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N°143/144
Un arrêté préfectoral contestable et non respecté

La centrale de Nogent pollue de plus en plus
la Seine en métaux lourds
(Comité Stop Nogent)


     Victime d'un entartrage important des circuits de refroidisse ment, EDF Nogent avait demandé, en 1990, d'injecter d'avantage d'acide sulfurique, et donc de disposer d'une autorisation plus laxiste de rejets de sulfates en Seine. Nous avions à l'époque fait effectuer des analyses sur les fontinales prélevées en rivière à l'amont et à l'aval du site, et mis en évidence une pollution significative en cuivre et en zinc. Les Services de la Navigation de la Seine avaient confirmé cette pollution à partir d'analyses de sédiments et des effluents rejetés par l'électricien national, lequel ne disposait pas d'autorisation de polluer par ces métaux. Le 27 mai 1991, le dossier était présenté à l'enquête hydraulique dans 24 mairies de communes riveraines, de Marnay à Montereau. Aucune observation n'y avait été présentée verbalement ou par écrit. Nous avions déposé par courrier nos 18 pages d'observations (cf. Lettres du Comité Stop-Nogent n°52 et 53), 5 mairies les avaient jointes à l'enquête (Noyen, Nogent, Marolles, Le Mériot et Marnay), ainsi que la sous préfecture de Nogent. Le CRECEP (laboratoire des eaux de Paris) avait pour sa part contesté l'utilisation de tartrifuges organiques.
     Dans le rapport de synthèse des Services de la Navigation, le service instructeur, 5 pages sur 9 sont consacrées aux remarques du comité Stop-Nogent, et 3 à celles du CRECEP. Les services officiels consultés n'ont émis aucune objection, ou n'ont même pas répondu, à l'exception de la SRAE Champagne-Ardennes qui avait formulé de virulentes critiques. Le 17 mai dernier, le préfet de l'Aube signait un nouvel arrêté, qui nous paraît très ambigü et que l'exploitant sera incapable, à notre avis de respecter.
     La centrale de Nogent est en elle-même une erreur de conception. D'abord le site. Alors qu'elle était prévue pour être construite sur le territoire d'une commune proche, celle-ci refusa le projet, qui fut accepté par la municipalité nogentaise. Cette dernière y voyait une source providentielle de revenus, sans tenir compte des risques. L'implantation se fit donc sur une zone marécageuse, marneuse et non constructible*. Il en résulte aujourd'hui un important problème d'enfoncement des installations, facteur permanent de dégradation de la sûreté. Mais les erreurs de conception ne s'arrêtent pas là.

Le vieillissement rapide des matériels
     La centrale subit, comme l'ensemble du parc nucléaire, l'altération d'éléments importants du circuit primaire fabriqués en Inconel 600, alliage à base nickel, qui se corrode et se fissure. Nous avons relevé ce problème en 1989, à partir de la surveillance radioactive du site que nous effectuons, et qui avait mis en évidence une conta mination significative en cobalt 58, à l'aval de la centrale. C'était le résultat d'une activation neutronique du nickel. La tranche 1 dut être arrêtée 10 mois pour réfection des tubes de générateurs de vapeur et d'autres pièces comme les piquages d'instrumentation du pressuriseur (tous fabriqués dans cet alliage Inconel).

Les autres erreurs de conception
     Aujourd'hui, ce sont d'autres erreurs de conception qui se confirment: l'incapacité d'EDF à réaliser l'étude du milieu aquatique nécessaire au refroidissement, à prévoir l'entartrage des circuits de refroidissement et à concevoir des condenseurs résistants à la corrosion et à l'abrasion.
     L'étude de faisabilité de refroidissement avait bien été réalisé à Montereau, mais sur boucle. Or, la Seine à cet endroit est fortement diluee par l'Yonne, et le taux de calcaire y est nettement inférieur à celui de Nogent.  

suite:
     EDF ne semble pas avoir pensé à comparer ses résultats avec les analyses chimiques de l'eau effectuées à Nogent, disponibles aussi bien au Service de la Navigation, à l'Agence Financière de Bassin Seine-Normandie, que dans le dossier du point zéro radio-écologique réalisé entre 1981 et 1983 par l'IPSN! L'exploitant est aujourd'hui contraint d'injecter de l'acide sulfurique dans les circuits de refroidissement, pour neutraliser («vacciner») le bicarbonate de calcium et éviter l'entartrage. Il en résulte un important rejet de sulfate en rivière. En 1987, le préfet de l'Aube avait autorisé EDF à rejeter jusqu'à 27,5 tonnes de sulfate en Seine par jour, quantité déjà nettement supérieure aux autorisations accordées à d'autres installations. Malgré cela, l'entartrage de la tranche 1 reste très élevé, et il a fallu, il y a quelques années, arrêter l'installation pour détartrer les réfrigérants atmosphériques (tours de refroidissement), qui menaçaient de s'effondrer sous le poids de près de 1.000 tonnes de calcaire.
     Avec le nouvel arrêté préfectoral, l'ancienne valeur maximum autorisée devient le minimum, et la maximum passe à 37,5 tonnes/jour pendant 125 jours, et 49,1 tonnes/j en cas de dégradation passagère de la qualité de l'eau en amont (mais une erreur de rédaction permet de comprendre «37,5 tonnes/j toute l'année»). L'action de l'acide sulfurique étant encore insuffisante, l'exploitant est de plus autorisé à faire usage d'antitartres organiques à raison de 864 kg/j et 52 tonnes/an.
     La corrosion et l'abrasion des tubes de condenseur qui en résultent n'avaient évidemment pas été anticipées par EDF. Sous l'effet de l'acide sulfurique mal dilué et encore disponible, le zinc qui constitue un tiers du laiton est attaqué. Il y a donc d'abord corrosion superficielle. Puis, les boules de caoutchouc qui passent en permanence dans les tubes du condenseur pour arracher le tartre qui s'y forme abrasent le cuivre restant (2/3 du laiton), qui ne possède pas qualités mécaniques suffisantes pour résister à l'usure.

Pollution chimique par une centrale nucléaire
     Aucune installation nucléaire ne disposant d'autorisation de rejet pour le cuivre et le zinc, la direction de la centrale de Nogent a créé un précédent en demandant une autorisation de rejet de 39 Kg/jour pour le cuivre et 18 kg/jour pour le zinc avec une limite moyenne semestrielle de 20kg/j pour le zinc. Dans le compte rendu de la mission déléguée de bassin du 19 novembre 92 le Service de la Navigation, instructeur du dossier, précise que le flux de cuivre journalier est «...non négligeable par rapport aux 133 kg/j qui transitent à Poses (proche amont de Rouen), nettement supérieur à ce qui est accepté pour les industriels...»
     S'il s'agissait d'un autre industriel, l'autorisation d'augmenter le tonnage de sulfate n'aurait pas été accordée. Il en va de même pour les autorisations de rejets en cuivre et zinc. Mais compte tenu du poids du lobby nucléaire et d'EDF dans les institutions françaises (l'État dans l'État!), le préfet de l'Aube a dû signer trois années après l'enquête hydraulique.
     Cette décision va aggraver la situation. En effet, l'augmentation de l'utilisation d'acide sulfurique est susceptible d'augmenter la corrosion du zinc dans le laiton, l'exploitant n'étant pas en mesure de réduire le nombre de boules de caoutchouc pour limiter l'abrasion du cuivre (les tuyauteries des condenseurs s'entartreraient et il y aurait perte de rendement thermodynamique, donc diminution de production d'électricité).

p.24

Courbes des rejets en cuivre et zinc par EDF Nogent
entre le 1/2/93 et le 30/11/93:
Laiton: deux tiers cuivre (Cu), et un tiers zinc (Zn).

SIGNIFICATION DES LIGNES HORIZONTALES:
Cu(a): limite de l'arrêté préfectoral de rejets en cuivre par 24 heures (39 kilogrammes par jour), avec dépassement autorisé 10% du temps, et jamais dépassée de plus de 10% (42,9 kg/j).
Zn(a): limite de l'arrêté préfectoral de rejets en zinc par 24 heures (18 kilogrammes par jour), avec dépassement autorisé 10% du temps, et jamais dépassée de plus de 10% (19,8 kg/j).

EVENEMENTS PARTICULIERS
A: début février, 2.000 boules*, fonctionnement à puissance réduite pour ne pas dépasser l'ancienne autorisation de rejets en sulfates.
B: passage à 500 boules.

suite =>
* Boules de caoutchouc: passage en continu dans les tubes des condenseurs pour arracher le tartre.
suite:
C: arrêt d'urgence de Nogent 1 suite à déclenchement intempestif du circuit d'aspersion de l'enceinte, ayant neutralisé toutes les chaînes de mesure de flux neutronique.
D: arrêt annuel de Nogent 1 pour maintenance et échange de combustible.
E: mise en service de vaccination automatique de l'eau à l'acide sulfurique.
F: mise en service de Nogent 1, passage à 1.500 boules.
G: arrêt annuel de Nogent 2 pour maintenance et échange de combustible.
H: arrêt de Nogent 1 suite à rupture des deux tuyauteries redondantes d'alimentation en eau brute secourue.
I: mise en service de Nogent 2.
J: mise en service de Nogent 1.
Monotones des rejets en cuivre et zinc
pour la période du 1/2 au 30/11/93:


Classement quantilalif des rejets quotidiens par ordre décroissant ; le cuivre et le zinc sont ordonnés séparément

p.25
La lettre d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine N°65 - juillet - septembre 1994
Limiter le fonctionnement d'EDF Nogent à 200 jours par an?

Difficulté du remplacement des condenseurs

     L'arrêté impose à de fournir dans les deux ans une étude sur la question des rejets de métaux, en mettant l'accent sur les solutions qui permettraient principalement de réduire de 75% les rejets de cuivre. Mais la seule solution techniquement réalisable est l'échange des condenseurs en laiton par de l'acier inox.
     Là encore, EDF s'apprête à commettre une grosse bavure en ne prévoyant de changer les tuyaux des condenseurs, et souder l'acier inox sur l'armature en laiton. Il en résultera un phénomène de courants électriques chimiquement induits qui vont provoquer une nouvelle corrosion, des dégradations supplémentaires et des fuites au niveau du raccord. La date prévue est l'arrêt décennal, soit 1997 pour la tranche 1. Mais il faut déduire du temps de fonctionnement les arrêts de longue durée déjà provoqués par les nombreux incidents ayant nécessité des temps d'arrêt significatifs.
     Selon toute vraisemblance, l'arrêt décennal, et donc le remplacement du condenseur le plus touché, celui de la tranche 1, ne se produira pas avant 1999. Une telle opération est qualifiée par l'exploitant «...d'extrêmement lourde nécessitant un arrêt long». En attendant, EDF place les autorités devant le fait accompli, et continuera de polluer gaillardement la Seine.

Une pollution croissante
     Et de quelle pollution s'agit-il? Dans une lettre du 18 janvier 1994 adressée au préfet de l'Aube (avant la publication du nouvel arrêté), Claude Jeandron, le directeur d'EDF Nogent, précisait sur les rejets de cuivre et de zinc que... «les valeurs journalières prévues dans le projet d'arrêté sont assez souvent dépassées...(et que)... les moyennes sur six mois ne seront pas respectées...».
     Deux documents étaient joints à ce courrier, sous forme de courbes: il s'agissait des rejets en cuivre et zinc pour la période du 1er février au 30 novembre de la même année. Nous avons traduit ces documents dans les deux graphiques ci-dessus. Ces chiffres paraissent outrageusement élevés, bien au delà des valeurs fixées par le nouvel arrêté, et très supérieures aux valeurs avancées par EDF lors de l'Enquête Hydraulique de 1991.
     Ou bien EDF mentait alors, ou bien le phénomène s'est nettement aggravé dans l'intervalle!

suite:
     La moyenne semestrielle nouvellement autorisée serait dépassée de 48% pour le cuivre et 58,6% pour le zinc, la valeur limite journalière serait dépassée 31% du temps pour le cuivre et 35% du temps pour le zinc, avec des pointes à 63 kg/j pour le zinc, et 110kg/j pour le cuivre. Même si on admet le nouvel arrêté, et qu'on tolère des valeurs approximatives, il serait nécessaire de limiter le fonctionnement de la centrale nucléaire de Nogent à 200 jours par an de rejets de l'arrêté du 17 mai
1994.
     Bien évidemment, nous ne disposons pas de tous les paramètres indispensables pour effectuer une analyse plus précise. Il nous faudrait disposer des niveaux journaliers de calcium en Seine, de la température de l'eau et de l'air, de la production quotidienne d'électricité de l'installation par tranche, des quantités d'acides injecté par tranche et par jour, etc. Il nous faudrait aussi consulter les courbes de rejets depuis l'autorisation d'injecter 37,5 tonnes d'acide par jour, qui a certainement aggravé la situation. L'analyse superficielle des rejets en période d'arrêt de tranche permet d'attribuer les trois quarts du phénomène à la tranche 1, qui semble nettement plus touchée que la 2. Il en va de même pour la dégradation des générateurs de vapeur, l'enfoncement du bâtiment réacteur, les tuyauteries d'eau brute secourue, ou les incidents (comme l'aspersion intempestive d'enceinte avec perte des chaînes de mesure de flux neutronique, le défaut de concentration en acide borique à l'arrêt dans l'eau du primaire pour empêcher un redémarrage intempestif - août 91), etc. Cette disparité de comportement entre les deux réacteurs est à nos yeux inexplicable, dans la mesure où leur conception et leur construction sont censées être identiques.
     Si l'arrêté préfectoral du 17 mai 1994 était fait pour être respecté, il faudrait au moins que l'on arrête le réacteur 1 jusqu'à ce que le problème d'entartrage excessif soit résolu, le réacteur 2 semblant pouvoir demeurer dans ce cadre. Mais on peut sérieusement douter qu'un préfet dispose d'une autorité suffisante pour entraver la toute-puissance d'EDF et des nucléocrates, sauf à disposer d'une couverture gouvernementale... Quand on considère les conditions très douteuses dans lesquelles le décret de redémarrage de Superphénix a été adopté, ou la partialité du débat national sur l'énergie, il est clair que les autorités administratives et politiques préfèrent capituler devant EDF.
p.26a

Au-delà de la chimie, la sûreté nucléaire

     Ces dysfonctionnements aggravés dans le circuit tertiaire de la centrale ne sont pas en eux-mêmes spécifiques du nucléaire. Une centrale au charbon connaîtrait le même type de difficulté si elle était située à Nogent. Mais il se trouve que le système de refroidissement est celui d'une centrale nucléaire.
     EdF se garde naturellement d'aborder les incidences sur la sûreté de toute l'installation. Pour notre part, nous pouvons formuler plusieurs questions:
     - dans l'éventualité où se produirait une rupture simultanée de plusieurs tubes de générateur de vapeur (liaison entre le circuit primaire et le circuit secondaire), y aurait-il déclenchement du by-pass de turbine, ce qui arnènerait directement la vapeur sur le condenseur? 

     Dans ce cas, les tubes de condenseurs fragilisés par l'usure normale auraient beaucoup plus de chances de céder, ce qui produirait une liaison directe entre le circuit primaire et le fleuve. Avec cette perte de liquide de refroidissement, on aurait alors un risque sérieux de fusion du coeur atomique.
     Tant que la population ne se manifestera pas pour faire respecter son droit à la sécurité et à la santé, EDF continuera dans la voie qu'elle s'est définie depuis plus de vingt ans. On ne peut espérer ne serait-ce qu'une vague «transparence» de l'information sans pression active de toute la société sur ce véritable État dans l'Etat.
p.26b

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