mais au début du chantier, la promesse n'est tenue que pour 45 d'entre eux. Le 14 février, installés dans des caravanes devant l'entrée de la centrale, neuf prestataires ont entamé une grève de la faim pour sauver leur emploi. Elle a duré dix jours. Ils ont finalement obtenu gain de cause.
     Pour chaque contrat, EDF paie au forfait. À la société sous-traitante de gérer sa productivité, parfois à la limite de la légalité. Selon une enquête réalisée par le Centre de recherche en gestion de l'école Polytechnique publiée en 2004, «les glissements de planning et des imprévus nécessitent des rattrapages qui peuvent se faire qu'en faisant passer la durée du travail de 8 à 10 heures par jour, en décalant le travail de jour en travail de nuit ainsi qu'en prolongeant le travail dans la semaine pendant le week-end». Selon l'étude, 80% des prestataires interrogés en ont fait l'expérience.
     En 1990 un arrêt de tranche durait entre 2 à 3 mois. Aujourd'hui les plus longs durent un mois et demi. «Pour les arrêts simples, certains battent des records à 18 jours» précise Yves Adelin. EDF réplique: «La diminution de la durée des arrêts s'inscrit dans le cadre d'une volonté d'améliorer la disponibilité des centrales nucléaires d'EDF
     Pour Yves Adelin, «en clair, 24 heures d'arrêt de tranche c'est une perte d'un million € pour EDF. Il y a 58 tranches par an en France. Faites le calcul. Sur toute la France si vous gagnez une journée d'arrêt de tranche, c'est 58 millions € de gagné pour EDF. C'est pas des petites sommes
«Rien n'est calculé pour nous»
     Marc Duboile, marié, un enfant, a 45 ans. Il est magasinier, salarié de la société Techman. Il travaille depuis huit ans dans le nucléaire: «Rien n'est calculé pour nous. On n'a pas toujours de place sur les parkings. Souvent, le premier jour du contrat on attend des heures que nos autorisations d'accès soient validées parce que pour plusieurs milliers de gars, il n'y a que deux ou trois guichets mis à disposition. Et puis, vous venez de faire 800 kilomètres depuis chez vous et on vous dit qu'il n'y a pas de casiers prévus pour vous changer. Sans parler du matériel, on attend encore des heures avant de pouvoir travailler parce que EDF ne nous donne pas les outils
     En 2006, l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection, mandaté par EDF, alerte la direction: «J'ai été surpris, écrit-il dans son rapport, en arrivant sur certains sites en début d'arrêt de tranche de rencontrer des prestataires qui déploraient le manque d'outillages en zone nucléaire. Les marchés nationaux existent, et je m'interroge donc sur l'origine de cette carence qui donne dès le départ une piètre idée de l'organisation logistique des sites.»
     La direction d'EDF reconnaît qu'aujourd'hui encore «des difficultés ponctuelles peuvent exister sur certains sites».
Plus de 80% des prestataires veulent arrêter
     Depuis 1996, le centre de recherche en gestion de l'école Polytechnique effectue, à la demande d'EDF, une enquête annuelle sur le moral des nomades du nucléaire. Ces enquêtes sont confidentielles.
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     Une seule a été présentée aux syndicats, en 2005. Elle établissait que 84% des prestataires interrogés souhaitaient quitter l'industrie du nucléaire. La direction d'EDF confirme ce chiffre, mais s'en défend: «D'autres études montrent au contraire un fort taux de satisfaction de la part des entreprises prestataires du secteur nucléaire. Mais lorsque l'on demande de consulter ces enquêtes, la direction est gênée: “Elles ne sont malheureusement pas destinées à un usage externe.”»
     En 1993, 18% de ces «intermittents du nucléaire» présentaient une symptomatologie dépressive. En 1998 ils étaient 25%. Autre symptôme inquiétant, en 2003, la mutuelle de la centrale de Paluel (Seine-Maritime) remarquait que 80% des feuilles d'assurance-maladie traitées prescrivaient des calmants.
     «Pour les prestataires, c'est une souffrance sociale, observe Yves Adelin. Ils ont le sentiment d'être dévalorisés par rapport aux agents EDF. Pour les agents EDF c'est une souffrance psychologique. 
     Ils ont honte de ce que fait subir la direction aux sous-traitants
«On est là où ça crache»
     A ces conditions de travail s'ajoute un autre problème majeur, sanitaire cette fois: l'exposition aux rayons radioactifs.
     Le 4 décembre 1990, le conseil de l'Union européenne adopte la directive Euratom qui impose de diminuer la dose toxique reçue par les travailleurs du nucléaire, de 5 rems par an à 2 rems par an. 
     Seulement quelques mois plus tard, en 1991, EDF publie le «Rapport  NOC». Ses auteurs préconisent de «généraliser la sous-traitance à toutes les activités qui peuvent l'être». Simple coïncidence? La direction d'EDF affirme qu'«il n'y a aucun lien».
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     Pour Yves Adelin, de la CGT, «EDF avait tout intérêt à sous-traiter les postes les plus exposés. L'entreprise se dédouanait de sa responsabilité par rapport aux pathologies médicales à long terme
     Les prestataires du nucléaire reçoivent 80% de la dose collective d'irradiation subie dans l'industrie française du secteur. Cette dose est contrôlée sur chaque prestataire grâce à un film et à un badge dosimétriques qu'ils portent sur eux. Quand la limite est atteinte, c'est «la mise au vert», c'est-à-dire le chômage, en attendant que la dose redescende. «Alors pour garder leur boulot, il arrive que des gars dissimulent leur film et leur badge quand ils sont dans des zones où ça crache» confie Philippe Caens.
     L'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) effectue régulièrement des inspections dans les centrales, «mais le suivi des doses dépend de l'employeur. A chaque société de contrôler ses salariés», explique Evangelia Petit, de l'ASN.
     «La loi impose aux employeurs de fournir une attestation d'exposition à leurs salariés, précise Michel Lallier, membre du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires. Le problème c'est que les prestataires changent constamment de centrale et de société, du coup il y a une énorme confusion sur qui doit délivrer ces attestations. On s'aperçoit aujourd'hui que la plupart des gars qui partent à la retraite n'ont pas d'attestation sur la dose toxique qu'ils ont reçue durant leur carrière. Dans 10 ou 15 ans, quand les premiers cancers apparaîtront, ces employés ne pourront pas faire reconnaître leur pathologie en maladie professionnelle
     A ce jour, aucune étude n'a été réalisée en France sur les risques cancérologiques qu'encourent les prestataires du nucléaire. «Je crains le pire, affirme Michel Lallier. Il n'est pas improbable qu'on se retrouve dans quelques années face à un problème comparable à  celui de l'amiante.» L'amiante a tué près d'un millier d'agents EDF. 5.000 sont contaminés.
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