Décembre 2023 •

L’EPR de Taishan 1 :
un réacteur intermittent

Mis en service en juin 2018, ce réacteur a été arrêté pendant plus d’une année (Juillet 2021 - Août 2022) suite à de sérieuses ruptures de gaines du combustible. Elles ont eu pour cause des vibrations excessives d’assemblages combustible liées à un défaut de conception de l’hydraulique de la cuve EPR [Cf. Gazette n° 296]. L’historique de production des réacteurs de Taishan révèle les faiblesses de la filière EPR. L’année qui suit le démarrage des réacteurs est excellente en terme de production mais cela se dégrade les années suivantes. En 2022, le réacteur de Taishan 1 affiche un facteur de disponibilté de seulement 28,3%...

Historique d’exploitation des réacteurs EPR de Taishan (2018-2022)

Réacteurs

Taishan 1

Taishan 2

Années

2018

2019

2020

2021

2022

2019

2020

2021

2022

Energie produite (TWh)

3,06

11,95

9,17

7,62

4,11

5,36

12,45

10,87

8,30

Facteur d’exploitation (%)

100

89,4

72,6

56,3

37,9

100

98,7

80,9

64,5

Facteur de disponibilité (%)

84,5

90,8

70,5

55,1

28,3

100

96,8

77,7

57,1

Facteur de charge (%)

83,5

82,2

62,9

52,4

28,3

92,3

85,4

74,8

57,1

Première connexion sur le réseau :

  • Taishan 1 le 29 juin 2018

  • Taishan 2 le 23 juin 2019

Source, PRIS.iaea.org

Au début de l’été, Le Canard enchaîné révèle que Taishan 1 est à l’arrêt depuis le 1er février 2023... En cause, l’oxydation accélérée et imprévue des gaines du combustible causant leur desquamation. Selon le palmipède, l’oxydation serait causée par un « mauvais dosage en fer » [Le Canard enchaîné, 5/07/23] de l’alliage de zirconium des gaines.

Retour sur les problèmes survenus à Taishan avec l’IRSN (Avis n° 2023-00010) : « La mise en service puis l’exploitation des premiers réacteurs de type EPR a été marquée par des anomalies relatives au combustible. Au cours du deuxième cycle d’irradiation du premier réacteur EPR mis en service, l’augmentation anormale de l’activité en gaz rares du circuit primaire a contraint l’exploitant à procéder à l’arrêt du réacteur fin juillet 2021. Les inspections des assemblages de combustible lors des opérations de déchargement ont mis en évidence un nombre important d’assemblages concernés par des pertes d’étanchéité de crayons ainsi que la présence de plusieurs morceaux de ressorts de grilles d’assemblages de combustible dans la cuve. De plus, ces inspections ont révélé une usure prononcée des plaquettes de certaines grilles sur un nombre limité d’assemblages de combustible en périphérie du cœur, une usure des bouchons inférieurs des crayons de combustible et un phénomène de corrosion accélérée et de desquamation1 de l’oxyde en surface externe des gaines en alliage M5 (de conception Framatome) des crayons au niveau de la partie supérieure des assemblages. S’ap-puyant sur les résultats des examens réalisés sur le combustible par l’exploitant, EDF a transmis à l’ASN un dossier portant sur l’analyse de ce REX et sur les enseignements tirés pour la mise en service de l'EPR FA3 et les cycles d’irradiation ultérieurs.

(...)

Concernant l’usure anormale des plaquettes de grilles de certains assemblages de combustible, EDF a fourni des éléments qui montrent qu’elle résulte de frottements induits par les oscillations d’assemblages contre le réflecteur lourd entourant le cœur. Ces oscillations résultent de fluctuations de débit en entrée du cœur, qui sont la conséquence d’une anomalie de conception du plenum inférieur des cuves des réacteurs EPR. Les analyses menées par EDF laissent également penser que la diminution de la raideur latérale des assemblages et la déformation latérale des assemblages au cours de l’irradiation ont un impact significatif sur l’ampleur des usures des plaquettes de grilles.

(...)

Les examens réalisés sur le combustible par l’exploitant des premiers réacteurs EPR en service ont montré que tous les assemblages concernés par des pertes d’étanchéité des crayons étaient situés au niveau de la couronne périphérique du cœur, en contact avec le réflecteur lourd. Sur la base de ces examens et des données issues du REX d’exploitation des réacteurs du parc nucléaire français, EDF a conclu que les pertes d’étanchéité sont dues à une usure par vibration des crayons de combustible au niveau des ressorts de grille rompus par un phénomène de corrosion sous contrainte (CSC). De plus, EDF a pu corréler ce phénomène au faible niveau de fluence neutronique au niveau des grilles inférieures des assemblages positionnés en périphérie du cœur, qui ne suffit pas à relaxer efficacement les contraintes dans les ressorts de grilles. Par ailleurs, l’IRSN convient avec EDF que les sollicitations hydrauliques en partie basse des assemblages favorisent la perte d’étanchéité des crayons.

(...)

En outre, les inspections télévisuelles sur les assemblages de combustible ont mis en évidence une usure des bouchons inférieurs des crayons. Elle se produit lorsque le contact entre les bouchons inférieurs des crayons et l’embout inférieur de l’assemblage est établi. Sur la base des investigations menées, EDF a conclu que l’ampleur de l’usure des bouchons des crayons dépend fortement de la dégradation du maintien des crayons dans la double grille d’extrémité inférieure de l’assemblage, résultant de la rupture des ressorts de grilles par la CSC, et de la nature du contact entre les bouchons et l’embout inférieur des assemblages. Au vu de l’ampleur limitée de l’usure des bouchons des crayons et des éléments de justification présentés, EDF considère négligeable le risque de perte d’étanchéité des crayons induite par cette usure.

(...)

Enfin, le phénomène de corrosion accélérée et de desquamation des gaines des crayons en alliage M5, observé récemment sur certains réacteurs des différents paliers du parc nucléaire français, a également été constaté en partie haute des assemblages à l’issue du deuxième cycle des premiers réacteurs EPR en service. EDF attribue ce phénomène à la fabrication des gaines incriminées (leur faible teneur en fer) et à l’occurrence d’un régime d’ébullition nucléée2 favorisant l’apparition d’un milieu oxydant en partie haute des assemblages. L’IRSN souligne qu’EDF poursuit actuellement les investigations afin de mieux appréhender les causes de ce phénomène. Ces éléments de compréhension, dont certains ne sont pas disponibles à ce jour, feront l’objet d’une expertise de l’IRSN dans un cadre dédié »

Notes

1 - La desquamation correspond à la perte localisée d’une partie de la couche d’oxyde se formant à la surface de la gaine des crayons de combustible au cours de l’irradiation. Ce phénomène est de nature à fragiliser la gaine et à augmenter le risque de perte d’intégrité des crayons concernés lors de certains transitoires accidentels.

2 - Formation localisée de petites bulles de vapeur à la paroi du combustible alors que le fluide reste en moyenne à une température inférieure à la température d’ébullition.

[IRSN, 19/01/23]

C’est ce dernier problème de desquamation des gaines qui pourrait avoir provoqué le nouvel arrêt imprévu de Taishan 1 le 1er février 2023. Ce phénomène a été constaté en France dès 2021 comme nous le relations dans la Gazette n° 298/299.

L’arroseur arrosé : les chinois se seraient-ils faits refiler un lot d’assemblages combustible bas de gamme ? A moins que ce soit la machine qui ne tienne pas la route...