PRÉAMBULE
Il faut très peu de combustible pour faire tourner une centrale nucléaire, dit-on couramment. Il convient de rectifier cette idée reçue: en fait, la fabrication du combustible mobilise, pour une production d'énergie utile équivalente, plus de capitaux que l'industrie de raffinage du pétrole. Et, même si son coût n'intervient que pour 10% dans le prix du kWh, l'approvisionnement en uranium est, surtout depuis l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958, au centre de l'action politique internationale française. A. LA POLITIQUE D'APPROVISIONNEMENT DES
PRÉCÉDENTS GOUVERNEMENTS
Les besoins en uranium du programme nucléaire français sont actuellement couverts à plus de 40% par la production métropolitaine. De près de 5.000 tonnes en 1980, ils vont passer à plus de 7.000 tonnes et, si le programme du précédent gouvernement n'est pas ralenti, à environ 10.000 tonnes en 1990(1). La part de la production française devrait progressivement baisser à 30-35% en 1985 et 15-25% en 1990. En effet, si les ressources métropolitaines en uranium sont notables (100.000 tonnes, plus éventuellement 20.000 tonnes récemment découvertes en Gironde), elles sont insuffisantes pour couvrir les besoins à long terme (besoins cumulés évalués entre 320.000 et 520.000 tonnes en 2020) et sont d'un coût d'exportation bien supérieur à celui des grands gisements découverts dans certains pays du tiers monde, au Canada, en Australie. |
Afin d'éviter de retomber dans la même dépendance
que pour notre approvisionnement en pétrole, les sociétés
françaises (principalement le CEA, puis la COGEMA au départ,
à laquelle s'adjoignent maintenant Total, Elf, PUK, EDF, Imétal,
Rhône-Poulenc) ont mené, depuis trente ans, une intense politique
de prospection dans les cinq continents. Et pour ne pas trop dépendre
du continent africain, menacé de déstabilisation, les précédents
gouvernements avaient particulièrement misé sur l'aboutissement
des prospections en Amérique latine et en Asie. Mais, pour des raisons
politiques et économiques, ces projets n'ont pas pu aboutir. On
sait ce qu'il advint de l'Iran. Le Brésil confia l'exploitation
des gisements découverts par le CEA à l'Allemagne, etc.
a) 3 années d'autonomie
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b) Des forces d'intervention
face aux risques de déstabilisation
Dans le même temps, le gouvernement a eu une politique militaire réaliste: il concentre ses efforts sur les forces d'intervention extérieures destinées à protéger nos zones d'approvisionnement. Le Niger, où se trouve l'essentiel de nos intérêts miniers, est doté de la plus petite armée d'Afrique: 2.100 hommes, dont 2.000 dans l'armée de terre, sans char, et 50 dans l'aviation pour faire fonctionner... 6 avions! Trois voisins puissants rendent la situation du Niger très délicate: la Libye, dont les ambitions territoriales sont connues, dispose d'une armée de 30.000 hommes, avec 1.300 chars, 180 avions et 33 hélicoptères; le Nigéria, qui lorgne aussi vers le Niger, a une armée de 230.000 hommes; l'Algérie, qui trace son axe de développement vers l'Afrique noire par le Niger, entretient une armée de près de 100.000 hommes équipés de 350 chars, de 208 avions et 62 hélicoptères. Il s'agit de protéger non seulement le Niger, mais aussi les pays qui l'entourent de toute menace de déstabilisation qui pourrait avoir des effets communicatifs. D'autre part, l'expansion des programmes nucléaires nécessitera l'exploitation d'un nombre de plus en plus grand de gisements. Il est donc nécessaire de protéger les découvertes minières des diverses sociétés françaises: ainsi en est-il des intérêts des producteurs au Sahara occidental et au Maroc, aux zones de prospection de Total, PUK en Mauritanie, de celles de la COGEMA au Mali et en Guinée, des intérêts définis au Niger, au Tchad, au Sénégal, au Zaïre, en Centrafrique ou même en Angola, le champ à couvrir par le Transal et Jaguar de l'armée française est grand. Et il ne s'agit pas seulement de préserver ces intérêts pour le long terme, mais surtout, peut-être, d'organiser la production. c) S'assurer des concessions
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La conception du précédent gouvernement, d'une indépendance énergétique acquise grâce au programme nucléaire, impliquait donc une certaine conception de l'indépendance, une puissante force militaire d'intervention extérieure et la capacité de contrôler le développement (ou le sous-développement) de nombreux pays d'Afrique, par la mise en place d'une administration et d'un pouvoir politique dévoués aux intérêts français. 2. Exploitation de l'uranium et sous-développement
du Tiers Monde
a) French Africa
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b) Les affaires sont les affaires
Les accords portant sur l'exploitation de l'uranium dans le tiers monde ont ceci de commun: - retour financier minimum dans le pays hôte; - faible contrôle du pays hôte sur le développement de l'exploitation (rythme d'exploitation des mines, clients); - peu de liens avec le reste de l'économie du pays hôte; - peu ou pas de contrôle sur les effets sanitaires et écologiques de l'extraction et du traitement du minerai. Au Gabon, un des derniers accords de recherche et d'exploitation qui a été signé (permis de Boué entre l'État gabonais, la COGEMA et Union Carbide Corporation, en 1978) a pour clauses: - exonération de taxe pendant 7 ans; - droits de douane et redevance limités à 50% de la production; - 10% de participation dans le projet pour le gouvernement. Cet accord est semblable à celui conclu pour l'exploitation du gisement de Mounana avec la CFMU et la COGEMA. Mais c'est à l'État gabonais d'investir pour la construction du chemin de fer, «le transgabonais», qui permettra d'apporter les matières premières nécessaires à l'exploitation et au traitement du minerai. Au Niger, les clauses communes aux différents contrats d'exploitation sont: - les compagnies payent toutes les dépenses de recherche, mais le gouvernement doit payer au pourcentage de sa participation (de 30 à 50% suivant les cas) les dépenses de développement et d'exploitation, soit cash, soit en empruntant aux compagnies intéressées. En retour il dispose du même pourcentage de l'uranium produit, dont les acheteurs fixent le prix et ne sont autres, en général, que les compagnies impliquées dans l'exploitation (sauf en période de mévente comme actuellement où seuls les Libyens paraissent intéressés); - enfin, il existe une clause qu'en général les pays du tiers monde refusent d'accepter lors de la négociation de leurs contrats, qui garantit aux compagnies minières qu'au cas où d'autres compagnies devraient recevoir des clauses plus favorables dans le futur, celles-ci s'appliqueraient aux contrats précédemment conclus. La COGEMA, première sur le terrain, dispose quant à elle de la «clause de la compagnie la plus favorisée». c) Un processus d'endettement
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Si le prix de l'uranium ne remonte pas, l'économie du Niger rencontrera une grave crise. Le précédent gouvernement s'était engagé à payer l'uranium nigérien au prix de 400 F/kg en 1981, alors que le cours international approchait les 350 F. Les coûts de production sont incompressibles: d'une part, on ne peut décemment baisser les salaires des mineurs, et de l'autre, il faut déjà près de 100 F par kg en transports pour amener les matières premières nécessaires à l'exploitation des gisements. Et ce ne sont pas de bonnes paroles qui permettront une stabilisation du cours de l'uranium en raison des énormes intérêts en jeu et de la concurrence effrénée entre les multinationales pour l'exploitation de cette richesse. On est bien loin du développement autocentré nécessaire à l'équilibre social et économique de cette région. On peut aussi se demander ce que rapporte aux Nigériens l'exploitation de l'uranium de leur pays, si ce n'est le «Fonds spécial du président Kountche» alimenté par une taxe spéciale sur l'uranium. B. UN AVENIR INCERTAIN
Sur un tonnage compris entre 12.000 et 15.000
tonnes, 2.500 proviendraient du pays de l'apartheid (la Namibie est occupée
par l'Afrique du Sud), 5.500 de la zone Niger-Gabon, pays constamment menacés
de déstabilisation, et 2.000 à 3.000 tonnes du Canada et
de l'Australie, pays qui suivent la politique américaine en matière
d'exportation et qui pourraient donc à tout moment mettre l'embargo
sur l'uranium comme moyen de pression politique (le Canada l'a déjà
fait en de nombreuses occasions, au risque de compromettre la survie de
son industrie minière; en Australie, les travaillistes se sont engagés
à remettre en cause les contrats d'exportation lorsqu'ils reviendront
au pouvoir... ).
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1. Les contraintes économiques
La baisse du cours international de l'uranium, passant de près de 600 F/kg en 1978 à moins de 350 F au début de 1981 (notons cependant que la hausse du dollar a fait temporairement remonter le cours à environ 400 F/kg), menace gravement les exploitations minières détenues par la COGEMA qui fournit 80% de l'uranium français. En effet, ses intérêts sont placés soit en France, où les coûts d'extraction et de traitement sont évalués à près de 400 F (400 F en Limousin en 1980, qui est la division minière la plus rentable, beaucoup plus à Lodève dans I'Hérault, où vient de s'ouvrir une nouvelle division), soit, pour l'essentiel, des placements à l'étranger, au Niger et dans une moindre mesure au Gabon. On a vu qu'il n'était pas possible de payer l'uranium à moins de 400 F à ces pays. En revanche, de nombreux gisements canadiens, australiens ou namibiens ont un prix de revient de l'uranium extrait inférieur à 200 F/kg, et I'extraction de l'uranium des phosphates américains, particulièrement riches, revient à moins de 100 F/kg. Du fait de ces données et de l'actuelle surproduction mondiale, le cours de l'uranium pourrait encore fortement chuter. La COGEMA n'aurait alors plus d'argent pour investir dans des exploitations plus rentables, ni dans la prospection, ce qui hypothéquerait son développement futur. S'il est concevable de faire payer plus cher le consommateur français d'électricité, en échange d'une «garantie» d'approvisionnement, le contribuable devra-t-il aussi subventionner les ventes d'uranium à I'étranger pour approvisionner les centrales exportées? 2. Les contraintes politiques
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Le gouvernement serait contraint de poursuivre la livraison d'armes au Maroc pour sa guerre au Sahara occidental en échange de l'uranium hautement stratégique contenu dans ses phosphates. Le roi Hassan s'en dit assuré. Le 1er juin, lors d'une conférence de presse, parlant de Mitterrand, il déclarait: «Il n'y a pas à craindre qu'il arrête les ventes d'armes. La France honorera ses engagements. (...) Nous lui fournissons l'uranium extrait des phosphates. La France construit des centrales nucléaires...» Enfin, il faudra maintenir de fortes pressions économiques et militaires sur les pays d'Afrique, continuer à exporter centrales et uranium à des pays comme la Corée du Sud (contrat de 3,7 milliards de F, rien que pour l'uranium!). Serait-ce là les nouvelles relations Nord-Sud? 3. Conclusion
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