Août 2023 •

Les coûts et les délais

« Le coût de la construction d’ITER était estimé à 4,6 milliards d’euros en 2006 lors du débat public. C’était 16 milliards d’euros en 2012, 20 milliards d’euros en 2018, soit plus de 300% de surcoût à mi-construction » [Mediapart, 24/11/22].

Reporterre évoque même une ardoise de « 40 milliards d’euros » [Reporterre, 2/03/22].

Au début du chantier de l’installation ITER (2008), le premier plasma était envisagé pour 2018. Comme tous projets pharaoniques, des écarts apparaissent inévitablement pendant leur construction, conduisant à l’allongement considérable des coûts et des délais de réalisation.

En août 2016, ITER Organization annonçait un « Objectif 2025 » pour le premier plasma et le début de la phase D-T « à l'horizon 2035 » [Iter Mag n°9].

Avec la crise du Covid et la guerre en Ukraine, le planning d’ITER a déjà glissé de 35 mois. Les derniers avatars (fissures sur les tubulures de refroidissement de l’écran thermique et déformations de secteurs de la chambre à vide) vont se traduire par un nouveau dérapage du planning. Même si le bricolage des éléments défectueux est couronné de succès et qu’il n’y a plus aucun autre aléa technique, le début de la phase D-T en 2040 tiendrait du prodige.

Le 14 février 2023, le physicien Jean-Louis Bobin, spécialiste des plasmas, a donné une conférence sur la « Fusion nucléaire : déconvenues et succès ». Dans une de ses diapos, il présente le nouveau planning d’ITER avec un début de phase D-T estimé à 2040 (Cf. page suivante) avec ce commentaire : « les dates clé sont repoussées de plusieurs années dans l’avenir (sans garantie quant aux dates) » [Bobin, 14/02/23].

Deux semaines plus tard, en date du « 28 février 2023 », ITER Organization communique : le premier plasma est toujours annoncé à « Dec 2025 » sur le site Internet d’ITER Organization avec, tout de même, une précision baroque : « calendrier établi en 2016, en cours d'actualisation » [Construire ITER, iter.org]. Ce sont les aléas de la communication…

Source, Bobin, 2023 (Cf. diapo n°26)

La fusion a-t-elle un avenir avec le réacteur DEMO ?

En novembre 2018, Fusion engineering and design publie un article : « Approvisionnement et utilisation du tritium : une question clé pour le développement de l'énergie de fusion nucléaire ».

« L'exploitation à pleine puissance du réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER) a été retardée et commencera désormais en 2035. Les retards dans le calendrier de l'ITER peuvent affecter la disponibilité du tritium pour les dispositifs de fusion ultérieurs, étant donné que le parc mondial de réacteurs de fission de type CANDU commence à s'éteindre progressivement au cours des prochaines décennies. La présente étude fournit un compte rendu actualisé de la disponibilité future du tritium en intégrant les incertitudes récentes concernant la prolongation de la durée de vie du parc mondial de réacteurs CANDU et en tenant compte de l'impact potentiel de la demande de tritium dans le cadre d'autres projets de fusion. Malgré les retards, nos projections suggèrent que le tritium CANDU reste suffisant pour permettre l'exploitation complète d'ITER. Cependant, la disponibilité du tritium pour un réacteur DEMO après ITER est très incertaine et dépend de nombreuses externalités incontrôlables ».

(...)

« Les conséquences d'un nouveau retard de 5 ans sur le calendrier d'ITER (D-T à partir de 2040) n'affecterait probablement pas la mission ITER elle-même, mais cela pourrait signifier qu'il ne resterait plus que 7,6 kg de tritium disponibles pour DEMO en 2057. Par conséquent, tout nouveau dérapage d'ITER est inacceptable du point de vue de l'approvisionnement en tritium, si l'on veut réaliser la voie ITER-DEMO vers l'énergie de fusion, car la plus grande quantité possible de tritium doit être mise à disposition pour assurer le démarrage de DEMO » [Pearson et al, 2018].

Le physicien Jean-Louis Bobin donne son avis pour l’après ITER : « l’étape suivante serait sous le nom de DEMO un véritable réacteur produisant de l’électricité, amorce d’une commercialisation en cas de succès. Des études papier sont déjà en cours dans divers laboratoires. Elles ne partent pas de zéro (première version ITER-1998). Aucune décision n’est encore prise pour la suite et n’est semble-t-il pas près de l’être » [Bobin, 14/02/23].

Verrou technologique ?

« Le tritium provenant de la détritiation de l’eau lourde des réacteurs nucléaires actuels de type CANDU qui sera utilisé pour l’installation ITER ne sera pas disponible en quantités suffisantes pour pouvoir alimenter les réacteurs DEMO pour lesquels les besoins de tritium seront beaucoup plus importants.

(...)

Pour assurer l’alimentation des réacteurs DEMO en tritium, les couvertures tritigènes de ces réacteurs visent dès lors à produire plus de tritium que le réacteur n’en consommera, afin de tenir compte des pertes de tritium dues à sa décroissance radioactive et des pertes de tritium dues à sa perméation dans les équipements de l’installation.

(...)

Les nombreuses publications portant sur la capacité d’une installation nucléaire de fusion à s’autoalimenter en tritium montrent que cet objectif, qui est une condition sine qua non de l’exploitation industrielle des réacteurs à fusion de type tokamak pour la production d’électricité, est difficile à obtenir » [IRSN, 2017].

Le concept de couvertures tritigènes sera testé sur ITER dans les dernières années de son exploitation. Il s’agit de modules expérimentaux contenant du lithium qui réagit aux neutrons en produisant du tritium : « le neutron incident est absorbé par l'atome de lithium, lequel se recombine alors en un atome de tritium et un atome d'hélium. On peut ensuite extraire le tritium de la couverture, le recycler dans le plasma et le rendre à sa fonction de combustible. (...) On appelle "couvertures tritigènes" les couvertures qui contiennent du lithium. La réaction de fusion permet ainsi de produire du tritium de manière continue. Une fois la réaction de fusion amorcée dans un tokamak, il suffira pour l'entretenir de l'alimenter en deutérium et en lithium, deux éléments disponibles en abondance » [iter.org]. Dans la pratique, pour fabriquer du tritium il faut des neutrons et pour avoir des neutrons il faut avoir démarrer la réaction de fusion à l’aide d’un stock conséquent de tritium...

Il faudra donc une grande quantité de tritium pour démarrer le réacteur de démonstration DEMO : « Il est difficile d'estimer les quantités de tritium nécessaires au démarrage, car les valeurs dépendent fortement des progrès de la technologie ». Même avec des progrès technologiques très importants « le tritium nécessaire au démarrage à pleine puissance devrait encore être d'environ 8 kg. En revanche, si les progrès technologiques sont limités, le tritium nécessaire au démarrage d'un DEMO peut atteindre 50 kg » [Pearson et al, 2018].

Ce ne serait qu’après avoir validé l’exploitation d’ITER en phase D-T que le projet détaillé de DEMO pourrait être finalisé. Avec une prévision de phase D-T pour 2040, l’exploitation de DEMO ne démarrerait qu’après 2060 (Cf. planning Bobin ci-dessus). Combien restera-t-il de réacteurs CANDU en fonctionnement à cette date ? Encore faudrait-il être capable de construire DEMO en moins de 10 ans...

Source, iter.org/newsline/255

L’optimisme des zélateurs de la fusion est saisissant. Avec pour titre « L'électricité issue de la fusion sur le réseau », un article de « ITER Newsline 255 » (04/02/13) publiait le dessin ci-contre.

Conclusion avec la SFEN qui ne semble pas bien optimiste quant à la réussite de l’aventure : « Pour la fusion, on n’a aujourd’hui rien inventé de plus simple que de porter les noyaux légers à des températures dépassant cent millions de degrés pour qu’ils entrent en contact et que la « colle » nucléaire les unisse. Toutes les difficultés technologiques qui devront être surmontées pour une exploitation industrielle de la fusion proviennent de cette gigantesque température » [SFEN, 12/01/22].