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N°62/63

1. LE STOCKAGE DES DÉCHETS RADIOACTIFS

1. Rapport du groupe de travail sur les recherches
et développements en matière de gestion des déchets radioactifs


     Lors de la séance du 15 novembre 1984 du Conseil Supérieur de Sûreté Nucléaire (où siège en tant que représentant associatif un membre du GSIEN), le Professeur Castaing a présenté les conclusions et principales recommandations du dernier rapport du groupe de travail qu'il dirige.
     Voici in extenso ces conclusions et principales recommandations.

CHAPITRE III
CONCLUSIONS ET PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

     Au terme de son examen, le groupe a pu identifier un ensemble de questions pour lesquelles un effort tout particulier de R&D lui paraît devoir être consenti. Rappelons tout d'abord les deux grandes préoccupations qui ont guidé ses travaux:
     La première concerne les incertitudes dont est entachée toute évaluation sur les effets à long terme de telle ou telle option de gestion de déchets radioactifs; cette situation a amené le groupe à souligner l'importance de réduire autant que faire se peut la nuisance potentielle des déchets produits, c'est-à-dire celle qui est déterminée par l'inventaire des radionucléides présents, compte tenu de leurs toxicités respectives.
     La deuxième concerne le contexte industriel et politique dans lequel s'inscrit toute action dans le domaine de la gestion des déchets, contexte caractérisé, en ce qui concerne la France, par le choix d'extraire le plutonium des combustibles irradiés de la filière EP dans l'usine actuelle UP2-400 puis dans les extensions prévues à La Hague et de l'utiliser éventuellement dans une nouvelle filière NR dont l'ampleur future n'est d'ailleurs actuellement pas arrêtée.
     Tout en examinant les points sur lesquels devrait porter un effort de R&D en matière de gestion des déchets produits au cours de ce retraitement, le groupe rappelle qu'il tient pour important que soit assurée la disponibilité d'autres stratégies de gestion des combustibles irradiés, telles que le retraitement différé ou le stockage définitif des combustibles sans retraitement.
     Ce sont ces considérations qui ont amené le groupe à dégager les principales recommandations suivantes, autour desquelles s'articulent finalement les divers thèmes de R&D énoncés au chapitre II du présent rapport.
     En ce qui concerne les déchets produits au cours du retraitement actuel et tel qu'il est prévu dans les usines en construction, le groupe recommande:
     - qu'une large priorité soit accordée à la décontamination la plus poussée possible en émetteurs alpha, responsables pour l'essentiel de la radio toxicité à long terme. Ceci n'est que plus justifié si l'on anticipe - ce qu 'il nous paraît sage de faire dans un domaine industriel à grande inertie dans le temps - la nouvelle norme pour le plutonium ingéré qui sera probablement d'un ordre de grandeur plus sévère que celle qui découle de la CIPR 30.
     - que l'on poursuive les études de qualification et d'amélioration des conditionnements des déchets (conteneurs et enrobés) au regard de leur tenue à long terme, notamment dans des conditions modélisant celles des stockages définitifs en situation normale.
     Ces recommandations prennent encore plus de force pour le retraitement éventuel des combustibles mixtes, contenant de plus grandes quantités de plutonium, tels que ceux qui seraient utilisés dans la filière NR ou lors du recyclage de ce corps dans la filière EP actuelle. Le groupe a souligné (voir paragr. II.6) que, dans le cas du retraitement des combustibles irradiés de la filière NR, un gain de l'ordre de 4 à 6 devra être réalisé sur le facteur de décontamination en plutonium des déchets si l'on veut maintenir la nuisance potentielle due à ce plutonium au niveau prévu pour les déchets de retraitement de la filière EP produits dans la future usine UP3.
    En ce qui concerne le retraitement poussé, le groupe recommande:
     - que l'effort actuel de R&D, de l'ordre du pour cent du budget total R&D sur les déchets, soit dès maintenant porté à un niveau compatible avec la volonté de rendre disponible, d'ici au début du siècle prochain, un procédé industrialisable d'extraction des actinides mineurs, ainsi que les modifications de certaines étapes du retraitement qu'implique cette option.

suite:
     - que soient évaluées les incidences économiques de la stratégie complète du retraitement poussé sur le coût du retraitement, des entreposages et des stockages.
     - que la conception d'une éventuelle usine de taille industrielle succédant à TOR soit menée de façon à permettre les adjonctions ou aménagements nécessaires à la mise en oeuvre d'une telle option, compte tenu de l'intérêt tout particulier du retraitement poussé dans le cas de la filière NR.
     En ce qui concerne le stockage définitif des combustibles irradiés en l'état, le groupe recommande:
     - que des solutions techniques pour l'entreposage et l'évacuation définitive soient élaborées et qu'une évaluation économique détaillée soit entreprise.
     - que la France se dote d'une stratégie globale correspondant au non-retraitement, compte tenu des incertitudes sur les quantités futures de combustibles irradiés qui pourraient pour des raisons diverses ne pas être retraitées.
     En ce qui concerne le stockage définitif des déchets produits dans les diverses options, le groupe recommande:
     - qu'aussi bien dans le cadre du retraitement immédiat sans séparation des actinides mineurs que dans celui du non-retraitement, un gros effort soit consenti, dans la ligne des conclusions du paragr. 11.4, pour combler le retard pris en France dans le domaine géologique; le groupe reprend à cet égard toutes les recommandations contenues dans son précédent rapport.
     - qu 'en particulier l'effort de R&D sur la caractérisation en situation d'enfouissement géologique des verres ainsi que des combustibles irradiés d'une part, des déchets B de retraitement d'autre part, soit intensifié.
     - que si, comme il est très vraisemblable, à l'issue des étapes a, b, c (chap. II.4, paragr. 2) de sélection et de reconnaissance de sites par des sondages et de façon générale par des mesures effectuées depuis la surface, plusieurs sites apparaissent comme potentiellement favorables, un choix soit proposé aux autorités de sûreté, pour ce qui concerne la poursuite des opérations, entre les deux stratégies ci-avant évoquées à cet égard, à savoir:
     a) sélection d'un site initial, appuyée éventuellement sur des études complémentaires par sondages, pour l'installation d'un laboratoire souterrain unique où seraient poursuivies les mesures et opérations diverses visant à qualifier ce site pour un stockage définitif,
     b) poursuite des opérations de reconnaissance par des mesures effectuées par accès et galeries sur plusieurs sites appartenant si possible à des types de formations différents, la sélection d'un ou de plusieurs sites où seraient menées les étapes ultimes de qualification n'intervemant qu'au vu des résultats obtenus dans ces laboratoires souterrains, et que ce choix soit soumis pour avis au Conseil supérieur de la sûreté nucléaire.
     - que l'éventuelle prise en considération, en France, d'une formation saline pour l'enfouissement de déchets de type B ou C soit précédée d'une étude détaillée des conséquences d'une intrusion humaine dans un site de stockage dont la mémoire n'aurait pas été conservée. Quels que soient les avantages qui, pour un tel milieu de stockage, apparaissent résulter de l'absence d'eau en situation normale, il est nécessaire que les conséquences d'une telle intrusion humaine y soient jugées acceptables; en effet, la probabilité d'une telle intrusion, liée par exemple à l'extraction de sel ou à la réalisation de cavités de stockage de produits divers, ne nous paraît pas - du moins dans le cas de la France -, si elle est cumulée sur de très longues durées, pouvoir être tenue à priori pour négligeable.
- que la recherche de sites d'enfouissement soit réalisée en priorité en vue des déchets B; une fois qu'un ou plusieurs sites favorables auront été complètement caractérisés du point de vue géologique, l'enfouissement ne pourra cependant intervenir que s'il a été démontré que les matrices et enrobages des déchets B à enfouir sont compatibles avec le milieu retenu. Dans le cas contraire, ces matrices et enrobages devront être rendus compatibles avec ce ou ces milieux.
p.3

     - que pour les déchets C la recherche de sites potentiellement favorables soit entreprise dès maintenant, en vue de permettre l'étude et la qualification des barrières ouvragées les plus appropriées aux roches hôtes potentielles; cependant, du fait de leur émission thermique, l'enfouissement des déchets C ne pourra intervenir avant une cinquantaine d'années, laissant ainsi le temps soit d'atteindre une meilleure connaissance des milieux, des barrières et donc de la sûrete, soit de proposer des modes de gestion differents ne faisant pas appel à l'enfouissement en profondeur.
     - qu'un groupe de réflexion pluridisciplinaire, faisant intervenir notamment des géologues, des chimistes, des spécialistes de radioprotection, des hygiénistes, des sociologues, des spécialistes de la protection civile, de l'environnement, propose des critères de choix de sites de stockage profond et que les autorités de sûreté, prenant en compte ces critères, arrêtent une règle fondamentale de sûreté applicable à l'enfouissement en formation géologique.
     - qu'une commission consultative analogue au comité technique permanent des barrages par exemple, et constituée essentiellement de géologues, géotechniciens, mineurs et spécialistes de la sûreté, mais indépendants des opérateurs, soit appelée à donner un avis motivé sur les choix qui seront proposés aux pouvoirs publics à chaque étape du processus de décision, allant de la sélection des sites à la réalisation des stockages, par l'organisme responsable de la gestion des déchets, en l'occurrence le CEA.
@

     En tout état de cause, le groupe tient à préciser que la large part qu'il a réservée dans le présent rapport aux recherches concernant le stockage définitif des déchets du type actuel ne doit pas faire oublier l'importance qu'il attache à la recherche de procédés de retraitement permettant de réduire de façon très significative la radiotoxicité potentielle à long terme des stockages, et par là même les incertitudes quant aux risques lointains. Il rappelle que la majorité de ses membres considère le retraitement poussé comme la solution intrinsèquement la plus satisfaisante du problème de la fin du cycle électronucléaire.
     Pour conclure, le groupe souligne tout l'intérêt qu'il
verrait à ce que la stratégie française actuelle en matière de gestion des déchets produits dans le cycle électronucléaire fût décrite dans un document de haut niveau scientifique par les instances qui ont élaboré cette stratégie et qui sont chargées de sa mise en ceuvre.
     La réalisation d'un exercice d'analyse des risques présente l'ïmmense avantage d'obliger les équipes à mettre noir sur blanc leurs hypothèses de travail, l'état de leurs connaissances sur les milieux et sur les techniques utilisées. Dans le cas qui nous occupe, une telle analyse permet de s'assurer de la cohérence de l'ensemble et de se faire une première idée du degré de confinement qu'apporte un milieu donné. Elle permet enfin, si elle est largement diffusée, de soumettre à la communauté scientifique la démarche par laquelle le problème posé par les déchets radioactifs est abordé par les équipes qui en ont la charge et par suite de réunir très tôt, soit un consensus, soit des indications sur les directions vers les quelles il conviendrait d'infléchir le programme de recherche.
     Cette approche ne pourrait que contribuer à asseoir sur
les meilleures bases possibles du point de vue scientifique, la crédibilité du programme de gestion des déchets produits dans le cycle du combustible que met en oeuvre le pays qui depuis 10 ans, a orienté avec une vigueur toute particulière son programme énergétique vers le recours à l'énergie électronucléaire.
     Tous les membres du groupe, quelles qu'aient pu être les préférences de chacun d'eux quant aux points dont il souhaitait l'examen ou quant à la rédaction de telle ou telle des questions qui ont été abordées, se sont mis d'accord sur les termes de ce rapport.

 Paris, le 12 octobre 1984
Le Président du Groupe de Travail
 R. CASTAING

     Le moins qu'on puisse dire est que ce rapport a provoqué une levée de boucliers de la part des ténors du CEA.
     Il est vrai que le rapport (et sa conclusion) énonce quelques vérités bien senties ainsi que des remarques de bon sens qui ne sont pas du tout dans la ligne que cherche à imposer le CEA.
suite:
     Citons:
     --  la décontamination la plus poussée possible en émetteurs alpha va s'avérer indispensable pour les combustibles mixtes {U/Pu) ;
     -- prévoir l'éventualité d'un entreposage et d'un stockage de combustibles en l'état sans retraitement.
     -- le choix du site pour le laboratoire souterrain devait être soumis pour avis au Conseil de Sûreté.
     -- les critères de choix de sites de stockage profond doivent être définis par un groupe de réflexion pluridisciplinaire et non uniquement par les technocrates de l'Industrie et ceux du CEA.
     -- une commission consultative de spécialistes indépendants des opérateurs (le CEA) devrait donner un avis sur les choix proposés aux pouvoirs publics par le CEA.
     Tout cela est iconoclaste et a provoqué la colère de nos têtes pensantes.
     «... Il faut que les responsabilités soient bien définies... Pas question d'être contrôlé par des rigolos qui n'appartiennent pas au clan. Tous les gens compétents en la matière sont déjà chez nous. Il existe déjà des groupes pluridisciplinaires comme les groupes permanents, la CIINB (Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base), pourquoi en faire de nouveaux?
      Parler de non-retraitement, c'est décrédibiliser la technique française...», etc.
     Après un débat confus et une procédure de vote que n'aurait pas désavouée la IVe République, le Conseil a voté un avis qui a prouvé le bien-fondé de sa composition.
     «Le Conseil a estimé que les recommandations y figurant (dans le rapport) doivent être prises en compte...» et refuse la formulation:
      «Le Conseil a fait siennes l'ensemble des recommandations de ce rapport qui doivent être prises en compte».
     Ce qui, en termes clairs signifie, votre rapport vous pouvez en faire des confettis. C'est donc la mise à mort du groupe Castaing qui, comme nous vous l'avons déjà conté, fut constitué à un moment où la technocratie craignait une purge salutaire que le PS n'a pas osé faire à l'été 1981.
     Tous ceux qui. comme nous, espéraient que le travail de ce groupe aiderait à une gestion démocratique et scientifique des problèmes des déchets radioactifs, ont perdu.
     Nous avons toujours affirmé que le stockage des déchets ne pourrait se faire dans des conditions acceptables pour la population et les travailleurs que si on mettait en oeuvre les
recommandations issues d'une analyse indépendante du lobby nucléaire (ce qui ne veut pas dire que pour faire cette analyse on ne doive pas entendre les membres du lobby et même tenir compte de certaines de leurs remarques).
     Encore une fois tous les pouvoirs vont être concentrés dans les mains d'un même groupe technocratique.
     Il faut donc une mobilisation sur les sites en cours de prospection pour obtenir de véritables engagements - des engagements écrits-. Sinon, on peut craindre le laxisme habituel dont le site de la Manche (La Hague) est un triste exemple. Où sont les études hydrogéologiques, qui les a contrôlées, les rapports et leur analyse ont-ils été communiqués au public, ou, au minimum, à la commission d'information de La Hague?
     Parmi les gens les plus compétents, tout le monde sait que le site du centre de de stockage de La Hague, aujourd'hui, n'aurait pas pu être qualifié. Sa seule vertu était d'être à côté d'une usine de retraitement que le CEA construisait en douce en faisant croire aux gens du pays qu'il s'agissait d'une usine de fabrication de matériel électrique (Cf. « Condamné à réussir»). Le problème des déchets radioactifs est un point crucial pour le cycle de l'énergie nucléaire. La façon dont il sera réglé est essentielle et servira d'exemple pour la gestion de tous les déchets de notre civilisation industrielle. Car si les déchets radioactifs, de par leur nature s'auto-détruisent dans le temps, il n'en est pas de même pour certains polluants chimiques d'une stabilité aussi remarquable que leur toxicité (souvenez-vous aux USA de Love Canal et de la dioxine, du mercure de Minamata...).
     L'industrie nucléaire est une industrie jeune; on pouvait penser que pour elle on construirait des structures nouvelles qui la mettraient à l'abri du laxisme et des errements historiques de l'industrie chimique. On pouvait aussi croire que l'expérience malheureuse des transferts de polluants dans l'environnement serait prise en compte. On pouvait enfin espérer que ces nouvelles structures serviraient d'exemple pour restaurer tout le vieil édifice industriel. Il n'en est rien. Le transfert se fait dans l'autre sens; on tente d'aligner les normes de l'industrie nucléaire sur le laisser-aller hérité d'un siècle de tâtonnements.
rité d'un siècle de tâtonnements.
p.4

2. Les centres de stockage en surface


     Dans la Gazette Nucléaire n° 61 de juillet-août 1984, nous avions conté comment le Ministre délégué à l'Energie de l'époque, M. Auroux, avait honoré de sa présence la réunion du Conseil Supérieur de Sûreté Nucléaire du 19 juin
1984.
     Dans un discours de juin 84, Auroux décrivant la nouvelle règle fondamentale de sûreté relative aux centres de stockage en surface, précise les critères d'acceptation des colis: «l'activité en éléments radioactifs émetteurs alpha d'un colis accueilli dans un centre de surface ne devra pas...» Dans la règle fondamentale de sûreté, nos technocrates ont écrit: «l'activité massique moyenne en émetteur alpha de chaque colis de déchets (en prenant toujours la valeur qui sera obtenue à l'issue de la phase de surveillance)..
     Donc pour les mêmes valeurs réglementaires, pour Auroux, c'est à la livraison du colis, pour le SCSIN c'est après 30 ans de décroissance.
     Cela permet d'en mettre un peu plus, en tenant compte de la décroissance. Mais pour des émetteurs de très longue période, c'est vraiment très peu.
     Bande de gagne-petit!!!
     A cette occasion il nous avait décrit les grandes phases de la mise en oeuvre des futurs sites de stockage de surface de déchets nucléaires (catégorie A: faible activité, contamination alpha inférieure à 0,01 curie par tonne) et du laboratoire souterrain destiné à tester les qualités du milieu pour le stockage des déchets des catégories B et C (moyenne et haute activité contaminés alpha).
     La suite fut le communiqué de presse du Secrétariat d 'fEtat à l'Energie du 21 septembre 1984 (voir encadré à droite) où nous apprenions, avec la joie que vous devinez les noms des trois départements choisis pour les sites de surface.
     A ce moment-là tout alla très vite. L'ANDRA, aidé par les préfets organisa des réunions avec les élus locaux, mit en place un permanent chargé de diffuser la bonne parole.
     Après ce blitz, les populations commencèrent à réagir et la guerre de tranchées s'installa dans nos campagnes.
suite:
COMMUNIQUÉ DE PRESSE

CHOIX DES CENTRES DE STOCKAGE DE DÉCHETS NUCLÉAIRES

     Ouvrant en juin dernier la réunion du Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire, Monsieur Jean Auroux avait rendu publique une règle fondamentale de sûreté relative aux centres de stockage de déchets nucléaires. Cette règle s'accompagnait de la définition de critères pour le choix des sites de stockage dans le cadre du programme général de gestion élaboré par le CEA. Monsieur Jean Auroux avait annoncé qu'il donnait mission au Commissariat à l'Energie Atomique et à l'Agence Nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs de proposer, au cours du deuxième semestre 1985, deux sites de stockage en surface.
     La démarche rendue publique par Monsieur Jean Auroux se produit comme annoncé. Le Commissariat à líEnergie Atomique et l'ANDRA ont fait connaître à l'administrateur une première liste de trois départements - il s'agit des départements de l'Aube, de l'Indre et de la Vienne - pour lesquels un inventaire dressé à partir de documents géologiques définit des secteurs qui méritent d'être étudiés plus avant. Monsieur Martin Malvy, Secrétaire d'Etat chargé de l'Energie, a autorisé la poursuite de ces études. Il a demandé au CEA de joindre dès maintenant à ces trois premiers départements un site dont la candidature lui a été proposée par un maire et s'est engagé à faire étudier ceux qui lui seraient présentés de la même manière.
     Monsieur Martin Malvy a rappelé au CEA et à l'ANDRA que ces études devaient être conduites en totale concertation avec les représentants locaux des Pouvoirs publics et les élus et que l'information devait être largement diffusée auprès de la population.
     Il a par ailleurs autorisé les Commissaires de la République a faire état des emplois qui seront induits pour chacun de ces deux centres et des avantages financiers dont bénéficieront les collectivités locales.
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     Pourtant. tout est évident, hien connu. Comme dit l'ANDRA «nous avons quinze ans d'expérience à La Hague». Alors, chers notables, quand vous visiterez ce centre, posez quelques questions innocentes. Par exemple: comment se fait-il que le stockage ait été si mal organisé par Infratome, premier gestionnaire privé; qu'il a fallu tout reprendre (et ce n'est pas fini). Au bout de combien de temps décidera-t-on qu 'il faut tout reprendre sur votre site parce qu'on se sera rendu compte que cela ne va pas ?
     Et ce pauvre ruisseau St -Hélène qui sort de l'usine de retraitement au nord, s'il est contaminé en tritium, au point que c'est même indiqué dans les mesures du SCPRI. c'est à cause des fuites du centre de stockage.
     Si je ne m'abuse, il y a un tumulus qui s'est effondré il y a quelques mois.
     Mais tout celà, ce sont des médisances.
     Et puis, regardez les conditions de travail des gars* qui
sont affectés à la presse compactant certains fûts métalliques, ce n'est pas très reluisant. Vous aurez peut être droit à une presse neuve, vous sur votre site. Ce qui nous laisse rêveur c'est de penser que lorsque le site sera plein dans 10 ou 20 ans, on continuera à payer des gens pour surveiller, faire des mesures de contamination de l'environnement, faire fonctionner les installations de reprise des drains et promis juré, lorsque cela finira, on cherchera la zone fuyarde pour intervenir - si c'est dans 200 ans, à la petite cuillère (!), et cela pendant environ trois siècles.
     Remarquez on pourrait aussi vous faire visiter la zone de stockage sur le site du Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay où. il y a quelques années, on pouvait admirer des fûts de béton joyeusement fissurés, à moins que vous ne soyez admis à vous rendre auprès des silos en tranchées bétonnées de Cadarache et de Marcoule.
     Si vous êtes sages, vous pourrez même admirer les hangars de stockage des centres du CEA dépendant de la Direction des applications militaires de Valduc (Moloy en Côte d'Or) ou de Bruyères-le-Chatel (Essonnes)**
     Mais comment et sur quelles bases techniques furent
choisies les régions prospectées?
     Techniquement. ce qui est recherché, ce sont les structures sous forme d'une couche de sable sur un dôme d'argile.
     Il paraît que c'est une structure très fréquente qui se trouve en de nombreuses régions de l'hexagone. Alors pourquoi trois régions et pourquoi celles là?
     On pouvait penser qu'on allait ratisser large, établir des dossiers techniques, socio-économiques et pondérer pour le choix. donc qu'il fallait plusieurs régions. Surtout qu'il a toujours été dit que l'ANDRA souhaitait un site au nord de la Loire, un autre au sud.
     Auroux qui avait un peu d'expérience du secteur énergie de l'Industrie, avait convoqué 17 préfets pour faire le point de la question avec eux.


* Lors d'une visite, l'ancien directeur de l'ANDRA nous avait dit qu'il y avait rotation du personnel sur ce poste, pour répartir les doses d'irradiation.
** Voir pour plus de précision «Le Dossier Electronucléaire». Coll. Sciences, éd. du Seuil.
suite:
    Malvy, jeune débutant débarquant dans la galère, pris de court, a dû utiliser une des techniques de décision qui semble en usage à l'Industrie, lorsque le corps des Mines laisse la liberté de choix au Ministre, le jeu de fléchettes. La carte de France de l'almanach des PTT à deux mètres et hop, c'est décidé.
     En fait. en raison des restrictions budgétaires, il ne devait y avoir que deux fléchettes, car si je ne m'abuse, le département de l'Indre a bénéficié du piston de son député PS. Ne soyez pas jaloux, il y a quelques années, pour la centrale de Civaux les Poitevins eurent droit à l'entregent de Monory.
     Le coup d'envoi est donné: l'Indre, la Vienne et l'Aube sont les heureux préprospectés. On va faire un tour de département.

L'INDRE
     Dès l'annonce (ou peu s'en faut) de la présélection par la presse, il s'est créé un collectif départemental dont le nom «Collectif Information déchets radioactifs de l'Indre» montre que, comme toujours, il manque l'essentiel: à savoir une information. Le 24 septembre, population et élus ont été cueillis à froid - on s'en rend compte dans les interviews publiées dans la presse -. Voici le premier communiqué du collectif:
Chateauroux, le 4.10.84
NOUS VOUS PRIONS D'INSÉRER DANS VOS COLONNES:

     Suite à l'annonce d'un projet d'implantation d'un centre de stockage de déchets radioactifs, un collectif se met en place dans le département, regroupant déjà : 
     - Mouvement Rural de la Jeunesse Chrétienne
     - Nature et Progrès de I1ndre
     - PSU - Indre
     - Résistance Internationale des Femmes à la guerre, Indre
     - Syndicat CFDT-EDF
     -Syndicat des Travailleurs Paysans de l'Indre
     - SEP ANI (Société d 'Etudes de Protection d' Aménagement de la nature de IíIndre)
     - UIS-CFDT de Chateauroux.

     Devant l'absence d'informations précises, ce collectif interpelle les pouvoirs publics et les élus en leur demandant de communiquer à l'ensemble de la population les dossiers qu'ils possèdent.
     Dès maintenant, ce collectif demande à pouvoir participer à la réunion que le préfet organise le 8 octobre, comme l'annonce la N.R. du 2 octobre.
     En effet, un tel projet - dont nous ignorons tout - appelle déjà de nombreuses questions:
ï Quel sera l'impact réel sur l'emploi? Quelles qualifications seront requises?
ï Quelles seront les conséquences pour l'environnement: population, faune, végétation, paysage, agriculture?

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ï Quelles surfaces seront requises?
ï Quels sont les problèmes posés par le transport des
matériaux radioactifs ?
ï Quelle sera la provenance de ces déchets? Nationale?
Internationale?
ï Sous quelle forme se fera le stockage?
     Pour nous, ce projet ne concerne pas uniquement les communes intéressées, ou susceptibles de l'être, mais bien l'ensemble de la population du département.
     L'emploi, s'il reste un argument sensible en cette période, ne peut se résoudre au coup par coup et doit être intégré à un plan de développement plus global, prenant en compte les ressources et possibilités de chaque «région»
     Dans ce contexte, comment peut se situer ce projet de stockage de déchets radioactifs?
     Seules une information large et une véritable concertation avec l'ensemble de la population permettront de répondre à ces questions.
     Le collectif mettra tout en oeuvre pour y parvenir et organisera des débats et informations pour permettre à chaque citoyen de se faire une opinion et de l'exprimer.
     Le collectif est ouvert à tout groupe ou individu qui désire s'y joindre.
le Collectif.
Pour tous contacts : Philippe GUENIN
la chaume au Gendre
Buxière d'Aillhac
36 230 Neuvy-St-Sépulchre.

     Ce texte est en particulier paru dans La Nouvelle République du Centre Ouest le 6-7 octobre 1984
     Parallèlement, l'ANDRA commençait son travail d'information. Les réunions ont commencé le 8 octobre mais ce fut d'abord pour les notables et surtout organisées «hors de la présence de quatre écologistes qui ne furent pas admis dans la salle», comme cela a été publié.
     Même sans présence «gênante» la réunion s'est mal passée. Par exemple, le maire de Neuvy a posé de nombreuses questions et parfois eut grand mal à obtenir la réponse:
     «On nous affirme que rien ne sera installé si les communes concernées ne sont pas d'accord, est-ce exact?»
     «La souveraineté communale jouera-telle ou non?»
     L'ANDRA finit par dire que:
     «Il fallait l'accord de la commune concernée, que les communes alentour seraient forcément consultées mais qu'elles n'auraient pas un droit de véto», et s'est tirée de cet épineux sujet par une pirouette
     «En dernier ressort, la décision reviendra à l'Etat». A Lignac, épicentre du canton de Belabre, le titre de la Nouvelle République (9 oct. 82) permet de situer le problème:
     «Des réactions partagées et beaucoup de questions».
     L'opinion du maire résume assez bien l'opinion générale:
     «A priori je ne suis pas contre. Il faudrait avoir plus d'informations que j'en ai jusqu'à maintenant. Je n'ai absolument aucun papier officiel m'indiquant que Lignac est désigné. Je sais que la commune est présélectionnée, mais je manque d'éléments pour prendre position ... Notre région est dépourvue de toute entreprise. Et si une activité sans risque peut être implantée, ce serait assez bénéfique pour le pays.

suite:
     Je pense que des informations très sérieuses nous seront données avant que nous nous engagions».
     L'ANDRA a donc organisé des réunions à Neuvy-StSépulchre, Berthenoux et Lignac. Le résultat tient en un titre de la Nouvelle République: «Information sur les déchets radioactifs: une conclusion qui s'avère négative pour les responsables de l'ANDRA».
     Pourquoi ce relatif échec?
     Un commentaire nous met sur la voie:
     «On n'est pas capables de détruire nos ordures ménagères et il faudrait qu'on prenne en charge les déchets nucléaires». Voici crûment résumé par la Nouvelle République l'opinion des habitants de Belabre au moment même des réunions de l'ANDRA.
     Un détail a irrité également les populations, les réunions dans les communes étaient exclusivement réservées aux habitants de ladite commune, en contradiction avec les déclarations de consultation de toutes les communes concernées.
     La plupart des réponses de l'ANDRA ont d'ailleurs été confirmées le 16 octobre au Conseil Général par M. Laignel, son président. Par contre, il a affirmé:
     «Il n'y aura pas implantation si la commune concernée n'est pas d'accord».
     Rappelons que le 24 septembre, il avait déclaré:
     ï «se battre plutôt pour la réalisation du projet... parce qu'un tel centre aura des retombées financières énormes et tout à fait bénéfiques... ».
     Bon, sa position s'est quelque peu modifiée. Acceptons-en l'augure mais ne rêvons pas trop, bien que M. le préfet ait déclaré:
     ï «Vous savez, certaines communes ont rejeté les centrales nucléaires».
     A notre connaissanoe, à part Plogoff et le Pellerin les constructions se sont faites. Et même dans ce cas, si le site de Plogoff est vraiment abandonné, un autre site est recherché en Bretagne. Quant au site du Pellerin, il s'est déplacé jusqu'au Carnet sur l'estuaire de la Loire.
     A partir de ce moment les différentes communes entreprennent de se concerter et le premier vote négatif intervient le 17 octobre à Tranzault, épicentre du canton de Neuvy. «Vote contre toute implantation et toute enquête».
     Comme apparemment les événements ne se déroulent pas comme le voudrait l'ANDRA, c'est à cette date que les journalistes qui couvraient l'enquête pour les journaux locaux, semblent partir en vacances. Ils sont remplacés par d'éminents pigistes tel l'irremplaçable Le Prince Ringuet qui (il se répète) nous conte une fois de plus ses déboires radioactifs conjugaux.
     ï « Nous sommes tous radioactifs tout simplement parce qu'il y a du potassium dans votre corps, votre femme est radioactive, vous êtes radioactif. Et cela crépiterait dur si le soir dans votre lit, vous mettiez un compteur Geiger... ».
     Tel aussi que le Directeur de la Nouvelle République lui-même.
     Le collectif ne peut plus rien faire passer dans la presse. Et que croyez-vous qu'il advint. Quand on fait fi de la démocratie, on voit fleurir les comités de défense, naître les pétitions, apparaître les inscriptions vengeresses du type «Non aux poubelles nucléaires».
     Panique à bord!  Mais les têtes-pensantes de l'ANDRA
se sont alors directement souvenu de l'enquête comrnandée
à la SOFRES en 1975 par le grand frère CEA sur le thème
«Les Français et l'industrie nucléaire».
p.7

 Les résultats de cette enquête avaient été présentés lors d'un colloque sur les Implication Psychosociologiques du développement de l'industrie nucléaire (organisé par la Société Française de Radioprotection et l'INSERN en janvier 1977). Nous vous offrons une fois de plus (voir Gazette 20) en prime une citation de la dernière page des comptes rendus:
     «Il faut que nous recherchions l'efficacité dans l'information du public au lieu de nous contenter d'une information éthérée parfaitement satisfaisante mais inintelligible ou inefficace. Au début de la dernière guerre, il y avait en France un ministre de l'Information qui s'appelait M. Giraudoux et en Allemagne un ministre de l'information qui s'appelait M. Goebbels. Sans aucun doute Jean Giraudoux était beaucoup plus intelligent, beaucoup plus subtil que M. Goebbels, et l'écouter était un délice, mais je crains que M. Giraudoux n'ait jamais fait changer d'opinion à une seule personne, alors que l'efficacité de M. Goebbels était redoutable»
Professeur TUBIANA
 p. 532 (I977)
     Forte de ces enseignements, !'ANDRA a continué les réunions en présence d'un psychologue. Espérons qu'il ne suggèrera jamais de revenir aux méthodes du Dr Goebbels tristement célèbre par ailleurs, contrairement à ce que suggère la phrase plus que maladroite du Professeur Tubiana lors des conclusions du colloque.
     Les conseils du psychologue ne semblent pas de toute façon avoir été très judicieux car les communiqués du genre «cette réunion est exclusivement réservée aux habitants de la commune de...» n'ont pas du tout amélioré le climat. Voici d'ailleurs un  tract émanant d'un des comités de lutte:
 
     Mesdames, Messieurs,
     Les Conseils muncipaux de Tranzault, Sarzay, Malicornay Lys-St-Georges et Chaillac se sont prononcés contre l'installation d'un stockage de déchets nucléaires sur le territoire de leur commune.
     Nous les remercions de cette prise de position conforme à la défense de notre cadre de vie, des intérêts et de la santé des habitants.
     Nul ne peut, en effet, affirmer que ces déchets ne seront pas nocifs et dangereux, dans l'immédiat et dans l'avenir. Du reste, si ces déchets ne sont pas dangereux, nous ne comprenons pas pourquoi ils ne sont pas stockés dans les lieux ou à proximité de leur production.
     Nous sommes donc très surpris, pour ne pas dire plus, qu'un maire et des conseillesr municipaux puissent envisager d'imposer à la population de leur commune et à celle des communes voisines, une si dangereuse entreprise. Si ce n'est de la cupidité, de l'ambition ou de l'intérêt personnel, c'est à tout le moins de la totale inconscience. Aucun élu honnête et sensé n'accepterait, même pour quelques emplois créés.
     Même si la commune percevait une importante somme díargent, à quoi cela servirait-il, síil y avait par ailleurs perte de ressources du fait de la fuite díune partie des habitants contribuables, síil y avait danger et nuisances de toutes sortes pour les habitants? Síil y avait effondrement de la valeur des terrains et des maisons, síil y avait un site ravagé? S'il y avait pollution et contamination de l'eau, du bétail et des hommes qui hypothèqueraient l'avenir des généations actuelles et futures?
suite:
     QUI PEUT AFFIRMER QU'IL N'Y AURA UN PEU DE CELA OU TOUT A LA FOIS ?
     Par contre, ce qui peut être affirmé, c'est que ces déchets seront transportés.
     Qu'il y aura forcément nuisance par le bruit et la dégradation des routes. Que lorsqu'il y a transport, il y a toujours risque d'accident.
     Tout le monde a en mémoire les catastrophes récentes concernant le transport maritime de matières radioactives.
Alors il faut agir pour que chaque habitant des communes intéressées et des communes limitrophes se sente concerné. Car, il l'est effectivement, lui et ses enfants. Pour que chaque élu se sente responsable des conséquences de son vote, responsable pour le présent et l'avenir. Et qu'il rejette l'implantation d'un stockage de déchets nucléaires ou qu'il démissionne de sa qualité de conseiller municipal. Alors, il aura été utile à ses enfants, à ses parents et amis ainsi qu'à tous les habitants de sa commune.
 Comité de Défense du canton de
 Neuvy Saint-Sépulchre
Centre de Stockage de déchets nucléaires
 octobre 1984

     Retour de balancier, depuis le 2 novembre la Nouvelle République est un peu plus attentive au Comité de Défense.
Mais le fossé entre l'ANDRA et la population ne s'est pas vraiment comblé. La personne déléguée par l'ANDRA n'ose plus faire d'informations car tout le monde en sait plus qu'elle. De l'analyse des différents articles, on peut conclure que les habitants sont plutôt contre et les élus plutôt pour. On comprend mieux alors la lettre du collectif aux élus de l'Indre:
 

Chateauroux, le 5 novembre 1984

AUX ELUS DU DEPARTEMENT

     Monsieur,

     Suite à un projet d'implantation d'un centre de stockage de déchets radioactifs dans le sud du département, la population de l'Indre s'adresse à vous afin de mieux connaître votre opinion sur le projet.
     Dans le cadre de la loi de décentralisation, il nous paraît impensable que les communes concernées ne puissent, en dernier ressort, garder leur souveraineté.
     Que se passerait-il si une commune se prononçait POUR le projet, alors que les communes avoisinantes voteraient CONTRE?
     Que se passerait-il si un canton s'opposait à ce projet, serait-il annulé?
     Nous vous rappelons qu'un ancien Président de la République avait déclaré en 1974 «que le nucléaire ne serait pas imposé aux populations qui n'en voulaient pas».

p.8

      Nous ne pouvons pas croire que les grandes déclarations sur la décentralisation qui associent pleinement les populations aux décisions du pays, ne seraient que des déclarations d'intention.
     Par rapport à 1974, la démocratie locale serait-elle en retrait?
     De plus, la population réclame des informations précises et de qualité sur:
     - les raisons, les choix, les études locales de présélection du département, malheureusement, nous ne pouvons que constater qu'elle n'a jamais réussi à les obtenir.
     Si nous faisons appel à vous, c'est bien pour confirmer et sauvegarder la démocratie de notre pays, car pour nous, les élus restent les représentants de la population devant le gouvernement.
     Nous vous demandons également d'intervenir auprès des instances démocratiques, de votre ressort,  afin d'obtenir des réponses claires et sans ambiguités.
     Vous remerciant par avance,
     Recevez, Monsieur, l'expression de nos sentiments
distingués.
Pour le Collectif

     Dernière nouvelle: le 15 novembre, Madame la Ministre Huguette Bourchardeau a reçu le collectif de Chateauroux. Elle a répondu à différentes questions, dont principalement :
     - Saura-t-on rapidement quel site est réellement choisi dans cette procédure de présélection?
     - Quand sortiront les décrets d'application de la nouvelle loi de 1983 sur les enquêtes publiques?
     - Y aura-t-il une commission de scientifiques indépendants qui examinera les critères géologiques du choix des sites?

suite:
     - Y aura-t-il une commission de contrôle locale?
     Le collectif a aussi demandé quel budget est consacré aux énergies nouvelles, quelle est la position vis-à-vis du retraitement?
     Huguette Bouchardeau a refusé de répondre.
     1. qu'elle allait interpeller Malvy, Secrétaire d 'Etat à l'Energie et le Premier Ministre sur ce problème de choix des sites;
     2. que les décrets de la loi de 83 sortiraient début 85 ;
     3. que la procédure commission locale devait être mise en place;
         4. que le Haut Comité à l'Environnement allait être saisi des problèmes relatifs au Centre de stockage des déchets.
     L'entretien a duré environ une heure, si ce n'est avec la Ministre, avec ses conseillers. Souhaitons que tout aille pour le mieux, mais l'affaire est à suivre: l'Indre aura-t-elle son débat, sa commission... Et pour vous rassurer, voici un échange probable du déroulement des enquêtes:

     Voici retranscrit sous forme d'un beau diagramme l'échéancier de Auroux. Comme vous pouvez le constater, la procédure d'enquête publique commence seulement après le choix définitif des 2 sites.
     La large concertation qu'elle permettra grâce à la loi Bouchardeau vous donnera un poids certain dans le choix de LA NUANCE ET LA COULEUR DES GERANIUMS qui seront placés à l'entrée du site!

p.9

LA VIENNE
      Ce département sort un peu traumatisé du débat sur la
Centrale de Civaux.
      Voici l'une des premières prises de position:
 
UNION DEPARTEMENTALE CFDT
 Poitiers, le 26 novembre 1984
COMMUNIQUE DE PRESSE

Déchets nucléaires dans la Vienne?

     Après la centrale de Civaux, le département de la Vienne risque d'être à nouveau confronté à une installation nucléaire: l'aire de stockage en surface de déchets, annoncée le 21 septembre 1984.
     Pour l'Union Départementale CFDT qui combat toujours le programme électronucléaire français, ce projet est une nouvelle provocation.
     Depuis dix ans, La Hague est devenue une poubelle nucléaire mondiale, maintenant elle déborde, c'est la France tout entière qui est élevée à ce rang peu enviable. Deux raisons à cela:
     - La politique de retraitement des combustibles français et étrangers;
     - Le surdimensionnement du programme électronucléaire depuis dix ans.
     Aujourd'hui, les masques tombent, le nucléaire n'est plus l'énergie propre vantée lors des débats sur Civaux par les pouvoirs publics et les élus.
     Comme par le passé, l'information est faite avec parcimonie et déjà certains espèrent un nouvel Eldorado: l'aire de stockage apporterait emplois et subsides pour la commune qui voudrait bien l'accueillir.
     L'Union Départementale CFDT refuse ce schéma simpliste et demande:
     - au plan national, l'arrêt du retraitement actuel. C'est une opération coûteuse, dangereuse et génératrice de volumes importants de déchets technologiques mais qui n'apporte pas de solution à long terme pour les déchets radioactifs;
     - au plan local: une information complète et des débats contradictoires sur la politique nucléaire et le retraitement des déchets radioactifs. Qu'aucune décision ne soit prise sans la participation des populations concernées; il est bon de rappeler qu'aucun élu en France n'a reçu de mandat pour créer un No Man's Land de 200 hectares devant durer plus de trois siècles.
     L'Union Départementale CFDT s'opposera à ce projet car il prolonge la politique électronucléaire actuelle, coûteuse et dangereuse.
     Il laisse planer de graves hypothèques pour l'avenir:
     - quant à la prolifération des déchets radioactifs; - quant à la protection des populations et de l'environnement.

l'UD-CFDT

     Le processus d'information a suivi les mêmes dédales que dans l'Indre, avec en plus pour certains, la crainte de voir substituer aux réacteurs de Civaux. un site de stockage.
     Le Vice-président du Conseil Général a d'ailleurs déclaré
à la Nouvelle République, le 26 septembre:
     «Interrogé téléphoniquement par votre journal, je me suis essentiellement élevé contre un tel projet dans la mesure où je considère qu'une telle décision ne peut être prise sans une large concertation avec les élus afin de les informer et de recueillir leur assentiment.
     Je combattrai toujours de tels projets qui n'auront pas été délibérés par les élus. Or, en l'état, il n'en est rien et je vous ai marqué avec force mon étonnement.
     Sur le fond, je suis réservé considérant qu'un tel projet ne peut être accueilli qu'après que toutes les garanties scientifiques et techniques soient apportées. A la vérité, dans le département, ce n'est pas ce que nous attendions. On nous avait promis la centrale électronucléaire de Civaux; à ce jour nous ignorons à quelle date elle se fera, et même si elle se fera. C'est pourtant un projet d'un autre intérêt pour l'économie de notre région».

suite:
     En fait, l'information locale au niveau de la commune n'a pratiquement pas débuté. Le CEA dit se garder ce département en réserve. Une réserve de Poitevins, on aura tout vu.
     Sur la carte, voici en gros la zone qui sera protégée le secteur de Montmorillon. la Tramouille. Dans ce secteur il y a un camp militaire et une propriété de l'Académie des Sciences - On prend les paris?
     Pour tout arranger, le 4 octobre les habitants de Lathus ont appris l'octroi d'un permis exclusif de recherche d'uranium accordé à la Compagnie Total - compagnie minière - La conclusion du journaliste de la Nouvelle Republique est pleine d'humour :
     «Ainsi, par un curieux revers de la Nature, les terres considérées comme les plus pauvres pour l'agriculture. pourraient se revéler un jour les plus riches en minerais. Ce permis de recherches n'a évidemment rien à voir avec le projet de centre de stockage de déchets radioactifs bien qu'il se situe dans le même secteur géographique Mais on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement et d'observer que si tous les projets devaient aboutir, il ne manquerait à la Vienne qu'une usine de retraitement pour concentrer toutes les étapes de la «fïlière nucléaire: mine d'uranium, centrale nucléaire, stockage de déchets».

L'AUBE

     C'est dans l'Aube que les premières réunions d'information Préfet / ANDRA-élus eurent lieu. Ce département à la «joie» d'avoir ses réacteurs de Nogent. Alors, l'expérience aidant et sachant n'avoir rien à attendre d'une quelconqe concertation, il ne s'y passe rien de spécial - du moins à notre connaissance- et nous souhaitons pouvoir publier toute information que vous auriez.

CONCLUSIONS

     En plus des départements choisis, il y a, pour le moment, deux candidatures libres:
     - Cholet, où le maire propose une partie de la zone industrielle:
 

Déchets radioactifs
Cholet candidate pour un centre de stockage

     Alors que la Vienne et Indre se mobilisent contre l'implantation de centres de stockages de déchets radioactifs sur leur territoire, la municipalité de Cholet fait. elle, acte de candidature pour accueillir un tel centre!
     C'est mardi soir, devant le Conseil municipal de Cholet que le député-maire Maurice Ligot (app. UDF) a annoncé la candidature qu'il avait déposée personnellement au nom de la ville pour l'accueil d'un centre de stockage de déchets radioactifs. Des déchets dont le maire a précisé aussitôt qu'ils seraient «à faible activité et à vie courte»...
     Les représentants de l'opposition municipale (huit élus de la coalition PS-PCF) se sont déclarés choqués non de la création éventuelle du centre, mais du fait qu'ils n'avaient pas été informés. La réponse de M. Ligot a été fondée sur l'obligation pour une municipalité de «prendre ses responsabilités et d'aller vite».
     Pour conforter ses propos, le maire a souligné le long processus à mettre en place avec recherche minière, sécurité, etc. Répondant aux offres de l'Agence nationale pour les déchets radioactifs (ANDRA), la ville propose un terrain de 50 ha en zone industrielle. Elle espère en retour 70 créations d'emplois plus des postes de laboratoire après que 120 salariés ont travaillé à la construction. La montée du chômage et l'accélération de la pauvreté ont également été mis dans le plateau de la balance par le maire qui attend, pour la commune des subventions de 30 millions de francs dans ce dossier, puis une redevance annuelle de l'ordre de 1.500.000 francs.
Le choix des sites qui sera arrêté par le Secrétariat d'Etat à l'énergie est prévu pour 1985. A cette date, Cholet est l'unique collectivité ayant fait acte de candidature.

Nouvelle République 8.11.84
p.10

     et Neuvy-le-Roi, petite commune à une trentaine de km au nord de Tours. Les tests psychologiques ont montré la meilleure procédure, on s'y prend le plus maladroitement possible pour susciter des réactions des populations. Et si elles ne bougent pas, on peut y aller.
     Trois départements et deux villes, cinq situations différentes. Nous sommes allés du plus agité au plus calme d'après nos informations. Si vous avez d'autres nouvelles, n'hésitez pas, nous continuerons à les publier.
     Le stockage des déchets est une affaire d'importance et nous sommes tous concernés. Ce n'est pas seulement le problème de trois départements sur cent.
     Le GSIEN a bien sûr accepté de participer à des débats dans l'Indre, à la demande du Collectif d'Information départemental, ainsi que dans la Vienne car nous y avons le groupe du GSIEN-POITIERS. Notre demande reste toujours la même:
     - Information des populations,
     - Présentation des données géologiques pour pouvoir les étudier nous aussi (et pour toute personne désireuse de le faire ),
     - Garantie d'un débat publique contradictoire avec les habitants et entre experts appartenant à l'ANDRA et experts indépendants.
     Nous sommes conscients du fait que les déchets liés au programme électronuclaire existent. Mais ceci ne peut justifier une attitude qui consisterait à tester les capacités de refus d'une population plutôt qu'à tester les capacités géologiques d'un site.
     Il nous apparaît aussi que les conséquences du programme allant de la mine au stockage des déchets, nous avons, en tant que citoyens, notre mot à dire sur la politique énergétique française.
     Des lois ont été votées sur les enquêtes publiques, sur l'accès aux documents administratifs. Nous demandons leur application; cela fait partie de la démocratie.
     La façon la plus sérieuse de choisir le ou les sites de stockage serait, après constitution de dossiers sérieux sur le plan technique, de faire, au niveau national. des auditions publiques où on pourrait entendre les experts de l'ANDRA, des contre-experts, les différents acteurs socio-professionnels et socio-économiques, les associations et les élus.
     Après avoir mis à plat les sites possibles étudiés, après avoir fait un bilan pour chaque site en pondérant de la même façon, il faudrait qu'un organisme indépendant du CEA, de l'ANDRA, indépendant du ministère de l'Industrie émette un avis pour le Ministre. Le choix restant bien entendu au niveau de la décision des pouvoirs publics. Ce genre de mission pourrait être confiée à l'Office parlementaire d'évaluation scientifique et technique. ou mieux, au Haut Comitéde l'Environnement.
     Cela éviterait (diminuerait) les magouilles politiques et les chantages à l'emploi.
     De toute façon, après, au niveau de chaque site, il reviendra aux populations de se prendre en main pour que les conditions de sûreté soient bien mises en oeuvre et maintenues... pendant 300 ans!
p.11
Quelle belle précision réglementaire ressemblant à une dérogation!
Règle fondamentale de Sûreté
Extrait de l'article IV-2

     ... «L'acceptation des colis correspondant à la tranche comprise entre 0.1 et 0,5 Ci alpha par tonne aura un caractère exceptionnel et devra faire l'objet d'un agrément spécifique de la part de l'exploitant au centre de stockage (voir commentaire en VI.2)»

Extrait du commentaire VI-2

     ... «Sans préjudice du résultat de ces études (transfert à l'environnement des radioéléments), la règle (lV-2) indique a priori les bornes de 0.01 Ci alpha par tonne en moyenne pour le stockage et de 0,1 Ci alpha par tonne maximum par colis en règle générale, tout en acceptant que sur la base d'agrément au cas par cas puissent être acceptés des déchets d'activité massique d'alpha supérieure à cette valeur mais toujours inférieure à 0,5 Ci par tonne».
     ... «Cependant, s'agissant de processus industriel. on ne peut exclure que cette teneur soit dépassée pour une petite proportion des colis produits. Ces colis pourront cependant être acceptés dans le cadre de la procédure à caractère exceptionnel précisée par la règle...»

     ... «Aussi est-il apparu raisonnable de limiter en règle générale à dix fois l'activité moyenne la teneur limite par colis, soit 0,1 Ci alpha par tonne, en demandant, pour préserver la validité des scénarios considérés, que la constitution du stockage soit faite en répartissant les divers déchets de façon à ce qu'il n'y ait pas de parties significativement importantes du stockage qui soient susceptibles de dépasser sensiblement la limite moyenne de 0,01 Ci alpha par tonne (IV-7-1) pour les déchets solides»...
     Ces extraits de la règle fondamentale sont significativement clairs. Certes, c'est mieux que pas de règle du tout, mais c'est un paravent commode où on tourne en rond dans les dérogations, et où avec plein d'adverbes prudents on peut faire, pas n'importe quoi, mais trop facilement des dépassements de concentration.
     Notre confiance déjà limitée dans les notes, l'est encore plus quand a priori le texte est dérogatoire. On a trop souvent l'habitude de ne se souvenir que de la dérogation et pas du reste.
     Si c'est une dérogation pour quelques cas particuliers, il convenait d'être nettement plus explicite sur lesdits cas. Laisser à l'exploitant le soin d'accorder l'agrément n'est pas du tout contraignant et en plus lui donne trop d'importance. La confusion des genres est toujours présente: les inspecteurs et les inspectés sont encore trop intriqués.
     La lecture de cette règle est d'ailleurs assez édifiante; sur 23 pages il y a 8 pages d'explications; ou bien ces explications sont indispensables et alors elles faisaient partie du texte, ou bien la règle est si obscure qu'il faut en plus l'expliquer. Comme il s'agit d'y justifier des dérogations, gageons que l'on oubliera
les premières pages pour se souvenir des dernières.

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