10/01/2023 • IRSN

Prise en compte du REX pour l’EPR de Flamanville (EPR FA3)
Avis IRSN n° 2023-00010 du 19/01/2023 (Extraits)

La stratégie d’EDF de prise en compte de ce REX repose sur l’analyse des causes de chaque anomalie et sur des évolutions de conception des assemblages de combustible du fournisseur Framatome, aussi bien pour le premier cycle d’irradiation (avec le déploiement d’une conception améliorée dénommée AFA3GLE-I1) que pour les cycles ultérieurs (avec le déploiement d’une conception dotée d’améliorations supplémentaires dite AFA3GLE-H2).

La solution retenue par EDF vis-à-vis des risques de pertes d’étanchéité consiste à limiter le risque de rupture des ressorts de grilles des assemblages fournis par Framatome grâce à une désensibilisation du matériau à la CSC lors de leur fabrication. Ainsi, les 64 assemblages en périphérie du cœur du réacteur EPR FA3 seront dotés de ressorts de grilles bénéficiant du traitement thermique de recuit final à basse température (RFBT). Ce traitement est déjà mis en œuvre pour la fabrication des assemblages du parc nucléaire français depuis 2019 et a contribué à réduire significativement le nombre de ruptures de ressorts de grilles ainsi que le nombre d’assemblages non étanches associés. En conséquence, l’IRSN estime pertinente la mise en œuvre du traitement RFBT pour limiter le risque de rupture des ressorts de grilles par la CSC.

Concernant les assemblages qui seront positionnés hors de la périphérie du cœur de l’EPR FA3 dont les ressorts de grilles n’ont bénéficié que d’un traitement thermique standard, EDF a justifié que le risque de rupture des ressorts est faible compte tenu notamment du REX d’exploitation des premiers EPR mis en service, ce que l’IRSN estime acceptable. L’IRSN estime toutefois que ce risque ne peut pas être totalement exclu à ce stade.

(...)

Concernant l’anomalie relative à l’usure des plaquettes de grilles, la stratégie d’EDF consiste à remplacer l’alliage M5 par l’alliage quaternaire Q12 pour la fabrication des tubes-guides et des grilles de la nouvelle conception d’assemblage AFA3GLE-I. L’alliage Q12 confère une meilleure résistance mécanique de la structure de l’assemblage, et in fine limite leur déformation latérale. Le REX d’exploitation du parc nucléaire français a montré que les assemblages à structure renforcée, dotés de tubes-guides en alliage Q12 et déployés depuis 2013, sont plus performants vis-à-vis de la déformation latérale que les assemblages à structure en alliage M5. L’IRSN estime que l’utilisation d’assemblages renforcés en périphérie du cœur est de nature à limiter le risque d’usure excessive des plaquettes de grilles d’assemblage lors du premier cycle d’irradiation de l’EPR FA3.

Concernant l’anomalie relative à l’usure des bouchons inférieurs des crayons, aucune évolution de conception n’est prévue par EDF pour le premier cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3. Néanmoins, l’IRSN estime que le risque de perte d’intégrité des crayons de combustible lors du premier cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3 est très limité compte tenu du REX des premiers EPR en service.

Concernant la corrosion accélérée des gaines en alliage M5 en partie haute de certains assemblages, l’IRSN note positivement que les assemblages AFA3GLE-I bénéficieront d’une augmentation de la teneur minimale en fer afin de réduire leur sensibilité à ce phénomène. De plus, les conditions de fonctionnement retenues pour le réacteur EPR FA3 sont plus favorables que celles des premiers réacteurs EPR en service et des mesures compensatoires en exploitation, déjà en vigueur sur parc nucléaire français, sont prévues par EDF. Par conséquent, l’IRSN estime que le phénomène de corrosion accélérée des gaines en alliage M5 devrait être limité et que le risque de desquamation en surface externe des gaines est négligeable à l’issue du premier cycle d’irradiation. À cet égard, l’IRSN n’identifie pas de mesures compensatoires supplémentaires à mettre en œuvre au cours du premier cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3.

De plus, les examens prévus lors du déchargement du combustible à l’issue du premier cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3 devraient permettre de caractériser le cas échéant l’occurrence et l’ampleur du phénomène de corrosion accélérée des gaines en alliage M5.

En conclusion, compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’IRSN estime pertinente la conception des nouveaux assemblages AFA3GLE-I qui seront positionnés en périphérie du premier cœur de l’EPR FA3 ».

(...)

En tout état de cause, certaines des défaillances du combustible observées en périphérie du cœur des premiers réacteurs EPR en service sont induites ou aggravées par les fluctuations de débits en entrée du cœur qui résultent d’une anomalie de conception du plenum inférieur de la cuve. EDF étudie actuellement la faisabilité d’une modification matérielle permettant d’optimiser l’hydraulique dans le plenum inférieur de la cuve, de limiter l’ampleur des fluctuations de débit en entrée du cœur et ainsi de résorber cette anomalie de conception et ses conséquences. À cet égard, l’IRSN estime qu’EDF doit définir la modification matérielle et la mettre en œuvre sur le réacteur EPR FA3, aussi rapidement que le permet son processus d’étude et de qualification de la modification.

Notes

1 - Pour le premier cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3, 64 assemblages AFA3GLE-I seront positionnés en périphérie de cœur en remplacement des assemblages de conception AFA3GLE initialement prévus.

2 - L’introduction des assemblages AFA3GLE-H se fera de manière progressive à partir du deuxième cycle d’irradiation du réacteur EPR FA3.

[IRSN, 19/01/23].

Analyse GSIEN : la reprise de l’anomalie de conception de l’hydraulique de cuve avant le démarrage du réacteur nous semble incontournable (faisabilité, radioprotection). EDF veut tout de même démarrer son réacteur sans modification du répartiteur de débit en fond de cuve. Mais pour le premier cycle d’irradiation, seulement 64 assemblages combustible améliorés (AFA3GLE-I) seront chargés en périphérie du cœur. Comme le réacteur en contient 241, 177 assemblages de base (AFA3GLE) seront donc utilisés, le même modèle que sur les EPR chinois : « For the strategic cooperation with France, the type of fuel assemblies for the Taishan nuclear power plant is AFA-3GLE » [Jiang et all, 15/09/22].

Ébullition nucléée

L’IRSN estime que « le risque de desquamation en surface externe des gaines est négligeable à l’issue du premier cycle d’irradiation » pour les 177 assemblages dans le cœur de Flamanville 3, un produit combustible qui n’a pas bénéficié d’une augmentation de la teneur minimale en fer sensée les rendre moins sensibles à la corrosion accélérée. Surtout en présence de l’ébullition nucléée constatée en partie haute des assemblages des premiers réacteurs EPR en service mais aussi des paliers les plus puissants du parc EDF. Certes, l’IRSN évoque des conditions de fonctionnement pour le réacteur EPR FA3 plus favorables que celles des premiers EPR démarrés. Par conditions plus favorables, on comprend que si la température de l’eau primaire sortie cuve est moins élevée, le risque d’ébullition nuclée diminue. A l’inverse, plus la température du fluide primaire sortie cuve augmente, plus la marge à l’ébullition se réduit. A la pression de 155 bar du circuit primaire, la température de saturation du réfrigérant est de 345°C. Lorsque la température de la gaine dépasse 345°C, des bulles de vapeur se forment bien que la température moyenne du fluide primaire reste aux alentours de 330°C.

Sur les tranches REP en fonctionnement, la puissance du réacteur est asservie à la température sortie cuve.

Infos trouvée dans le Rapport de sûreté (RDS), du réacteur de Flamanville 3 : sur le « Palier N4 » (Chooz B et Civaux), il y a « Décroissance linéaire de la température moyenne cœur entre 100 et 0% de puissance » : la température entrée cuve « varie faiblement dans une plage ≤4°C » [RDS FA3, EDF 2023 - Chapitre 1 - Cf. page 123].

C’est grâce à particularité que la tranche 2 de Chooz B a pu continuer à fonctionner, à puissance réduite malgré des gaines en M5 corrodées, comme nous l’avions indiqué dans une Gazette précédente : la réduction de « la puissance maximale autorisée en fonctionnement normal à 92,6 %PN » (Puissance nominale) permet « de réduire le phénomène d’ébullition nucléée en partie haute des gaines de combustible, qui constitue une des causes principales de la corrosion accélérée » [IRSN, 6/08/21].

Comparons alors les puissances respectives des EPR chinois et français. La World nuclear association donne les caractéristiques des réacteurs de Taishan : « Selon Areva, les réacteurs ont une puissance de 4590 MWth et une puissance nette de 1660 MWe » (=36,2%) [WNA, August 2023 - Cf. page 5].

Selon le RDS, le réacteur de Flamanville 3 a une « puissance thermique maximale cœur de 4500 MWth », légèrement inférieure à celle des EPR chinois, pour « environ 1675 MWe » (=37,2%) de puissance électrique nette, à peine un peu plus élevée que Taishan 1. On ne voit pas en quoi ces conditions de fonctionnements seraient plus favorables que celles des EPR de la province de Guangdong, ce serait même l’inverse, à environ 15 MWe près. Cependant, « La puissance thermique de fonctionnement envisagée par EDF dans le cadre de la mise en service est de 4300 MWth » [RDS FA3, EDF 2023 - Chapitre 1 - Cf. page 5]. Avec le rendement affiché de FA3 de l’ordre de 37,2% (1675/4500), la puissance électrique serait donc de 1600 MWe, une puissance a priori un poil moins favorable à l’ébullition nuclée qu’un réacteur de 1660 MWe.

A posteriori, cette faible différence de puissance ne changera rien. En effet, toujours en s’appuyant sur le RDS FA3, on constate que le « Programme de température » de ce réacteur n’est pas linéaire comme sur le palier N4 : « La température moyenne cœur est constante dans la partie haute de la plage de charge (entre 60 et 100% de la puissance nominale) » [RDS FA3, EDF 2023 - Chapitre 1 - Cf. page 123]. Pour réduire l’ébullition nuclée, faut-il faire fonctionner le réacteur à mi-charge ?

D’autre part, les conditions de fonctionnement de Flamanville 3 sont encore moins favorables que celles du palier N4 dans lequel le phénomène d’ébullition nuclée est présent. L’EPR a une température sortie cuve supérieure à celle du palier N4 (Cf. tableau ci-dessous).

C’est le réacteur le plus sûr du monde (ou à défaut le plus cher) qui a le moins de marge à l’ébullition !

Températures du réfrigérant sortie cuve

selon les paliers de puissance

Palier

900

1300

N4

EPR

(°C)

323,2

328,6

329,1

329,8

Sources

MTE 058, EDF 1988 (Paliers 900 et 1300)

RDS FA3, EDF 2023 - Chapitre 1 - Cf. page 124 (Paliers N4 et EPR)