La G@zette Nucléaire sur le Net!
G@zette N°266, novembre 2012

Le TOURNANT ENERGETIQUE: vous y croyez? La Gazette a de forts doutes!!

Rapport officiel de
LA COMMISSION D’ENQUÊTE INDÉPENDANTE
SUR L’ACCIDENT NUCLÉAIRE DE FUKUSHIMA
Conclusions et Recommandations
http://naiic.go.jp/wp-content/uploads/2012/09/NAIIC_report_lo_res10.pdf
Voir aussi
fukushima.over-blog.fr (actualité nucléaire)

 
     Après une enquête de six mois, la Commission a pu tirer les conclusions suivantes: 
     Afin de prévenir de futurs sinistres, des réformes fondamentales doivent être faites. Ces réformes doivent couvrir à la fois la structure de l'industrie électrique, du gouvernement et des organismes de réglementation, ainsi que les processus de fonctionnement. Elles doivent couvrir les situations normales et les situations d'urgence
 
Une catastrophe d’origine humaine
L’accident nucléaire de Fukushima a été le résultat d'une collusion entre le gouvernement, les organismes de réglementation et TEPCO, et de la gestion défectueuse des dites parties. Celles-ci ont effectivement trahi le droit de la nation à vivre à l’abri d'accidents nucléaires. Par conséquent, nous concluons que l'accident était clairement d'origine humaine. Nous croyons que les causes profondes étaient les systèmes organisationnels et réglementaires qui ont couvert des décisions et des actions erronées, plutôt que des questions relatives à la compétence d'un individu particulier. (cf. recommandation 1) 
     Les causes directes de l'accident étaient toutes prévisibles avant le 11 mars 2011. Mais la centrale de Fukushima Daiichi fut incapable de résister au séisme et au tsunami qui a frappé ce jour-là. L'opérateur (TEPCO), les organismes de réglementation (la NISA et la NSC) et l'organisme gouvernemental de promotion de l'industrie nucléaire, le METI, ont tous échoué à correctement définir les exigences de sécurité les plus élémentaires, telles que l'évaluation de la probabilité d'un accident, la préparation à contenir les effets d‘un tel désastre, et l'élaboration de plans d'évacuation du public dans le cas d'un rejet important de radioactivité. 
     TEPCO et l'Agence de sûreté nucléaire et industrielle (NISA) étaient conscients de la nécessité d'un renforcement structurel pour être en conformité avec les nouvelles normes, mais plutôt que d'exiger leur mise en œuvre, la NISA a déclaré que les mesures devaient être prises de manière autonome par l'opérateur. La Commission a découvert qu'aucune des protections nécessaires n‘avaient été mises en œuvre sur les réacteurs 1 à 3 au moment de l'accident. Ce fut le résultat d'un consentement tacite de la NISA à accorder des délais dans la mise en œuvre de ces mesures de protection. En outre, bien que la NISA et les opérateurs aient été conscients du risque d'endommagement du cœur par le tsunami, aucune réglementation n‘a été établie, et TEPCO n‘a pas non plus pris les mesures de protection contre un tel événement. 
     Depuis 2006, les régulateurs et TEPCO étaient conscients du risque de panne totale d'électricité à la centrale de Fukushima Daiichi si un tsunami devait atteindre le niveau du site. Ils étaient également conscients du risque d'endommagement du cœur du réacteur par la perte du refroidissement à l'eau de mer dans le cas d'un tsunami plus fort que celui qui avait été prévu par la Société japonaise des ingénieurs civils. La NISA savait que TEPCO n'avait pas envisagé de mesures pour atténuer ou éliminer le risque, mais a omis de fournir des instructions spécifiques pour remédier à la situation. 
     Nous avons trouvé la preuve que les organismes de réglementation demandaient ouvertement aux opérateurs quelles étaient leurs intentions à chaque fois qu'il était question de mettre en œuvre un nouveau règlement. Par exemple, la NISA a informé les opérateurs qu'ils n'avaient pas besoin d'examiner une situation de panne totale (SBO) parce que la probabilité était faible et parce que d'autres mesures étaient en place. La NISA a ensuite demandé aux opérateurs de rédiger un rapport qui donnerait les raisons appropriées pour expliquer pourquoi cette mise en œuvre n'était pas nécessaire. 
     Afin d'obtenir la preuve de cette collusion, la Commission a été forcée d'exercer son droit législatif pour obtenir de telles informations de la NISA ; celle-ci avait refusé de répondre à plusieurs demandes. Les régulateurs ont également eu une attitude négative face aux nouvelles avancées scientifiques et technologiques qui auraient pu venir de l‘étranger. Si la NISA avait transmis à TEPCO les mesures incluses dans le paragraphe B.5.b de la loi sécuritaire américaine déclenchée par l'attaque terroriste du 11 septembre, et si TEPCO avait mis ces mesures en place, l‘accident aurait peut-être  pu être évité.
suite:
     Il y a eu de nombreuses opportunités pour prendre des mesures préventives avant le 11 mars. 
     L'accident s'est produit parce que TEPCO n'a pas pris ces mesures et que la NISA et la commission de sûreté nucléaire (NSC) n’ont pas réagi. Ils ont aussi intentionnellement reporté la mise en place des mesures de sécurité, ou pris des décisions basées sur l'intérêt de leur organisation, et non pas agi dans l'intérêt de la sécurité publique. 
     Du point de vue de TEPCO, la nouvelle réglementation aurait interféré avec l'exploitation des centrales et affaibli la position de l’entreprise dans d'éventuelles poursuites judiciaires. Ce fut une motivation suffisante pour s'opposer énergiquement à de nouvelles règles de sécurité et négocier avec les régulateurs via la Fédération des compagnies électriques (FEPC). Les régulateurs auraient dû prendre une position ferme pour le bien du public, mais ils ont échoué à le faire. Comme ils s‘étaient fermement convaincus eux-mêmes que les centrales nucléaires étaient sûres, ils étaient réticents à créer de nouveaux règlements. Le problème a encore été aggravé par le fait que la NISA avait été créée par le ministère de l‘Économie, du Commerce et de l‘Industrie (METI), une institution qui s‘est toujours activement occupée de promouvoir l‘énergie nucléaire. 
 
Les dommages du séisme
     Nous concluons que TEPCO a été trop rapide à avancer le tsunami comme cause de l'accident nucléaire et à nier que le séisme ait causé des dégâts. Nous croyons que le séisme a probablement endommagé l'équipement nécessaire pour assurer la sécurité et qu’il est possible qu’il y ait eu une légère perte du liquide de refroidissement dans le réacteur 1. Nous espérons que ces points seront examinés de façon plus approfondie par une prochaine enquête. (cf. recommandation 7) 
     Même si les deux catastrophes naturelles – le séisme et le tsunami qui a suivi - ont été les causes directes de l‘accident, il reste plusieurs points dans le déroulement des événements qui n‘ont pas été éclaircis. La raison principale en est que presque tout l‘équipement directement lié à l‘accident se trouve à l‘intérieur de l'enceinte des réacteurs, qui sont inaccessibles et le resteront encore de longues années. Un examen complet et une analyse exhaustive sont donc impossibles actuellement. TEPCO n'a cependant pas hésité à attribuer l'accident au tsunami, et à conclure que le séisme n'était pas responsable des dommages à l'équipement nécessaire à la sécurité (même s'il a ajouté «dans la mesure où l'information a pu être confirmée», une phrase qui apparaît dans les rapports de TEPCO au gouvernement et à l'AIEA). Cependant, sans preuve de fond, il est impossible de considérer le tsunami comme la cause directe de l'accident. La Commission estime qu'il s'agit là d'une tentative pour éviter toute responsabilité en mettant tout sur le compte de l'inattendu (la hauteur du tsunami), comme il est écrit dans le rapport intermédiaire, et non pas sur le séisme, plus prévisible. 
     Grâce à notre enquête, nous avons vérifié que les personnes impliquées étaient au courant du risque de séisme et de tsunami. En outre, les dommages causés au réacteur 1 ont été causés non seulement par le tsunami, mais aussi par le séisme, une conclusion établie après avoir examiné les faits suivants:
     1) La plus grande onde de choc du séisme a frappé après l'arrêt automatique (SCRAM) [des réacteurs]. 
     2) La JNES a confirmé la possibilité d'un accident localisé de perte de liquide de refroidissement. 
     3) Les opérateurs du réacteur 1 se sont inquiétés de la fuite de liquide de refroidissement de la soupape  de sécurité. 
     4) La soupape de décharge ne fonctionnait pas. 
     En outre, il y a eu deux causes à la perte d'alimentation externe, toutes deux liées au séisme: il n'y avait pas de systèmes redondants et diversifiés, ni de résilience parasismique pour les alimentations électriques externes, et par ailleurs, le poste de transformation de ShinFukushima n'était pas résistant aux séismes. (Voir la section 2 du résumé des résultats).
p.21

Évaluation des problèmes opérationnels
     La Commission conclut qu'il y a eu des problèmes organisationnels au sein de TEPCO. Si le niveau des connaissances, de la formation et des inspections avait été plus exigeant, et si un guide d’instructions d’urgences spécifiques avait été donné en temps voulu aux travailleurs du site, une réponse plus efficace aurait été possible. (cf. recommandation 4) 
     Il y a eu beaucoup de problèmes opérationnels sur place au cours de l'accident. Les événements montrent clairement que, quand le cadre permettant de répondre à un accident grave n‘est pas en place, les mesures qui peuvent être prises sur place en cas de panne totale sont très limitées. Le travail de dépannage, comme la confirmation du fonctionnement du condenseur d‘isolation du réacteur 1, aurait dû être mené rapidement à cause de la perte de courant continu, mais ce ne fut pas le cas. TEPCO n'avait pas prévu de mesures pour le fonctionnement du condenseur et n'avait ni manuels complets, ni exercices périodiques, ce qui dénote clairement des problèmes d'organisation. En ce qui concerne la conduite de ventilation, effectuer des travaux de réparation sans électricité et en présence de niveaux de radiation croissants a dû être extrêmement difficile et chronophage. De plus, dans le manuel d'instruction concernant les accidents graves, des sections entières du diagramme [des opérations] étaient manquantes. 
     Non seulement les travailleurs ont eu à travailler en utilisant un manuel imparfait, mais ils ont été pressés par le temps, travaillant dans le noir avec des lampes de poche comme seule source de lumière. 
     La lenteur de la réponse a encore aggravé le manque de confiance du Kantei (bureau du Premier ministre) dans la gestion de TEPCO, mais le travail a été accompli en réalité dans des conditions extrêmement difficiles. 
     De nombreuses infractions aux divers niveaux de sécurité ont été commises simultanément, tandis les quatre réacteurs perdaient en même temps leur alimentation électrique. S'il n'y avait pas eu certains événements fortuits ? le fait que la pompe d'alimentation en eau à haute pression destinée au refroidissement d'urgence (RCIC) du réacteur 2 ait fonctionné si longtemps, l‘éclatement de son panneau de soufflage et le relâchement de pression qui s‘en est suivi, et la rapidité avec laquelle les sous-traitants ont nettoyé les décombres ? les réacteurs 2 et 3 auraient été dans une situation encore plus précaire. Nous avons conclu ? étant donné les lacunes dans la formation et la préparation ? qu‘une fois que la panne totale est survenue, impliquant entre autres la perte de toute source d'alimentation électrique directe, il était impossible de changer le cours des événements. 
 
Les problèmes dans l'intervention d'urgence
     La Commission conclut que la situation a continué à se détériorer parce que le système de gestion de crise du Kantei, des régulateurs et des autres organismes responsables n'ont pas fonctionné correctement. Les limites définissant les rôles et les responsabilités des uns et des autres étaient problématiques, en raison de leurs propres ambiguïtés. (cf. recommandation 2) 
     Le gouvernement, les organismes de réglementation, la direction de TEPCO et le Kantei manquaient de préparation et d‘assurance pour effectuer une intervention d'urgence efficace dans un accident de cette ampleur. C‘est pourquoi aucun d‘entre eux ne fut efficace pour prévenir ou limiter les dommages. 
     La NISA était censée jouer le rôle principal, comme il est prévu dans la Loi sur les mesures spéciales concernant la préparation aux urgences nucléaires qui a été adoptée en 1999 après un accident de criticité dans l'installation de conversion d'uranium à Tokaimura, (préfecture d'Ibaraki, société JCO). Toutefois, la NISA n'était pas préparée à une catastrophe de cette ampleur, et a échoué dans sa fonction. 
     Dans la période critique, juste après l'accident, le Kantei n'a pas promptement déclaré l'état d'urgence. L'équipe régionale d'intervention d'urgence nucléaire devait être le lien entre le Kantei et l'opérateur, qui aurait dû tenir le Kantei informé de la situation sur le terrain. Au lieu de cela, le Kantei a contacté le siège de TEPCO et le site de Fukushima directement, et a perturbé la chaîne de commandement prévue. Une équipe d'intervention mixte TEPCO/Kantei a été créée au siège de TEPCO le 15 mars, mais cette entité n'avait aucune autorité légale.
suite:
     Le Kantei, les régulateurs et TEPCO avaient tous compris la nécessité de ventiler le réacteur 1. TEPCO avait fait savoir à la NISA, comme le protocole le demandait, qu‘il s'apprêtait à ventiler. Mais il n'y a pas de confirmation que la décision de ventilation ait été transmise à l'encadrement du METI ou au Kantei. Cette faute de la part de la NISA et la rareté des informations en provenance du siège de TEPCO ont abouti à la perte de confiance du Kantei en TEPCO. 
     Le Premier ministre s'est rendu sur le site pour diriger les travailleurs qui s'occupaient du cœur endommagé. Cette intervention directe et sans précédent du Kantei a détourné l'attention et le temps du personnel opérationnel sur place et a semé le désordre dans la ligne de commande hiérarchique. 
     Alors que le siège de TEPCO était censé fournir un soutien à l'usine, en réalité, il s'est subordonné au Kantei et a fini par tout simplement relayer les intentions du Kantei. Ceci fut une conséquence de l'état d'esprit existant chez TEPCO, à savoir une réticence à prendre des responsabilités, réticence incarnée par l'incapacité du président Shimizu à communiquer clairement ses intentions au Kantei concernant la centrale.
     Dans le même temps il est difficile de conclure que c'est le Premier ministre qui a découragé d'adopter l'idée d'un retrait complet de TEPCO, comme on a pu le voir dans d'autres rapports, pour plusieurs raisons:
     1) Il n'y a aucune preuve que la direction de TEPCO à la centrale ait même songé à un retrait complet, 
     2) Il n'y a aucune trace de décision qui aurait été prise au siège de TEPCO à propos d'un retrait complet, 
     3) L'évacuation prévue avant la visite de M. Shimizu au Kantei envisageait de garder les membres de l'équipe d'urgence à la centrale (même si les critères d'évacuation avaient été discutés), 
     4) Le directeur-général de la NISA a indiqué que quand M. Shimizu l'a appelé, il ne lui a pas demandé son avis sur la possibilité d'un retrait complet, et 
     5) Le centre de crise hors-site, qui était connecté par un système de vidéo-conférence, a affirmé que l'option du retrait complet n'avait pas été discutée. La gestion de crise ayant trait à la sécurité publique devrait être assurée sans jamais avoir à compter sur la capacité et le jugement du Premier ministre. 
 
Les problèmes d'évacuation
     La Commission conclut que la confusion dans l'évacuation des résidents découle de la négligence des régulateurs, de l'échec persistant à mettre en œuvre les mesures adéquates contre une catastrophe nucléaire, ainsi que d'un manque d'action des gouvernements précédents et des régulateurs sur la gestion des crises. Le système de gestion de crise qui existait pour le Kantei et les régulateurs devait protéger la santé et la sécurité du public, mais il a échoué dans cette fonction. (cf. recommandation 2) 
     Le gouvernement central a été non seulement lent à informer les gouvernements municipaux de l'accident nucléaire, mais il a également omis de faire comprendre le degré de gravité de l'accident. De même, la vitesse de l'information dans les zones d'évacuation a considérablement varié en fonction de la distance de la centrale. Plus précisément, seulement 20 pour cent des habitants de la ville proche de l'usine étaient au courant de l'accident lorsque l'évacuation de la zone des trois kilomètres a été ordonnée à 21h23 dans la soirée du 11 mars. La plupart des résidents de la zone des 10 km ont appris l'accident lorsque l'ordre d'évacuation a été émis à 5h44 le 12 mars ? plus de 12 heures après la notification de l'article 15 ? mais n'ont reçu ni explication de l'accident ni directives d'évacuation. De nombreux résidents ont dû fuir avec seulement le strict nécessaire et ont été forcés de se déplacer plusieurs fois et même parfois vers des zones ayant des niveaux élevés de radiations. Il y a eu une grande confusion dans l'évacuation, causée par des consignes de calfeutrement prolongé au domicile, consignes contredites par des «ordres d'évacuation volontaire». Certains résidents ont été évacués vers des zones fortement irradiées parce que les informations de surveillance de la radioactivité n'avaient pas été fournies. Certaines personnes ont été évacuées vers ces zones, ont ensuite été laissées sur place, et n'ont plus reçu aucune nouvelle consigne d'évacuation avant le mois d'avril.
La Commission a confirmé que les plans de préparation à une urgence nucléaire et les mesures complexes de réponse à une catastrophe n'avaient pas été mis à jour ; elle attribue cet état des choses aux réticences des régulateurs à améliorer et à réviser les plans d'urgence existants.
p.22



 
Des problèmes de santé et de bien-être publics non résolus
     La Commission reconnaît que les résidents de la zone touchée se battent encore contre les effets de l'accident. Ils continuent à faire face à de graves problèmes, comme les effets de l'exposition aux rayonnements sur la santé, les déplacements, la dislocation des familles, la perturbation de leur vie et de leurs modes de vie et la contamination de vastes zones de leur environnement. Il n'y a pas de fin prévisible aux activités de décontamination et de restauration qui sont essentielles pour la reconstruction des communautés. La Commission conclut que le gouvernement et les régulateurs ne sont pas pleinement engagés à protéger la sécurité et la santé publiques et qu'ils n'ont pas agi pour protéger la santé des résidents et restaurer leur bien-être. (cf. recommandation 3) 
     Environ 150.000 personnes ont été évacuées. On estime que 167 travailleurs ont été exposés à des doses de plus de 100 millisieverts. Près de 1.800 kilomètres carrés de terres dans la préfecture de Fukushima auraient été contaminés par une dose de rayonnement cumulée de 5 millisieverts ou plus par an. 
     Les défauts de la planification de l'évacuation ont conduit de nombreux résidents à recevoir une exposition inutile aux rayonnements. D'autres ont été forcés de se déplacer à plusieurs reprises, ce qui a entraîné une augmentation du stress et des risques pour la santé - incluant des décès chez les patients gravement malades. 
     Le gouvernement doit analyser les conditions de vie des résidents dans les zones touchées et systématiquement planifier des mesures visant à améliorer leur qualité de vie. 
     Ces mesures devraient inclure la réorganisation des zones d'évacuation, la restauration des bases de la vie quotidienne, les problèmes de décontamination et la reconstitution des systèmes médicaux et sociaux pour répondre aux besoins du public. Il ne l'a pas encore fait. 
     Les plus de 10.000 personnes qui ont répondu à nos enquêtes et les commentaires que des membres de la Commission ont entendus lors des réunions publiques jugent sévèrement la position actuelle du gouvernement. Alors que des seuils d'exposition ont été fixés pour le syndrome d'irradiation aiguë, il n'existe pas de seuil généralement accepté pour les dommages de l'irradiation à long terme causés par les faibles doses. Le consensus international, cependant, est que le risque s'accroît en fonction de la dose reçue. L'impact de l'irradiation sur la santé peut varier d'une personne à l'autre selon l'âge, la sensibilité aux radiations et d'autres facteurs, en partie inconnus. Après l'accident, le gouvernement a annoncé de façon unilatérale une valeur de référence pour les doses d'irradiation sans donner à la population l'information spécifique dont elle avait besoin et qui lui permettrait de répondre à ce genre questions: Quel niveau est tolérable au vu des effets à long terme sur la santé? En quoi les conséquences sur la santé diffèrent-elles selon les individus? Comment les gens peuvent-ils se protéger contre les substances radioactives? Le gouvernement n'a pas sérieusement mis en place de programmes pour aider les citoyens à comprendre la situation et à se faire leur propre opinion. Il a échoué par exemple à expliquer les risques liés aux irradiations pour différentes couches de la population comme les nourrissons et les jeunes ou les personnes particulièrement vulnérables aux effets des radiations. 

Réformer les régulateurs

     La Commission a conclu que la sécurité nucléaire et celle de la population japonaise ne peuvent être assurées que si les régulateurs passent par un processus de transformation fondamentale. Toute l'organisation a besoin d'être transformée de manière substantielle. Les régulateurs japonais ont besoin de remettre en cause leur attitude insulaire, ignorante des normes de sécurité internationales et de se transformer en une entité mondialement crédible. (cf. recommandation 5)

     Les régulateurs n'ont ni surveillé ni contrôlé la sécurité du nucléaire. Le manque d'expertise a abouti à une forme de neutralisation de la réglementation, et au report de sa mise en œuvre. Ils ont fui leurs responsabilités directes en laissant les opérateurs appliquer les règlements selon leur bon vouloir. Leur indépendance vis-à-vis des politiques, des ministères pro-nucléaires et des opérateurs a été une parodie. Ils se sont montrés incapables et manquaient d'expertise et de volonté pour assurer la sécurité de l'énergie nucléaire. En outre, l'organisation manquait de transparence. Sans l'enquête menée par cette commission, la plupart des faits révélant la collusion entre les régulateurs et les autres acteurs n'auraient jamais été dévoilés. 

suite:
Réformer l'opérateur

     En s’appuyant de manière servile sur la bureaucratie gouvernementale du METI, TEPCO n’a pas assumé ses responsabilités en tant que société privée. Dans le même temps, sous les auspices de la FEPC, il a utilisé sa relation privilégiée avec les régulateurs afin d’émasculer toute réglementation. (cf. recommandation 4) 
     La gestion du risque chez TEPCO illustre ce point. Par exemple, TEPCO n'a examiné les risques de tsunami que du point de vue de ses propres intérêts: les risques peuvent-ils se traduire par un arrêt des réacteurs existants ou affaiblir la position de l'entreprise dans d'éventuelles poursuites juridiques? 
     TEPCO a ignoré le risque potentiel pour la santé et le bien-être publics. (Voir la section 5) 
     À cause du type de gestion des dirigeants de TEPCO - un abandon de leurs responsabilités sur le dos du gouvernement - les problèmes sont devenus évidents lors de l'accident. Ils ont donné la priorité aux intentions du Kantei plutôt qu'à celles des ingénieurs techniques du site. Leur comportement a toujours été incertain, et le malentendu qui s'est produit sur «l'hypothèse d'abandon total» de la centrale est un bon exemple de la confusion qui a résulté de leur comportement. (Voir la section 3) 
     Après l'accident, TEPCO a continué de refuser la transparence dans la diffusion des informations. 
     Il a limité les informations aux faits confirmés et s'est arrangé pour ne pas divulguer les informations considérées comme incertaines ou gênantes. Pour ne donner que quelques exemples, citons le retard dans la communication des prévisions de la demande d'électricité qui servaient de base aux coupures d'électricité par roulement, et le manque de mises à jour sur les conditions des cœurs des réacteurs de la centrale. 

Réformer les lois et les règlements

     La Commission conclut qu'il est nécessaire de revoir les lois et règlements en vigueur concernant l'énergie nucléaire. Des mécanismes doivent être mis en place pour veiller à ce que les dernières découvertes technologiques provenant de sources internationales soient reprises dans les lois et règlements en vigueur. (cf. recommandation 6)
     Les lois et les règlements liés à l'énergie nucléaire n'ont été revus que comme des pis-aller à la suite d'accidents réels. Ils n'ont pas fait l'objet d'une révision sérieuse et complète qui correspondrait aux critères de réponse à un accident et aux mesures de sauvegarde d'une norme internationale. En conséquence, les risques prévisibles n'ont pas été pris en considération. 
     Les règlements existants sont principalement orientés vers la promotion de l'énergie nucléaire, et non vers la sécurité, la santé et le bien-être publics. La responsabilité sans équivoque que les opérateurs doivent assumer lors d'une catastrophe nucléaire n'a pas été spécifiée. Il n'y avait pas non plus de directives claires sur les responsabilités des parties en cas de situation d'urgence. Le concept de défense en profondeur utilisé dans d'autres pays n'a pas encore été pleinement pris en compte. 

Du rafistolage

     Remplacer des personnes ou changer le nom des institutions ne va pas résoudre les problèmes. À moins que les causes profondes ne soient résolues, les mesures de prévention contre de futurs accidents similaires ne seront jamais efficaces. (cf. recommandations 4, 5 et 6)
     La Commission estime que les causes profondes de cet accident ne peuvent être résolues et que la confiance du peuple ne pourra être rétablie tant que cette « catastrophe d'origine humaine » sera considérée comme le résultat d'une erreur commise par une personne particulière. La question sous-jacente est la structure sociale qui a engendré cette neutralisation de la réglementation et le cadre organisationnel, institutionnel et juridique qui a permis aux individus de justifier leurs propres actions, de les cacher quand cela était gênant, sans laisser de traces, afin d'éviter toute responsabilité.

p.23

 
     À tous les niveaux, la Commission a rencontré une ignorance et une arrogance impardonnables chez toute personne ou tout organisme s'occupant d‘énergie nucléaire. Nous avons rencontré un mépris total des évolutions internationales et de la sécurité publique. Nous avons trouvé un fonctionnement routinier basé sur les procédures et les pratiques conventionnelles antérieures, la priorité étant d‘éviter de faire courir des risques à l'organisation. Nous avons trouvé un état d'esprit donnant la priorité aux intérêts de l‘organisation, et ceci au détriment du public.



Recommandations

     Sur la base de ces constatations, la Commission propose pour l'avenir les sept recommandations suivantes. Nous demandons instamment à la Diète nationale du Japon de bien vouloir débattre et délibérer sur ces recommandations.
 
Recommandation 1:
Suivi de l’organisme de réglementation nucléaire par la Diète nationale
     Un comité permanent pour traiter des questions relatives à l'énergie nucléaire doit être établi à la Diète, afin de superviser les organismes de réglementation en charge de la sécurité publique. Ses responsabilités devraient être:
     1. Mener des enquêtes régulières et des audits sur les organismes de réglementation, les universitaires et les parties prenantes.
     2. Établir un organe consultatif comprenant des experts indépendants avec une vision globale pour mettre à jour les connaissances dont le comité a besoin dans ses transactions avec les régulateurs.  
     3. Poursuivre les enquêtes sur les autres questions pertinentes.
     4. Faire des rapports réguliers sur les activités des régulateurs et la mise en œuvre des recommandations.
 
Recommandation 2:
Réforme du système de gestion de crise
     Un réexamen fondamental du système de gestion de crise doit être engagé. Les limites qui séparent les responsabilités des autorités nationales et locales de celles des opérateurs doivent être claires. Cela comprend:
     1. Un réexamen de la structure de gestion de crise du gouvernement. Une structure doit être établie avec une chaîne de commandement consolidée et le pouvoir de faire face aux situations d'urgence.  
     2. Les autorités nationales et locales doivent assumer la responsabilité de la réponse aux émissions de radiations hors du site. Ils doivent agir avec la santé et la sécurité publique comme priorité.  
     3. L'opérateur doit assumer la responsabilité de gérer les accidents sur site, y compris l'arrêt des opérations, le refroidissement du réacteur et son confinement.
 
Recommandation 3 :
Responsabilité du gouvernement pour la santé publique et le bien-être
     En ce qui concerne les responsabilités de santé publique, les conditions suivantes doivent être mises en œuvre dès que possible:
     1. Un système doit être établi pour faire face aux effets à long terme sur la santé publique, y compris les maladies liées au stress. Le diagnostic médical et le traitement doivent être couverts par des fonds publics. L'information doit être diffusée pour assurer de façon prioritaire la santé et la sécurité publiques, plutôt que ce qui convient au gouvernement. Cette information doit être complète, afin que la population puisse prendre des décisions éclairées.
     2. La surveillance continue des points chauds et de la propagation de la contamination radioactive doit être gérée pour protéger les communautés et le public. Les mesures visant à empêcher toute propagation devraient également être mises en œuvre.
     3. Le gouvernement doit établir un programme détaillé et transparent de décontamination et de réinstallation et fournir des informations, qui permettent à tous les habitants d'être informés sur leurs possibilités d'indemnisation.

Recommandation 4:
Surveillance des opérateurs

     TEPCO doit opérer des changements fondamentaux ‒ y compris le renforcement de sa gouvernance ‒ orientés vers une culture d'entreprise qui privilégie la sécurité ; il doit modifier sa position sur la diffusion des informations et établir un système qui privilégie la gestion du site.
(suite)
suite:
     Afin d'éviter que la Fédération des compagnies électriques (FEPC) soit utilisée comme «voie de passage obligée» des négociations avec les organismes de réglementation, de nouvelles relations entre les compagnies d'électricité doivent également être établies: elles doivent privilégier les questions de sécurité, la supervision mutuelle et la transparence.
     1. Le gouvernement doit fixer des règles et divulguer les informations concernant ses relations avec les opérateurs.
     2. Les opérateurs doivent mettre en place une veille technologique croisée favorisant le maintien des normes de sécurité aux plus hauts niveaux internationaux.
     3. TEPCO doit opérer une réforme radicale de l'entreprise, incluant la gestion des risques, la gouvernance et la diffusion des informations ‒ la sécurité étant la seule priorité.
     4. Tous les opérateurs doivent accepter un organisme désigné par la Diète comme une autorité de surveillance de tous les aspects de leurs opérations, incluant la gestion des risques, la gouvernance, les normes de sécurité, avec le droit d'enquêter sur place.
 
Recommandation 5:
Critères du nouveau régulateur


     La nouvelle organisation du régulateur doit satisfaire aux conditions suivantes:
     1. L'indépendance.
     La ligne hiérarchique, l'autorité responsable, les procédures de travail doivent être : a) indépendantes des organisations gouvernementales, b) indépendantes des opérateurs et c) indépendantes des politiques.
     2. La transparence: a) Le processus de décision doit être indépendant des actionnaires des compagnies. b) Publier ces décisions est une nécessité absolue. c) Le comité doit garder les minutes des réunions avec les lobbies, les opérateurs des industries électriques et les organisations politiques et les rendre publiques. d) Le Parlement doit sélectionner, en dernière instance, les commissaires après avoir entendu les tierces parties.
     3. Le professionnalisme : a) Le personnel doit avoir des compétences reconnues et satisfaire aux normes internationales. Les programmes d'échanges et de rencontres avec d'autres régulateurs étrangers doivent être promus ; interactions et échanges au sein des ressources humaines doivent être multipliés. b) Un organisme de régulation comprenant un personnel compétent doit être établi. c) La règle du non retour doit être appliquée sans exception.
     4. La consolidation.
     Les fonctions des organisations, en particulier les communications d'urgence, la prise de décision et de contrôle, doivent être renforcées.
     5. La réactivité:
     Les organisations devraient se tenir au fait des dernières connaissances et technologies, et se soumettre à des activités de réforme en continu, sous la supervision de la Diète.
 
Recommandation 6 :
Réforme des lois relatives à l'énergie nucléaire

     Les lois concernant les questions nucléaires doivent être réformées en profondeur.
     1. Les lois existantes doivent être améliorées et réécrites afin de satisfaire aux normes internationales de sécurité et de protection de la santé publique et du bien-être.
     2. Les rôles des opérateurs et de tous les organismes gouvernementaux impliqués dans des activités d'intervention d'urgence doivent être clairement définis.
     3. Un suivi régulier et les mises à jour subséquentes doivent être mis en oeuvre afin de se conformer aux standards les plus élevés et aux dernières découvertes technologiques de la communauté nucléaire internationale.
     4. De nouvelles règles doivent être créées afin de : a) superviser les opérations de mise en conformité des vieux réacteurs, b) fixer les critères déterminant si les réacteurs doivent être démantelés.

Recommandation 7 :
Mise en en place d’un système de commissions d'enquête indépendantes

      Un système de nomination de commissions d'enquête indépendantes, incluant des experts venant surtout du secteur privé, doit être développé pour traiter des questions non résolues, incluant, entre autres, le processus de démantèlement des réacteurs, la gestion des combustible usés, l'atténuation des effets des accidents et la décontamination.

Traducteurs
Robert Ash, Gilles D., Guy Fargette, Pierre Fetet, Odile Girard, Marie-France Payrault-Gaber, Jean-Marc Royer, Catherine Thirion.
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