Le 3 novembre 1977, Monsieur C.
Poncelet faisait un exposé à Lausanne, reproduit par le Bulletin
de l'Association Suisse des Electriciens[1]. Ce texte est très
instructif par l'analyse qu'il fait et les conclusions qu'il en tire, et
ce d'autant plus que l'auteur est conseiller scientifique auprès
de Westinghouse et qu'il participe à un programme appelé
«Campus America Program» qui consiste à faire débattre
du nucléaire dans les universités en se servant d'une équipe
rôdée...
Dans l'introduction, l'auteur explique pourquoi il est passé de l'université à l'industrie: ... Depuis plusieurs années, je me tracasse du fait que si les citoyens des États-Unis, ainsi que ceux d'autres pays, doivent un jour se prononcer sur l'énergie nucléaire, il est important pour moi, en tant que scientifique et que membre d'une université et également en tant que citoyen, que cette décision soit prise pour de bonnes raisons. Si le peuple américain, par exemple, devait rejeter 1'énergie nucléaire, c'est pour moi important qu'il la rejette pour une bonne raison et non pas pour une mauvaise raison. J'aimerais ajouter que, personnellement, c'est presque par acte d'indépendance que je suis retourné dans l'industrie, lorsque j'ai pris conscience que mes convictions vis-à-vis de l'énergie nucléaire, de la technologie nucléaire, sont indépendantes de ma participation soit à l'industrie soit en dehors de l'industrie, si vous voulez, dans le système ou en-dehors du système.Voilà, le cadre est fixé: il ne s'agit que d'aider son prochain, au risque d'être égaré. Mais avançons: Pour en venir au vif du sujet, j'aimerais tout d'abord émettre un avis personnel basé sur mon expérience aux États-Unis et dans divers pays européens: c'est que la controverse nucléaire est un phénomène unique et pas une multitude de phénomènes. Je suis toujours frappé de voir à quel point ce phénomène est en effet identique, dans l'Ouest des Etats-Unis, dans le Sud des Etats-Unis, à l'Est des Etats-Unis, en Suisse, en Suède, en Belgique, en Allemagne ou ailleurs. Ce phénomène se manifeste différemment dans des pays différents, parce que les systèmes politiques sont différents, la mentalité des gens est différente, les moyens de communication sont différents; mais c'est le même phénomène étant donné que ses racines sont au fond d'ordre sociologique, culturel et non scientifique.Remarquez bien l'habileté dans l'opposition discrète qui est faite entre le «scientifique» d'un côté, le·vrai en quelque sorte, et le sociologique, le culturel... 1. Thèmes majeurs de la controverse Tout d'abord, les thèmes majeurs de la controverse, comme je les observe. Il faut premièrement différencier entre les thèmes majeurs chez l'homme de la rue, et chez les "adversaires professionnels" de l'énergie nucléaire.Au fait, cher ami, que ne parlez-vous pas des différences également avec les «partisans professionnels» du nucléaire[2]? (suite)
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Pour l'homme de la rue ou le grand public, le thème majeur, c'est la peur. Le grand public a peur surtout de tout ce qui est radioactif. Ainsi, les émissions faibles, les accidents, les déchets, le terrorisme, le sabotage, le transport, tout ceci engendre la crainte, parce que cela peut mener à des fuites de radioactivité et leurs conséquences pour le grand public, cancers, effets génétiques, etc. Du côté des "adversaires professionnels" du nucléaire, le thème majeur, si vous essayez de remonter à la racine la plus profonde, est au fond un mécontentement avec notre société industrielle et la crainte de la direction dans laquelle s'engage notre société. L'adversaire voit la cause de ce phénomène néfaste dans la grande technologie, et particulièrement dans un phénomène qu'il pense faire partie intégrante de la grande technologie, c'est-à-dire un phénomène où la grande technologie se définit par elle-même son propre besoin, indépendant des besoins réels de la société. Ainsi vous avez une technologie qui continue à grandir, à croître, poussée par ses propres besoins.Comme on le verra plus clairement encore par la suite, il s'agit d'opposer le «rationnel», dont l'auteur est dépositaire, à l'irrationnel des opposants. L'énergie nucléaire est un symbole et le symbole par excellence de ce phénomène. En grande partie - et j'emploie ici les mots d'une récente conversation avec un nouveau parent qui est membre de l'opposition nucléaire en Belgique - l'énergie nucléaire, m'a-t-il dit un jour, c'est le symbole par excellence de la puissance économique, de la puissance militaire. Ainsi l'énergie nucléaire doit être éliminée coûte que coûte. p.2
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Ma conclusion personnelle est que les adversaires du nucléaire ne sont pas particulièrement engagés dans la défense de l'écologie ou de la santé publique. Beaucoup des adversaires du nucléaire, d'une façon sincère, mélangent au fond les deux thèmes, c'est-à-dire le thème d'ordre socio-économique ou même culturel et la défense de l'environnement. Une seconde chose, c'est que la controverse nucléaire n'est pas, et ça j'en suis de plus en plus persuadé, un débat scientifique. Il est souvent perçu comme tel par le grand public, par la presse et même par beaucoup de milieux scientifiques.Admirez, chers lecteurs, le ton un peu méprisant... mais léger léger! 2. Physiciens et ingénieurs J'aimerais ici vous donner mon opinion aussi sur un phénomène qui existe aussi bien aux États-Unis qu'en Europe, c'est que si vous considérez les scientifiques qui s'opposent au nucléaire, la grande majorité sont théoriciens de la physique nucléaire. Ainsi, à la Carnegie-Mellon University, une grande partie du département de physique, en physique nucléaire particulièrement, est opposée au nucléaire. (suite)
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Non seulement l'énergie nucléaire est un symbole parfait de ce que l'opposition veut rejeter dans la grande technologie, mais c'est aussi la technologie qui fait le plus peur au grand public. Les gens ont peur de la radioactivité, ils ont peur des bombes atomiques, ils ont peur de l'inconnu. L 'homme de la rue ignore aussi les aspects les plus fondamentaux de la technologie nucléaire, même davantage, il ignore les aspects les plus fondamentaux des technologies de l'énergie en général.Aux chapitres suivants, l'auteur fait une analyse intéressante... pour tout le monde et pour tous les usages. Nous la livrons in extenso: 3. Opposants: points forts et points faibles Passons maintenant aux points forts et aux points faibles des adversaires puis de nous-mêmes. Il est très important de bien comprendre quels sont ces points forts et points faibles chez les uns et les autres. Je vais citer ce que je crois être cinq points forts chez l'adversaire du nucléaire. p.3
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Quatrièmement, les adversaires du nucléaire sont très habiles pour utiliser des sentiments vrais du grand public envers le nucléaire, tels que par exemple la peur du nucléaire, l'hostilité envers la grosse industrie et les électriciens.Voilà, messieurs les opposants; faites-en bon usage, ainsi que de ce qui suit d'ailleurs. 4. Partisans: points forts et points faibles J'aimerais maintenant me tourner vers les partisans du nucléaire, et discuter ce que je vois être nos points forts et nos points faibles; parlons tout dabord des points faibles, car ils sont plus évidents. (suite)
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Seconde faiblesse: nous avons tendance tous, à jouer le rôle stéréotypé que les adversaires voudraient nous voir jouer. Il suffit d'observer nombre d'entre nous s'exprimer en public, à la presse ou à la télévision en jouant ce rôle stéréotypé de l'industriel, de l'ingénieur, qui est au fond un rôle vu très négativement par le grand public. Une troisième faiblesse, et je n'aurai pas peur de le dire ici: nous n'avons pas suffisamment de motivation, jusqu'à un certain point nous marquons un manque de responsabilité, et je parle ici surtout des scientifiques, pour ce qui est de notre rôle dans ce débat national.Voilà pour l'essentiel. Dans le reste de l'article, l'auteur parle du dialogue avec les opposants devant le public, et du programme de Westinghouse: Campus America Program. C'est un programme qui a débuté il y a deux ans chez Westinghouse, où une équipe de jeunes ingénieurs choisis (il y en avait d'abord sept, maintenant ils sont douze) parmi un groupe d'une soixantaine qui, une semaine à peu près tous les deux mois, voyage dans un Etat des États-Unis et débat de l'énergie nucléaire dans toutes les grandes universités. Ils parviennent aussi à communiquer leur message par la radio, la télévision et les journaux pendant leur voyage.Pour finir, citons notre bon auteur, sans commentaires: Je suis étonné de voir que les adversaires de l'énergie nucléaire continuent à employer des tactiques et des trucs qui ne sont vraiment pas honnêtes dans ces débats. Mais nous aimons voir ça, parce qu'alors il est très facile de démontrer au grand public (souvent ce sont des débats télévisés, ou bien la presse est présente) que, au fond, la "malhonnêteté" si vous voulez, n'est pas nécessairement toujours le fait de l'industrie. p.4
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Nous avons trouvé, dans
le numéro 269 de juin 1980 de la Revue Française de l'Électricité,
des «réflexions sur l'architecture industrielle»
qui ne manquent pas d'un certain sel:
... L'architecture industrielle illustre une philosophie mondiale autour du travail collectif, invente un langage architectural commun qui se veut, au-delà du désir de rentabilité et d'efficacité, par son côté international même, support de communication entre les peuples. Il y a presque de l'enthousiasme dans cette démarche et les classes sociales y participent d'un commun accord. L'usine devient le modèle hygiéniste de l'architecture.
Et maintenant le bouquet final: Actuellement, nous entreprenons une nouvelle étape de l'architecture industrielle, celle de l'énergie nucléaire, A quelque variante près, le phénomène se répète. De grands établissements industriels sont implantés en zone rurale, au milieu de paysages peu occupés jusqu'alors. Ils dureront vingt à trente ans puis seront mis en sommeil pendant une longue période de désactivation. (suite)
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Il y a là un beau pari pour l'homme.Notons que ce texte est né sous la plume de M. Claude Parent, l'un des architectes travaillant pour EDF. Et voilà ci-dessous le troisième état des lieux tel que ce monsieur l'envisage: Dans le même domaine, dans un article de Nice-Matin du 20 février 1980, on pouvait lire: A la recherche, pour le compte d'EDF, d'une esthétique industrielle, Vasarely veut faire des centrales nucléaires les «nouvelles cathédrales».Indiquons à nos lecteurs que M. Vasarely a d'ailleurs exposé cet été des maquettes de ses projets...! p.5
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