METHODE DES AUTEURS, CREDIBILITE Enquête menée de façon objective et très vaste, débordant le sujet, basée sur des documents originaux souvent secrets ou très confidentiels et sur des témoignages de responsables livrés en général avec leurs noms (sauf, en particulier, pour des témoins dont les auteurs craignaient de mettre la vie en danger). En cas de doute, vérification contradictoire par recoupements à deux, voire trois sources indépendantes, décrite en détail. Le travail très documenté, contenant plusieurs révélations importantes, a commencé fin 1979 et a été clos en août 1981. Il y a très peu d'erreurs techniques et il n'y a pas de doute que l'ouvrage fera autorité, tout en étant fortement contesté par ceux qu'il met en cause. PLAN DU RESUME
INDE ET CONSEQUENCES
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Ces contrôles peuvent être dénoncés alors que «le temps critique pour faire des explosifs diminue d’année en année» (p. 143). Le résultat est la «prolifération rampante», à l'abri du TNP (p. 144), car l'AIEA n'a pour rôle qu'une «détection à temps», devenue sans vraie signification. Ce réveil de la politique américaine (Ford) aux dangers de la prolifération a abouti à la constitution du Club de Londres (p. 150) et à la volonté américaine d'imposer des conditions beaucoup plus strictes que celles de l'AIEA en matière d'exportation nucléaire. Les tensions qui s'en sont suivies, en particulier avec la France au sujet de la Corée du Sud, de Taïwan et du Pakistan, sont alors décrites: - tentative française de vente nucléaire en Corée stoppée par une pression directe des Américains sur la Corée (p. 152), - tentative française d'exportation d'une usine de retraitement à Taïwan. A ce propos les auteurs livrent (pp. 152-153) un document secret daté du 5.2.1973 dû à Mr. Bertrand Goldschmidt, un projet d'usine de retraitement de 100 tonnes par an à construire par SGN (Saint-Gobain Techniques Nouvelles), indiquant que SGN a déjà fourni à Taïwan un petit ensemble de retraitement: «Nous pensons que ce serait une honte pour notre industrie de ne pas recevoir les fruits de l'action déjà promise au moment de la fourniture d'un laboratoire de retraitement». SGN s'entend avec son concurrent allemand, mais les Américains stoppent le marché par un veto assorti de menaces à l'égard de Taïwan. Cette action américaine est efficace et, selon les auteurs, Taïwan ne constitue pas actuellement un risque immédiat de prolifération. Carter poursuit la politique de Ford (p. 153), mais essuie des échecs (Brésil, p. 157). L'affrontement avec la France au sujet du Pakistan conduira à un désistement français (voir «Pakistan»). ISRAEL
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PAKISTAN Naissance du projet L'architecte du projet est Ali Bhutto dont une des idées force était dès les années 60 l'accession du Pakistan à la bombe atomique (pp. 39-52). Il l'a écrit en 67, mais n'a pas été pris au sérieux. Au pouvoir fin 1971, Bhutto trouve dans la défaite aboutissant à la sécession du Ben-gladesh l'aliment de son ambition. Les auteurs révèlent pour la première fois qu'une réunion eut lieu à Multanen en janvier 1972 entre Bhutto et les meilleurs scientifiques pakistanais, au cours de laquelle la construction d'une bombe atomique a été décidée (pp. 44-46). Le prix Nobel Abdus Salam refuse par suite sa coopération (p. 46). Les auteurs décrivent en détail les tentatives avortées de Khadafi d'acheter une bombe atomique et ses tractations avec Bhutto pour financer le programme pakistanais. Elles ont eu lieu à Paris en 1973 et ont inclus l'Arabie Saoudite et le Golfe. Tous ces Etats ont accepté le principe de financer le programme et malgré la pauvreté du Pakistan il ne devait plus subsister de problème financier (p. 61). Khadafi posait cependant des conditions inacceptables (disposer de la première bombe) et ce n'est qu'en février 1974 (p. 62) que l'accord était conclu, entériné en marge du sommet islamique de Lahore. Le Pakistan avait déjà un réacteur canadien CANDU (137 mégawatts électrique, 400 mégawatts thermique) qui pouvait fournir le plutonium (p. 66). Bhutto s'est tourné vers la France pour la fourniture d'une usine de retraitement pour la séparation du plutonium contenu dans le combustible. Position de la France
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Le Quai d 'Orsay était plus prudent, voulant sauver les apparences, et «était de façon récurrente en désaccord sur la politique d'exportation nucléaire, le Quai bataillant contre les pressions exagérées exercées par Giraud et le C.E.A. en faveur des exportations nucléaires» (p. 73). «Le Quai ne voulait pas que la France soit considérée par ses alliés comme aidant le Pakistan à construire une bombe... mais André Giraud et le lobby de l'exportation ne voulaient pas perdre la vente, ni la promesse des ventes futures.» (p. 78). Chasma
L'usine pilote (p. 80)
Crise avec l'Amérique
p.28
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Kissinger intervient en France. Jacques Chirac invoque la «souveraineté nationale» et refuse la discussion. Cette visite déclenche cependant un changement «étonnamment rapide». Le 1er septembre 1976, le Président Giscard d'Estaing crée le conseil politique nucléaire extérieure, rencontre Kissinger le 7 septembre et en octobre annonce que la France renonce à la «compétition couteau sur la gorge», qui utilise la laxité en matière de contrôle comme argument de vente; «le contrat sur Chasma sera cependant respecté». Le 16 décembre, la France renonce à vendre d'autres usines de retraitement. Suit (pp. 164-173) la description d'une longue tractation qui a abouti après 2 ans d'efforts au quasi abandon du projet de Chasma par la France. Les Canadiens, pour leur part, tentent d'imposer des contrôles plus stricts de leur réacteur CANDU et finissent par rompre les ponts [mais c'est un réacteur à uranium naturel, et du combustible peut être trouvé ailleurs]. Un coup d'Etat renverse Bhutto. Cependant il est trop tard. Selon M. Poincet, SGN a déjà fourni 95% des plans (p. 167). Les Pakistanais relancent SGN puis M. Louis de Guiringaud, qui propose une nouvelle méthode de retraitement, le co-retraitement fournissant du plutonium impur; ils refusent. M. André Jacomet, du Quai d'Orsay, effectue deux missions: les Pakistanais s'accrochent au plutonium pur. Jacomet: «Nous étions convaincus que les Pakistanais voulaient la bombe atomique... La seule voie était de ne pas poursuivre le contrat» (p. 171). En février 1978 SGN reçoit une lettre ferme du gouvernement disant de tout arrêter. M. Poincet prétend actuellement que cet ordre était dû à une intrigue américaine pour juguler la concurrence. Le 15 juin 1978 l'annulation du contrat est définitivement décidée, mais jamais rendue publique. Au cours de sa mission, Jacomet invoque la nouvelle politique de ne pas vendre des usines de retraitement et insiste que c'est général, non discriminatoire vis-à-vis des Pakistanais (p.173). Le Pakistan n'acceptera jamais la décision et tentera de la contourner. Le général Zia continue en matière nucléaire la politique de Bhutto. Les tentatives de contournement du Pakistan
(pp. 195-223)
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«Le CEA pouvait-il, avec son penchant pour les exportations, défier ouvertement le Quai d'Orsay?...» demandent les auteurs. «La réponse est aussi ambiguë que la politique française elle-même» répondent-ils (p. 199). Jacomet: «Ce que nous avons essayé c'est de ne pas rompre avec le Pakistan sur ce sujet.» Le contrat n'était pas supprimé, seulement suspendu. C'est ainsi que des ingénieurs français sont restés au Pakistan pour finir les travaux de génie civil, pour le compte de SGN au moins jusqu'en décembre 1979 (p. 200). La politique française, si bien accueillie par les Américains, était «évasive, incertaine, pleine de compromis» (p. 200). Poincet lutta contre la décision gouvernementale et fut démis le 29 juin 1979; il maintient à ce jour [mars 1980] des contacts, de son propre aveu, avec les Pakistanais (p. 201). Les auteurs décrivent l'aide que SGN a continué à fournir au Pakistan, en passant par une filiale en Italie, faits contestés par M. Alain Vaneau, porte parole du CEA, mais confirmés par Dr Fabio Pistella, premier conseiller du directeur du CEA italien (CNEN) (p. 207). D'après les auteurs, les Pakistanais ont réussi à terminer l'usine pilote de Kahuta, qui devait démarrer début 1981 (p. 215) et est la source la plus probable d'explosif pour la première bombe pakistanaise au plutonium, qui devrait être prête en 1982. Les Pakistanais n'ont jamais admis l'existence de cette usine: elle est en dehors de tout contrôle de l'AIEA (p.221). Quant à Chasma, elle est théoriquement sous contrôle, mais celui-ci ne s'effectue pas, au grand embarras de l'AIEA. La voie uranium par ultracentrifugation
p.29
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Achats d'uranium De l'uranium naturel a été acquis auprès du Niger par le Pakistan et la Lybie, par centaines de tonnes, jusqu'en 1981. La COGEMA, filiale du CEA, détient la majorité des actions de ces mines. Le CEA était au courant, comme l'a confirmé M. Pecqueur (p.210). Aucune inspection n'a jamais pu avoir lieu en Lybie. [Ce qui précède montre comment le Pakistan s'est lancé dans un programme d'armement nucléaire «tous azimuths», empruntant à la fois la voie plutonium et la voie uranium, sans jamais être découragé par les difficultés et qu'il a souvent bénéficié de bienveillance ou même de complicités. Aux dernières nouvelles, la CIA annonce pour 1984 (comme prévu il y a 10 ans) la disponibilité d'une bombe pakistanaise une explosion est cependant tenue pour improbable à cette date, car pour l'instant le Pakistan aurait plus à y perdre qu'à y gagner sur le plan politique et économique: New York Times, 25 janvier 1981.] IRAK
Achat d'Osirak
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En septembre 1975, Saddam visite Paris (et Cadarache); le 18 novembre un accord de coopération est signé; le 26 août 1976 [5 jours avant le revirement vis-à-vis du Pakistan!] est conclu le contrat d'Osirak, «un des plus puissants et des plus perfectionnés des réacteurs d'essai de matériaux [MTR] du monde» p. 94). Tout en prétendant qu'Osirak est mal adapté pour faire une bombe, Yves Girard admet: «Bien sûr nous aurions dû résister... dire: cet outil est trop bon, cherchez quelque chose de plus raisonnable... mais tout le monde voulait vendre: les Italiens, les Canadiens, les Allemands» p. 95). Les Français se rassurent en invoquant l'incapacité technique des Irakiens, à laquelle ne croient nullement les Israéliens (p. 96), à moyen terme. D'autant que la fourniture de 80 kg d'uranium enrichi de qualité militaire fait partie du contrat (p. 97). En complément d'info sur Osirak par la Gazette: N°45 et 48/49 Les installations italiennes
L'opposition au projet
p.30
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Persécutions en Irak et caractère de Saddam Hussein Les auteurs évoquent la répression de Saddam Hussein contre les Chiites en 1979, au cours de laquelle il fait emprisonner et torturer atrocement les deux meilleurs physiciens nucléaires irakiens, chiites; le plus brillant des deux est condamné à mort et on ne sait pas s'il est mort ou vivant (pp. 249-255). Ces faits et d'autres persécutions dont ils sont témoins dépriment gravement le personnel français sur place (p. 255), mais ne provoquent aucun changement dans l'attitude française. La voie uranium enrichi
La voie plutonium
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Les auteurs tentent d'établir quelle serait la production annuelle potentielle de plutonium dans une «couverture» d'uranium naturel irradié par les neutrons du réacteur. Pour ce faire, «la difficulté était dans l'énorme secret entourant tout le projet nucléaire irakien et dans l'habitude exaspérante des autorités nucléaires françaises de dire des mensonges même lorsque cela ne semble servir aucun but». Début 1981, M. Alain Varneau, porte-parole du CEA, leur dit: «Dans ces conditions idéales, réellement idéales, ils pourraient avoir environ 10 kg par an» (p. 263). Ce chiffre leur paraît sidérant [2 bombes par an]. Plus tard, après l'attaque israélienne, les autorités se rétractent: le chiffre de 10 kg provenait «d'une étude superficielle»; «2,4 kg, c'est plus probable». «C'est donc tout ce que les Français considéraient comme valant la peine de faire au départ», notent les auteurs: «une étude superficielle». En fait, les estimations varient de 2 à 10 kg par an [le directeur de l'AIEA a annoncé 8 kg]. «2 bombes par an ou 1 bombe tous les 2 ans»; pour les Israéliens, cela ne change guère. Ce qui préoccupait les Israéliens, c'était cette production de plutonium plutôt que le détournement de l'uranium enrichi [livré charge par charge]; or ils ne croyaient pas à l'efficacité des contrôles (p. 236). Les auteurs exposent alors un des éléments «les plus atterrants» du dossier: «L'Irak n'avait aucune obligation légale de ne pas utiliser le réacteur pour irradier de l'uranium naturel... ni avec nous, ni avec l'AIEA», indique aux auteurs un des diplomates du Quai chargé plus tard de réviser le contrat; «Tout ce que fait l'AIEA, c'est de comptabiliser ces opérations» (p. 264). [Les matériaux ainsi obtenus ouvertement pouvaient donc être stockés sur place]. Compte tenu des dispositifs de séparation italiens qui pouvaient être facilement agrandis, les Irakiens mettaient donc en place ce que le sénateur américain Alan Cranston a appelé «un projet Manhattan pour le monde arabe radical», et ceci dans le cadre du TNP. La matière première pour le plutonium
p.31
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Les faits les plus récents Les auteurs évoquent les démarches israéliennes relatives au réacteur, son bombardement par les Iraniens, l'exode qui s'en est suivi des techniciens français, qui ont abandonné sur place les 13 kg d'uranium enrichi déjà livrés et l'interruption du libre accès au réacteur pour les inspecteurs de 1'AIEA décidé à ce moment par les Irakiens (pp. 275-282). Les officiels français n'ont jamais pensé à ce qui pourrait se passer en cas de guerre; «très embarrassés... ils disent (selon le Washington Post) que cela place tout le problème de la prolifération nucléaire sous un jour nouveau» (p. 282). Ils décrivent pour finir la destruction du réacteur par les Israéliens (pp. 283-291 et 3-10). Dans un chapitre spécial (pp 11-21), les auteurs évoquent les efforts faits pour améliorer le contrat dès l'entrée en fonction du Président Mitterrand. Un groupe de travail se met à l'ouvrage au Quai, dès le 22 mai 1981, sous la direction de M. François Nicoullaud. «Pour la première fois des diplomates hostiles à la prolifération, comme Nicoullaud, ont une chance de gagner leur petite bataille contre les marchands nucléaires exclusivement préoccupés d'exportation» (p. 12). Il s'agissait de colmater les «failles» du contrat, dont quelques-unes étaient «évidentes de façon choquante»: pas d'obligation légale de ne pas utiliser le réacteur pour irradier de l'uranium et produire ainsi du plutonium (p.13); pas de disposition claire sur le devenir du combustible usé, hautement radioactif et encore à haute teneur en 235U (p. 15); garanties insuffisantes pour la présence des techniciens français sur le site jusqu'à 1989, disposition tenue encore à l'époque rigoureusement secrète. Cette disposition fut d'ailleurs violée dans l'année même de sa signature lors de l'interdiction faite aux techniciens, après l'attaque iranienne d'accéder à Osirak (p. 14). «Nous aurions voulu que soit dit expressément que les Français sont là sur une base permanente», dit un officiel. «La France voulait cette fois-ci avoir la garantie que les techniciens auraient un libre accès directement au réacteur lui-même, pour assurer, sinon le contrôle, du moins la surveillance efficace du fonctionnement du réacteur» (p. 14). Les Français voulaient aussi rendre formel l'arrangement selon lequel l'uranium enrichi allait être livré charge par charge. Rien de tout cela n'était garanti par le contrat initial. (suite)
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«Et pourtant, remarquent les auteurs, durant 18 mois d'investigations, nous avons reçu les assurances constantes des officiels français qu'Osirak ne fera pas et ne pourra pas faire la bombe. Maintenant, ce diplomate admettait... d'un air dégagé... que rien dans le contrat franco-irakien n'empêchait officiellement les Irakiens d'entreprendre une telle action». «Nous en étions bouleversés» disent-ils. Le projet de révision est prêt début juin. Le 7 juin, les Israéliens convaincus que Saddam utilisera Osirak pour se créer une capacité nucléaire complète (p. 19) et qu'il n'hésitera pas à s'en servir (p. 20), détruisent le réacteur. Il était trop tard. Perspectives
La solution est dans l'embargo
efficace sur les usines de séparation et d'enrichissement, sur les
grands réacteurs de recherche et pour les pays dangereux, même
des réacteurs électrogènes; elle est dans des traités
régionaux et dans des inspections internationales et régionales
les plus strictes; elle est dans l'arrêt de la prolifération
verticale.
p.32
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