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L'effet de Tchernobyl en France a été jusqu'à mille fois sous-évalué
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   Le nuage de Tchernobyl est bien passé sur la France, au cours des jours qui ont suivi l'explosion du réacteur N°4 de la centrale nucléaire ukrainienne, le 26 avril 1986. Toute la question est de déterminer l'ampleur des retombées de particules radioactives sur le sol français, à la faveur notamment des fortes pluies enregistrées début mai, cette année-là. En vingt ans, les évaluations ont considérablement évolué. Le 7 mai, puis le 16 mai 1986, le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI), dirigé par Pierre Pellerin, diffusait des cartes de l'activité totale des dépôts au sol des particules radioactives. Sur le second document, elles s'échelonnaient de 25 becquerels par m2 en Bretagne à 500 Bq/m2 dans l'ensemble de l'est de la France, un chiffre modeste.
    En 2005, une carte de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), lointain successeur du SCPRI, reconstituant les retombées de mai 1986, montre un paysage bien différent: les dépôts du seul césium 137 dépassent dans certaines zones (Alsace, région niçoise, sud de la Corse) les 20.000 Bq/m2, avec des pointes supérieures à 40.000 Bq/m2! Comment expliquer cette différence d'un facteur parfois supérieur à 1.000?

AFP/SERGEI SUPINSKY

    Pour Corinne Castanier, directrice de la Criirad, un laboratoire indépendant qui, dès 1986, avait entrepris ses propres mesures de radioactivité, on peut y voir au choix la marque de "l'incompétence du SCPRI, ou celle d'un mensonge délibéré". La Criirad, partie civile dans une plainte contre X pour "défaut de protection des populations contre les retombées radioactives de l'accident de Tchernobyl" déposée en 2001, conjointement avec l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT), penche pour la seconde hypothèse. Elle entend démontrer que les autorités ont minimisé les retombées et n'ont pas pris les mesures sanitaires préventives qui s'imposaient - et que plusieurs pays voisins ont appliquées, comme la restriction de consommation de certains aliments. En décembre 2005, un rapport transmis à la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, chargée de l'instruction de l'enquête sur le passage du nuage de Tchernobyl au-dessus de la France, affirmait que des mesures radioactives ont été "occultées" par les autorités de contrôle de l'époque. Selon ce rapport, le SCPRI aurait restitué de façon incomplète les données en sa possession.
    Depuis 1986, de nombreuses cartes ont été constituées. En 1997, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), successeur du SCPRI, en a produit une en se fondant sur les mesures de contamination des végétaux et du lait. En 2003, une nouvelle carte est proposée, mettant en relation les dépôts et les précipitations. Certaines données de la Criirad y sont intégrées. L'ensemble dévoile des niveaux de contamination bien plus élevés que précédemment. Mais ce résultat est contesté, notamment par le professeur Aurengo. Spécialiste de médecine nucléaire, il se déclare, dans un courrier au gouvernement qui l'a chargé d'animer un groupe de travail sur le sujet, "consterné" par les résultats de l'IPSN. Il les qualifie de "méthodologiquement contestables et très probablement faux (...), diffusés sans aucune validation scientifique". Pour tenir compte de ses remarques, l'IPSN inclut des mesures atmosphériques dans sa reconstitution. Une nouvelle carte est produite en 2005: "Le résultat restait très proche de celui de 2003 et collait bien, à l'échelle de la France, avec les données de la Criirad", résume Didier Champion, directeur de l'environnement et de l'intervention à l'IRSN.
    Dernier épisode, le 27 mars, le conseil scientifique de l'IRSN (qui a succédé à l'IPSN) confirme la validité des travaux de l'Institut concernant les retombées de Tchernobyl en France. D'une certaine manière, il s'agit aussi d'un hommage rendu au travail de la Criirad, l'IRSN ayant puisé dans les données de l'association - sans que celle-ci soit d'ailleurs associée aux travaux en question.
    Reste à expliquer le rapport de 1 à 1 000 entre les cartes de 1986 et celles d'aujourd'hui. "La première carte du 7 mai 1986 était très fruste. Les chiffres avancés ressemblent beaucoup à ceux des dépôts secs de particules radioactives, beaucoup moins concentrés que les dépôts humides, dus aux précipitations", avance Didier Champion. Malheureusement, note-t-il, plus personne à l'IRSN n'a la mémoire de la façon dont le SCPRI a procédé: "C'est un peu un puzzle pour nous." Un puzzle d'autant plus difficile à reconstituer qu'une information judiciaire est en cours, et que chaque acteur campe sur ses positions.
    Pour Jacques Repussard, directeur général de l'IRSN, les premières cartes de 1986 ont été constituées à partir d'un réseau qui manquait de densité, ce qui s'est traduit par un "effet lampadaire", de grandes zones restant dans l'ombre: "Ils ont fait des moyennes avec ce qu'ils avaient sous la main." Vingt ans après, note-t-il, il n'est pas certain que, face à une situation d'urgence, le réseau d'alerte soit suffisant pour nourrir de façon satisfaisante les modèles de prévision d'impact qui ont été développés.
Hervé Morin
Quel impact sur le cancer de la thyroïde?
    Les cartes des dépôts radioactifs au sol n'indiquent pas les doses reçues par la population. Les rares reconstitutions individuelles - notamment sur un enfant en Corse - ont montré une dose à la thyroïde allant de 15 à 30 millisieverts. Aujourd'hui, la limite de dose pour le public, corps entier, est fixée à 1 mSv/an. En 2000, l'Institut de veille sanitaire avait estimé de 7 à 55 le nombre de cas de cancers de la thyroïde additionnels attribuables à Tchernobyl, sur une population de 2,3 millions d'enfants, pour la période 1991-2015. Or, sur les 900 cas de cancers spontanés (hors Tchernobyl) attendus dans cette population, la marge d'erreurs est de plus ou moins 60 cas. De plus, comme le nombre de cas de cancers de la thyroïde croît depuis les années 1970, il sera difficile, voire impossible, de discerner un "effet Tchernobyl", estiment nombre d'épidémiologistes. La Corse, où on a mesuré des niveaux élevés de césium 137, espère échapper à ces difficultés méthodologiques. L'assemblée de Corse a voté à l'unanimité, le 11 avril, une motion décidant "de faire réaliser une enquête épidémiologique (...) sur les retombées en Corse de la catastrophe de Tchernobyl". Une expertise est déjà en cours sur 13 villages particulièrement exposés.