La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°25
L'UTOPIE SURGENERATRICE
ANNEXES


annexe  1
 
Le retraitement les surgénérateurs et les États-Unis

     Un groupe de travail, parainé par la Fondation FORD aux Etats-Unis, a travaillé avec la MITRE CORPORATION sur le thème «Energie nucléaire: question et choix» et a publié un rapport en 1977. Nous conseillons à nos lecteurs de lire ce texte instructif dont une traduction partielle est parue dans les Annales des Mines, mai-juin 1978. Nous en extrayons quelques passages relatifs au sujet de cette Gazette.

     Les risques inhérents au retraitement et au recyclage du plutonium pèsent lourdement contre leur mise en pratique. L'utilisation commerciale du plutonium pourrait faciliter le détournement et le vol de matériaux directement utilisables dans la fabrication d'armes nucléaires. La généralisation du cycle de combustible au plutonium augmenterait les pressions pour la généralisation d'unités de retraitement nationales. La prolifération de telles installations réduirait pour les pays qui en disposeraient, le temps nécessaire au développement d'un armement nucléaire. 
     En dépit de l'importance largement reconnue de ces problèmes, il a été argué que l'intérêt économique du retraitement et du recyclage du plutonium dans les centrales à eau ordinaire était telle que leur introduction était inévitable. Bien que le plutonium et l'uranium enrichi non brûlés aient une valeur substantielle, leur séparation des déchets hautement radioactifs des combustibles irradiés a été prouvée beaucoup plus difficile et onéreuse que prévue. A mesure que le retraitement et le recyclage se rapprochaient du stade de la commercialisation, les estimations des coûts ont rapidement augmenté. ( ... ) 
     Il a été argué que le retraitement, dans de brefs délais, des combustibles irradiés des centrales à eau ordinaire, serait important pour constituer le stock de plutonium nécessaire pour les futurs surgénérateurs. Notre analyse montre que l'époque à partir de laquelle des surgénérateurs deviendront compétitifs économiquement, est suffisamment lointaine pour que l'intérêt de constituer maintenant ce stock soit bien maigre et que donc la récupération du plutonium ne soit pas économiquement justifiable avant de nombreuses années. De plus, le combustible irradié peut être stocké de telle manière qu'il soit facilement récupérable, et que le plutonium puisse être alors séparé si l'emploi des surgénérateurs se généralisait vraiment dans le futur. 
( ... ) 
     Sur les bases de notre analyse du retraitement et du recyclage du plutonium, nous avons conclu que les coûts à caractère international et social sont plus lourds que les avantages économiques, qui sont bien faibles, même avec des hypothèses optimistes[1]. En conséquence nous croyons que le gouvernement des USA devrait prendre la décision claire et nette de différer indéfiniment le retraitement et le recyclage du plutonium. 
( ... ) 
     La priorité et le calendrier du programme du surgénérateur au plutonium sont inévitablement des questions centrales pour le budget et la politique du gouvernement, car l'engagement financier correspondant domine toutes les activités fédérales de recherche et de développement sur l'énergie. 

suite:
( ... ) 
     Le surgénérateur au plutonium suppose un engagement définitif en faveur du cycle du combustible du plutonium, il introduirait donc une quantité considérable de plutonium dans le commerce national et international. Dans ces conditions, les pressions pour la réalisation d'usines nationales de retraitement seraient plus fortes, et il serait difficile d'y résister. Ainsi, le surgénérateur compliquerait le problème de la prolifération et augmenterait les risques de vols et de détournements des matières propres à la fabrication des armes nucléaires. 
     Les avantages économiques du surgénérateur ont généralement été considérés si grands que ce sérieux inconvénient a été jusqu'à récemment très largement ignoré dans la planification gouvernementale.
     La politique passée du gouvernement concernant les surgénérateurs a été dictée par la croyance que l'énergie nucléaire épuiserait, en quelques décennies, les réserves d'uranium à bas prix, rendant ainsi le surgénérateur économiquement rentable au début des ann6es 1990. Notre analyse, par contre, indique que le potentiel économique du surgénérateur a été largement surestimé. La technique actuellement envisagée (LMFBR), demandera de plus gros investissements que le réacteur à eau ordinaire, et devra donc fonctionner avec un coût de combustible nettement inférieur pour être compétitif. La perspective que ces coûts de combustible puissent être réduits à un point tel que le LMFBR serait plus économique que le réacteur à eau ordinaire semble peu probable avant la fin de notre siècle, ou même pendant les premières décennies du siècle prochain. Les estimations actuelles des réserves d'uranium sous-estiment probablement les quantités qui seront disponibles; l'uranium, à un prix qui rend le réacteur à eau ordinaire plus compétitif que le surgénérateur, sera disponible pendant beaucoup plus longtemps que prévu. Les nouvelles technologies d'enrichissement pourraient aussi augmenter ces disponibilités. De plus, le charbon récupérable à des prix pratiquement inchangés deviendra de plus en plus attrayant, si les coûts de l'énergie nucléaire augmentent. 
     Enfin, les estimations initiales sur lesquelles reposait l'économie des surgénérateurs étaient plus fortes et viennent d'être sensiblement réduites. Ces considérations économiques nous amènent à la conclusion que l'intérêt économique du développement des surgénérateurs apparaîtra beaucoup plus lentement que prévu précédemment dans les plans gouvernementaux. 
     Cette conclusion est valable aussi pour d'autres pays, à condition qu'ils aient accès à l'uranium faiblement enrichi pour satisfaire leurs besoins en matières nucléaires. De plus, la contribution des surgénérateurs à l'indépendance énergétique est douteuse pour la plupart des pays, puisque la complexité et l'importance du cycle du combustible dans cette filière rendraient un système autonome trop onéreux pour tous, en dehors des pays très industrialisés. Donc, les perspectives d'un gros marché d'exportation des surgénérateurs restera illusoire durant ce siècle.

    Eh bien, voilà des propos particulièrement vifs!
 

p.11
1. Souligné par la Gazette.

encart n°4
 
     La suite est assez "amusante" et rappelle l'histoire de Concorde; nous la donnons in extenso pour ne pas être accusés de couper au bon endroit.

     En dépit de cette estimation négative, nous croyons qu'un programme de surgénérateurs avec de nouveaux objectifs devrait être poursuivi en tant qu'assurance contre des coûts excessifs d'énergie dans l'avenir. Cette situation pourrait devenir possible si des réserves supplémentaires d'uranium ne deviennent pas disponibles, si des problèmes d'environnement restreignent l'utilisation du charbon, et si d'autres sources d'énergie ne deviennent pas rentables dans les premières décennies du prochain siècle. L'actuel programme des USA, dont l'objectif est la commercialisation prochaine de LMFBR, n'est pas nécessaire au développement du surgénérateur en tant qu'assurance pour l'avenir. L'ultime succès du surgénérateur pourrait même être compromis par un développement prématuré qui ne permettrait pas d'accomplir toutes les étapes nécessaires et qui figerait trop tôt la technologie.

     Dans ce programme à plus long terme, le projet de réacteur prototype de démonstration de Clinch River, coûtant 2 milliards de dollars, n'est pas nécessaire et pourrait être abandonné, sans pour autant compromettre les espoirs à long terme des surgénérateurs. En réalité. la démonstration prématurée d'un surgénérateur clairement non compétitif pourrait lui être néfaste. Bien que le temps nécessaire pour la réalisation d'un projet aussi complexe que celui d'un surgénérateur soit très long, nous croyons que la décision concernant sa commercialisation, actuellement prévue pour 1986, peut être sans inconvénient, reportée pour la fin de ce siècle. Le coût, s'il y en a un, d'un tel ajournement serait très faible alors qu'un tel ajournement aiderait à éviter le développement du commerce mondial du plutonium et donnerait plus de temps pour créer les institutions permettant de traiter correctement ce problème. L'option de se passer complètement du surgénérateur ne devrait pas être prématurément abandonnée puisqu'il y a une chance que le surgénérateur au plutonium ne soit jamais nécessaire, ni économiquement compétitif par rapport à d'autres sources d'énergie susceptibles d'être disposibles dans le siècle prochain.
 p.12

annexe 2
 
Les Surgénérateurs dans le monde

     Le premier réacteur à fournir de l'électricité (200 kW) fut un réacteur à neutrons rapides, EBR l, qui démarra en 1951 à Idaho Falls (États-Unis); ce réacteur eut un accident de fusion du cœur en 1955. Une étape ultérieure fut celle de réacteurs d'une puissance correspondant à dix ou vingt MWé: DFR (Grande-Bretagne), EBR 2 (États-Unis), Rapsodie (France), BOR 60 (URSS). D'une manière générale ces réacteurs ont bien fonctionné. Mais un premier essai à une puissance nettement supérieure (Enrico Ferni, 66 MWé, États-Unis) donna lieu en 1966 à un accident de fusion partielle du cœur qui aurait pu mal tourner.
     Les véritables centrales de "démonstration" sont apparues à peu près simultanément en URSS (BN 350, équivalent à 350 MW, 1973), en France, (Phénix, 250 MW, 1973), et en Grande-Bretagne (PFR, 250 MW, 1974). Ces trois réacteurs ont connu des fortunes diverses. Peu après son démarrage, BN 350 a eu un générateur de vapeur détruit par une violente explosion sodium-eau. Depuis, il semble qu'il ait un fonctionnement irrégulier. Des difficultés sur les générateurs de vapeur ont également retardé de deux ans la montée en puissance de PFR.

     Phénix a été couplé au réseau en décembre 1973, a atteint sa pleine puissance en quelques mois, et (à part des ennuis sur un générateur de vapeur en novembre 1975) a eu un fonctionnement exemplaire jusqu'en juillet 1976. A cette date, sa puissance a dû être réduite d'un tiers en raison de fuites dans un échangeur sodium primaire / sodium secondaire (situé dans la cuve, en zone active).
     Des fuites similaires sur un autre échangeur ont entraîné l'arrêt complet le 5 octobre 1976. Un redémarrage a eu lieu aux deux tiers de la pleine puissance le 20 juin 1977, mais le réacteur a dû être arrêté à nouveau le 31 août en raison de fuites similaires sur un troisième échangeur. Depuis, Phénix a redémarré.
     Le tableau ci-après donne la liste des réacteurs existants ou dont la construction a démarré. Il fait apparaître clairement les ambitions de la France par rapport aux autres pays. On peut également remarquer que si les prototypes de puissance inférieure à 100 MW Th ont en général bien fonctionné, au niveau 300 MW Th, les incidents ont été nombreux et certains très importants (BN 350, Enrico Fermi).
 p.12
PAYS
Nom
Puissance
Année de fonctionnement
USA
EBR 1
1.200 kWth
300 kWé
1951-1963
URSS
BR 2
BR 5
 

5 MWth
1956
1959
UK
DFR
60 MWth
15 MWé
1959-1977
USA
EBR 2
62 MWth
20MWé
20MWth
1962

1969-1972

F
Rapsodie
24 puis
40 MWth
1962
URSS
BOR 60
60MWth
12MWé
1970
RFA
KNK
60 MWth
21MWé
1971
Japon
Joyo
100 MWth
1977
USA
Enrico Fermi
300 MWth
62 MWé
1963-1972
(incidents)
F
Phénix
560 MWth
250 MWé
1973
(incidents)
URSS
BNR 350
1.000 MWth
150 MWé
1972
(incidents)
UK
PFR
250 MWth
250 MWé
1974
(incidents)
En construction
RFA
SNR 300
760 MWth
330 MWé
1982?

 
Japon
Monju
330 MWé
début de construction 1978
USA
Clinch-River
975 MWth
380 MWé
?

 
URSS
BN 600
1.500 MWth
600 MWé
1980?

 
F
Superphénix
3.000 MWth
1.200 MWé
1983?

 

annexe 3
 
Le plutonium et ses problèmes

1. Ses dangers pour l'homme.
     Le plutonium est un élément artificiel obtenu dans les réacteurs nucléaires par capture d'un neutron par l'uranium 238 suivant le schéma:

Uranium 238 + neutron Þ Uranium 239
neptunium 239 + é Þ Plutonium 239 + é » 23 mm environ - 2 jours environ. 

     Il a été considéré par certains comme l'un des plus violents poisons connus. Qu'en est-il exactement? Nous prendrons cette réponse à cette question d'une partie de l'article écrit par deux adhérents du GSIEN pour l'Encyclopaedia Universalis (Plurisciences).
     Comme tous les métaux lourds, le plutonium présente une toxicité chimique, mais il a surtout une très forte toxicité radioactive. Il est émetteur de particules a (noyaux d'hélium). Il n'est donc dangereux que par contamination interne. La contamination est relativement faible par ingestion. Si le tube digestif est en bon état, la quantité de plutonium qui passe dans le sang n'est en effet, pour de l'oxyde de plutonium, que le millionième de la quantité ingérée; cette proportion peut monter jusqu'à quelques millièmes pour des formes chimiques rares (citrate de plutonium par exemple). La contamination se fait essentiellement par les plaies et par inhalation.
     Les dangers du plutonium 239, qui représente 60 à 75% du plutonium produit dans les centrales nucléaires, ont été étudiés en effectuant des expériences sur des animaux, en particulier sur des chiens de race Beagle. Par extrapolation, on a calculé les dangers auxquels était exposé l'homme, en multipliant les doses de plutonium utilisé dans l'expérience animale, par le rapport du poids de l'homme à celui de l'animal. Ainsi, en ce qui concerne la contamination du sang, une dose totale de 15 à 20 microgrammes (millionième de gramme) de plutonium 239 provoquerait à terme, dans 30% des cas, un cancer des os chez l'homme adulte. Avec une dose de 50 microgrammes, le cancer apparaîtrait dans 70% des cas. Les risques seraient encore plus grands dans le cas d'un enfant. Pour les poumons d'un adulte, la dose totale déposée initialement dans les alvéoles, qui provoquerait à terme un cancer du poumon, serait d'environ 16 microgrammes de plutonium 239. En tenant compte de l'expulsion au niveau des voies respiratoires supérieures, on estime généralement que cela correspond à une dose inhalée de 100 microgrammes.
     Mais il faut savoir que le plutonium 239 n'est pas le plus dangereux des isotopes du plutonium des centrales nucléaires. En particulier, le plutonium 238, qui s'y trouve dans la proportion de 1%, est environ trois cents fois plus radiotoxique

suite:
     En règle générale, le plutonium des centrales nucléaires est cinq fois plus radiotoxique que le plutonium 239. On peut donc estimer que, pour un adulte, la dose mortelle à terme de plutonium inhalé est de 20 µg (moins encore pour un enfant).
     Trois remarques doivent être faites à propos du chiffre de 20 microgrammes: la première est que l'expérimentation sur les chiens Beagle montre qu'avec ces très faibles doses le cancer n'apparaît qu'après au moins dix ans de latence, alors que la durée de vie moyenne de ces chiens n'est que de douze à quinze ans. Aussi certains auteurs émettent-ils l'hypothèse (qui reste à prouver) que chez l'homme le temps de latence serait plus long. Par exemple, les docteurs Lafuma et Nenot, du CEA, pensent que ces très faibles doses ne provoqueraient de cancer que dans les dernières tranches d'âge de la vie, ce qui paraît très acceptable à certains... Ainsi, le plutonium jouerait, dans une société industrielle avancée, le rôle dévolu au cocotier dans d'autres civilisations. La deuxième remarque est que pour une dose correspondant chez l'homme à une inhalation totale de 1 milligramme de plutonium (mélange isotopique de 238 et 239), la durée de survie du chien Beagle n'est plus que de deux ans. On voit combien sont trompeurs les chiffres de quelques dizaines de milligrammes, cités par les distributeurs officiels de l'information, et qui concernent la dose mortelle au bout de trente jours. Il faut enfin souligner que les divers traitements (lavage de poumon, inhalation ou injection d'acide DTPA) ne peuvent extraire plus de 50% du plutonium dans le meilleur des cas. On sait de plus que ces traitements doivent être entrepris le plus tôt possible; mais en cas d'accident concernant les populations, comment déterminer qui a été contaminé?

Comparaison avec d'autres produits toxiques

     Il convient également de comparer les dangers du plutonium avec ceux d'autres produits toxiques.
     Avec une dose létale de 20 microgrammes, le plutonium n'est en effet pas à première vue la substance la plus dangereuse que l'on connaisse. Par exemple, la dose mortelle de la toxine botulique qui peut parfois apparaître dans les boîtes de conserves avariées est de 0,2 microgrammes, donc cent fois plus faible. Mais alors que la toxine botulique est détruite par ébullition ou exposition au soleil (action des ultraviolets), la période radioactive du plutonium 239 est de 24.400 ans, et de 89 ans pour le plutonium 238. De plus, on ne trouve pas des concentrations de dizaines de kilogrammes de toxine botulique, alors que dans chaque surgénérateur, il y aurait des tonnes de plutonium...

p.13

Bloc réacteur                        
   
Schéma de principe d'une centrale nucléaire à neutrons rapides
p.14

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