septembre 2017 • Monique Sené

Commentaire sur le projet
« Avis n° 2017-AV-XXX de l’Autorité de sûreté nucléaire du XXX relatif à l’anomalie de la composition de l’acier du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de la centrale nucléaire de Flamanville (INB n° 167) »
Monique Sené - GSIEN

Le projet d’avis soumis à consultation du public depuis le 10 juillet 2017 est surprenant. L’Autorité de sûreté s appuie certes sur le code de l’environnement, puis sur des textes encadrant les équipements nucléaires sous pression.

Vu le code de l’environnement, notamment ses articles L. 557-4 à L.557- 6 et R. 557-1-3 ;

Vu l’arrêté du 10 novembre 1999 modifié relatif à la surveillance de l'exploitation du circuit primaire principal et des circuits secondaires principaux des réacteurs nucléaires à eau sous pression ;

Vu l’arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression nucléaires, notamment son article 9 et son annexe I ;

Le choix des textes retenus dans le cadre de ce projet d’avis en dit long sur les objectifs visés par l’Autorité de contrôle. Si l’arrêté du 10 novembre 1999 est cité, le texte ne mentionne ni l'arrêté du 21 décembre 1999 relatif à la classification et à l'évaluation de la conformité des équipements sous pression, ni l’Arrêté du 12 décembre 2005 relatif aux équipements sous pression nucléaires au regard desquels la cuve de l’EPR ne répond pas aux critères et donc pour laquelle tous les contrôles ont été défaillants.

Vu le rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire référencé CODEP-DEP-2015- 037971 –IRSN/2015-00010 du 30 septembre 2015 relatif à l’analyse de la démarche proposée par Areva NP pour justifier de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;

Vu la lettre de l’Autorité de sûreté nucléaire référencée CODEP-DEP-2015-043888 du 14 décembre 2015 relative à sa position sur la démarche de justification de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve de l’EPR de Flamanville ;

Vu la note de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire référencée CODEP-DEP-2016-019209 –IRSN/2016-00005 du 17 juin 2016 relative à un point d’étape sur la démarche proposée par Areva NP pour justifier de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;

Vu le courrier de l’Autorité de sûreté nucléaire à Areva NP référencé CODEP-DEP-2016-031435 du 26 septembre 2016 relatif à un point d’étape sur la démarche de justification de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;

Vu le rapport de l’Autorité de sûreté nucléaire et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire référencé CODEP-DEP-2017- 019368 –IRSN/2017-00011 du 15 juin 2017 relatif à l’analyse des conséquences de l’anomalie des calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville sur leur aptitude au service ;

Cette liste est bizarre l’ASN s’appuie sur sa réponse apportée à EDF et Areva NP suite à ses demandes de contrôles et autres vérifications, contrôles qu’elle n’a pas suivi, mais qui furent confiés à des laboratoires « indépendants ». On ne refait pas l’historique de la découverte des falsifications des forges contrairement aux demandes du HCTISN. Dans son avis de juin 2017, il était souligné que l’avis devait contenir tous les éléments explicatifs sur comment on pouvait se trouver dans une situation où la cuve de l’EPR ne répond pas au premier critère de la défense en profondeur à savoir conception parfaite et réalisation parfaite. Or L’ASN ne cite pas les demandes se rapportant au programme d’essais proposé et réalisé par le fabricant avec le souci de justifier en réalité la capacité de l’EPR à fonctionner et ce malgré le fait que les calottes de la cuve n’ont pas les caractéristiques requises.

Par contre les autres documents du printemps 2015 qui accablaient AREVA pour manque de contrôle et acceptation d’une cuve non conforme (en particulier une note du 8 avril 2015 n’est pas citée dans l’avis). Compte tenu de la remarque à propos de l’article 9 de l’arrêté du 30 décembre 2015, laissant entrevoir que AREVA pourrait engager une procédure de dérogation, ce qui, pour le moment ne s’est pas encore réalisé.

Mais la position de l’ASN est curieuse. Elle cherche à proposer une justification dérogatoire à l’issue du programme d’essais mis en œuvre par l’exploitant, certes à sa demande, mais sans qu’elle en suive vraiment la réalisation, et a priori, il est affirmé que les défauts constatés n’affectant sa tenue (selon Areva et les 31 experts sauf 2 –voir l’annexe citée ci-après) , elle pourrait rester en place sans menacer la sûreté de l’installation et pourtant ces lingots auraient dû être refusés car la cuve n’est conforme parce que AREVA avait fait le choix d’un nouveau lingot et la forge ne pouvait pas le travailler. L’ASN joue avec le feu, en acceptant de violer la réglementation pour permettre le démarrage de l’EPR. Comme il est possible de changer cette cuve même si cela prendra au moins 7ans (selon les présentations AREVA). On ne peut pas pour des raisons de sûreté rejeter cette option quelque qu’en soit le coût : la cuve ne doit pas être acceptée car elle n’est pas conforme et en conséquence l’exclusion de rupture ne peut pas être garantie.

In fine toutes ces pièces et documents cités conforte l’ASN dans son suivi, mais il manque les réponses AREVA et EDF pour que le citoyen puisse s’exprimer.

L’ASN continue en présentant les échanges et les diverses notes

Vu la note technique du fabricant de la cuve du réacteur EPR de Flamanville, Areva NP, référencée D02-PEEM-F-15-0368 dans sa révision B du 31 juillet 2015 relative à la démarche de justification du couvercle et du fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;

Vu la note technique d’Areva NP, référencée D02-PEEM-F-16-0260 dans sa révision A du 20 mai 2016 relative à la méthodologie générale permettant la démonstration de la satisfaction des critères mécaniques pour les calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ;

Vu le dossier technique transmis par Areva NP à l’Autorité de sûreté nucléaire le 16 décembre 2016, mis à jour par la suite, et notamment la note technique référencée D02-ARV-01-104-503 dans sa révision B du 27 avril 2017 relative à la justification de la ténacité suffisante des calottes du fond et du couvercle de la cuve de l’EPR de Flamanville ;

Vu les engagements pris par Areva NP, transmis à l’Autorité de sûreté nucléaire par courrier référencé ARV-DEP-00755 du 6 juin 2017 ;

Vu les engagements pris par l’exploitant Électricité de France (EDF), transmis à l’Autorité de sûreté nucléaire par :

  • courrier référencé D458517029486 du 6 juin 2017 relatif au suivi en service du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville,
  • courrier référencé D458517029054 du 6 juin 2017 relatif au programme de suivi du vieillissement thermique,
  • courrier référencé D458517029531 du 6 juin 2017 relatif au caractère exhaustif de la liste des situations de choc thermique sur les calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville et,
  • courrier référencé D458517030291 du 9 juin 2017 relatif au suivi en service du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville

Pour un document émanant de l’ASN, Il est curieux qu’il n’y ait pas de rappel réglementaire, mais une liste de documents et courriers du maître d’ouvrage de l’EPR EDF, et de l’industriel concepteur du projet AREVA.

Le projet d’avis de l’Autorité de sûreté complète ces références réglementaires par une longue liste de documents et de courriers du maître d’ouvrage de l’EPR de Flamanville et de son partenaire industriel qui a fabriqué la cuve, AREVA.

C’est surprenant, car une note technique même engageant EDF ou AREVA n’est pas un courrier de position de l’ASN ou un texte réglementaire de l’Etat.

Normalement l’ASN aurait dû publier les documents EDF et AREVA et son interprétation des dits documents. L’ASN fonde donc son avis sur des échanges ASN, AREVA, EDF dont le contenu reste inconnu. Comment les citoyens peuvent-ils prendre position ?

Le HCTISN avait mis en garde : Les citoyens doivent avoir accès à la documentation et celle-ci doit être rédigée en langage compréhensible

Et voici la fin des « Vu »

Vu l’avis et les recommandations du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires du 30 septembre 2015 référencés CODEP-MEA-2015-040055 du 1er octobre 2015 ;

Vu les observations du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires référencées CODEP-MEA-2016-027702 du 7 juillet 2016 ;

Vu l’avis du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires du 27 juin 2017 relatif aux conséquences de l’anomalie de concentration en carbone des calottes de la cuve du réacteur EPR de Flamanville sur leur aptitude au service ;

Vu l’avis du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques du XXX ;

Vu les observations d’Areva NP transmises par courrier référencé XXX du XXX ;

Vu les observations d’EDF transmises par courrier référencé XXX du XXX ;

Vu les résultats de la consultation du public réalisée du XXX au XXX ;

Les 26 et 27 juin 2017, le groupe permanent d’experts de l’ASN a, sans grande surprise, validé l’analyse réalisée par l’ASN et l’IRSN des données transmises par AREVA et apporté une «caution technique» au projet de d’avis soumis aujourd’hui au public.

Pour autant, l’avis du 27 juin 2017 présente une spécificité qui n’es( pas signalé par l’ASN. Les Groupes permanents fonctionnent par consensus et pour une fois 2 experts sur les 31 présents ont exprimé une position de refus face aux certitudes de l’industrie nucléaire. Cette «position minoritaire» pointe les incertitudes qui existent encore suite aux essais réalisés par Areva.

Annexe de l’avis GP du 27 juin 2017
Avis minoritaire de MM. Marignac et Autret

Les éléments produits par Areva NP pour justifier de l'aptitude au service de la cuve, bien qu'ils soient conformes à la démarche attendue et malgré les efforts apportés à la profondeur de la caractérisation du matériau, à l'exhaustivité des situations envisagées et au conservatisme des hypothèses, montrent que les marges que présentent les propriétés mécaniques du matériau en zone ségrégée vis-à-vis de la prévention du risque de rupture brutale de la cuve sont significativement réduites par rapport aux propriétés attendues en l’absence de ségrégation majeure.

Le non-respect de l'exigence de qualification technique de la cuve constitue une atteinte inédite, par sa nature et par son contexte, du premier niveau de la défense en profondeur. L’excès de confiance, le caractère tardif de la détection des ségrégations et le choix industriel de mener l’installation de la cuve à son terme avant de procéder à leur caractérisation constituent des éléments aggravants de cette atteinte au principe fondamental de défense en profondeur.

La situation qui en résulte ne trouve pas de réponse simple sur le plan réglementaire, qui n’offre pas les références nécessaires pour apprécier dans ce contexte l’acceptabilité des pièces concernées, et débouche de ce fait sur une procédure dérogatoire dont le résultat constituera, au-delà de la résolution de ce dossier, une jurisprudence durable.

Les éléments apportés sur le suivi en service ne constituent pas des mesures effectivement compensatoires, dans le sens où ils visent à surveiller les phénomènes redoutés dans le contexte de ces propriétés dégradées, et non à restaurer par des mesures en exploitation tout ou partie des marges perdues au niveau de la conception et de la fabrication. En conséquence, le caractère suffisant de la tenue mécanique de la cuve ne suffit pas à atteindre un niveau de sûreté satisfaisant au sens de la défense en profondeur.

Cette conclusion doit être mise en regard de la possibilité ou non de remplacer les éléments ségrégés avant l'éventuelle mise en service de la cuve. À cet égard, bien que le Groupe permanent n’ait pas été saisi sur cette question, il est important de souligner que les éléments du dossier remis par Areva semblent indiquer que le remplacement du couvercle et du fond de cuve reste à ce stade techniquement possible.

Et l’ASN termine avec les « Considérant »

Considérant que la cuve du réacteur EPR de Flamanville est soumise aux exigences essentielles de sécurité de l’annexe I de l’arrêté du 30 décembre 2015 susvisé, notamment celle de la qualification technique ;

Considérant que les essais réalisés dans le cadre de la qualification technique des calottes du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont mis en évidence le fait que ces composants n’ont pas les caractéristiques requises initialement lors de la conception par le fabricant ;

Considérant que cette anomalie est due à la présence d’une zone de ségrégation majeure positive résiduelle du carbone qui n’a pas été suffisamment éliminée par le procédé de fabrication retenu par Areva NP ;

Considérant que le risque d’hétérogénéité dû aux ségrégations majeures positives résiduelles du carbone, phénomène métallurgique connu, a été mal apprécié et ses conséquences mal quantifiées par Areva NP, alors qu’il existait des techniques disponibles permettant de s’affranchir de ce risque ;

Considérant qu’en conséquence l’exigence de qualification technique mentionnée au point 3.2 de l’annexe I de l’arrêté du 30 décembre 2015 susvisé n’est pas respectée, qu’Areva NP n’a pas suffisamment tenu compte de l’état d’avancement de la technique et de la pratique au moment de la conception et de la fabrication ;

Les premiers considérants font référence à l’annexe I de l’arrêté du 30 décembre 2015 autorisant le dépôt d’une demande de dérogation. Or, l’ASN dénonce un non-respect par AREVA des exigences essentielles de sûreté et de sécurité applicables aux équipements sous pression nucléaires...

Comme le fabricant Areva n’a pas pu «assurer que les composants fabriqués dans les conditions et selon les modalités de la qualification auront les caractéristiques requises », on est donc bien en présence d’une cuve non conforme.

Si l’ASN n’insiste pas sur les causes et les origines pourtant graves et sérieuses des ségrégations majeures positives résiduelles en carbone présentes sur les deux calottes de la cuve, elle insiste sur les conséquences réglementaires de ces irrégularités : « l’exigence de qualification technique mentionnée au point 3.2 de l’annexe I de l’arrêté du 30 décembre 2015 susvisé n’est pas respectée »

Ce faisant l’ASN adopte un parti pris réglementaire pour le moins curieux. Plutôt que fonder son avis sur les arrêtés de 1999 et de 2005 relatifs aux équipements sous pression nucléaire, elle ne retient que le défaut de qualification technique pour déterminer le caractère irrégulier de la cuve.

Or de fait cette cuve est un équipement essentiel qui ne correspond pas au requis en termes de résistance et de structure et donc la sûreté ne peut être garantie.

Suite des « Considérant

Considérant qu’Areva NP envisage de transmettre à l’Autorité de sûreté nucléaire une demande d’autorisation de mise en service et d’utilisation de la cuve du réacteur EPR de Flamanville au titre de l’article 9 de l’arrêté du 30 décembre 2015 susvisé et a sollicité l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire sur sa démarche de justification ;

Le seul petit souci est qu’en principe, une autorité administrative indépendante n’a pas à se prononcer avant même qu’une demande en bonne et due forme lui soit adressée.

Considérant que la présence d’une zone de ségrégation majeure positive du carbone peut conduire à diminuer la ténacité de l’acier, c’est-à-dire sa résistance à la propagation d’une fissure, et remettre en cause sa résistance à la rupture brutale ;

Cette proposition est la plus choquante de l’avis tel qu’il est présenté par l’ASN. Tout est dans le «peut conduire à», c’est-à-dire dans une formulation qui va à l’encontre du consensus technique, mais permet opportunément de valider la thèse du Fabricant !

Thèse très simple que l’on peut résumer ainsi : « même si les caractéristiques chimiques attendues n’ont pas été atteintes, la cuve est tout de même bonne pour le service... »

Considérant que l’ASN, par courrier du 14 décembre 2015 susvisé, a considéré acceptable dans son principe, sous certaines réserves, la démarche retenue par Areva NP pour justifier que l’anomalie ne remet pas en cause l’aptitude au service du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville présentée dans la note technique du 31 juillet 2015 susvisée, notamment au vu des conclusions du rapport du 16 septembre 2015 susvisé et de l’avis du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires du 1er octobre 2015 susvisé;

Considérant qu’Areva NP a complété sa démarche de justification par la note technique du 20 mai 2016 susvisée ; que l’Autorité de sûreté nucléaire a formulé des demandes complémentaires par courrier du 26 septembre 2016 susvisé, notamment au vu de la note du 17 juin 2016 susvisée et des observations du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires du 7 juillet 2016 susvisée ;

Considérant que le dossier technique d’Areva NP du 16 décembre 2016 susvisé conclut que l’anomalie ne remet pas en cause l’aptitude au service du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ; qu’Areva NP a mené une analyse justifiant que les caractéristiques du matériau permettent d’exclure le risque de rupture brutale de ces composants ;

Ces considérants reprennent sous couvert d’un habillage réglementaire qui ne fait pas illusion, la thèse défendue depuis le printemps 2015 par le fabricant.

  • Dans la mesure où une démarche pour justifier que l’anomalie ne remet pas en cause l’aptitude au service du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville a été accepté par l’ASN,
  • Que cette démarche s’est déroulée correctement en intégrant des demandes complémentaires ;

Il n’y aurait pas lieu de douter à l’issue du programme d’essais que les caractéristiques du matériau permettent d’exclure le risque de rupture brutale de ces composants...

La thèse est osée. Mais surtout elle est entachée d’incertitudes qui ne permettent pas de conclure à propos des « écarts» constatés en 2015 qu’ils seraient sans conséquence sur la sûreté en 2017 !

Considérant que cette analyse repose sur l’évaluation de trois paramètres : les dimensions, l’orientation et la position d’éventuels défauts, tels que des fissures, les propriétés mécaniques de l’acier comportant un excès de carbone et les chargements thermomécaniques résultant de changements de température et de pression durant le fonctionnement normal et accidentel du réacteur ;

Considérant que, s’agissant des éventuels défauts, Areva NP a justifié que le procédé de fabrication utilisé n’était pas de nature à créer de défaut préjudiciable à la qualité des pièces; qu’il a également réalisé des contrôles non destructifs surfaciques et volumiques afin de détecter les défauts présents dans le fond et le couvercle de la cuve, que ces contrôles n’ont pas mis en évidence de défaut de taille supérieure à la limite de détection ; que l’Autorité de sûreté nucléaire a mandaté un organisme indépendant pour surveiller la réalisation de ces contrôles non destructifs;

Considérant que, s’agissant des propriétés mécaniques du matériau, Areva NP a mené un programme d’analyses chimiques et d’essais mécaniques sur des composants fabriqués dans les mêmes conditions que ceux de la cuve du réacteur EPR de Flamanville et a justifié que ces composants sont représentatifs de ceux de Flamanville ; que ce programme a permis d’évaluer les propriétés mécaniques de l’acier dans la zone de ségrégation majeure positive résiduelle du carbone ; que l’Autorité de sûreté nucléaire a mandaté des organismes indépendants pour surveiller la réalisation de ce programme et a veillé à ce qu’il soit réalisé, pour l’essentiel, par des laboratoires indépendants du groupe Areva ;

On est en droit de s’interroger sur la manière très curieuse de présenter les choses. Dans ce projet d’avis comme dans le rapport CODEP-DEP-2017-019368 présenté au groupe permanent d’experts les 26 et 27 juin 2017, l’ASN ne fait que reprendre la prose du fabricant.

On retrouve quasiment le même plan de présentation, les mêmes arguments, les mêmes illustrations et forcément les mêmes conclusions...

En conséquence pourquoi l’ASN ne donne pas son avis et accepte celui d’AREVA. Comment le public va-t-il se faire un avis s’il n’a pas tous les documents clairement le contrôle qualité a été déficient puisqu’il n’aura échappé à personne que l’ASN n’a pas été en capacité de contrôler directement le programme d’essais proposé par le fabricant. Elle a dû pour se faire recourir à des organismes de certification indépendants...

Il en est de même pour les investigations sur les fameuses calottes sacrifiées pour mener le programme d’essais accepté. Des laboratoires « indépendants » ont été sollicités par AREVA... si indépendants qu’en avril 2016, il a été demandé d’élargir la liste présentée initialement par AREVA.

La liste de ces établissements figure dans le rapport CODEP-DEP-2017-019368. À chacun de juger de la réalité de leur indépendance vis-à-vis de l’industrie nucléaire...

Considérant que, s’agissant des chargements thermomécaniques, l’ensemble des situations pouvant solliciter le fond et le couvercle de la cuve a été recensé et caractérisé ; qu’il convient toutefois qu’Areva NP confirme les chargements mécaniques sur le couvercle en situation d’éjection de grappe ;

Considérant que, malgré des caractéristiques mécaniques du matériau inférieures à celles prévues lors de la conception, celles-ci sont suffisantes pour exclure, avec les coefficients de sécurité requis, le risque de rupture brutale du fond et du couvercle de la cuve, en tenant compte de l’éventuel défaut le plus défavorable ;

Considérant que le fond et le couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville ont en partie été fabriqués par Creusot Forge ; que des irrégularités ont été détectées dans cette usine ; qu’Areva NP a refait, la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire, certains essais mécaniques et contrôles volumiques non destructifs qui avaient été réalisés lors de la fabrication ; que l’Autorité de sûreté nucléaire a mandaté des organismes indépendants pour surveiller leur réalisation; que ces nouveaux essais et contrôles, dont les résultats sont satisfaisants et cohérents avec ceux des essais d’origine, apportent des garanties complémentaires sur la qualité des pièces concernées;

Ces considérants abordent des points très techniques qui ne font pas consensus. Ceux qui ont exprimé une position minoritaire au sein du Groupe permanent d’experts considèrent à la différence de l’ASN et des autres experts officiels que l’ensemble des situations pouvant solliciter le fond et le couvercle de la cuve n’a pas été suffisamment recensé et caractérisé.

Par ailleurs face à l’ampleur du problème rencontré, il convient de négliger aucun détail. Les marges sont forcément rognées.

Très concrètement, cela signifie que face au risque de rupture brutale du fond et du couvercle de cuve qu’il fallait exclure, l’application de ces marges aux données recueillies lors du programme d’essais aboutit à un résultat conforme à la réglementation en vigueur.

L’application d’autres coefficients moins favorables à l’exploitant n’aboutit pas au même résultat !

Reste ce dernier considérant sur Creusot Forge pour le moins surprenant au regard de tout ce qui a été découvert dans cette usine depuis deux ans. Problèmes qui ne sont pas encore résolus puisque l’autorisation de reprendre les activités n’est toujours pas accordée...

Somme toute, on est en présence d’un argumentaire qui s’écarte très nettement de tout ce qu’a pu dire et écrire l’ASN depuis 2015. On est là très loin du constat sévère présenté en octobre 2016 par Pierre-Franck Chevet devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. L’évolution de la position de l’ASN est d’autant plus choquante qu’elle se fait à rebours de la mission principale qui revient à cette institution, celle d’être le «gendarme du nucléaire». En effet cet avis tel qu’il est présenté aujourd’hui apparaît plus comme celui d’un organisme de conseil qui aide l’industriel à surmonter une difficulté passagère que celui d’une Autorité administrative indépendante dont le rôle est de veiller à la stricte application de la réglementation en vigueur.

Considérant que ce dossier technique a fait l’objet d’une instruction par l’ASN et l’IRSN, dont les conclusions sont présentées dans le rapport du 15 juin 2017 susvisé, et de l’avis du groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires du 27 juin 2017 susvisé ;

Considérant que la démonstration de sûreté nucléaire des réacteurs à eau sous pression exclut la rupture de la cuve sur la base de dispositions particulièrement exigeantes retenues en matière de conception, de fabrication et de suivi en service ;

Considérant que l’aptitude au service du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville repose sur une justification d’exclusion du risque de rupture brutale fondée sur les trois paramètres susmentionnés ; qu’il est essentiel de s’assurer tout au long du fonctionnement du réacteur que ces paramètres restent dans le cadre de la justification, et notamment de garantir l’absence d’apparition de défaut ;

Considérant qu’il convient dès lors que l’exploitant mette en œuvre des contrôles périodiques complémentaires afin de s’assurer de l’absence d’apparition de défaut ;

Considérant que de tels contrôles sont réalisables sur le fond de la cuve et qu’ils doivent donc être mis en œuvre ;

Considérant, en revanche, que la faisabilité technique de contrôles similaires sur le couvercle de la cuve n’est pas acquise et que l’utilisation de ce couvercle doit donc être limitée dans le temps ;

Considérant que la fabrication d’un nouveau couvercle prendrait de l’ordre de sept ans et qu’un nouveau couvercle pourrait ainsi être disponible d’ici fin 2024 ;

Considérant qu’il n’a pas été identifié de mécanisme pouvant conduire à créer ou propager rapidement un défaut lors du fonctionnement du réacteur, qu’il est donc acceptable qu’il ne soit pas mis en œuvre de contrôle avant fin 2024 et qu’en conséquence l’utilisation du couvercle jusqu’à une telle échéance est acceptable au plan de la sûreté nucléaire.

Toujours est-il que la seule limite claire proposée par l’ASN concerne le couvercle. C’est une bonne chose... sauf que la date envisagée n’est pas établie à partir des résultats du programme d’essais mais de considérations industrielles qui n’ont pas grand-chose à voir avec la sûreté nucléaire !

Une fois encore on est en droit de se demander qui a tenu la plume ! est-ce un avis de l’ASN qui nous est présenté ou un exposé des besoins d’un industriel qui n’a pas fait la preuve qu’il sait construire l’EPR qu’il a pourtant conçu...

La conclusion que tire l’ASN du constat établi par le fabricant à l’issue du programme d’essai est aux limites de l’absurde. Si l’ASN valide les résultats recueillis en dépit d’incertitudes fortes, elle s’empresse immédiatement de nuancer le blanc-seing accordé à AREVA en requérant des « contrôles périodiques » sur les calottes finalement acceptées en dépit de faiblesses structurelles qui demeurent.

La thèse qui se cache derrière cette proposition est simple. Si l’ASN reconnaît que la cuve peut tenir tel quel quelques années, l’excès de concentration en carbone pourrait s’avérer rapidement préjudiciable à la sûreté voire dangereux...

D’où la proposition « qu’il est essentiel de s’assurer tout au long du fonctionnement du réacteur que ces paramètres restent dans le cadre de la justification, et notamment de garantir l’absence d’apparition de défaut.»

Tout cela n’est guère sérieux. Tout d’abord parce qu’on est en droit d’attendre au vu des essais réalisés une présentation plus précise des risques inhérents au vieillissement voire une ébauche de calendrier qui permettrait de suggérer une durée au-delà de laquelle la mise à l’arrêt de l’installation s’imposerait. Ensuite parce que la distinction faite entre fond et couvercle n’est pas suffisamment étayée... alors que bien des éléments qui figurent dans le rapport d’AREVA laissent penser que le couvercle est effectivement plus fragile que le fond de cuve...

L’avis formulé par l’ASN à l’issue des 5 pages de justification se distingue par sa pauvreté tant sur le plan technique que réglementaire. L’essentiel porte sur les contrôles qui devront être mis en œuvre dans le but de «détecter les défauts perpendiculaires aux peaux, quelle que soit leur orientation, dans les 20 premiers millimètres à partir des surfaces interne et externe du métal de base ». On en reste donc à une approche «surfacique » alors que bien des éléments donnent à voir que les ségrégations en carbone s’étendent au-delà de la demi-épaisseur des calottes de cuve, c’est-à-dire à plus de 100 millimètres...

La seule précision que l’on a sur la périodicité des contrôles est qu’ils « devront être mis en œuvre sur le fond de la cuve du réacteur EPR de Flamanville à chaque requalification complète du circuit primaire principal », c’est-à-dire lors des visites décennales qui incluent déjà des contrôles sur des cuves.

On a donc affaire à un avis qui propose quelque chose qui existe déjà et qui est mis en œuvre depuis bien longtemps par les exploitants nucléaires...

L’ultime demande proposée par l’ASN concernant « les chargements mécaniques sur le couvercle dans la situation d’éjection de grappe » est utile et intéressante mais elle ne compense pas un avis au mieux dérisoire au regard de ce que le fabricant a été incapable de faire, de ce que le maître d’œuvre a été incapable de repérer, de ce que l’ASN a été incapable de surveiller...

De toute façon l’analyse IRSN présentée se conclue par cette demande : « Demande C.2 : L’ASN vous demande de mettre à jour sous six mois la note de justification de la méthode d’étude de la phase moyen terme de l’accident d’éjection de grappe afin, d’une part, de préciser que l’incertitude de 100 pcm sur l’effet Doppler couvre les 10 % d’incertitudes retenues dans la qualification de la chaîne de calcul neutronique SCIENCE V2 et, d’autre part, d’utiliser des hypothèses cohérentes avec celles des études du rapport de sûreté (démarrage de l’alimentation de secours des générateurs de vapeur et seuil de bas niveau d’eau dans le pressuriseur). »

Cette cuve doit être refaite car elle n’est pas conforme à la réglementation et plus grave elle ne répond pas aux spécifications prévues par le constructeur.