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N°276, mai 2015

LE NUCLÉAIRE VA-T-IL PÉRIR
À CAUSE DE FIRMES INCOMPÉTENTES?

La bataille de l’eau à Fukushima et le défi des juges
FUKUSHIMA LA BATAILLE DE L’EAU CONTAMINEE
D’après Le Monde et AFP.
Avril 2015

 
     I -Fukushima: vers un rejet de l’eau contaminée à la mer?
     Des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) vont revenir à la centrale accidentée de Fukushima en avril, à la demande des autorités nippones, en raison de nouveaux problèmes d’eau contaminée survenus après leur passage en février.
     Les spécialistes de l’organisation devaient prochainement compiler un rapport final à la suite de leur précédente mission, mais les avaries récentes constatées nécessitent des explications complémentaires, a jugé le ministère japonais de l’industrie.

     Des quantités importantes d’eau contaminée
     Les experts seront au Japon du 17 au 21 avril pour rencontrer des responsables nippons de l’Agence de l’énergie ainsi que de la compagnie géante du site, Tokyo Electric Power (Tepco). Ils se rendront aussi directement dans le complexe atomique Fukushima Daiichi ravagé par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011. Bien que des progrès aient été accomplis en vue du démantèlement, de très gros problèmes de gestion des quantités importantes d’eau contaminée sur le site demeurent.
     Depuis le dernier passage sur place des équipes de l’AIEA, qui avaient salué le travail réalisé cette dernière année, de nouveaux pépins ont eu lieu, comme des débordements importants d’eau de pluie, la découverte d’une mare d’eau dans un des bâtiments du site ou encore la contamination, certes temporaire mais importante, de l’eau d’un canal traversant le site et descendant vers l’océan Pacifique voisin.
     Le problème de l’eau est un des plus épineux qu’ait à traiter Tepco à Fukushima Daiichi. S’y mêlent des eaux d’arrosage, des eaux souterraines, des eaux de pluie, alors que toute cette masse liquide plus ou moins radioactive doit être gérée avec des moyens qui peinent à suivre.
     Rejet dans la mer?
     Plus de 1.100 réservoirs ont certes déjà été construits dans l’enceinte de la centrale, mais les quantités d’eau continuent quotidiennement d’augmenter. L’AIEA s’était déjà inquiétée du volume croissant stocké dans des citernes dont la fiabilité n’est pas assurée, jugeant que cette situation ne pourrait s’éterniser. Toutefois, à l’instar d’autres voix, l’agence internationale tend à penser qu’il n’y aura à terme pas d’autre solution que de rejeter en mer toute cette eau, après l’avoir expurgée autant que faire se peut des éléments radioactifs qu’elle contient. Les pêcheurs locaux, les pays voisins et les groupes environnementaux s’opposent d’ores et déjà tous à cette éventualité.

     II- Où sont les déchets de Fukushima?
     La bataille de la décontamination ne fait que commencer
     Depuis le 11 mars 2011, jour de la catastrophe, les fuites ne se comptent plus. Fin février encore, des éléments radioactifs étaient détectés dans un canal traversant le site et descendant vers la mer. "Quatre ans après, la bataille de la décontamination ne fait que commencer", admet Pierre Le Hir, journaliste au Monde. "La radioactivité demeure partout présente, dans les réacteurs éventrés comme dans les sous-sols gorgés d'eau qui continuent de souiller le Pacifique (300 tonnes d'eau contaminée par jour, NDLR)." En début de semaine, une nouvelle étape de pollution "post-Fukushima" fut d'ailleurs franchie: celle qui sépare le Japon de l'Amérique du Nord.
     Pour la toute première fois, des éléments radioactifs, comme le Césium 134, ont été détectés sur la plage d'Ucluelet, en Colombie Britannique (sud-ouest du Canada). Certes, les quantités sont actuellement marginales ("mille fois inférieure à la radiation reçue lors d'une radiographie dentaire", d'après Ken Buesseler, auteur des prélèvements), mais il faudra désormais suivre attentivement leur développement dans le milieu marin local, puisque la centrale ne cesse d'émettre des radionucléides (atomes radioactifs) dans le Pacifique et que ces particules radioactives devraient errer durant une dizaine d'années dans les océans.
     Si l'Amérique du Nord commence donc "seulement" à être victime du "plus important déversement accidentel d'agents contaminants radioactifs dans les océans au cours de l'histoire" - des niveaux de césium analogues devraient prochainement être mesurés sur la côte ouest des États-Unis, cela fait bien longtemps que les déchets issus de la tragédie nucléaire se répandent dans le monde entier.
     De la radioactivité en sachet
     À commencer, évidemment, par le Japon, où le grand nettoyage s'effectue notamment par l'entrepôt de nombreuses tonnes de déchets radioactifs dans des sacs en plastique, le long du littoral. En tout, on dénombre 75.000 sites de stockages provisoires. Une situation qui dure, mais ne peut s'éterniser. Le gouvernement japonais a récemment annoncé vouloir incinérer, à terme, 22 millions de m3 de ces végétaux radioactifs afin de s'en débarrasser.
     L'eau utilisée pour refroidir les réacteurs, 350 m3 d'eau douce par jour, demeure également problématique. Au contact du combustible nucléaire dégradé, elle se charge en radioéléments solubles (césium, strontium, antimoine, tritium...) et doit, du coup, être pompée et traitée consciencieusement avant d'être soit réintroduite dans le circuit de refroidissement, soit stockée dans des réservoirs, sur le site même.
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Tepco, l'opérateur en charge de la décontamination de la zone, assure cependant avoir trouvé un moyen de purifier 1.300 m3 d'eau quotidiennement, ce qui devrait permettre de limiter son stockage, estimé aujourd'hui à 600.000 tonnes.

     Restes humains et Harley Davidson dans l'océan
     Les suites de l'accident de Fukushima ne se limitent toutefois pas à la radioactivité "liquide". Le séisme et le tsunami ayant frappé la côte du Tōhoku en 2011 ont ainsi déversé quelque 5 millions de tonnes de détritus dans l'océan. La plupart ont directement coulé, mais environ 30% ont navigué (ou naviguent encore) dans le Pacifique.
     Dès l'hiver 2012, les plus "légers" ont atteint les États-Unis: filets de pêche, bouées, plastiques en tout genre, voire... restes humains (pas moins de 16.000 personnes furent portées disparues après la catastrophe). Huit mois plus tard, deux docks flottants en béton avaient gagné l'Oregon et l'État de Washington. Morceaux de bateaux, voiliers ou Harley Davidson n'ont pas tardé à s'échouer eux aussi sur les côtes américaines. Mais rarement en tir groupé.
     Il est effectivement rare que ces différents objets "accostent" en même temps. Les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l'agence américaine de l'océan et de l'atmosphère, montrent que les débris ne forment plus une masse unique, éclaire 20minutes.fr. "Depuis quatre ans, ils ont été dispersés dans le vaste océan Pacifique Nord", indique Sherry Lippiatt, coordinatrice régionale en Californie du programme sur les déchets marins de la NOAA. "Il est dès lors difficile de savoir combien flottent encore à la surface et où exactement. Beaucoup ont dû couler, se charger d'eau, et leur dispersion rend vaine toute observation par avion ou satellite."
     D'après les calculs des scientifiques, la contamination de la côte ouest de l'Amérique du Nord devrait atteindre son paroxysme en 2016.
     La "Grande zone d'ordures du Pacifique"
     Emportées par un courant circulaire qui part du Pacifique Nord, la majorité des épaves qui n'ont pas fini dans les fonds marins ou sur les plages nord-Américaines sont prises au piège dans un tourbillon situé entre Hawai et le Pacifique, appelé la "Grande zone d'ordures du Pacifique". "Ils pourraient y rester entre trente et quarante ans", confie Simon Boxall, océanologue britannique.
     Des risques alimentaires?
     Et puis, il y a les éventuels (? N. du webmaistre)  risques alimentaires. L'équation est assez simple: plus la "zone contaminée" s'étend, plus les animaux aquatiques ont de chances d'ingérer des éléments eux-mêmes infectés.
     Qu'il s'agisse de plastiques dégradés, au fil du temps, en microparticules facilement "avalables", ou d'isotopes radioactifs, tel le Césium 134 ou 137, qui se fixent par ailleurs sur le plancton, base de la chaîne alimentaire marine. Un phénomène loin d'être cantonné aux seules côtes japonaises: en 2013, des poissons contaminés au Césium avaient ainsi été retrouvés dans des supermarchés Suisses, alors qu'ils avaient été pêchés aux Philippines, soit à environ 4.000 kilomètres du sud du Japon.
     La consommation de ces poissons est-elle pour autant dangereuse pour l'homme?
     Difficile de répondre avec assurance. Ce qui est certain, c'est que les doses détectées sont extrêmement faibles, bien en dessous des normes: 0,4 becquerel par kilogramme, pour une limite fixée à 1.250 becquerels par kilogramme. Mais plusieurs experts rappellent qu'en matière de radioactivité, il n'y a pas de seuil d'innocuité, écrivait l'année dernière le Huffington Post français.

     III- Relance des réacteurs nucléaires au Japon: quand la justice s'en mêle (17-04-15 ROMANDIE.COM et THE KANSAI ELECTRIC POWER CO et ©AFP / 17 avril 2015 09h04)
     Tokyo - En décidant de bloquer la relance de deux réacteurs nucléaires du Japon, un tribunal nippon suscite de nombreuses questions sur le processus décisionnel déjà passablement compliqué en vigueur dans l'archipel, jugent les spécialistes.
     La décision ou non de réactiver les réacteurs nucléaires doit être fondée sur plusieurs aspects et, de facto, elle ne peut appartenir aux seules administrations et commissions d'experts, la justice aussi a son mot à dire, reconnaît le quotidien économique Nikkei.
     Mais c'est pour mieux insister sur les points d'interrogation que soulève le verdict d'une cour qui, mardi, à la demande de neuf citoyens, a estimé que les conditions n'étaient pas réunies sur le volet parasismique pour autoriser les unités 3 et 4 de Takahama (ouest) à être remises en exploitation.
     Le régulateur avait pourtant jugé en décembre et confirmé en février que ces deux réacteurs répondaient aux critères plus sévères imposés aux installations nucléaires pour faire face aux risques de catastrophes naturelles et d'accidents critiques, en tirant les leçons du désastre de Fukushima en 2011.
     - Sentence contre science -
     Le plus problématique, c'est que le tribunal réfute sur la foi de convictions subjectives, sans apporter d'éléments probants, ce que l'Autorité de régulation a validé à partir de données et investigations scientifiques, relève un expert du secteur, préférant garder  l'anonymat.
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     Voilà qui n'a pas échappé au président de ladite autorité, Shunichi Tanaka, selon qui il y a dans le texte du verdict beaucoup de conclusions qui reposent sur des incompréhensions.
     Il est difficile de dire que l'autorité a agi à la légère, comme le prétend le tribunal, alors même que ses équipes ont travaillé plus d'un an pour vérifier la conformité aux nouvelles normes durcies, relève l'expert cité plus haut.
     M. Tanaka répète quant à lui que les standards désormais appliqués au Japon sont sans doute les plus sévères au monde.
La sûreté est garantie sur la base de données scientifiques, se défend aussi la compagnie Kansai Electric Power qui a fait appel.
     En dernier ressort, il pourrait revenir à la Cour suprême de trancher.
     Les industriels, eux, ne commentent pas.
     Pour Hisayo Takada, l'un des représentants de la branche nippone de l'organisation écologiste Greenpeace, la décision du juge est la bonne: elle révèle l'échec de l'Autorité de régulation, dont le rôle est d'assurer la sécurité publique.
     Selon lui, l'intervention de la justice donne à cette instance statutairement indépendante une chance de réfléchir à nouveau et de reconsidérer son approche.
     Un refus de le faire minerait davantage la confiance du public dans la réglementation nucléaire du Japon, prévient-il.
     Pour les pro-nucléaires au contraire, c'est la judiciarisation du processus qui rend perplexe, d'autant que dans l'absolu, le cas pourrait se reproduire avec des conséquences potentiellement plus inquiétantes pour le gouvernement de Shinzo Abe, chantre de l'usage de l'atome.
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     - Risque de réaction en chaîne? -
     Un autre tribunal doit en effet s'exprimer le 22 avril sur le cas des réacteurs Sendai 1 et 2 (sud-ouest) pour lesquels les feux techniques et politiques sont au vert et un redémarrage quasi assuré durant l'été ou l'automne.
     Tant que ne seront pas impliqués des juges étranges comme Hideaki Higuchi (à l'origine de la décision de Takahama), ce genre de jugement irrationnel devrait être renversé, estime cependant l'essayiste Nobuo Ikeda.
     Cette décision entraîne néanmoins un autre débat: celui de l'équilibre entre la décision d'un juge avec ses opinions personnelles, face à une autorité indépendante qui agit sur la base de critères précédemment largement admis, sans compter le rôle des élus locaux et du gouvernement.
     Ce sujet dépasse largement la question nucléaire, mais touche à celle de la répartition des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et la justice, note un interlocuteur.
     Pour d'autres observateurs, si la justice s'en mêle, son jugement doit être global et ne pas s'arrêter au seul aspect de la sûreté mais englober aussi les questions économiques et environnementales, résume le Nikkei.
     Dans tous les cas, et quels que soient les critères appliqués par les Cours de première et deuxième instance, la décision sur Takahama est une pierre dans le jardin de M. Abe qui martèle depuis deux ans et demi que tous les réacteurs jugés sûrs par l'Autorité nucléaire seront relancés.
     En réalité, le Premier ministre peut certes dans l'absolu dire non à un redémarrage, mais n'a pas le pouvoir d'appuyer sur le bouton marche si le potentat local ou la justice en haut-lieu s'y oppose.
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