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N°279, mars 2016

40 ANS DU GSIEN ET DE LA GAZETTE NUCLEAIRE

Déchets radioactifs de très faible activité: la doctrine doit-elle évoluer?
Rapport IRSN/DG/2016-00002
Présenté à l’OPECST



    RESUME
    Alors que de vastes programmes de démantèlement vont être élaborés et mis en œuvre dans les prochaines décennies, le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires), qui constitue en France l’exutoire unique pour les déchets de très faible activité sera saturé à court terme. Selon l’IRSN, cette situation appelle à examiner au fond la politique actuelle de gestion de ces déchets, afin de la consolider par des évolutions raisonnées visant à la rendre à la fois plus pérenne, équitable et responsable.
    L’IRSN estime en effet que la reconduction à l’identique des modes de gestion actuels n’est pas nécessairement la solution optimale, et que la diversification des solutions de gestion est souhaitable dès lors qu’elle permet la minimisation et un partage équitable des risques et nuisances de toute nature induits par les modes de gestion envisageables et qu’elle favorise un usage de ressources mieux proportionnées au risque réel que présentent les déchets. Les choix d’évolution de doctrine ne pourront toutefois être valablement arrêtés que si la société civile y est pleinement associée. Il y a donc lieu de créer les conditions permettant de débattre des enjeux et des voies à explorer. A cet égard, l’IRSN considère que tous les aspects du sujet doivent être abordés, qu’il s’agisse des méthodologies techniques à mettre en œuvre pour caractériser les risques tant radiologiques que conventionnels associés aux modes de gestion, ou des questions éthiques pouvant découler par exemple de la définition de seuils radiologiques de gestion et d’un niveau de dose en deçà duquel les modes de gestion susceptibles de la délivrer, aujourd’hui comme dans le futur, pourraient être considérés comme «optimisés» et équitables.
    Sans que cela ne conduise à rejeter le dispositif actuel qui a acquis une bonne légitimité pour la gestion des déchets TFA* et qui reste pertinent pour une part notable de ces déchets compte tenu de leurs caractéristiques, les pistes d’évolution que l’IRSN propose d’examiner concernent en particulier le recyclage par fusion de métaux à valeur ajoutée et très peu radioactifs, le stockage des déchets les moins actifs dans certains centres conventionnels de stockage de déchets industriels et la limitation de production à la source des déchets, en libérant, au cas par cas et sur la base d’études d’impact, des sites très faiblement contaminés lorsque leur assainissement total présente des contraintes technico-économiques disproportionnées au regard des enjeux radiologiques.

    ANNEXE AU RAPPORT IRSN/DG/2016-00002
    1. Etat des lieux de la gestion des déchets TFA à l’étranger
    Les pratiques de gestion des déchets TFA dans un certain nombre de pays, notamment en Allemagne, aux Etats-Unis et en Suède, montrent une relative convergence de ces pratiques, qui pour une large part sont fondées sur la libération des déchets d’un encadrement réglementaire au titre de la radioprotection sous réserve de la démonstration préalable du respect d’une dose individuelle au public ne dépassant pas 10 microSv et d’une dose collective inférieure à 1 mSv/an, quels que soient les usages qui peuvent être faits de ces déchets.
* CATALOGUE DESCRIPTIF DES FAMILLES - INVENTAIRE ANDRA 2009 - Pour le GPMDR – ANCCLI - Résumé (.doc)
(suite)
suite:
    L’examen des pratiques montre qu’il existe deux options complémentaires de gestion des déchets (1) TFA, en conformité avec les dispositions de la directive européenne 2013/59/EURATOM:
    (i) leur recyclage et leur réutilisation, dans le domaine nucléaire ou conventionnel, avec la mise en place de seuils de libération ou d’objectifs de dose,
    (ii) leur stockage, dans un centre dédié ou conventionnel. Les politiques libératoires mises en œuvre concernent majoritairement deux types de déchets distincts: les métaux et les déchets inertes (gravats de béton, sols, etc.).
    Des éléments plus précis sur ces diverses pratiques sont donnés dans la suite de la présente annexe. Toutefois en première conclusion, l’IRSN relève de l’examen des pratiques que tous les pays ont mis en place des mécanismes de libération des déchets TFA sans que cela n’ait conduit à identifier d’incident significatif. Il est à cet égard intéressant de noter qu’au vu du bilan réalisé, les incidents sont principalement dus à la présence de sources radioactives issues du secteur du «nucléaire diffus» dans des ferrailles recyclées par des fonderies conventionnelles et ne sont pas liés aux politiques de libération des déchets TFA mises en œuvre à l’international.
    En outre, le recours à la libération inconditionnelle de ces déchets ne semble pas à ce jour susciter d’inquiétudes notables dans la plupart des pays qui ont fait l’objet de la présente analyse. Étant donné ce retour d’expérience, l’IRSN considère qu’il y a matière à instruire les conditions dans lesquelles certaines des dispositions mises en œuvre à l’international pourraient être appliquées en France.

    2 Valorisation
    2-1 Cas des métaux
    La valorisation des déchets TFA métalliques est possible en France par dérogation au code de la santé publique (article 1333-4) qui interdit l’addition intentionnelle de radioéléments dans les biens et les matériaux de consommation. Dans la pratique, celle-ci n’est quasiment pas mise en œuvre, hormis, très partiellement, dans la filière nucléaire. Ainsi, la plupart des matériaux métalliques TFA sont aujourd’hui stockés comme déchets ultimes.
    La seule valorisation actuellement mise en œuvre en France concerne la réalisation de protections radiologiques intégrées dans l’usine de CENTRACO (Marcoule), pour une quantité totale annuelle de l’ordre de 400 tonnes d’acier seulement.
    À ce stade, l’IRSN identifie quatre conditions nécessaires au développement de filières de valorisation des déchets métalliques TFA en France:
    - la sélection de matériaux/déchets, dont l’inventaire radiologique est maîtrisé: matériaux dont l’activité est répartie de manière suffisamment homogène pour être caractérisée de manière fiable et provenant d’installations dont l’historique de contamination est connu;
    - des débouchés conçus pour que ces filières soient rentables économiquement et socialement acceptables;
    - l’assurance que les produits issus de la valorisation des déchets TFA ne présentent pas d’enjeu radiologique, au sens où leurs niveaux d’activité sont suffisamment bas pour ne nécessiter aucune disposition de contrôle relatif à la radioprotection.
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    S’agissant de l’origine des déchets, il est identifié d’ores et déjà deux gisements de déchets métalliques présentant des caractéristiques intéressantes pour la valorisation: il s’agit des diffuseurs et de leurs circuits de l’usine d’enrichissement Eurodif (GB1) (environ 150.000 tonnes) et des générateurs de vapeur (GV) des centres nucléaires de production d’électricité (CNPE) d’EDF (part valorisable estimée à 100.000 tonnes), que ces GV soient remplacés au cours de la vie du réacteur ou déposés lors des opérations de démantèlement de ces réacteurs. Selon les informations recueillies, ces gisements pourraient permettre d’amorcer la mise en place d’une filière de valorisation de ces déchets. En outre, les producteurs estiment que 900.000 tonnes de déchets métalliques seront produits au total à l’issue du démantèlement des installations existantes.
    Toutefois, l’IRSN n’a pas à ce stade pu apprécier si les 650.000 tonnes supplémentaires constituent des gisements aisément valorisables, au regard des critères précités, qui contribueraient à la pérennisation d’une telle filière.
    À cet égard, l’IRSN suggère que des investigations soient systématiquement menées, par exemple lors des demandes de démantèlement, pour déterminer si d’autres gisements de déchets, présentant les caractéristiques requises pour leur valorisation, existent. Une collecte de ces données pourrait être réalisée dans le cadre du PNGMDR afin d’établir une vision d’ensemble des gisements de déchets valorisables.
    Par ailleurs, l’IRSN retient, de son examen des filières de valorisation mises en œuvre à l’international et notamment par la société Studsvik en Suède, les avantages d’un traitement par fusion, précédé le cas échéant d’un traitement de décontamination classique (grenaillage notamment), qui permet à la fois:
    - une décontamination par ségrégation de certains radioéléments dans des phases distinctes (bain, laitier, etc.);
    - et une caractérisation fiable du contenu radiologique des produits finis du fait de son caractère homogénéisant.
    D’autres solutions de valorisation des déchets métalliques sont mises en œuvre à l’international, et notamment la mise à disposition de déchets métalliques directement auprès de ferrailleurs après une étape de décontamination plus classique (traitement de surface). Si ces options sont techniquement envisageables du fait du faible risque radiologique associé aux déchets TFA, elles présentent toutefois moins de garanties en termes de caractérisation des déchets (possibilité de matériaux/matériels présentant des concentrations locales d’activité ou «points chauds»). En l’état, l’IRSN considère que ce type de pratiques n’est pas de nature à générer une confiance suffisante dans la maîtrise du risque radiologique. Aussi:
    l’IRSN suggère que la valorisation des déchets métalliques privilégie les procédés comportant une étape de fusion qui permet de fiabiliser, par homogénéisation, la caractérisation radiologique du produit en cours d’élaboration.
    Le développement en France d’une filière de valorisation nécessite que celle-ci soit suffisamment concurrentielle pour constituer une alternative économiquement viable au stockage des déchets et matériaux TFA au Cires dont le coût est relativement faible (500 €/m3 pris en charge environ). Le constat dressé par l’IRSN suite à ses investigations est que les volumes identifiés pour une éventuelle valorisation sont aujourd’hui trop importants pour bénéficier d’un recyclage dans le seul domaine du nucléaire, mais néanmoins trop faibles pour pouvoir faire l’objet d’une valorisation dans une installation de recyclage dédiée aux seuls déchets radioactifs relevant de la catégorie TFA. Aussi, l’institut estime, suite notamment à l’examen des pratiques mises en place sur l’installation de fusion exploitée par la société Studsvik en Suède, que la pertinence économique d’une filière de valorisation par fusion en France ne peut s’affranchir du mélange du métal TFA dans un flux de métal conventionnel afin, d’une part de fournir des débouchés suffisants au métal traité, d’autre part d’obtenir la qualité métallurgique nécessaire aux usages futurs.
(suite)
suite:
    Aussi, si l’IRSN adhère au principe que les caractéristiques radiologiques permettant d’accéder à la valorisation des métaux TFA ne doivent pas être obtenues par dilution préalable des matériaux concernés, il observe que la mise en place d’une filière de recyclage rentable impose, à une ou plusieurs étapes données de la valorisation, une forme de mélange des métaux issus du nucléaire avec ceux d’autres origines s’il doit y avoir des débouchés extérieurs pour cette filière.
    L’IRSN rappelle qu’il partage l’essentiel des conclusions des récents travaux du PNGMDR qui ont porté sur les possibilités de valorisation des déchets TFA mais qu’il émet des doutes sur le fait qu’une filière de valorisation opérationnelle puisse réellement être mise en place s’il n’est pas possible de considérer une modification du cadre réglementaire existant permettant notamment le recours à des seuils de libération, et de limiter les exigences de traçabilité notamment, moyennant le respect des principes guidant la démarche ALARA et assurant le caractère équitable des solutions envisagées.
    Au vu des éléments rassemblés, l’IRSN considère en effet que l’exigence d’une traçabilité trop contraignante des métaux TFA recyclés, notamment après de multiples usages, serait de nature à condamner de fait une filière de valorisation des déchets TFA de par sa complexité de mise en œuvre, des coûts associés, et de l’image induite pour les produits. Il estime par ailleurs, s’agissant de la remise dans le domaine public des produits issus du recyclage, qu’un examen au cas par cas de la possibilité de libération des métaux serait probablement trop complexe, étant donné les nombreux usages possibles à l’issue du recyclage, et inutilement coûteux. En outre, il apparaît souhaitable qu’une règle générique commune soit appliquée pour déterminer les critères radiologiques que doivent respecter les produits recyclés. À cet égard, l’IRSN rappelle que des seuils internationaux de libération sont fixés par la directive 2013/59/Euratom. Ces seuils constituent, à ce stade, une référence pour déterminer des niveaux d’activité à même de garantir l’absence d’enjeu radiologique associé aux matériaux recyclés.
    En conséquence, l’IRSN suggère, pour les déchets métalliques valorisables, de poursuivre les travaux engagés en examinant la possibilité d’assouplir les exigences de traçabilité associées au cycle de vie du produit valorisé et d’instaurer l’usage de seuils de libération inconditionnelle, conformes à ceux fixés par la directive 2013/59/Euratom, pour la gestion des produits issus de la valorisation des métaux, afin de faciliter la mise en œuvre effective d’une politique de valorisation des métaux de très faible activité.
    L’IRSN ne mésestime pas qu’un des freins à la valorisation de déchets métalliques concerne la crainte de la société civile d’introduction de radioactivité artificielle dans les biens de consommation courante et en particulier d’absence de maîtrise des caractéristiques radiologiques des matériaux recyclés. Cette crainte est également de nature à limiter les débouchés des produits issus de la valorisation, les entreprises concernées (fonderies conventionnelles notamment) pouvant être soucieuses de l’impact éventuel de ce recyclage sur leur image. Ainsi,  les orientations prises aujourd’hui consistent à privilégier le recyclage des déchets valorisable dans le domaine du nucléaire. Bien que cette option puisse faciliter l’acceptation sociale du recyclage, l’IRSN rappelle que les débouchés offerts par le secteur nucléaire ne sont pas suffisants pour qu’une filière rentable puisse être mise en place. Il semble donc indispensable d’approfondir la réflexion sur l’identification des usages des produits recyclés qui pourraient être industriellement et socialement acceptables en dehors du secteur nucléaire. À cet égard, il semble possible, sans exiger une traçabilité lourde des matériaux recyclés, de faire en sorte que leur valorisation s’effectue dans des secteurs produisant des objets qui ne peuvent être que rarement au contact direct de la population (rails, fers à béton par exemple).
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    2-2 Cas des bétons
    Le potentiel de valorisation des bétons issus notamment des opérations de démantèlement apparaît faible à ce jour. Une option de valorisation envisagée par l’Andra est l’utilisation de bétons concassés sous forme de graves pour combler les interstices entre les colis de déchets au Cires (économie annuelle de 2.000 m3 selon l’Andra). Une autre option pourrait être le comblement des infrastructures suite aux opérations de démantèlement et d’assainissement d’installations.
    Une telle solution de gestion appliquée sur les sites en démantèlement pourrait représenter un moyen d’économiser un nombre important de transports. Associée à une étude d’impact adaptée, cette option de gestion ne présenterait pas d’enjeu radiologique dès lors que la bonne caractérisation des déchets est garantie. Aussi:
    l’IRSN suggère que soient poursuivies, par exemple lors des demandes de décret de démantèlement, des investigations en vue d’une valorisation des gravats sur les sites en démantèlement. Ces éléments pourraient être recensés et collectés dans le cadre du PNGMDR afin de disposer d'une vision d’ensemble des options de valorisation des bétons et des gisements valorisables associés.
    Ces investigations devraient être accompagnées d’une réflexion sur les dispositifs de mesure qu’il est possible de mettre en place afin de déterminer avec un haut niveau de confiance les caractéristiques radiologiques des matériaux valorisés.

    3. Solutions de stockage alternatives
    Ainsi qu’il vient d’être indiqué, le potentiel de valorisation des gravats apparaît faible à ce jour; celui des déchets industriels banals nul. De la même manière, il convient de noter qu’une partie des déchets métalliques ne pourra faire l’objet d’une valorisation du fait de leur contenu radiologique ou des moyens à mettre en œuvre pour les caractériser, trop importants au regard de la quantité limitée de métal valorisable. En conséquence, un volume important de déchets devra continuer d’être stocké. Toutefois, l’IRSN observe qu’une part notable des déchets TFA stockés aujourd’hui au Cires ne présente qu'un niveau de radioactivité extrêmement faible (déchets dits de très très faible activité: TTFA), voire nul. C’est le cas, selon l’Andra, de 30% à 50% des déchets TFA produits. Les niveaux de radioactivité que présentent ces déchets sont généralement inférieurs aux seuils de libération utilisés dans d'autres pays. L’IRSN estime que le stockage de ce type de déchets au Cires, qui est dédié à l’accueil de déchets radioactifs, consomme inutilement sa capacité, notamment dans un contexte de saturation du Centre. En conséquence, l’IRSN suggère la recherche de solutions alternatives de stockage pour les déchets TTFA.
    S’agissant des stockages conventionnels, l’IRSN observe que les installations de stockage des déchets dangereux (ISDD) sont de conception similaire au Cires, à savoir:
    - des alvéoles creusées dans une argile peu perméable;
    - une géo-membrane étanche qui tapisse le fond et les parois des alvéoles;
    - une couche draînante permettant la reprise des lixiviats.
    Les déchets y sont stockés en vrac dans les alvéoles (absence de colisage) et peuvent, si la stabilité de l’ensemble ou leur résistance à la lixiviation l’exigent, être immobilisés dans un coulis de béton. Leur traçabilité s’effectue donc alvéole par alvéole (et non par colis comme au Cires). Seize installations de ce type sont exploitées sur l’ensemble du territoire français.
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Il faut en outre souligner que quatre d’entre elles acceptent d’ores et déjà en stockage des déchets de type RNR (radioactivité naturelle renforcée). L’acceptation des déchets RNR dans ces installations est établie sur la base d’une étude d’impact démontrant que leur stockage n’implique pas une exposition des travailleurs du site et de ses riverains supérieure à la limite de dose de 1mSv/an. L’IRSN considère que le niveau de protection tant pour le public que pour l’environnement offert par une installation de type ISDD est globalement équivalent à celui offert par le Cires et ne voit donc pas d’obstacle technique au stockage de déchets de très faible activité dans de telles installations.
    L’IRSN rappelle toutefois que le Cires reste une installation d’importance majeure dans les dispositifs de gestion des déchets TFA qui présentent une activité nettement supérieure aux seuils de libération. À cet égard, la plus-value offerte par le Cires par rapport à un centre de stockage conventionnel réside dans le savoir-faire de l’Andra et le retour d’expérience qu’elle possède sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs. Aussi, dans cette perspective, l’IRSN estime que le Cires doit être réservé au stockage des déchets TFA présentant un réel enjeu radiologique ou ceux dont les incertitudes sur le contenu radiologique sont les plus importantes.
    Concernant les autres options de stockage possibles, l’IRSN note l’alternative en cours d’exploration par l’Andra concernant la possibilité de créer une filière de stockage pour les déchets inertes les moins actifs, qui techniquement s’apparenterait aux installations de stockage de déchets conventionnels non dangereux (ISDND).
    Une telle alternative pourrait être mise en œuvre sur des sites de démantèlement et/ou sur des sites de regroupement régionaux selon l’Andra. L’IRSN observe que, si cette alternative est techniquement envisageable du fait du faible risque radiologique associé aux déchets TTFA, elle présente moins de garanties en termes de dispositions de protection (étanchéité des barrières notamment) que les ISDD et semble a priori moins à même de susciter la confiance de la société civile. En outre, ainsi qu’indiqué précédemment, certains exploitants d’ISDD possèdent un certain retour d’expérience sur le stockage de déchets de type RNR. Enfin, l’IRSN n’est pas favorable au stockage systématique sur site des déchets TFA notamment dans la mesure où il considère que le principe de séparation entre le producteur de déchets et l’exploitant du stockage doit être conservé.
    Compte tenu de cet ensemble d’éléments:
    l’IRSN suggère d’explorer la possibilité de stocker des déchets TTFA dans des installations de stockage de déchets conventionnels et considère que, parmi celles-ci, les installations de type ISDD sont les plus à même de constituer une solution alternative de stockage acceptable pour la société civile.
    S’agissant des caractéristiques radiologiques des déchets qui pourraient être stockés dans ces installations conventionnelles, deux options se présentent pour les déterminer: la définition de seuils génériques autorisant la libération «conditionnelle» de ces déchets ou l’établissement de critères d’acceptation, site par site, basées sur une étude de sûreté et d’impact.
    La mise en œuvre d’une politique de libération conditionnelle avec usage de seuils pour l’acceptation des déchets dans des stockages conventionnels impose de réaliser:
    - un tri des déchets sur la base de leur provenance, notamment de l’historique de leurs installations d’origine, et de leurs caractéristiques physico-chimiques et radiologiques;
    - une caractérisation radiologique systématique, fiable et industrialisable des déchets concernés.
    Une telle politique implique en conséquence la mise en place de moyens métrologiques lourds.
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    L’autre solution correspond à celle pratiquée actuellement par l’Andra pour ses centres de stockage: c’est-à-dire la définition de spécifications d’acceptation des déchets sur la base d’une étude de sûreté et d’impact. Cette solution présente l’avantage d’être moins contraignante eu égard à la mesure systématique des déchets concernés (déclaration de l’activité contenue avec vérification par sondage), mais oblige l’exploitant du centre de stockage conventionnel à mettre en place un système de gestion et d’acceptation des déchets plus complexe que ce qui relève de sa pratique usuelle.
    L’IRSN, à ce stade, n’est pas en mesure de se prononcer en faveur de l’une ou l’autre des alternatives en l’absence notamment d’éléments suffisamment précis sur les moyens métrologiques à mettre en œuvre dans le cas d’une politique de libération avec usage de seuils. Aussi:
    l’IRSN suggère la poursuite et l’approfondissement des études visant à l’industrialisation de procédés fiables de caractérisation (en particulier radiologique) et de tri des déchets TTFA.
    En tout état de cause, l’institut considère que, pour être susceptible d’être une solution acceptée par les différentes parties prenantes, il devra être démontré que le stockage conventionnel des déchets TTFA conduit, pour les scénarios envisageables, à des expositions très faibles et en tout état de cause correspondant à un niveau de protection au moins équivalent à celui du CIRES. A cet égard, l’IRSN estime important, en application du principe d’optimisation (ALARA) et pour assurer la cohérence du point de vue de la radioprotection de l’ensemble des options de gestion des déchets TFA envisageables, de définir un niveau de dose en deçà duquel les modes de gestion susceptibles de les délivrer, aujourd’hui comme dans le futur, pourraient être considérés comme «optimisés» c’est-à-dire qu’une réduction supplémentaire de dose par rapport à ce niveau entraînerait des coûts et risques conventionnels induits injustifiés.

    4. Limitation de la production des déchets
    Les perspectives de production de déchets TFA peuvent être difficiles à cerner. L’inventaire national des matières et déchets radioactifs a ainsi mis en évidence une perspective croissante de production et donc de besoin de stockage de déchets TFA. Les quantités totales estimées de déchets TFA à produire ont presque doublé en moins de 10 ans (de 1.176.000 m3 en 2006 à 2.200.000 m3 en 2015).
    Afin d’éviter une augmentation excessive du volume de déchets TFA produits, L’IRSN rappelle qu’une optimisation du zonage déchets permettant de limiter la production de déchets lors d’un démantèlement est possible dans le cadre de la politique de déclassement du zonage nucléaire. En effet, cette dernière permet le déclassement de certains locaux de «zone à production possible de déchets nucléaires» en «zone à déchets conventionnels» avant leur démantèlement, sous réserve de démontrer l’absence de contamination ou d’activation de ces locaux sur la base de son historique de fonctionnement (absence d’incident notamment), confirmée par des mesures radiologiques. Toutefois, l’IRSN relève que cette politique n’est, semble-t-il, que peu mise en œuvre par les exploitants. Aussi:
    l’IRSN suggère que la possibilité d’optimiser le zonage déchet soit systématiquement étudiée lors des demandes de démantèlement afin de limiter la production de déchets TFA.
    La doctrine actuelle préconise une élimination de toute radioactivité artificielle résiduelle à l’issue des opérations de démantèlement et d’assainissement. Selon ses modalités d’application, cette exigence peut conduire à une très forte augmentation des volumes de déchets inertes TFA (gravats, terres). Ainsi, certains exploitants estiment que des niveaux d’assainissement visant à atteindre l’activité la plus faible techniquement décelable pourraient multiplier les volumes de déchets TFA par un facteur qui pourrait atteindre 20.
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    Dans la pratique, l’IRSN considère que les doctrines en matière de gestion des sites potentiellement pollués par des substances radioactives (ASN, MEDDE, IRSN) et d'assainissement des installations nucléaires de base en France (ASN) constituent un cadre adéquat pour ces opérations à la condition que le retrait de toute l’activité radiologique des sites et bâtiments n’entraîne pas:
    - la production d’un volume disproportionné de déchets TTFA;
    - des risques conventionnels supplémentaires pour les travailleurs;
    - un surcoût déraisonnable dans un contexte économique difficile;
    - des nuisances importantes (transport notamment).
    Dans les cas où ces conditions ne sont pas respectées, l’IRSN estime justifiée la mise en œuvre, au cas par cas, d’une politique de libération des sols et bâtiments concernés d’un encadrement réglementaire au titre de la radioprotection. Une telle démarche pourrait s’inspirer des modalités de gestion des bâtiments contaminés au radium, où une activité radiologique artificielle résiduelle peut être laissée à l’issue d’un assainissement, sous réserve que les scénarios d’usage les plus pénalisants du bâtiment (travaux touchant aux structures présentant un marquage résiduel notamment) n’impliquent pas une exposition supérieure à une valeur de dose donnée (en l’occurrence, dans ce cas, la limite de dose de 1 mSv/an fixée par le code de la santé publique pour les membres du public). Comme précédemment cité, la définition d’un niveau de dose servant de référence en pour apprécier le bien-fondé, du point de vue du respect du principe ALARA, de la libération de sites ou bâtiments est, selon l’IRSN, nécessaire pour soutenir l’établissement d’une telle politique. En outre, l’IRSN estime indispensable que les études conduites pour examiner la possibilité de remettre dans le domaine public un site ou un bâtiment, objectif qui apparaît souhaitable plutôt que d’assortir leur usage de servitudes diverses, reposent sur une méthodologie précise et cohérente de caractérisation radiologique des sites et bâtiment concernés, applicable à l’ensemble des cas, ainsi que sur une définition commune des scénarios d’usage à retenir dans les études d’impact dosimétrique.
    Dans le cadre de l’assainissement des bâtiments et des sols pollués et dans les cas où l’application des doctrines actuelles présente des contraintes technico-économiques déraisonnables au regard des enjeux radiologiques, l’IRSN suggère la mise en œuvre d’une politique de libération des lieux du site sur la base d’études d’impact site par site.
    Ces études d’impacts devraient être menées à partir des scénarios d’usage des sols et bâtiments concernés, avec pour finalité la libération du site sans autre servitude que celle de mémoire, et être fondées sur une méthodologie unifiée, c’est-à-dire applicable à l’ensemble des cas pouvant se présenter, afin de garantir la cohérence des méthodes de caractérisation mises en œuvre ainsi que celle des scénarios d’usage retenus.

notes
1. Il faut souligner que dans cette appellation, le terme déchet recouvre à la fois des déchets ultimes mais aussi des matériaux qui peuvent faire l’objet d’une valorisation.

    COMMENTAIRE GAZETTE
    Il est évident que le démantèlement des divers réacteurs est inéluctable. À ce moment-là, les générations futures devront s’en occuper. Y penser dès maintenant n’est pas idiot: on pourrait réduire le nombre de réacteurs à ce que nous sommes capables de traiter et éviter de grossir les tas.
    Ce que propose l’IRSN une révision des modes de gestion, mais la valorisation est certes tentante, mais difficile à mettre en œuvre.
    La caractérisation des déchets au plan chimique est indispensable  et on ne doit pas seulement considérer la radioactivité.
    De toute façon il n’y a pas en France de seuil de libération et c’est mieux. Bien sûr cela augmente le nombre de conteneurs de déchets, mais évite la tricherie. Qui sera capable de surveiller tous les producteurs et leurs déchets?
    C’est parce que ce fut totalement bafoué qu’il n’y a pas, en France, de seuil de libération. Peut-on avoir plus confiance en 2016.
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