Dans ce chapitre, nous allons
tenter d'aller plus loin dans l'analyse de l'accident. Mais, compte tenu
de la complexité et aussi de l'importance de ce qui s'est passé
aux États-Unis, nous nous proposons de revenir sur ce sujet dans
les prochains numéros.
Affirmons tout d'abord qu'un accident comparable à celui de T.M.l. peut arriver en France plus d'une fois dans les cinq ans à venir. A l'appui de cette affirmation, nous allons, dans ce numéro, traiter du scénario et des responsabilités impliqués, en réservant pour une prochaine étude de revenir sur la conception de l'exploitation des centrales mises en cause par l'analyse de T.M.I. Signalons également que nous essaierons de publier prochainement un «bêtisier TMI» plus complet que celui qui figure dans ce numéro. Ceci devrait permettre de remettre à leur place dans l'esprit du public un certain nombre de vedettes et de "compétences" dont les affirmations péremptoires-pourraient encore inspirer confiance. Enfin, remarquons que les autorités françaises semblent faire leur possible pour oublier l'accident en regrettant que les Américains aient fait tant de bruit autour. Tirant l'enseignement, il y a maintenant la volonté d'organiser préventivement l'information de façon à avoir une information officielle et unique: voir à ce sujet le rapport Augustin du 4.6.79 (L'accident nucléaire de TMI, Mission d'études sur le déroulement de la crise). Mais abordons maintenant les analyses physiques. |
Ce qui s'est passé dans la centrale de Three Mile Island
S'appuyant sur: · des télex officiels largement diffusés en France auprès des spécialistes, · les courbes enregistrées à TMI durant l'accident et diffusées aux missions étrangères par la N.R.C. au milieu des 800 pages de sténotypie des réunions (rapportées par la «mission spéciale» du GSIEN à TMI), · les interprétations physiques des spécialistes, la connaissance des centrales PWR et leurs conditions d'exploitation. Nous allons essayer de préciser et rectifier les interprétations données dans le rapport officiel de la mission Roche-Cayol (voir plus haut). Nous nous excusons par avance du caractère technique de ce qui suit, mais nous pensons indispensable de donner ces informations ... sachant que la Gazette peut apporter des précisions, y compris aux technocrates qui forment une partie de ses lecteurs! Les cinq graphiques joints, réalisés à partir des courbes dont on notera qu'elles n'ont pas été diffusées par le rapport officiel, permettent de mieux apprécier et interpréter la séquence des événements. On peut distinguer quatre phases: · les deux premières minutes: initiation de l'accident (figure 1), · les seize premières minute : «suivre la notice» (figures 2 et 3), · les seize premières heures: une improvisation... qui fnit bien (figures 4 et 5), · du 28 mars à nos jours: à quand l'arrêt sûr? p.13
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La figure 2 montre qu'à
t = 6 mn, l'eau primaire atteint l'ébullition massive dans la moitié
chaude du circuit. Cette situation, qui durera jusqu'à t = 14 h
30, conduira à un assèchement localisé du combustible
qui, alors non refroidi, verra sa température croître dangereusement.
Sur l'alimentation de secours des GV, l'action a été bénéfique, stoppant la chute de la pression secondaire des GV avant qu'elle ne fut réellement basse (figure 5 à t = 8 minutes) et arrêtant la montée en température de l'eau primaire. On notera également que les «niveaux» secondaires aux GV sont restés «bas», ce qui montre que cette situation n'empêche pas un refroidissement suffisant du primaire (voir phase 1). Le «niveau» au pressuriseur, observable sur la figure 2, n'a ici, en réalité, que peu de signification. Son évolution a néanmoins joué un rôle déterminant dans le déroulement de l'accident: c'est en effet essentiellement sur celle-ci que s'est basée l'intervention des opérateurs sur l'Injection de Sécurité, comme le confirme la figure 2. Les opérateurs ont certainement suivi en cela la notice mise à leur disposition pour les situations accidentelles de la chaudière, appelée «procédure de conduite post-accidentelle». Nous ne connaissons pas la "procédure" en usage à TMI, nous savons seulement que sur la procédure en cours d'élaboration pour les centrales françaises qui vont démarrer sont signalés comme «phénomènes à éviter»: · la rupture de la membrane d'éclatement du ballon de décharge (rupture de la seconde barrière entre les produits radioactifs et l'environnement, la première étant les gaines du combustible et la troisième l'enceinte de confinement), |
· la cavitation des pompes
primaires,
· le remplissage du pressuriseur après démarrage de l'I.S. On ajoutera que, selon l'EPRI, dont Nucleonics Week cite l'analyse détaillée dans son numéro du 21 juin, les opérateurs «followed the book» [8]. En réalité, les spécialistes savent depuis plusieurs années que lors d'une fuite en phase vapeur du pressuriseur, l'indication du niveau de cet appareil ne mesure plus un niveau d'eau, qui d'ailleurs n'existe plus: il s'agit d'une mesure de colonne d'eau par différence de pression entre deux points placés sur une même verticale d'un bidon. Dans le cas présent, le bidon n'est plus qu'une tuyauterie traversée de bas en haut par un débit de vapeur ou d'émulsion. On dispose donc d'une mesure de débit non étalonnée. L'opérateur, qui n'en croyait pas ses yeux, voulut néanmoins éviter le remplissage du pressuriseur et le remplissage du ballon de décharge: si le «niveau» avait effectivement représenté le niveau de l'eau, il importait donc d'arrêter d'injecter dans le circuit primaire un fort débit d'eau à pression élevée, et de se borner à compenser la perte d'eau par la brèche. A la fin de cette seconde phase, la rupture de la membrane du ballon de décharge était un échec pour l'opérateur, qui néanmoins avait retrouvé son «niveau» de pressuriseur et voyait décroître pression et températures primaires... p.15
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Phase 3
Une improvisation ... qui finit bien (figures 4 et 5) Figure 3 Le primaire était quand même en
ébullition dans sa masse entre le cœur et les générateurs
de vapeur. Ainsi les choses se sont-elles gâtées une heure
après la fin de la seconde phase: les pompes primaires se sont mises
à vibrer dangereusement. Ces vibrations étaient provoquées
par la «cavitation»[9], fonctionnement perturbé
par la présence de poches de vapeur dans les pompes. Les opérateurs
ont ainsi arrêté les unes après les autres les pompes
de la boucle B, puis celles de la boucle A.
(suite)
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suite:
Figure 5 D'autres spécialistes estiment que ces
pompes avaient du être arrêtées beaucoup plus tôt,
et que les laisser fonctionner dans un primaire diphasique risquait d'entraîner
leur rupture et une seconde brèche primaire, plus difficilement
maîtrisable encore que la première...
p.16
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Les opérateurs, s'appliquant
apparemment à conserver un niveau de pressuriseur visible en réduisant
l'Injection de Sécurité, ont mis en œuvre la méthode
expérimentale en jouant sur l'isolement de la ligne de décharge
du pressuriseur:
· fermer la «brèche» ralentissait la vaporisation et réduisait le volume de la bulle de vapeur accumulée dans le dôme de l'enceinte et dont on pouvait craindre qu'elle n'atteigne le cœur qu'elle aurait asséché irrémédiablement, · ouvrir la brèche évacuait de l'énergie et pouvait permettre d'espérer atteindre les conditions de refroidissement du primaire par le circuit de réfrigération à l'arrêt. Ces tentatives n'ont pas abouti. Cependant, pour des raisons encore à éclaircir, la circulation naturelle semble s'être rétablie au-delà de t = 10 heures. La décharge des accumulateurs dans la cuve y a sans doute contribué. L'homogénéisation du circuit primaire a alors été favorisée par une nouvelle fermeture de la «brèche» vers t = 13 h 30, et les opérateurs ont pu remettre en service sans dommage les pompes primaires de la boucle A: le refroidissement par le générateur de vapeur A mettait fin à cette phase périlleuse. Phase 4
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Il s'est agi d'abord d'éliminer la
«bulle», d'hydrogène, de gaz de fission radioactifs
et de vapeur, qui s'était constituée dans la partie supérieure
de la cuve et qui mettait en péril le bon refroidissement du cœur.
Il s'est agi ensuite de recombiner l'hydrogène accumulée dans l'enceinte, afin d'éviter une explosion d'hydrogène plus puissante que celle qui s'était produite à t = 10 heures au cours de la phase 3 (voir figure 5), qui aurait pu, fissurant l'enceinte, conduire également à la catastrophe, par relâchement massif de radioactivité dans l'environnement. Il s'agit enfin d'amener le circuit primaire dans une configuration «d'arrêt sûr», malgré les défaillances de matériels qui n'ont pas été conçus pour fonctionner dans de telles conditions (injection de sécurité, instrumentation, générateurs de vapeur...) ou qui étaient défaillants avant l'accident (circuit de refroidissement à l'arrêt fuitard) malgré les risques de manque d'alimentation électrique, malgré les multiples fuites d'une eau primaire dont le niveau de radioactivité rend les interventions très problématiques voire impossibles, malgré les tonnes d'effluents liquides qui sont dans le même cas, etc. Un bilan des rejets dans l'environnement ne pourra être fait qu'après la fin de cette quatrième phase. Il semble que pour ce qui est du cœur, ou de ce qu'il en reste, il soit désormais à l'abri de tout risque de fusion. p.17
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En phase 3
· l'arrêt des pompes primaires semble ne pas avoir été une erreur. En France, selon des procédures en cours, cela aurait été une faute de les arrêter si tard. Il s'agit donc soit d'une action préconisée par une «procédure» en cours à TMI, soit d'une action d'improvisation dans une situation non prévue par les «procédures». Dans les deux cas, cette action semble avoir été positive, en dépit de ses conséquences immédiates, qui n'ont été que la mise en évidence du manque d'eau dans le circuit primaire, résultant des actions antérieures, · quant aux manœuvres se situant entre t = 1 h 40 et t = 16 h, nous avons vu qu'elles avaient été improvisées, ce qu'il n'était pas admis jusqu'alors d'exiger d'un opérateur de centrale nucléaire dans de telles conditions. On notera d'ailleurs que les spécialistes de la NRC sont arrivés en salle de commande vers t = 7 h, et que les ingénieurs de chez Babcock, peu après, cherchaient toujours dans les « tables» si le primaire était ou non à l'état diphasique... En phase 4
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CONCLUSION provisoire
Cette rapide revue des défaillances mises en évidence à TMI montre qu'en ce qui concerne les 7 défaillances vraiment décisives: indisponiblité de l'alimentation de secours, non fermeture de la soupape de décharge, non représentativité du niveau du pressuriseur, non isolement de l'enceinte durant les 5 premières heures, arrêt ou réduction de l'I.S., formation d'une bulle dans la cuve, et accumulation d'hydrogène dans l'enceinte: · la conception de la chaudière est en cause 5 fois, · les procédures de conduite 3 fois, · l'organisation immédiate de l'exploitation et de la sûreté 2 fois, · la formation des opérateurs 1 fois, · la défaillance du matériel 1 fois. Pour ce qui est de l'arrêt des pompes primaires, la Gazette informera ses lecteurs quand tous les spécialistes seront tombés d'accord, nous estimons aujourd'hui que ce n'était pas une mauvaise manœuvre. Three Mile Island est-il donc possible en France?
A suivre...
p.19
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