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G@zette N°266, novembre 2012

Le TOURNANT ENERGETIQUE: vous y croyez? La Gazette a de forts doutes!!

La Hague, territoire sous influence des rejets de carbone 14 des usines de retraitement
Étude de l'incidence des rejets de carbone 14 sur l’environnement terrestre proche (1 km à 10 km) et sur l’environnement marin du site AREVA NC  de La Hague
André Guillemette (Membre des CLI de la Manche de 1982 à 2009, membre des groupes de travail GRNC de 1999 à 2009)
et Jean-Claude Zerbib  (Membre du GRNC, expert indépendant)
octobre 2012

 
     Avertissement
     Lors de réunions de groupes de travail institutionnels, il nous est reproché de manière récurrente et appuyée, par certains interlocuteurs institutionnels, et par les représentants des exploitants d'utiliser dans un article traitant de radio écologie des données essentiellement issues de la surveillance réglementaire des installations nucléaires, et non des données destinées à la recherche scientifique.
     L'utilisation de mesures issues de la surveillance réglementaire dans un article traitant de radio écologie n'est pas un procédé nouveau. Ces données réglementaires ont été la base essentielle des travaux du Groupe Radioécologie Nord Cotentin (Données de base du GRNC: 500.000 déterminations, 75% laboratoires exploitants, 22%  laboratoires institutionnels, 3% laboratoires ONG. Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, Sous-groupe 2. Rapport final, avril 1999). Lors des travaux du GRNC, les exploitants ont pris toute leur place dans la collation des données et leur exploitation. Entre 1997 et 1999, les représentants d’AREVA NC et d’EDF notamment n’ont exprimé aucun désaccord sur la construction des travaux du GRNC, comme de sa conclusion.
     Le Groupe d'Étude Pluraliste (GEP), chargé de dresser un état des lieux autour des anciennes mines d'uranium, a travaillé, lui aussi à partir de données majoritairement issues de la surveillance réglementaire. L'exploitant AREVA NC, partie prenante des GEP, n'a pas remis en cause ses propres mesures issues de la surveillance réglementaire imposée par arrêtés préfectoraux.
     Les travaux du COMARE pour le site de Sellafield ont été menés à partir de données similaires.
     Sans les données de la surveillance réglementaire des organismes institutionnels au Royaume-Uni et des exploitants nucléaires en France, il ne pouvait y avoir de travaux COMARE et GRNC.
     Les données anglaises que nous utilisons sont basées sur des déterminations effectuées par le CEFAS (Center for Environment and Aquaculture Science), agence exécutive du gouvernement britannique pour l'environnement, l'alimentation et les affaires rurales. Concernant la radio écologie marine ce  laboratoire est l'équivalent au laboratoire de radio écologie de la Manche de l'IRSN ; il est doté d'un effectif de 500 personnes et d'un financement institutionnel. Les analyses environnementales du CEFAS en matière de radio écologie marine sont publiées dans les rapports annuels RIFE (Radioactivity in food and the environment. C’est le titre du rapport annuel du "Ministry of Agriculture, Fisheries and Food" et de Scottish Environment Protection Agency, publié depuis 1996 - bilan de l’année 1995).
     Concernant les données environnementales relatives au 14C dont les moyennes annuelles et le nombre de déterminations sont publiés dans les rapports RIFE, nous avons exploité l'équivalent de 1250 déterminations dans la faune marine (toutes supérieures à la limite de détection), recueillies de 1995 à 2008.
     Concernant les données françaises, dans leur grande majorité elles ne sont pas acquises par un laboratoire institutionnel, mais par l'exploitant lui-même. Nous utilisons 3.200 déterminations acquises par AREVA NC La Hague de 1999 à 2008 (1.900 pour le domaine marin, 1.300 pour le domaine terrestre). Ces déterminations font l'objet d'une procédure de contrôle permanent par  l'IRSN SESURE, certains indicateurs étant l'objet d'une double détermination sur le même échantillon (IRSN – AREVA NC).
     Les annexes du rapport (Cartes, tableaux supplémentaires) peuvent être fournis sur demande à la Gazette.
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1 Résumé
     Radionucléide d’origine naturelle ou artificielle, le carbone 14 est un émetteur bêta pur de faible énergie, sa période de demi-vie radioactive est de 5.730 ans. Usuellement, son activité radioactive est exprimée par rapport au carbone stable (Bq/kg- de C). Elle peut aussi être exprimée en Bq/kg sec ou en Bq/kg frais, mais dans ces derniers 2 cas, il faut connaître la valeur naturelle du carbone 14 (noté 14C) dans ces expressions pour apprécier l'impact d'un rejet artificiel sur la matrice considérée.
     Le carbone est l’un des éléments qui sont essentiels à toutes les formes de vie et il intervient dans la plupart des phénomènes biologiques et géochimiques. La CIPR 23 considère le corps humain constitué à 23% de carbone [Paulin, 1997],
     Le carbone 14 d’origine naturelle (utilisé pour dater nos lointains ancêtres et leur milieu biologique) induit un impact évalué à 13 microsievert/an- chez l’homme, pour une activité naturelle de 226 Bq/kg-  de C [Roussel-Debet, 2006] (Paulin donne 15 microsievert.an-1/an et l’UNSCEAR 2000 donne 12 microsievert/an). Ce calcul a été conduit sur la base de l'incorporation journalière de carbone, évaluée par la CIPR 23 comme étant de l'ordre de 300g (soit 68 Bq/j-), dont l'essentiel est rejeté sous forme de gaz carbonique.
     En prenant le coefficient de la CIPR pour les adultes, notre calcul donne la dose engagée suivante:
     5,8.10-10 Sv/Bq-x 68 Bq/j-x 365j/an -= 1,44. 10-5 Sv/an- = 14,4 microSv/an-
     Soit sensiblement la même valeur que celles des références précédentes.
     Le carbone 14  d’origine artificielle
     Au plus fort impact des tirs atmosphériques d’armes nucléaires (années 1962–1964) l’activité du carbone 14 a presque doublé par rapport à l’activité naturelle. Les experts de Nations Unies (UNSCEAR) ont considéré que 70% de l’impact des essais nucléaires atmosphériques a été induit par le seul carbone 14 créé par ces tirs aériens (Dose moyenne engagée par les effets des explosions nucléaires atmosphériques chez un adulte de l’hémisphère nord : dose totale 3.700 microSv, 14C 2.600 microSv (70%), 3H 50 microSv (1,3%) [Court, 1997]....), pour un taux ayant atteint une valeur maximale comprise entre 375 et 420 Bq/kg de C en 1965 [Roussel-Debet, 2006].
     Actuellement les sources de carbone 14 d’origine artificielle sont les réacteurs nucléaires et principalement les usines de retraitement de combustibles irradiés. Dans ces usines, le carbone 14 des combustibles irradiés est rejeté majoritairement lors des opérations de retraitement dans la phase cisaillage – dissolution des combustibles. Dans les usines de La Hague ce 14C est rejeté en totalité soit sous forme gazeuse soit sous forme liquide (en proportion respective de 2/3, 1/3).
     Dans leur rapport 2008 les experts de l’UNSCEAR estiment, pour la période 1998 – 2002, la dose collective (La dose collective d’un groupe du public exposé aux rejets de radionucléides ou de travailleurs d’une installation nucléaire est exprimée en homme Sievert (h.Sv), c’est la somme en Sievert ou Sv des doses reçues par chacune des personnes exposées) due aux installations de retraitement des combustibles 2 fois plus importante que celle induite par les rejets des 436 réacteurs en fonctionnement dans le monde pour la même période: 150,1 h.Sv (67%) pour les installations de retraitement des combustibles, 72,6 h.Sv (33%) pour les réacteurs [UNSCEAR, 2010]
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     Dans cette dose collective due aux rejets des installations de retraitement, les rejets de carbone 14 représentent à eux seuls 78,2% de la dose collective installations de retraitement: 114 h.Sv pour 150,1 h.Sv. Les rejets marins ayant un impact 4 fois supérieur à celui des rejets atmosphériques: respectivement 1 h.Sv/TBq-  et 0,27 h.Sv/TBq-.
     Quant aux rejets atmosphériques de carbone 14 des réacteurs, ils représentent 39% de la dose collective réacteurs: 28,2 h.Sv pour 72,6 h.Sv.

doses collectives retraitement 1998-2002
Source: UNSCEAR 2010
Figure n°1: Part des principaux radionucléides dans la dose collective due aux rejets des installations de retraitement des combustibles, période 1998 – 2002

     Les propriétés du carbone 14 sont bien connues: l’homme et le milieu biologique se mettent à l’équilibre avec le taux de carbone 14 de l’atmosphère et du milieu marin, c’est un des principaux contributeurs à la dose due aux rejets radioactif des installations nucléaires. Les analyses environnementales de surveillance de ce radionucléide par l’IRSN et les exploitants autour des centrales nucléaires, ou de l’usine de retraitement de la Hague, n’ont commencé qu’en 1997.
     Les analyses d’herbe publiées par l’IRSN et les exploitants depuis cette date montrent un marquage variable autour des centrales nucléaires: 300 à 400 Bq/kg de C sous le vent des rejets aériens.
     Autour du site de retraitement de la Hague, les analyses sur l’herbe montrent des valeurs nettement plus importantes: plus de 5 fois l’activité naturelle du carbone 14 en permanence à 1 km du site, dans la zone sous les vents dominants, entre 800 et 1.000 Bq/kg- de C en moyennes annuelles de 1997 à 2008 (En juin 2008, l’IRSN SESURE a mesuré 3.300 Bq/kg de C dans l’herbe au point de contrôle A12.). Un point de contrôle à 10 km du site dans le secteur sud-est voit son taux de 14C progresser lentement à 2 fois l’activité naturelle de 2003 à 2008. Ces résultats d’analyse d’herbe autour du site de retraitement sont corroborés par les analyses ponctuelles des productions agricoles locales. Le milieu marin est lui aussi très marqué par les rejets liquides de carbone 14: 600 Bq/kg de C au niveau du point de rejet (Herquemoulin – Goury), 400 à 600 Bq/kg de C dans l’environnement proche (de Granville à Luc sur Mer), plus de 300 Bq/kg de C dans le détroit du Pas de Calais.
     Dans un milieu où le taux de 14C est 2 à 3 fois supérieur au bruit de fond naturel, on s’attend logiquement à un impact dû au seul carbone 14 artificiel de l’ordre de 15 à 30 microSv/an. En 2008 l’exploitant calcule un impact pour les populations critiques de l’ordre de 2 microSv (2,1 microSv pour l’agriculteur de Digulleville et 1,9 microSv pour le pêcheur de Goury).
     La présente étude est principalement basée sur les données environnementales AREVA NC sur le carbone 14 publiées depuis 1997.
     Notre estimation de dose, à partir de l'apport carbone de chaque aliment potentiellement d'origine locale et contaminé en 14C à une valeur conservatoire de 500 Bq/kg de C, donne un  impact calculé de 10,2 microSv/an pour un adulte standard (consommation d'après [Tamponnet, 2002]) ou compris entre 9 et 11,8 microSv/an sur les 2 groupes critiques retenus par l’exploitant.
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2 Développement
     2.1 Le Carbone 14, généralités
     Le carbone 14 est un radionucléide d’origine naturelle ou artificielle, c’est un émetteur bêta pur de faible énergie, sa période radioactive est de 5.730 ans.
     L’analyse des échantillons marqués par le carbone 14 est une opération complexe, toutes les techniques utilisées jusqu’à maintenant nécessitent d’abord la conversion de l’échantillon en CO2, donc sa destruction, ensuite l’élaboration d’un composé carbone gazeux susceptible d’être introduit à l’intérieur du détecteur : ceci s’explique par la faible énergie des bêta du carbone 14 qui sont complètement absorbés par une feuille d’aluminium de 28 mg/cm2 de matière et qui seraient arrêtés par les parois s’ils étaient émis à l’extérieur du détecteur... Actuellement, le méthodes de comptage avec compteur proportionnel et avec scintillateur liquide sont utilisés par les laboratoires devant mesurer le 14C en routine.
     L’IRSN, EDF et AREVA NC sont équipés d’appareils à absorption ou «Oxidiser», dont la chaîne de fonctionnement est schématiquement: combustion, préparation chimique et mesure par scintillation liquide. La précision de tels appareils est de l’ordre de 10 à 15%.
     L’activité du carbone 14 est le plus couramment exprimée par rapport au poids du carbone stable (Bq/kg de C), elle peut aussi être exprimée en Bq/kg sec ou en Bq/kg frais, mais dans ces derniers 2 cas, il faut connaître la valeur naturelle du 14C dans ces expressions pour apprécier l'impact ajouté par un rejet artificiel sur la matrice considérée.
     Jusqu'en 2006, lors des travaux du GRNC, les représentants de l'exploitant refusaient systématiquement de nous communiquer les données poids sec et poids frais (rapports Ps/Pf), données pourtant acquises par tous les laboratoires de radio écologie en 1ère phase de préparation des échantillons, avant mesure.
     Ces rapports  Ps/Pf pouvant varier d'un facteur 2, voire plus, pour un même laboratoire dans la préparation des différents échantillons, les résultats exprimés en Bq/kg frais sans renseigner la teneur naturelle en 14C de l’échantillon frais sont inexploitables pour apprécier une contamination au carbone 14, surtout lorsque des résultats sont peu nombreux dans une matrice. Lorsque ces données ne sont pas fournies dans les publications, cela nous contraint à utiliser des valeurs moyennes qui affectent la précision de la teneur en 14C calculée pour conduire des évaluations de dose.
     Concernant les données AREVA NC antérieures à 2007, nous utilisons des coefficients de correspondance Bq/kg frais => Bq/kg de C calculés à partir des données moyennes Ps/Pf AREVA NC de 2007 et 2008, voir grille de conversion annexe 6.2. Les données AREVA NC 2000 de taux de carbone dans les différentes matrices ont été croisées avec les données de [Roussel-Debet, 2006]. (Pour les bio-indicateurs principaux permettant le suivi de l’impact du C (herbe, algues, patelles), nos données calculées ont été comparées avec les données IRSN exprimées directement en Bq/kg de C disponibles pour la même matrice en un même site; cas de l’herbe en A12, voir Fig. n°20, annexe 6.3.)

    Le carbone est l’un des éléments essentiels à toutes les formes de vie et il intervient dans la plupart des phénomènes biologiques et géochimiques. Le corps humain est constitué à 23% de carbone [CIPR 23, 1975].

     Le 14C,  les explosions atmosphériques, historique succinct
     Durant plus de 10.000 ans, le taux de 14C a varié faiblement: 226 Bq/kg de C (valeur 1950) avec un gain de 10% entre 1950 et -10.000 ans, ainsi que un gain de 50% sur la période -10.000 à -50.000 ans [Carlo et al. 1996].
     Jusqu’en 1965, les explosions dans l’atmosphère ont fortement accru le taux ambiant dans l’hémisphère nord, il aurait culminé à 384 Bq/kg de C en 1965 (explosions massives de 1962) pour redescendre lentement à 266 Bq/kg de C en 1990 [Toggweil et al., EUR15880]. D’autres auteurs donnent une contamination plus élevée, 445 Bq/kg de C en France en 1963 [Labeyrie, 1976], ou compris entre 375 et 420 Bq/kg de C en 1965 [Roussel-Debet, 2007].
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     Les tirs aériens les plus importants ont eu lieu en 1962, juste avant la signature du traité d’interdiction de ces tirs par les USA et l’URSS en août 1963: 217 Mt de TNT pour la seule année 1962 contre 440 Mt de 1945 à 1961 [Beaujard, 1997] et [Renaud, 2003]. Du 16 juillet 1945 (1ère explosion américaine) au 4 août 1963 (signature de l'accord américano-soviétique), il y a eu 193 tirs atmosphériques américains, 161 tirs russes, 21 tirs anglais et 4 français, soit un total de 379 tirs aériens [CFDT, 1980]. La France (12 Mt de 1960 à 1974) et la Chine (22 Mt de 1964 à 1980) ne s’étaient pas associées à ce traité. (Mt = L’énergie d’une explosion est habituellement estimée par équivalence avec celle délivrée par l’explosion d’une masse de Trinitrotoluène (TNT). Cette masse d’explosif se mesure en milliers ou en millions de tonnes -kt ou Mt)

     Dose efficace du 14C
     «On fait l’hypothèse que le milieu terrestre et l’homme se mettent rapidement en équilibre avec l’atmosphère et que l’activité spécifique du carbone dans l’organisme humain est égale à celle de l’atmosphère au point considéré (Schwibach, Killough, EUR15760). Cette hypothèse se base sur le fait que le carbone des végétaux vient essentiellement de l’air (98%) et que ces derniers sont à la base des chaînes alimentaires.» [Beaujard 1997]
     La dose efficace due au carbone 14 naturel (226 Bq/kg de C) est d’environ 13 microSv/an [OMS, 1987], [Jeanmaire, 1982], [Paulin, 1997] et [Beaujard, 1997]
La part de dose due au 14C engendré par les armes nucléaires représente 70% de la dose efficace cumulée des différents radionucléides émis par ces tirs aériens [Court, 1997]. Aujourd’hui le 14C des essais nucléaires représente une dose efficace résiduelle de l’ordre de 2 microSv/an [Flüry-Hérard, 2002]

     Importance des diverses sources de 14C
     A l’échelle de la planète, la production annuelle naturelle varie de 1110 à 1480 TBq, la réserve atmosphérique est de l’ordre de 140.600 TBq et la réserve globale terrestre (atmosphère + biosphère + océans + sédiments) est de l’ordre de 11,1 millions de TBq [Jeanmaire, 1982].
     Les explosions nucléaires dans l’atmosphère ont produit de 1945 à 1970 de l’ordre de 220.000 TBq (213.000 TBq selon le rapport UNSCEAR 2000, Vol. 1, page 213), ce qui a provoqué selon Jeanmaire un accroissement d’activité de 70% en 14C (maximum en 1965), donc un accroissement de 226 à 384 Bq/kg de C. Soit pour les seules explosions dans l’atmosphère une multiplication par un facteur 2 du 14C atmosphérique à l’échelle de la planète en 1965, explosions dont on perçoit encore aujourd’hui le marquage (de l’ordre de 10 Bq/kg de C [Maro et al. 2008]).
     Les centrales nucléaires rejettent du 14C lors de leur fonctionnement, de l’ordre de 200 GBq/.GWe./an- en rejets atmosphériques et 15 GBq/.GWe./an en rejets liquides pour les réacteurs à eau pressurisée (Les niveaux annoncés de ces rejets résultent d’évaluations théoriques. Les mesures de rejets liquides, effectuées pour la première fois en 2008 sur les réacteurs du CNPE de Flamanville, montrent une sous-évaluation de 42% (28,3 GBq mesurés contre 19,9 GBq calculés).
     L’impact des rejets aériens des CNPE est estimé faible dans une récente étude EDF: «Les mesures effectuées sur les végétaux dans les zones influencées par les rejets révèlent une augmentation en moyenne de 3% par rapport aux zones non influencées par les rejets (Roussel-Debet et al. 2006)». Par contre, l’impact des rejets liquides sur la faune aquatique par rapport à la radioactivité naturelle est remarquable.Le Guen et Siclet indiquent que les concentrations peuvent atteindre 800 Bq/kg de C, soit 3 à 4 fois la radioactivité naturelle [Le Guen et Siclet, 2009]. L’IRSN relevait une contamination uniforme de 530 – 540 Bq/kg de C dans quatre espèces de poissons prélevés en 2005 dans l’environnement du CNPE de Civaux [IRSN, 2008], soit 2,4 fois la radioactivité naturelle.
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     Ces importantes pollutions locales dans le milieu dulçaquicole pourraient être provoquées par la nature des rejets des réacteurs, principalement sous la forme organique (méthane, éthane) à 80%, contre 20% sous la forme gaz carbonique [IRSN, 2001] et [Le Guen et Siclet, 2009].
     Si l’on considère les 58 réacteurs français, ils ont un potentiel de rejet gazeux de l’ordre de 10 TBq/an, soit un rejet diffus à l’échelle de la France deux fois inférieur à celui du Centre de retraitement de La Hague: 20 TBq/an  de rejet gazeux à l’échelle du seul Nord-Cotentin, et un rejet liquide global de l'ordre de 0,75 TBq/an, nettement inférieur aux 10 TBq/an de rejets liquides du site de retraitement AREVA NC dans les eaux du cap de La Hague.
     Le problème de La Hague est donc un très gros rejet local de carbone 14, tant aérien que marin, libéré principalement sous la forme de CO2 [IRSN, 2001]. Quelle est sa distribution dans le milieu proche?  Jusqu’où s’étend son influence?
     Les mesures dans l’environnement imposées par l’OPRI à l’exploitant depuis 1997 et publiées chaque année par AREVA NC La Hague donnent l'image de la répartition spatiale de la pollution 14C dans la Nord-Cotentin, reste à en évaluer l'impact sur l'environnement et sur les populations exposées de manière réaliste.
     Alors que toutes les observations montrent un milieu terrestre proche du site (1 à 10 km) soumis à des activités comprises entre 450 et 1.000 Bq/kg de carbone 14 (supérieur de 100 à 300% par rapport à la radioactivité naturelle), et un milieu marin soumis à des activités comprises entre 600 et 700 Bq/kg de carbone 14 (supérieur de 150 à 200% par rapport à la radioactivité naturelle), l'exploitant propose un impact maximal calculé de 2 microSv quand toutes les données relatives au carbone 14 conduisent, a minima, à un impact dosimétrique annuel de l'ordre de 15 à 30  microSv dans un tel environnement.

concentration Bq/kg de C
Sources: AREVA NC et [Roussel-Debet, 2006]
Figure n°2: Le carbone 14 dans l’herbe au point A12, Jobourg/Herqueville et dans les Fucus serratus à Goury depuis 1998 (L’exploitant de La Hague surveille l’impact de ses rejets atmosphériques par des analyses d’herbe en plusieurs séries de points : points A distants de 1 km du site, B situés sur un cercle de 2 km de rayon …  J situés sur un cercle de 10 km de rayon. Les rejets marins sont surveillés à partir de prélèvements côtiers d’algues et de patelles, la station de Goury est située à 5 km en aval hydraulique de l’émissaire de rejet des effluents liquides.)
+ influence des essais nucléaires atmosphérique dans les années 1962 -1972 et bruit de fond de l’année 1950.

     Comparaison, sur dix années d'observation, du taux de 14C dans 2 témoins biologiques locaux (Fig. 2), rejets aériens: herbe au point A12 (Jobourg – Herqueville) à 1 km du site, rejets marins: Fucus serratus à Goury, à 2 km du point de rejet en mer, avec l’influence des essais nucléaires atmosphérique dans les années 1962 -1972 et l'activité naturelle «1950» + reliquat 2007 des essais atmosphériques d'armes nucléaires.

     2.2 Les rejets gazeux de carbone 14
     2.2.1 Le carbone 14 dans l’environnement terrestre du site de la Hague
L’IRSN et AREVA NC surveillent le 14C dans l’environnement de la Hague depuis 1997. La figure n°3 ci-dessous regroupe les moyennes annuelles des analyses de 14C (en Bq/kg de C) dans l’herbe effectuées par AREVA NC (A3, Digulleville et A12, Jobourg / Herqueville):
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C-14 herbe
Source: AREVA NC
Figure n°3: Le carbone 14 dans l’herbe aux points A3, Digulleville et A12, Jobourg / Herqueville

     Contrairement à la situation observée autour de Sellafield, où la contamination était maximale à 300 m du site (850 Bq/kg de C en excès) pour devenir négligeable à 5 km (≤ 50 Bq/.kg-1 de C en excès) [Beaujard, 1997], la contamination en 14C autour du site de la Hague est plus étendue: 600 à 1.000 Bq/kg de C de 1 à 2 km du site (Fig. 2) et peut atteindre progressivement 400 Bq/kg de C à 10 km du site (Fig. 4, point J8).
     Il est notable que ce point J8 voit son taux de 14C progresser du niveau de la radioactivité naturelle (226 Bq/kg de C «naturel» + 10 Bq/kg de C dus aux explosions atmosphériques) en 2003 à 400 Bq/kg de C en 2008, alors que les rejets atmosphériques du site de retraitement décroissent sur la même période (Les rejets atmosphériques en carbone 14 décroissent de 16,5 TBq en 2003 à 13,5 TBq en 2008). Les points A9 (1 km) et B8 (2 km) situés dans la même direction sous le vent de l'usine suivent la même tendance de progression.

C14 herbe, 1 à 10km sud est
Source: AREVA NC
Figure n°4: Le 14C aux points A9 (1 km), B8 (2km) et J8 (10 km), direction sud-est

C14 lait
Source: AREVA NC
Figure n°5: Comparaison des productions de 2 exploitations sous les vents dominants de l’usine de La Hague, avec la production d’une exploitation sous moindre influence

     Il est intéressant d’examiner un autre bio-indicateur, lui aussi mesuré mensuellement par AREVA NC dans les exploitations agricoles proches: le lait. Quoique les animaux n’aient pas une nourriture exclusivement locale, sur une exploitation, le lait est un reflet de la pollution moyenne des pâturages et des cultures, animaux au pré du printemps à l'automne, nourriture par fourrages et maïs ensilé l'hiver.
suite:
     Nous comparons ci-dessus deux exploitations dont les terres sont situées sous les vents dominants à Herqueville (référence exploitant L1 Herq) et Digulleville (référence exploitant L4 Dig) avec une installation laitière témoin, située hors vent dominant, à Beaumont Hague (référence exploitant L5 Beau).
     En 2008, le lait des deux exploitations sous vents dominants a un taux de 14C deux fois supérieur à la radioactivité naturelle, taux augmentant régulièrement depuis 2004, alors que les rejets aériens de 14C sont en régression depuis cette même date.
     Ces taux élevés de contamination en 14C sont aussi relevés dans les analyses ponctuelles de produits des potagers d’Herqueville publiées pour 2007 et 2008:
 
Annéelapinpersilthympoireaux
2007329251454774
2008559723655806
Source: AREVA NC
Tableau n°1: Analyses de produits locaux à Herqueville (en Bq/kg de C)

     Malgré leur nombre limité: 1 analyse par an au lieu de 12 dans des matrices comme l'herbe ou le lait, ces échantillons prélevés sur un même site illustrent le niveau et la permanence du marquage des rejets atmosphériques de 14C. Une étude ponctuelle, effectuée par l'ACRO à la demande de l'ASN en 2005, montrait aussi le marquage du blé récolté dans la zone sous le vent de Digulleville à hauteur de 900 Bq/kg de C [ACRO, 2006].
     Nous n'avons pu utiliser toutes les données publiées par l'exploitant dans ses rapports antérieurs à 2007. Jusqu'en 2006, en CSPI comme lors des travaux du GRNC, les représentants de l'exploitant ne fournissaient pas les données poids sec et poids frais (rapports Ps/Pf), données pourtant acquises par tous les laboratoires de radio écologie en 1ère phase de préparation des échantillons, avant mesure.

     2.2.2 Les rejets gazeux de carbone 14 des sites de La Hague et de Sellafield

C14 rejets gazeux
Sources: NRPB, RIFE et AREVA NC
Figure n°6: Historique des rejets gazeux de Sellafield et de la Hague

     La figure n°6 illustre l’antériorité des Anglais en matière de rejets gazeux de 14C. Les hautes valeurs de rejets de Sellafield dans les années 1970 /1985 sont dues au fort potentiel en 14C des combustibles des réacteurs anglais (uranium naturel, types AGR et Magnox), dont la teneur en impuretés azote engendrerait 4 à 5 fois plus de 14C que les combustibles PWR. À noter que la Hague a aussi retraité des combustibles «à l’uranium naturel» ceux des UNGG et qu’aucune recherche sur l’impact des rejets de 14C dus à  ces combustibles n’a été effectuée en France aussi bien à Marcoule qu’à la Hague, contrairement aux reconstitutions de rejets de carbone 14 effectuées à Sellafield, par des mesures effectuées sur les cernes des arbres.
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     «À Sellafield, McCartney a réalisé une étude assez complète sur l’impact radiologique des rejets de carbone 14 aux environs de Sellafield. Il a ainsi effectué une campagne de mesure, se basant sur des échantillons d’herbe entre 1983 et 1985». [Beaujard, 1997].
     Cette étude était basée sur un individu ne se nourrissant que de productions locales correspondant à un excès de 848 Bq/kg de C par rapport au bruit de fond, soit un taux de 14C total voisin de 1.000 Bq/kg de C (ibid). 1000 – 226 = 848 Bq/kg de C «artificiel».
     La dose calculée par McCartney était de 120 microSv/an,  48,2 microSv/an selon [Beaujard 1997].
     Avec 300g de carbone par jour dans l'apport alimentaire, et un excès de 848 Bq/kg de C, on obtient un excès de dose de:
     5,8.10-10 Sv/Bq x 848 Bq/kg x 0,3 kg/j x 365 j/an = 53,9  microSv/an
     À la suite de ces études, les autorités anglaises ont imposé à l’exploitant de réduire les rejets gazeux de 14C au-dessous de 8,4 TBq/an et les rejets liquides au-dessous de 20, 8 TBq/an  à partir de janvier 1988.
     Depuis janvier 2003, AREVA NC La Hague est autorisée à rejeter jusqu’à 28 TBq/an dans l’atmosphère. Ces rejets atmosphériques pouvant être dérivés vers les rejets liquides.
     Dans cette dernière option, la valeur des rejets peut être de 42 TBq/an (gazeux 28 TBq + liquides 14 TBq).
     En résumé, nous pouvons dire que:
     * Le panache de pollution 14C terrestre, comprise entre 600 et 1.000 Bq/kg de C, est observable dans tous les compartiments: herbe, lait et produits des potagers individuels, dans les zones de 1 à 2 km sous le vent du site de La Hague.
     * Ce panache de pollution se prolonge au-delà du point de prélèvement situé à 10 km du site (J8), à hauteur de 400 Bq/kg de C.
     * Les rejets marins ne sont autorisés qu’à certaines heures de marée, pour permettre une dilution plus efficace des radionucléides. Une méthode de réduction significative de l’impact des rejets gazeux de 14C serait de ne les autoriser que la nuit : la photosynthèse ne se produisant qu'à la lumière du jour, cela éviterait l'absorption des effluents 14C dans les plantes de la flore terrestre lors de l'assimilation foliaire du carbone. Voir «Mobilité et biodisponibilité en milieu terrestre» dans la fiche carbone 14 de l'IRSN, [IRSN, 2001] et l'analyse IRSN du rejet atmosphérique non autorisé de l'usine SOCATRI [Roussel-Debet, 2008] (Rejet atmosphérique de 2,26 GBq en juillet – août 2008). La Hague a rejeté 13.500 GBq en 2008.

     2.3 Les rejets liquides de carbone 14
     2.3.1 Le carbone 14 dans l’environnement marin du site de la Hague
     Observons les taux actuels de 14C dans l’environnement marin du site AREVA NC avec le palier actuel de rejets en mer : de 7 à 10 TBq/an depuis 1996.

C14 - patelles
Source: AREVA NC
Figure n°7: La Hague, évolution du taux de 14C dans les patelles
(suite)
suite:
     Comme pour l’environnement terrestre dans le précédent chapitre, où les variations de taux de 14C peuvent être mieux observées à partir d’échantillons prélevés régulièrement sur un même lieu géographique: herbes et laits mensuels en un lieu donné par rapport à des données épisodiques variées (pommes de terre, poireaux, carottes, persil,...) sur des sites aléatoires (Omonville la Petite, Jobourg, Herqueville,...), nous prenons le parti d’observer les données régulières, acquises mensuellement, en 3 points dans 2 matrices (mollusques et algues): les patelles et les Fucus serratus sur les stations côtières, de Barneville à Barfleur.(voir Fig. 7)

C14 fucus
Source: AREVA NC
Figure n°8: La Hague, évolution du taux de  14C dans les Fucus serratus

     Cette progression continue du taux de 14C dans les fucus serratus de toutes les stations d'observation se traduit en 2008 par un taux de 14C supérieur à 500 Bq/kg de C de Granville à Luc sur Mer séparées de 240 km de côte, voir figure 9 ci-dessous:

C14 Fucus 2008
Source: IRSN, 2009
Figure n°9: Taux de 14C dans les Fucus serratus en 2008, de Granville à Luc sur Mer
Les données (x) sont en km les distances des stations par rapport à l’émissaire

     Pour les patelles (Fig.7) comme pour les fucus (Fig.8), la tendance actuelle est à l’augmentation de la contamination (400 à 500 Bq/kg de C) à Granville comme à Barfleur, (distance côtière de 160 km) contamination proche de celle des Moulinets (500 à 600 Bq/kg de C) auprès de l’émissaire marin.
     La pollution 14C de la zone maritime entre les stations de Barneville à Barfleur à hauteur de 600 Bq/kg de C est observable dans tous les bio indicateurs marins suivis à périodicité trimestrielle par AREVA NC (Fig. 9) dans les zones ouest (Agon-Coutainville / Goury) et nord (Goury / Barfleur), ou annuelle par l'IRSN (Tableau n°2) dans la surveillance de la rade de Cherbourg (En 2008, seule la matrice carrelets est observée dans la rade de Cherbourg 478 ± 83 Bq/kg  de C [IRSN, 2009]).
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Echantillon
(Bq/kg de C)
200520062007
Carrelets540 ± 110570 ± 130461 ± 117
Coquilles St-Jacques360 ± 75690 ± 140489 ± 79
Tourteaux390 ± 60560 ± 100443 ± 76
Fucus Serratus560 ± 130560 ± 110560 ± 100
Source: IRSN SESURE
Tableau n°2: Résultats IRSN,  rade de Cherbourg

C14 produits marins
Source: [IRSN, 2009]
Figure n°9: La Hague, évolution du taux de 14C dans quelques produits marins
Pp 03, poisson plat, zone ouest
Csj 02, coquille St Jacques, zone nord
To 03, tourteau, zone ouest
Ho 03, homard, zone ouest

     Le panache de pollution en 14C, comprise entre 500 de 600 Bq/kg de C, est observable dans tous les compartiments: algues, crustacés, poissons et mollusques, dans la zone maritime comprise entre Granville et Luc sur Mer (séparés de 240 km de côte).
     Ce panache de pollution marine se prolonge au-delà du détroit du Pas de Calais où à Wimereux (env. 300 km du point de rejet), station d’observation de l’IRSN, pour laquelle le Laboratoire de Radioécologie de Cherbourg enregistrait de 2000 à 2004 des taux de 14C supérieurs à 300 Bq/kg de C dans toutes les matrices analysées: eau de mer, algues Fucus serratus, moules, soles [Douville et al., 2002], [Masson, 2006], [Fiévet et al., 2006].

     2.3.2 Les rejets liquides de carbone 14 des sites de La Hague et de Sellafield
     Jusqu’en 1985 les rejets liquides de Sellafield s’étaient maintenus autour de 1 à 2 TBq/an; à partir de 1985 (Fig. 10), les Anglais ont choisi de dériver les rejets gazeux vers les rejets liquides [Cook et al, 1998]. Le transfert des rejets gazeux a fait progresser les rejets liquides à 8,16 TBq en 1994 et 12,4 TBq en 1995, pour une autorisation de 20,8 TBq/an.
(suite)
suite:
     A La Hague, les rejets liquides de 14C ont progressé de 3 TBq/an (UP2-400) à plus de 10 TBq/an à partir de la mise en route industrielle, au début des années 1990, des usines UP 3 et UP2-800. L’exploitant français est autorisé à dériver le 14C gazeux vers les rejets liquides dans une autorisation globale de rejets liquides de 42 TBq/an  (Arrêté rejets du 10 janvier 2003, article 20 de la version consolidée du 10 janvier 2007).
     Les effets des rejets liquides de 14C sur l’écosystème marin peuvent être observés en Grande Bretagne à partir de 1995 dans l'étude des risques de leucémies à Seascale du NRPB, sur les échantillons de moules à proximité de Sellafield de 1952 à 1992 [Simmonds et al., 1995]. Nous avons complété les données de cette étude par les données des rapports RIFE de 1996 à 2009 (Fig. 11).
     Sur les 20 dernières années d'observation, les années antérieures à 1987 ayant été «reconstituées», la teneur en 14C des moules suit les variations de rejet. Les baisses de rejet s'accompagnant d'un effet retard (hystérésis) sur la diminution de la pollution 14C des moules.
     L'étude de Cook et al. montre que la contamination du biotope marin dans la zone maritime proche de Sellafield était observable dès 1995. La tache de pollution était observée à 50 km au nord de la zone de rejet, voir tableau n°3, [Cook et al., 1998].
Sellafield, C14 dans les moules
Sources: NRPB, BNGSL et RIFE
Figure n°11: Taux de 14C dans les moules à Sellafield

     Cook et al.  donnent les résultats d’une étude de l’environnement marin du Royaume Uni à partir d’échantillons prélevés d’août à novembre 1995:
CompartimentEau
de mer
AlguesMoulesPoissons
plats
Poissons
ronds
Crustacés
Sellafield8.0002.6004.9002.7002.500680
Nord Channel
50km de
Sellafield
430309345338322327
Source: [Cook et al. 1998]
Tableau n°3: Analyses de produits marins à Sellafield et à 50 km au nord du point de rejet (en Bq/kg de C)
p.15


    Un effet retard de 2 à 3 ans, observé entre la pollution des différents compartiments biologiques et le rejet, est aussi observable depuis 1995 dans le suivi environnemental annuel du site de Sellafield par les autorités anglaises (Fig. 12):

C14 Sellafield
Source: RIFE
Figure n°12: Sellafield, évolution du taux de 14C dans les produits marins

     Il est remarquable que sur une dizaine d’années d’observation des algues dans la zone maritime proche de Sellafield, la contamination des algues soit restée à un pallier de 500-1.000 Bq/kg de C, alors que les autres indicateurs biologiques oscillaient entre 1.000 et 4.000 Bq/kg de C en fonction de l’importance des rejets. Cette moindre contamination des algues (281 à 384 Bq/kg de C) a également été relevée par [Masson, 2006] dans le canal de rejet du CNPE de Gravelines par rapport aux moules prélevées sur la même station (523 à 1.088 Bq/kg de C).
     Dans l’observation de l’environnement marin de La Hague, il faudra donc suivre régulièrement d’autres bio indicateurs que les algues brunes, celles-ci pouvant ne pas être représentatives de la pollution en 14C de la faune marine.

     2.4 Ration carbone et calculs d'impact
     Selon les publications, les calculs d’impact des rejets de 14C sont effectuées dans 3 approches différentes:
     - Méthode globale, tous les produits de la ration alimentaire sont considérés contaminés de manière uniforme. Cas de l’incident récent de juillet - août 2008 sur le site de l’usine SOCATRI à Tricastin [Roussel-Debet, 2008].
     - Modélisation de l’impact à partir du rejet et d’une autoconsommation partielle de produits locaux. Rapports AREVA NC La Hague et travaux publiés par le GRNC.
     - Méthode détaillée tenant compte du taux de carbone dans les produits consommés et de leur taux de contamination artificielle. [Tamponnet, 2002], [Roussel-Debet, 2006 et 2007].
     Nous appliquons la troisième méthode qui prend en compte la particularité du taux de carbone des denrées pouvant être produites localement et leur taux réel de contamination. Le calcul détaillé du taux de carbone dans les produits locaux consommés est donné en annexe 6.4 (à demander).

Calcul d'impact du carbone 14 artificiel à partir de la consommation annuelle de carbone dans les produits locaux

     Calculs de dose pour un individu du Nord-Cotentin consommant uniquement des produits locaux, hors dérivés céréaliers, sucre et huile végétale considérés comme exogènes:
     - Rations alimentaires du pêcheur de Goury et de l'agriculteur de Digulleville retenus par AREVA NC et individu standard [Tamponnet, 2002]
     - Fraction de carbone stable dans les produits consommés: [Roussel-Debet, 2006], [Tamponnet, 2002] et [AREVA NC, 2008]
     - Ambiance 14C moyenne 500 Bq/kg de C (milieu terrestre entre 600 et 1.000 Bq/kg de C, marin entre 450 et 650 Bq/kg de C), pour une ambiance naturelle 14C de 236 Bq/kg de C (excédent  14C: 264 Bq/kg de C)
     - Dose efficace engagée par unité d’activité incorporée par ingestion pour l’homme adulte, 14C: 5,8.10-10 Sv/Bq.
(suite)
suite:
ParamètresAdulte
standard
Pêcheur
Goury
Agriculteur
Digueville
Apport en C local (kg/an)66,758,077,2
14C artificiel (Bq/kg de C)264264264
Ingestion (Bq de 14C)17.60015.30020.400
Impact (microSv/an)10,28,911,8
Tableau n°4: Calculs de doses à partir des consommations carbone dans les produits locaux

3 Discussion

     L’environnement terrestre proche du site de la Hague est pollué en 14C à hauteur de 1.000 Bq/kg de C au moins depuis 1997. Ordre de grandeur du taux de pollution autour de Sellafield qui a incité les autorités anglaises à réglementer les rejets gazeux de Sellafield à moins de 8,4 TBq/an pour ce radionucléide depuis 1988, puis à moins de 3,3 TBq/an depuis 2005. En 2003, les autorités françaises autorisent l’exploitant de la Hague à rejeter jusqu’à 28 TBq/an.
     Sachant que tous les experts estiment l’impact du 14C naturel, pour un adulte, voisin de 13 microSv/an avec une activité de 226 Bq/kg de C: dans un environnement avec des points de pollution variant entre 500 et 1.000 Bq/kg de C, on obtient une dose comprise entre 10 et 30 microSv/an (AREVA NC évalue cette dose, pour l’année 2008, à 2 microSv/an).
     McCartney [Beaujard, 1997] a considéré que les individus exposés ne se nourrissaient qu’avec une production locale contaminée à plus de 1.000 Bq/kg de C. L’OPRI, dans son étude de contamination par le 14C du site de Ganagobie par la société Isotopchim (2003), adopte la même démarche: étude des cernes d’arbre pour dater et estimer la contamination, et obtient une évaluation globale de la dose égale à 57 microSv/an pour une contamination moyenne de 1.300 Bq/kg de C [OPRI, 1995].
1300 Bq/kg de C, soit un excédent de 1064 Bq/kg de C, conduit à 68 microSv/an pour 0,3 kg/j de carbone.
     La méthode d’évaluation globale, telle qu’elle vient d’être appliquée par l’IRSN aux rejets non autorisés du site de SOCATRI en juillet-août 2008, [Roussel-Debet, 2008], conduirait à un impact de l’ordre de 17 microSv pour des produits locaux ayant des teneurs 14C total de l’ordre de 500 Bq/kg de C. (SOCATRI 2008: 0,16 microSv pour une consommation de produits contaminés à 10 Bq/kg de C pendant 3 mois. Par analogie avec ce calcul nous pouvons évaluer la dose annuelle population des environs de La Hague sur la base d’une activité totale de 500 Bq/kg de C, soit 264 Bq/kg de C artificiel => 0,16 x 12/3 x 264/10 = 17microSv.)
     A partir d’une étude CREDOC, datant de 1998 et non réactualisée depuis cette date, AREVA NC considère que les individus, y compris ceux des groupes dits critiques (ou de référence), ne consomment que partiellement la production locale: le pêcheur de Goury ne consomme par exemple que 51,7% de son poisson et 53,6% de ses crustacés; sa consommation de produits terrestres locaux varie entre 17,5% (lait) et 57,4% (légumes feuilles). Les taux d’autoconsommation de l’autre groupe de référence (habitant de Digulleville) est à l’avenant, ces pourcentages sont les mêmes que pour l'individu standard du Nord-Cotentin.
     La présente évaluation, en partant des consommations des 2 groupes critiques retenus par AREVA NC, d’un taux conservatoire de 14C de 500 Bq/kg de C  (produits terrestres entre 450 et 1.000 Bq/kg de C de 1 à 10 km du site, et produits marins de 500 à 700 Bq/kg de C de Siouville à Barfleur) et d’une autoconsommation des produits potentiellement d’origine locale, donne une dose de 8,9 microSv/an pour le pêcheur de Goury (1,95 microSv pour AREVA NC 2008) et de 11,8 microSv/an pour l’agriculteur de Digulleville (2,11 microSv pour AREVA NC 2008). Notre simulation de consommation de produits locaux par un individu adulte standard retenu par Garnier-Laplace et al. [Tamponnet, 2002] donne un impact du même ordre de grandeur (voir Tab. n°7): 10,2 microSv.
p.16


     La prise en compte des pratiques locales de pêche, y compris de plaisance, et de culture dans les potagers locaux et notre hypothèse d'autoconsommation totale de produits pouvant être d'origine locale sont au moins aussi recevables que l’hypothèse d'AREVA NC qui considère qu'un pêcheur ou un agriculteur ne consommera que la moitié de ses poissons ou de ses légumes en origine locale, à partir d’une étude de consommation qui date de plus de 10 ans. D’autant que la modélisation d’impact à partir du rejet fait abstraction de l’accumulation du 14C mise en relief dans la présente étude.
     Les rejets liquides ont été de l’ordre de 10 TBq/an  entre 1996 et 2008, qu’adviendra-t-il des patelles locales et autres éléments de la faune marine, de Granville à Dunkerque, si AREVA NC venait à multiplier ses rejets de 14C par 3 ou 4? L’autorisation de rejets actuelle permet en effet à l’exploitant de toujours effectuer un rejet marin jusqu’à atteindre 42 TBq/an de 14C (L’arrêté du 8 janvier 2007 qui a modifié l’arrêté précédent du 10 janvier 2003 a laissé inchangées les autorisations de rejets de 14Cdans les effluents gazeux -28 TBq/an- et liquides -(42 TBq/an). La France est pourtant un pays signataire de la convention internationale OSPAR qui engage les parapheurs à réduire leurs rejets de radionucléides artificiels ou naturels en milieu marin avant 2020:
     «L’objectif de la Stratégie est que les rejets, émissions et pertes de substances radioactives soient d’ici 2020 ramenées à des niveaux tels que par rapport aux niveaux historiques, les concentrations additionnelles résultant des rejets soient proches de zéro … en tenant compte des utilisations légitimes de la mer, de la faisabilité technique, de l’impact radiologique sur l’homme et le milieu vivant.»

Convention de protection de l’Atlantique Nord (OSPAR)
Accord de Sintra, juillet 1998

     Les Anglais ont montré que les techniques de rétention du 14C sont disponibles et opérationnelles depuis plus d’une dizaine d’années. À Sellafield, dans l’usine THORP, 88% du 14C est piégé par la solution sodique des colonnes de lavage des gaz de dissolution et est précipitée (par ajout d’hydroxyde de baryum) sous forme de carbonate de baryum, composé insoluble (chimiquement stable) qui est ensuite conditionné par enrobage dans du ciment. Les colis de déchets sont ensuite entreposés sur le site [AEN OCDE, 2003] et [Clarke, 2000].

     Sigles ou acronymes:
ACRO, Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’ouest
BNGSL, British Nuclear Group Sellafield limited
CEFAS, Center for Environment, Fisheries & Aquaculture Science
CIPR, Commission Internationale de Protection radiologique
Cogéma, Compagnie générale des matières nucléaires, devenue AREVA NC
COMARE, Committee on Medicals Aspects of Radiation in the Environment
CREDOC, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie
GEP, Groupe d’expertise pluraliste
GRNC, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin
IRSN, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
NRPB, National radiological protection board
OMS, Organisation mondiale de la santé
OPRI, Office de protection contre les rayonnements ionisants, devenu IRSN SESURE
OSPAR, convention OSlo - PARis
SFRP, Société française de radio protection
UNSCEAR, United Nation Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation

     Bibliographie:
ACRO, 2006, Évaluation des niveaux de 14C des denrées alimentaires terrestres et marines de l'environnement du site de retraitement de COGEMA – La Hague. RAP06412 (01)-14C-21 du 12/04/2006.
AEN OCDE, 2003, Options de rejet des effluents des installations nucléaires. Contexte technique et aspects réglementaires. AEN OCDE, mars 2003.
Beaujard, P., Étude bibliographique sur le carbone 14, IPSN, SEGR/SEAR/97 n° 10, février 1997.
(suite)
suite:
BNFL, 1998, Annual report on discharges and monitoring of the environment.
Carlo L., Mazaud A., Duplessy J-C., Datation par 14C et champ magnétique, Pour la Science, octobre 1996, pp 106–112.
CEFAS, 2009, Radiological habits survey : Sellafield , 2008. Environment Report RL 02/09
CFDT 1980, Le dossier électronucléaire, Syndicat CFDT de l’énergie atomique, Collection Points Sciences, Editions du Seuil, 1980.
CIPR 1975, Report of the task group on reference man, CIPR 23, Pergamon Press, page 327.
Clarke J.S., Radioactive Substances Act 1993. Review of discharges and disposal of radioactive wastes and effluents from Sellafield, 29 September 2000.
COGEMA – AREVA NC, 1997 2008, Surveillance trimestrielle environnement de la Hague et rapports annuels, collection 1997 – 2008.
COGEMA, 2000, Dossiers d’enquête publique, INB 116 – 117 – 118.
Cook G.T., McKenzie A.B., Naysmith P., & R. Anderson, Natural and anthropogenic 14C in the UK coastal marine environment, J. Environ. Radioactivity, Vol. 40, N° 1, pages 89 à 111.
Court L., Radionucléides et activités militaires, Toxiques nucléaires, 2ème édition, pages 39 à 46, Masson, 1997.
Douville E., Fievet B., Germain P., Fournier M., Comportement du 14C dans le milieu marin à proximité de l'usine de COGEMA La Hague (Goury) – France, SFRP, Journée carbone 14, 18 avril 2002.
Fievet B., Voiseux C., Rozet M., Masson, M., Bailly du Bois P., Transfer of radiocarbon liquid  releases from the AREVA NC La Hague spent fuel reprocessing plant in the English Channel, Journal of environmental radioactivity, 90 (2006), pages 173 à 196.
FSA and SEPA 1996 à 2010, Radioactivity in food and the environment, 1995 à 2009, RIFE report 1 à 15, Food Standards Agency and Scottish Environment Protection Agency, London and Stirling.
Goumondy, J-P., Réponse détaillée sur les rejets de 14C des usines de Cogéma La Hague, GRNC, 22 octobre 2001, version 3.
GRNC, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, Inventaire des rejets radioactifs des installations nucléaires, Volume 1, juillet 1999.
GRNC, 2005, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin. Appréciation par le GRNC de l’estimation des doses dans le rapport annuel de surveillance de l’environnement de Cogéma-La Hague. Année 2003.
GRNC, 2006, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin. Appréciation par le GRNC de l’estimation des doses dans le rapport annuel de surveillance de l’environnement de Cogéma-La Hague. Année 2004.
GRNC, 2007, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin. Appréciation par le GRNC de l’estimation des doses dans le rapport annuel de surveillance de l’environnement de Cogéma-La Hague. Année 2005.
GRNC, 2009, Groupe Radioécologie Nord-Cotentin. Appréciation par le GRNC de l’estimation des doses dans le rapport annuel de surveillance de l’environnement de Cogéma-La Hague. Année 2006.
IRSN, 2001, Radionucléides: Fiches techniques, Données relatives à la protection de l'homme et de l'environnement. Rapport DPHD/2001-02, août 2001.
IRSN, 2005, Bilan de l'état radioécologique de l'environnement français en 2004 – Synthèse des réseaux de surveillance de l'IRSN. Rapport DEI/SESURE n° 2005-33.
IRSN, 2007 (a), Bilan de l'état radioécologique de l'environnement français en 2005 – Synthèse des réseaux de surveillance de l'IRSN. Rapport DEI/SESURE n° 2007-30.
IRSN, 2007 (b), Bilan de l'état radioécologique de l'environnement français en 2006 – Synthèse des réseaux de surveillance de l'IRSN. Rapport DEI/SESURE n° 2007-72.
IRSN, 2008, La mesure de la radioactivité dans le bassin versant de la Loire. Rapport DEI/SESURE n° 2008-25.
IRSN, 2009, Bilan de l'état radioécologique de l'environnement français en 2008 – Synthèse des réseaux de surveillance de l'IRSN. Rapport DEI/SESURE n° 2009-04.
Labeyrie J., La datation par le 14C, La Recherche n° 73, décembre 1976
Le Guen, B. et Siclet, F., Impact du carbone – 14 autour des centrales nucléaires EDF. Radioprotection, 2009, Vol. 44, n°44, pages 495 à 504.
McNamara N., McCartney M., A new estimate of atmospheric 14C discharges from Sellafield, J. Enviro. Radioacti. 41, pages 1 – 10, 1998.
p.17

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