La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°76/77 
TCHERNOBYL, SUITE... ET PAS FIN


Introduction

     Tchernobyl, c'est loin d'être fini. Tout d'abord une intervention du GSIEN au Colloque de Créteil organisé par la Société française de Radioprotection et la Société Française de Biophysique sur les «Conséquences médicales de l'accident nucléaire de Tchernobyl», intervention qui n'a pas forcément été bien accueillie mais qu'importe. Des commentaires sur les bulletins quotidiens et les rapports mensuels du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. Puis l'effet de l'Iode radioactif, des commentaires sur les observations qui sont faites sur les animaux et les êtres humains. Et pour finir, un compte rendu de la conférence de Londres sur les effets biologiques des rayonnements ionisants.

A. Les autorités sanitaires françaises
sont-elles capables de gérer une crise nucléaire?

     L'examen des Bulletins mensuels et des communiqués quotidiens du Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI) dirigé par le Professeur Pierre Pellerin montre d'une façon évidente que cet organisme a été incapable de gérer la crise nucléaire de Tchernobyl. Les informations que nous avons obtenues dans certaines régions (Corse, Alpes Maritines) confirment cette appréciation. A titre d'exemple, nous analysons les points particuliers suivants:
     1. Dans un Bulletin en date du 2 juin 1986, le Pr Pellerin a publié 2 cartes relatives à «l'évolution météorologique du 29 avril au 5 mai 1986». Sur la carte du 1er mai 1986 la queue du nuage radioactif a dépassé la Corse qui a donc été sous le nuage fin avril-début mai. De deux choses l'une: ou le Pr Pellerin avait connaissance de l'évolution météorologique dés le 1er mai et n'a pas jugé utile de prendre des mesures sanitaires analogues à celles prises dans les pays voisins en particulier l'Italie, ni de mettre en place un système de surveillance en Corse, ou alors le Pr Pellerin n'avait pas connaissance au 1er mai de cette évolution. Dans les deux cas, il y a incompétence.
     2. Les prélèvements sur les produits de la chaîne alimentaire ne reflètent absolument pas l'état géographique de la contamination en France. Il en est de même.pour les mesures effectuées sur l'air et les eaux.
     Ainsi, bien que le nuage soit passé sur la Corse avant le 1er mai, les premières mesures de contamination relatives au lait en Corse, rapportées dans le Bulletin Mensuel de juin du SCPRI, ont été effectuées le 12 mai 1986 sur du lait de brebis et donnaient 4.400 Bq/l en Iode 131, 160 Bq/l en Césium 134 et 410 Bq/l en Césium 137. Ces mesures ont été faites sur des prélèvements en «Haute Corse» sans autre précision (page 39). D'après une lettre adressée par M. Cogné, Directeur de l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire le 8/12/1986 au Dr Denis Fauconnier à Costa, Corse, la concentration initiale début mai en Iode 131 aurait été de 15.000 Bq/l.

suite:
Rappelons que les Recommandations de la Commission des Communautés Européennes aux Etats Membres étaient pour le lait et les produits laitiers respectivement de 500 Bq/l, 250 et 125 Bq/l les 6 mai, 16 mai et 26 mai 1986. Dès le début mai, la limite d'action était de 500 Bq/l en RFA.
     Dans son communiqué du 5 mai 1986 le Pr Pellerin fixait sa limite «pour différer la distribution de lait frais à 100.000 picocuries par litre» soit 3.700 Bq/l. Cette limite a largement été dépassée en Corse. Aucune consigne n'a été donnée aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, ne pas boire de lait frais, ne pas manger de fromage frais. En Corse, le mois de mai est la période de l'année où se prépare le fromage frais. En un seul jour un enfant corse a pu ingérer la moitié de la Limite Annuelle d'Incorporation d'Iode 131 d'un adulte et près de cinq fois la Limite Admissible pour les enfants de 1 an en République Fédérale Allemande et en Grande Bretagne.
     Après les résultats des 12 et 13 mai montrant une contamination très élevée du lait, aucun suivi particulier n'a été effectué en Corse.
     Signalons que les Corses n'ont appris qu'au mois de septembre que leurs enfants avaient bu du lait très fortement contaminé au mois de mai.
     3. Les données publiées pour les Alpes Maritimes sont extrêmement rudimentaires alors que l'activité des poussières atmosphériques à Nice le 30 avril 1986 était la plus élevée de France.
     4. Dans ses bulletins quotidiens, le SCPRI ne fait mention que de moyennes sur les mesures, que ce soit l'activité atmosphérique ou la contamination du lait.
     Le GSIEN réaffirme que conformément à l'esprit de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR 26, 1977) la. radioprotection concerne les individus, leurs descendants et le genre humain dans son ensemble (Article 6). Les enfants corses n'ont pas ingéré la «moyenne» des laits français mais du lait hautement contaminé.
     5. Dans les bulletins mensuels on apprend que les mesures sur les poussières atmosphériques ne sont faites que 5 jours après les prélèvements. Aucune indication n'est donnée quant au délai de transmission des résultats aux autorités locales.
     Nous pensons qu'un organisme aussi lent est incapable de gérer correctement une crise nucléaire qui réclame des décisions rapides, très fortement décentralisées.
     6. Les seuils de mesure tels qu'ils apparaissent dans les bulletins mensuels sont beaucoup trop élevés et ne permettent pas une détection précoce par le SCPRI de l'arrivée d'une contamination. Ceci est confirmé par un exemple récent (mars 1987): l'élévation anormale de la contamination de l'air en Europe signalée par de nombreux laboratoires étrangers a complètement échappé au SCPRI.
     7. L'ensemble des mesures publiées n'a pas de cohérence suffisante pour dégager des enseignements concernant l'effet du passage d'un nuage radioactif. L'accident de Tchernobyl aurait dû être l'occasion d'accumuler des informations essentielles pour la gestion des crises futures concernant la propagation de la contamination depuis l'air jusqu'à l'homme à travers la chaîne alimentaire.
p.9

     8. Le Ministére de la Santé a refusé d'appliquer les Recommandations de la Commission des Communautés Européennes, celles du 6 et 30 mai 1986 relatives aux activités maximales des produits alimentaires. Ces limites de radioactivité pour le lait et les produits laitiers ainsi que pour les fruits et légumes avaient été établies dans le «souci légitime de protéger la santé des consommateurs».
     Le SCPRI a justifié ce refus en se référant aux Directives Européennes de 1980 et 1984. En réalité ces Directives ne donnent aucune indication concernant la contamination des aliments. Elles ne fixent que les Limites Annuelles d'Incorporation des radioéléments (LAI) et ne peuvent donner les contaminations maximales admissibles qu'après définition d'un modèle alimentaire type, ce qui n'a pas été fait. Par contre ces Directives font obligation aux Etats Membres de la Communauté de mettre à jour leur législation concernant la radioprotection des travailleurs et de la population. Si le Ministère des Affaires Sociales et de l'Emploi a effectué cette mise à jour le 2 octobre 1986 (JO 12/10/1986) le ministère de la Santé se refuse à le faire en ce qui concerne le public...
     En conclusion, le GSIEN demande une réorganisation complète des structures scientifiques et administratives mises en place pour la protection de la santé publique.
Cette réorganisation ne peut être réalisée par les personnes qui ont montré leur incapacité à gérer la crise.
     LE GSIEN DEMANDE LA DEMISSION DE MR LE PROFESSEUR PELLERIN, DIRECTEUR DU SCPRI.
     Le GSIEN demande qu'une commission d'enquête établisse les responsabilités des organismes sanitaires et administratifs dans la déplorable gestion de la crise et ce à tous les niveaux, depuis le Ministre de la Santé jusqu'aux autorités sanitaires et préfectorales locales.
     Des mesures devraient être prises:
     1. Le SCPRI devrait être doté d'un véritable Comité Scientifique responsable de la gestion technique et scientifique du Service.
     Les Associations de citoyens devraient y être représentés par les experts de leur choix.
     2. La crise de Tchernobyl a montré que la gestion d'un accident nucléaire doit être prise à l'échelon local, la contamination étant variable d'un point à un autre du Territoire. Le GSIEN demande que des moyens de détection décentralisés soient mis en place et que les Associations de citoyens concernés par ces problèmes puissent avoir des informations sur ces sujets, y compris la possibilité d'intervenir sur les moyens mis en oeuvre.
     3. Le GSIEN demande que la France soit enfin dotée d'une législation en ce qui concerne la radioprotection du public, conformément aux Directives de 1980 et 1984 de la CEE. Il est tout à fait anormal dans une société de droit que des décisions importantes soient prises par un seul individu sans être astreint à respecter un cadre juridique, couvert par le Ministre de la Santé.
suite:
     4. Le GSIEN demande que les Limites Annuelles d'Incorporation pour les différents radionucléides tiennent compte des radiosensibilités des différentes classes d'âge. Ceci devrait conduire à différencier les groupes les plus sensibles (enfants en bas âge) pour l'établissement des limites maximales de contamination des aliments. Une telle procédure est d'ailleurs adoptée en RFA et au Royaume Uni.
     D'autre part, en cas d'accident, la contamination se fait toujours par plusieurs radioéléments. Il est donc nécessaire d'en tenir compte pour l'établissement de normes alimentaires. Ceci est tout à fait conforme aux recommandations de la CIPR reprises par les Directives Européennes.
     5. Une très grande prudence devrait guider les législateurs lors de l'établissement des normes étant donné l'incertitude concernant l'ampleur des effets sur la santé des faibles doses de rayonnement.
     Le GSIEN demande que la radioprotection du public (et des travailleurs) prenne en compte les récents travaux sur les effets des faibles doses de rayonnement comme ceux rapportés lors du premier congrès international sur les effets du rayonnement (BEIR Conference) qui s'est tenu à Londres les 24-25 novembre 1986. Certaines études (entre autres celles du Pr Radford, du Dr Stewart, du Pr Ujeno) indiquent que le facteur de risque cancérigène pris en compte dans les dernières recommandations de 1977 de la Commission Internationale de Protection Radiologique est sous-estimé. Dans un souci de protection sanitaire du public, le GSIEN demande qu'il soit tenu compte de ces travaux pour la détermination des Limites Annuelles d'Incorporation (LAI) et les autorisations de rejets des intallations nucléaires.
     6. Le GSIEN demande que toutes les conférences internationales d'experts, que ce soit pour l'établissement des normes de contamination maximale admissible ou pour l'évaluation des conséquences sanitaires de l'accident soient ouvertes aux experts indépendants qui souhaiteraient y assister.
     Aucune confiance ne pourra être accordée aux conclusions de telles conférences si elles se tiennent à huit clos avec des représentants exclusifs des exploitants nucléaires
(EDF, CEA).
     7. Le GSIEN demande que soient recensées toutes les anomalies concernant la morbidité chez les enfants. De plus nous demandons qu'une étude épidémiologique précise soit effectuée sur la morbidité des enfants afin de disposer d'un état zéro sanitaire sérieux, qui seul pourrait permettre d'évaluer dans l'avenir les conséquences d'un accident. Ne pas procéder à ces études implique que l'on renonce dès à présent à évaluer l'impact sanitaire des accidents futurs.
     Le GSIEN demande au Comité d'Ethique Médicale de réaffirmer les Principes de Sauvegarde de la Santé des individus et de veiller à ce que la radioprotection des populations soit assurée sur la base de préoccupation de la Santé Publique et non sur des raisons économiques.
Créteil, le 15 mai 1987
p.10

B. Commentaires sur la déclaration de Créteil

     Dans un communiqué du 28 avril 1986 de l'AFP, on apprend que le SCPRI ne voit rien de très anormal à la situation révélée par les Suédois.
     Le 29 avril, «le SCPRI renforce à cette occasion les analyses quotidiennes (air, eau, lait...) sur 130 stations. A ce jour aucune radioactivité anormale n'a été vue dans notre pays. En France en tout cas, compte tenu de la distance et de la décroissance dans le temps, si l'on détecte quelque chose il ne s'agit que d'un problème purement scientifique». (Signalons que l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire a pour sa part eu «connaissance de l'accident survenu dans la centrale de Tchernobyl le dimanche 27 avril au soir mais que les premières mesures de radioactivité imputables à cet accident ont été décelées dès le 29 avril dans le Sud Est de la France». Rapport CEA-IPSN, DPS, 86/03 SEAPS).
     Toujours le 29 avril, il annonce «un accident sérieux dans un réacteur à Tchernobyl». Monsieur le Pr Pellerin fait quelques prévisions qui montrent bien sa totale ignorance de ce que peut être un accident nucléaire: «Nous savons que des personnes sont soignées, sans avoir d'autres précisions. Ce sont vraisemblablement des ouvriers de la centrale, victimes de lésions mécaniques ou thermiques plus importantes que l'explosion. En ce qui concerne les populations, il y a certes un problème d'hygiène publique, mais pas de réel danger, et certainement pas plus loin que 10 à 20 kilomètres au nord de la centrale».
     Ainsi l'évacuation imminente de 135.000 personnes ne relèverait que d'un problème d'hygiène mais n'aurait pas été justifié par un danger réel.
     Le 30 avril le SCPRI communique: «Toujours aucune élévation significative de la radioactivité sur l'ensemble des stations SCPRI du territoire».
     Or dans le bulletin mensuel de mai du SCPRI, on peut voir que l'activité des poussières atmosphériques au niveau du sol était déjà plus de 100 fois supérieure à la normale dans les Vosges, dans la Vallée du Rhône, dans les Alpes Maritimes, en Corse. Le maximum était atteint à Nice avec 4,5 Bq/m3 alors que l'activité normale des poussières est comprise entre 10-3 et 10-4 Bq/m3. De plus dans le bulletin de mai une mention spéciale est faite pour un prélèvement de poussières (Nice) le 30 avril qui montre une belle brochette de radionucléides.
     Dans les eaux de pluie recueillies à Cadarache le bulletin d'avril signale la présence de Ruthénium 103 (7,4 Bq/l) et d'Iode 131 (260 Bq/l). Pour l'Iode 1311e niveau indiqué est très supérieur à la concentration maximale admissible pour l'eau potable de la population.
     Ainsi le communiqué du 30 avril ne relève pas de la rétention d'information mais tout simplement du mensonge.
     Pour les mesures faites sur les poussières atmosphériques pour la «surveillance quotidienne du territoire» il est indiqué dans les divers bulletins mensuels (même en mai) que les «mesures sont effectuées cinq jours après la fin du prélèvement». Pendant toute cette période M. Pellerin a dû piloter sans aucune visibilité. Ce n'est donc que le 5 mai, si l'on se fie à cette indication, qu'il a appris - les mesures étant terminées - que le nuage était passé le 30 avril sur les Alpes Maritimes et la Corse. Il est absurde de prétendre être capable de gérer une crise dans de telles conditions.

suite:
     Le 4 mai dans un «communiqué à diffuser auprès des autorités sanitaires, des médecins, des pharmaciens et du public», M. Pellerin signale que «la baisse générale de la radioactivité atmosphérique amorcée le 2 mai s'est nettement accentuée sur les 3/4 ouest du territoire français».
     Ce texte est curieux car M. Pellerin n'a jamais annoncé dans ses communiqués une augmentation notable de la radioactivité atmosphérique. Dans le même communiqué il ajoute «seule la région sud est restée encore pour l'instant stationnaire quant à la radioactivité». Là on demeure perplexe car ne sachant pas si la radioactivité a augmenté après le 30 avril on pourrait croire que dans le sud il n'y a rien eu.
     Jusqu'au 7 mai il annoncera chaque jour le retour à la normale ou la confirmation du retour à la normale sur tout le territoire.
     Le 7 mai il publie une carte de la contamination du lait en France. La Corse n'y figure pas. Les premiers prélèvements en Corse ne seront effectués que le 12 mai.
     Il est totalement impossible de retrouver les valeurs numériquesindiquées sur la carte publiée le 7 mai à partir des mesures publiées dans le bulletin mensuel. Le traitement que le SCPRI fait subir aux résultats de mesure avant publication reste mystérieux. Façon curieuse de faire face à un «problème scientifique» comme il était dit le 29 avril.
     Le bulletin mensuel de mai donne une série de mesures de contamination du lait en Iode 131 du 2 au 25 mai à Vioménil dans les Vosges. A partir de ces mesures on peut déterminer la période de décroissance effective (demi vie): l'activité décroît d'un facteur 2 en 3,2 jours, en accord avec la fourchette de l'IPSN. Dans ces relevés il manque cependant les mesures des 3 et 4 mai. Or on sait depuis les années 60 que le lait est contaminé 15 à 24 heures après l'ingestion d'Iode 131 (H.M. Squire et al., Biol. Sciences, vol. 3, 1961). Les points manquants doivent correspondre à une contamination importante (supérieure à 800 Bq/l). Les mesures ont-elles été effectuées? Si oui pourquoi ne sont-elles pas publiées? Il est dommage de plus qu'on n'ait pas jugé bon de donner l'évolution de la contamination atmosphérique et de la contamination surfacique du sol car cela aurait permis de valider des modèles de contamination du lait.
     Le communiqué du 13 mai pour la première fois fait référence à la «réglementation française et communautaire», sans plus de précision. En réalité il n'y a pas de «règlementation française» de la contamination radioactive des aliments en dehors des décisions de M. Pellerin qui est seul habilité à déclarer une denrée consommable ou non. Quant à la référence à la CEE on ne sait pas s'il s'agit des Directives de 1980 et 1984 qui définissent les Limites Annuelles d'Incorporation (LAI) admissibles ou des Recommandations du 6 mai 1986 qui fixaient les activités maximales pour les aliments en Bq/kg. Pour la période du 6 au 16 mai, les limites recommandées par la CEE étaient de 500 Bq/kg pour les produits laitiers et 350 Bq/kg pour les fruits et légumes.
     Le communiqué du 14 mai déclare conforme à la règlementation des épinards à 1.300 Bq/kg
     Le communiqué du 15 mai lève l'ambiguïté pour ceux qui n'avaient pas encore compris: M. Pellerin refuse d'appliquer les Recommandations de la CEE du 6 mai qui ont été acceptées par les autres pays membres.
p.11

     Le 17 mai le communiqué du SCPRI mentionne la contamination maximale en Iode 131 mesurée dans les légumes qui est de 500 Bq/kg.
     Le 20 mai elle est de 530 Bq/kg dans les épinards et 650 Bq/kg pour les autres légumes.
     Or pour la période allant du 16 au 26 mai les Recommandations communautaires fixaient la limite pour les légumes â 175 Bq/kg. La contamination des légumes frais en France a dépassé les limites recommandées par la CEE. Ces produits n'auraient pas dû être commercialisés et les agriculteurs auraient dû être indemnisés comme cela s'est pratiqué dans les autres pays de la Communauté.
     Le 30 mai un règlement du Conseil CEE fixait de nouvelles limites pour le Césium: 370 Bq/kg pour le lait et 600 Bq/kg pour tous les autres produits. M. Pellerin n'en tient pas compte.
     Le 4 juillet 1986 le Ministère de la Santé réagit à propos de la Corse. Il est intéressant de noter que le communiqué du Ministère mentionne pour le lait de brebis au 10 juin  150 Bq/l en Iode 131 et 150 Bq/l en Césium 137.
     Ces valeurs se veulent rassurantes mais en réalité la contamination en Iode 131 est très importante compte tenu de la décroissance effective de cet élément. Dans le bulletin mensuel de juin (voir Gestion de la crise, cas particulier de la Corse) l'activité mesurée dans du lait de chèvre ou de brebis (non précisé) est le 12 mai de 4.400 Bq/l. En supposant qu'il s'agit de lait de brebis prélevé au même endroit l'extrapolation des valeurs au 12 inai et au 10 juin donnerait début mai une contamination en Iode 131 de 15.000 Bq/l ce qui est considérable surtout si l'on considère le régime alimentaire des enfants corses à cette période de l'année. Cette valeur est confirmée par M. Cogné, Directeur de l'IPSN dans sa réponse du 8 déc. 1986 à la lettre du 6 oct. 1986 du Dr Fauconnier, antenne corse de la CRII- Rad. Remarquons qu'en ne considérant que la valeur du 10 juin, compte tenu de la période de décroissance effective de 4 à 5 jours généralement admise on arrive à des valeurs encore plus élevées dépassant 30.000 Bq/l
     Le Ministère de la Santé ne semble pas s'être rendu compte de la gravité des implications de son communiqué, particulièrement accablant pour le SCPRI dans sa façon d'avoir géré la crise. Ceci laisse supposer l'ignorance notoire de l'Administration du Ministère de la Santé vis-à-vis de la radioprotection.
     Le 19 juillet on voit apparaître le thym dans les communiqués du SCPRI. La CRII-Rad (Commission Régionale Indépendante d'Information sur la Radioactivité) avait montré par des mesures indépendantes que les plantes aromatiques fixaient très fortement les éléments radioactifs et le SCPRI est obligé de mesurer la contamination du thym dans la Drôme. Bien que les activités trouvées soient plus de 10 fois supérieures aux limites européennes, M. Pellerin continue à déclarer ces produits consommables.  Quand les producteurs  français, s'appuyant sur ces déclarations, exporteront leur thym quelques mois plus tard au Japon, ils verront leurs marchandises refusées par les autorités sanitaires japonaises.
     Une pointe d'humour dans le communiqué du 19 juillet «Le SCPRI ignore la nature exacte de l'Association «CRII-Rad» avec laquelle aucun de ses membres n'est en relation.
suite:
     Le thym pendant des mois demeurera très fortement contaminé bien au-delà des normes européennes.
     Le 18 septembre on voit apparaître des produits venant de Turquie (noisettes et morilles) avec 1.490 Bq/kg en Césium, toujours «consommables sans restriction».
     Le 25 septembre d'autres produits proviennent de Turquie (framboises, champignons, noisettes...) avec des activités élevées.
     Pendant les mois qui suivront, les noisettes de Turquie seront mentionnées toutes les semaines avec des niveaux largement supérieurs aux normes européennes. La France devait être le seul pays à accepter la production de la Turquie
     Pendant les premières semaines de la crise, M. Pellerin, dans ses communiqués quotidiens, s'acharnait à ne présenter que des contaminations moyennes pour la France. Ce n'est pas la radioactivité moyenne du lait de vache français qui mettra en danger la santé d'un enfant corse mangeant du fromage frais de brebis corse !
     Si les communiqués quotidiens puis hebdomadaires ont été les seules informations fournies aux Préfets et aux Autorités sanitaires locales, il est évident qu'ils ont été totalement ignorants de la situation réelle. Certaines autorités ont-elles manifesté leur désir de mieux connaître la situation dans la région dont ils avaient la charge auprès du Ministre de la Santé?
     Le dernier exemple que nous voulons donner est celui de la remontée de radioactivité atmosphérique observée en Europe au mois de mars 1987. Des laboratoires étrangers ont annoncé la nouvelle. Dans un communiqué du 15 mars le SCPRI avance comme hypothèse l'augmentation saisonnière «bien connue» d'après M. Pellerin (impossible à trouver d'ailleurs dans les bulletins mensuels des années précédentes que nous avons consultés) de la radioactivité des tests de bombes des années soixante. Quelques jours plus tard les laboratoires étrangers indiquent les radioéléments responsables de cette augmentation  Iode 131 (demi vie 8 jours), Xénon 133 (demi vie 5 jours), Xénon 135 (demi vie 9 heures). On voit immédiatement l'absurdité de la situation. Comment un élément qui a une demi vie de 9 heures peut-il provenir d'un événement qui s'est produit plus de 25 ans auparavant? Les autorités sanitaires françaises se sont couvertes de ridicule auprès de leurs collègues étrangers. Il a fallu attendre le communiqué du 14 avril pour qu'une mise au point du SCPRI tente de rattraper la situation. Manifestement le communiqué du 15 mars 1987 n'est pas fondé sur des résultats obtenus par le SCPRI. Compte tenu des mesures rapportées dans les bulletins mensuels ce type de suivi ne peut pas être assuré par le SCPRI. Celui-ci n'est pas en possession de tous les équipements nécessaires et n'a pas non plus suffisamment de relais pour pouvoir faire face à des événements imprévus. La centralisation totale des mesures au Vésinet exclut la possibilité d'effectuer des mesures en continu en divers points du territoire, mesures dont les résultats échapperaient au contrôle strict du Directeur du SCPRI.
     Tchernobyl a montré d'une façon très claire qu'il n'est pas possible de gérer correctement une crise nucléaire d'une façon centralisée.
 p.12


C. La gestion par le SCPRI de la crise nucléaire: le cas de la Corse
     Nous avons dépouillé les Bulletins «Spécial Tchernobyl» de mai et juin et donnons la Corse à titre d'exemple ponctuel que nous avons jugé particulièrement instructif pour la gestion de la crise.
     Le SCPRI n'a qu'une station de contrôle en Corse à Ajaccio. Compte tenu des dimensions de la Corse et de la diversité de ses régions, il est évident que ceci est totalement insuffisant. Personne ne semble s'être préoccupé de cette situation aberrante.
     Pour l'analyse des bulletins mensuels, nous suivrons la classification du SCPRI.

MAI 1986

1. Poussières prélevées à 1.200 m.
2. Activité surfacique sur les avions
     Pour ces deux chapitres, aucune mesure n'est rapportée pour des avions venant de Corse. Pourtant, le bulletin d'avril 1986 signalait une assez forte augmentation de la radioactivité des poussières atmosphériques au sol à Ajaccio le 30 avril. Le nuage radioactif passait sur la Corse avant le 1er mai. Ceci est confirmé par les cartes publiées par le SCPRI le 2 juin 1986!
3. Eaux de pluie
4. Activité surfacique
     En ce qui concerne la «surveillance du territoire métropolitain» par le SCPRI, il n'y a pas de mesure rapportée pour la Corse.
5. Eaux de surface
6. Eaux potables
     Pour ces deux chapitres, aucune mesure n'est relative àla Corse.
7. Contrôle des laits
     L'origine des laits n'est pas précisée mais vu du Vésinet, résidence de Monsieur Pellerin, il s'agit de lait de vache:
     a. Contrôle départemental: les prélèvements sont faits les 13, 14, 15 et 28 mai. Il ne faut pas oublier que le nuage radioactif a abordé la Corse au plus tard le 30 avril.

Date b total 131 I 134  Cs 137 Cs
13/5 - 100 48 85
13/5 - 06 51 96
13/5 7,6 300 100 200
14/5 - 74 33 81
15/5 6,2 81 34 70
15/5 11 59 37 74
28/5 - 11 22 37

     Les résultats sont en Bq/l. L'origine des prélèvements n'est pas indiquée.
     Si l'on utilise les données disponibles pour Vioménil dans les Vosges, la demi-vie correspondant à la décroissance de l'activité d'un facteur 2 serait de 3,2 jours. Pour les 300 Bq/l du 13 mai, cela donnerait une contamination de 4.000 Bq/l au 1er mai, soit 8 fois plus élevée que les normes européennes et 2 fois plus élevée que les limites d'intervention préconisées par l'Organisation Mondiale de la Santé. La contamination en Césium est loin d'être négligeable. 

suite:
Toujours en utilisant les résultats obtenus à Vioménil on trouve une contamination en Césium de 1.000 Bq/l au début mai.
Nota: on ne trouve aucune trace de ces résultats dans les communiqués quotidiens.
Questions: les autorités locales ont-elles été rapidement averties de ces résultats? Si non, ont-elles réclamé ces résultats? Etaient-elles capables de les interpréter pour prendre les mesures qui auraient dû s'imposer?
     b. Contrôle des stations du SCPRI: pas de mesure publiées pour la Corse.
     c. Prélèvements exceptionnels: rien pour la Corse.
     On voit donc que le SCPRI, bien que sachant que la Corse avait été touchée par le nuage, n'a pas jugé important d'effectuer des prélèvements normaux ou exceptionnels de lait. Les mesures de lait semblent avoir été faites à l'initiative départementale.
Questions: Sur quelles bases les services départementaux ont-ils décidé d'effectuer des prélèvements? N'avaient-ils donc pas une confiance entière dans les propos rassurants du SCPRI?
8. Végétaux
     Aucune mesure ne figure pour la Corse
9. Thyroïdes de bovins
     Aucune mesure rapportée pour la Corse. Les seuls prélèvemen:ts effectués sont les suivants:
10 pour Vioménil
22 pour Avignon
16 pour Bordeaux
11 pour Mantes
nous commenterons ces chiffres plus loin
10. Surveillance des littoraux
     En Médîterranée, un point de mesure est signalé pour Ajaccio le 5 mai.

JUIN 1986 lère partie

1. Poussières atmosphériques dans l'air au niveau du sol
     Une mesure est indiquée pour la Corse sans précision quant au lieu de prélèvement. L'activité en b total (Bq/m3) est la suivante:

Date mini maxi du 1 au 7 du 8 au 14 du 15 au 21 du 22 au 30
du 1/6 au 30/6 7,6.10-4 7.10-3 2,5.10-3 1,7.10-3 1,7.10-3 1,3.10-3

     Sans vouloir faire une interprétation de ces valeurs, signalons que les mini et maxi mentionnés sont les plus élevés de France. N'oublions pas que nous sommes en juin et que le nuage a abordé la Corse au plus tard le 30 avril!
2. Prélèvement de poussières sur les avions
3. Activités surfaciques
     La situation est la même qu'en mai: aucune mesure.
4. Eaux de pluie
     a. Activité volumique
     b. Activité surfacique
     Au chapitre «Surveillance du territoire métropolitain» par les stations SCPRI, on ne trouve aucune indication.

p.13

5. Laits de vache
     Au paragraphe du contrôle départemental, une mesure est mentionnée pour la Corse, sans indication d'origine.
     Le résultat en Bq/l est le suivant: 
Date b total 131 I 134 Cs 137 Cs
6/6 1,5 aucune activité 7,2 17

6. Laits de brebis ou de chèvre
     La brebis - ou les chèvres - ce n'est pas précisé, font leur apparition au SCPRI. Des mesures sont effectuées sur des prélèvements en Haute Corse sans plus de détails sur la localisation: 

Date b total 131 I 134 Cs 137 Cs
12/5 64 4.400 160 410
13/5 53 2.900 210 410
26/5 - 350 110 230
27/5 - 320 150 270

     Il n'y a évidemment aucune trace de ces mesures dans les communiqués quotidiens du SCPRI. Les autorités locales ont-elles été prévenues de ces résultats? Nous n'avons pas eu de réponse à ces questions que nos amis corses ont posées aux Autorités.
     Il est curieux que la mesure sur ce prélèvement du 12 mai ait été rapportée dans le bulletin de juin (publié en juillet) alors que les résultats sur les prélèvements de lait de vache (moins inquiétants) du 13 mai au 28 mai ont été publiés dans le bulletin de mai.
     Nous avons là une preuve indubitable de rétention coupable d'information de la part du SCPRI.
     L'activité de 4.400 Bq/l en Iode 131 pour le prélèvement du 12 mai est la plus forte valeur de contamination rapportée par le SCPRI. La mesure qui vient après provient de l'Hérault le 15 mai avec 840 Bq/l.
     Il faut signaler que la contamination en Césium n'est pas tout à fait négligeable. Comme il n'y a aucune mesure effectuée avant le 12 mai, on en est réduit à faire des extrapolations. D'ailleurs, comme indiqué précédemment dans «les commentaires sur la déclaration de Créteil», M. Cogné est dans la même situation et indique 15 .000 Bq/l début mai. Si la période effective est de 4 à 5 jours (pour le lait de chèvre, elle est de 4,5 jours d'après les mesures effectuées à Cadarache) cela fait encore plus.
7. Fromages de brebis ou de chèvres (les deux animaux ne sont pas différenciés)
     Deux mesures sont rapportées pour la Corse du Sud et six mesures pour la Haute Corse. Aucune mesure n'est donnée pour d'autres régions. La brebis et la chèvre, pour M. Pellerin, ne semblent exister que dans une région aussi exotique que la Corse! Les résultats rapportés en Bq/l sont les suivants:

Origine Date 131 I 134 Cs 137 Cs
Corse Sud 14/5 930 - 220
Corse Sud 14/5 1.400 - 430
Hte Corse 20/5 NM NM NM*
Hte Corse 20/5 NM 60 230
Hte Corse 20/5 NM 90 310
Hte Corse 21/5 NM 150 460
Hte Corse 01/6 NM 60 190
Hte Corse 11/6 NM NM NM
*NM = Non Mesurable
suite:
     Il faut remarquer que les lieux de prélèvement ne sont pas indiqués et qu'il n'y a pas d'indication sur la date de production du lait. Il est donc difficile d'en tirer des conclusions. Cependant, l'activité en Iode 131 du 14 mai à 1.400 Bq/kg est particulièrement élevée et l'activité en Césium (430 Bq/kg) est loin d'être négligeable.
8. Thyroïde de bovins
     Aucune mesure n'est rapportée pour la Corse. Pour la métropole, il y a eu 32 mesures qui se répartissent ainsi:
Bordeaux 10
Vioménil 8
Avignon 8
Mantes 6
Nota: Viomenil, qui représentait en mai 17% des prélèvements nationaux, améliore son score en juin avec 25% des prélèvements. Aucune explication n'apparaît dans les bulletins sur la justification concernant la répartition de ces prélèvements. Viomenil serait-il un des plus importants marchés de bovins de France? Y aurait-il une autre explication? Il est regrettable que l'ensemble du territoire n'ait pas été aussi bien surveillé que cette bourgade des Vosges.
9. Surveillance générale des littoraux français
     Pour la Méditerranée, il est donné une moyenne entre janvier et juin, donc parfaitement sans signification par rapport aux retombées de Tchernobyl.
10. Rations alimentaires dans les établissements scolaires
11. Eaux de boissons
     Pour ces deux postes, il n'y a aucune mention de la Corse.
12. Activité des sols sur des prélèvements faits en avril
     Aucune indication pour la Corse. Il aurait pu être intéressant d'avoir ces renseignements comme point de référence.
     Pour la période qui va d'avril à juin, la Corse ne semble pas exister.

JUIN 1986 2e partie

     Le titre du bulletin mensuel est le suivant : «Résultats des contrôles spéciaux consécutifs à l'accident de Tchernobyl et cartes de la radioactivité par régions».
1. Echantillons transmis par les services de la répression des fraudes
     Pour l'ensemble de la France, les produits analysés se répartissent de la façon suivante:
72 échantillons de produits laitiers ou de laits
818 échantillons de denrées végétales
4 échantillons de denrées animales (uniquement des poulets)
1 échantillon d'eau du réseau d'alimentation.
     Aucun échantillon n'a été prélevé pour la Corse.
2. Mesures faites à la demande de la Préfecture de Corsi du Sud
     Huit mesures sur du lait de vache sont rapportées.
 

Origine Date 131 I 134 Cs 137 Cs
Sarcola-Carcopino 13/5 96 52 96
AFA 13/5 100 NM 85
......... 13/5 300 NM 200
Prpiano 14/5 74 NM 81
Sarcola-Carcopino 15/5 59 NM 74
ALATA 15/5 81 NM 70
Sarcola-Carcopino 28/5 NM NM NM
Sarcola-Carcopino 6/6 NM NM NM
p.14

     M. Pellerin pourrait peut-être nous expliquer pourquoi le seul échantillon dont l'origine n'est pas indiquée est celui qui a la plus forte contamination. Est-ce le résultat de son souci permanent de ne pas angoisser les gens?
3. Mesures faites à la demande d'autres services (Chambre d'Agriculture, Protection Civile etc...) (Le rapport n'est pas plus précis)
4. «Autres contrôles»
     Le rapport n'est pas plus précis
214 échantillons de produits laitiers
76 échantillons de denrées végétales
7 échantillons de denrées animales. La Corse n'est pas concernée.
5. Cartes de données générales
     La Corse figure enfin sur les cartes. Elle a d'ailleurs droit à un chapitre particulier «Données particulières à la Corse pour mai 1986» (dans le bulletin de juin, publié en juillet et diffusé plus tard...).
     A ce propos, nous signalons que nous n'avons pu retrouver les valeurs indiquées sur les cartes à partir des résultats publiés. M. Pellerin n'a pas donné le mode d'emploi qu'il utilise pour calculer ses moyennes. Nous ne pouvons donc porter aucun jugement sur sa méthode.
     Ce rapport est loin d'être exhaustif. Il serait nécessaire de l'étendre à d'autres régions qui ont été particulière-ment touchées par la contamination (l'Est, la Vallée du Rhone, la Drôme, les Alpes Maritimes).
     Il est urgent d'exiger que le Ministère. de la Santé permette à des chercheurs indépendants d'accéder à toutes les mesures qui ont été effectuées en avril, mai, juin sur l'ensemble de la France. Sans ces données, il est impossible de dresser un bilan complet des effets de l'accident de Tchernobyl. Les données partielles auxquelles nous avons le droit d'accéder montrent d'une façon claire la carence des pouvoirs publics actuellement en place pour la gestion d'une crise nucléaire provenant d'un accident survenu à 2 000 km. Que se passerait-il Si un accident survenait en France ?

D. Problèmes liés à l'iode radioactif:
les femmes enceintes et les jeunes enfants, deux groupes à risques

     L'iode, qu'il soit stable ou radioactif, a la propriété de se fixer sur la thyroïde. De l'iode radioactif incorporé par inhalation ou par ingestion au travers de la chaine alimentaire, essentiellement par les produits laitiers, causera des dommages à la thyroïde, perturbant ainsi son fonctionnement.
     Un important article de M. Tubiana analyse le métabolisme et la radiotoxicité de l'iode radioactif'. Dans un rapport du 6 mai 1986 consacré à l'accident de Tchernobyl, l'Organisation Mondiale de la Santé indiquait clairement : «l'Iode radioactif dans la thyroïde augmente la probabilité de nodules et de cancer à la thyroïde»2.

suite:
Comment établir l'effet de l'iode radioactif? On pourrait le définir ainsi: supposons connu le relâchement d'iode radioactif au cours d'un accident. Il faut calculer comment cet iode va se propager dans l'atmosphère à des centaines de kilomètres, voire des milliers (contamination atmosphérique en Bq/m3), comment il va se déposer sur le sol (contamination surfacique en Bq/m2), comment cette contamination va se transmettre et se concentrer dans la chaîne alimentaire (en particulier par l'intermédiaire de l'herbe et du bétail dans les produits laitiers en Bq/l et par kg), comment, à partir d'hypothèses sur des rations alimentaires, calculer ce qui sera incorporé à notre organisme (mais comment être sûr que ces rations standard seront représentatives de tous les individus qu'il faut protéger?), comment suivre cet iode dans notre corps jusqu'à la thyroïde, l'organe cible. Comment calculer la dose de rayonnement à cet organe (et les autres organes qu'il irradie au passage). D'après le Pr Tubiana «Contrairement à ce que l'on pourrait croire, même pour des radionucléides aussi utilisés que l'iode 131, le schéma de désintégration et l'énergie moyenne des particules émises ne font pas l'objet d'un accord universel»[1]. Enfin, il faut calculer à partir de cette dose le détriment, mortalité par cancer mais aussi autres deétriments concernant la morbidité. On voit à partir de ce trajet la complexité du problème et les erreurs possibles à chacune des étapes.
     Comment en fait les experts font-ils leurs calculs? S'ils se placent au minimum de la fourchette d'erreur à chacune des étapes, l'erreur pourrait être considérable sur l'évaluation globale de l'effet. Signalons qu'aucun calcul n'avait supposé, avant Tchernobyl, qu'on pourrait avoir des contaminations importantes à 2.000 km de la source. La pluviométrie s'est avérée être un facteur essentiel dans la contamination locale.[2]
     Nous n 'évoquerons ici que quelques problèmes qui nous paraissent importants.

1. La dose à la thyroïde
     Pour une radioactivité incorporée donnée, elle dépend de l'âge (en relation entre autres avec la masse de la thyroïde et le métabolisme de l'iode).
     Les premières études systématiques datent des années 60 où par suite des retombées des tests de bombes dans l'atmosphère les êtres vivants ont été contaminés en Iode 131, Césium 134 et 137, Strontium 90. A titre d'exemple, une étude de l963[3] analysait les résultats d'autopsie effectués sur 456 personnes décédées et 31 foetus de NewYork ayant été soumis à 8 mois de retombées en 1962. Le lait était contaminé à 1,4 Bq/l en moyenne avec des pointes à 14 Bq/l. La teneur en Iode 131 de la thyroïde suivait la courbe de contamination du lait. Les adultes les plus exposés auraient reçu 40 millirem à la thyroïde (de masse moyenne 17 grammes) contre 140 pour un bébé de 1 an (thyroïde pesant 2 grammes). La thyroïde foetale concentre l'iode en quantité pondérale dès la 12e semaine et dans cette étude la plus forte concentration en Bq par gramme de thyroïde a été observée sur un foetus de 3 mois avec une teneur pres de 100 fois celle des adultes.

p.15

Comment évaluer la dose à la thyroïde à partir du nombre de Becquerels d'Iode 131 inhalés et ingérés?
     Les Directives du Conseil des Communautés Européennes du 15 juillet 1980 et du 3 septembre 1984 (Journal Officiel des Communautés Européennes L 246 du 17/9/1980 et L 265 du 5/10/1984) ont fixé les Limites Annuelles d'Incorporation (LAI) des radionucléides tant pour les travailleurs que pour la population. Pour l'Iode 131 les LAI du public sont de 200.000 Bq pour l'inhalation et de 100.000 Bq pour l'ingestion. Elles correspondent à une dose de 5 rem à la thyroïde. En cas de mélange de radionucléides, ce qui est le cas après Tchernobyl (113I, Cs134, Ru103, etc...) on doit pour chaque élément calculer le rapport entre la quantité incorporée annuellement et la Limite Annuelle d'incorporation correspondante; la somme de tous ces rapports pour tous les radioéléments présents doit être inférieure à 1. C'est cette condition qui permet d'assurer que la dose maximale dite admissible n'a pas été dépassée.
     Il est précisé que les normes proposées se rapportent à des adultes et «Dans le cas des enfants on doit tenir compte des caractéristiques anatomiques et physiologiques qui peuvent nécessiter dès modifications de ces valeurs».
     En RFA en ce qui concerne le public, la protection contre les rayonnements ionisants liés à la contamination de l'eau et de l'air par des émissions radioactives a été réévaluée dès 1979 et complétée en 1980 et1982. La règlementation du Ministère de l'Intérieur (BMI) comporte 2 classes d'âge, les adultes et les bébés de 1 an. Des instituts spécialisés comme celui de Neuherberg[4] ont calculé les doses pour les classes d'âge intermédiaires, 5, 10, 15 ans. En Grande-Bretagne la National Radiological Protection Board (NRPB)[5] considère 3 classes d'âge, adultes, 10 ans, 1 an. Ainsi l'ingestion de 1.000 Bq donne à la thyroïde d'un adulte une dose de 44 millirem d'après la NRPB, 43 pour le BMI et pour un bébé de 1 an respectivement 370 et 350 millirem. Les évaluations officielles anglaise et allemande sont donc cohérentes.
     Des normes différentielles suivant l'âge seront-elles enfin établies en France comme c'est le cas en République Fédérale Allemande et en Grande Bretagne?
     En fait les personnes du public en France sont toujours régies par les décrets du 20 juin 1966 et du 20 mars 1967. La dose à la thyroïde ne doit pas dépasser 1,5 rem par an. D'après M. Tubiana[1] «en conséquence, la concentration maximale admissible dans le lait consommé tous les jours par un nourrisson est de 370 pCi/l» (soit 13,7 Bq/l).

2. Les cancers
     En 1954 le test nucléaire américain «Bravo» dans le pacifique a entraîné des retombées intenses aux îles Marshall. Les adultes auraient reçu une dose à la thyroïde de 220-450 rads et les enfants de 700-1.400 rads[6]. D'après le Bulletin of the Atomic Scientists d'Août-Sept. l986[7], on peut lire «Sur 19 enfants âgés de moins de 10 ans et ayant reçu 1.000 rads à la thyroïde, 18 ont eu des problèmes thyroïdiens avant l'âge de 21 ans, 15 ont eu des tumeurs, 2 ont eu des problèmes de croissance dus à une perte complète de fonction thyroïdienne. Deux enfants irradiés in utero ont aussi développé des tumeurs avant l'âge de 20 ans»,

suite:
     Les doses reçues par les habitants des Iles Marshall ont été très élevées et comme nous l'avons souvent fait remarquer dans la Gazette Nucléaire on ne peut pas en déduire le facteur de risque pour des doses plus faibles.
     Une étude sur les enfants de l'Utah, sous le vent des retombées des tests de bombes du Nevada, n'avait pas montré d'augmentation de fréquence des cancers, pour des doses thyroïdes inférieures à 18 rads pour 2.140 enfants et supérieures à 18 rads pour 2.691 enfants. Mais R. Bertell a fait remarquer[6] que les études avaient été terminées avant que tous les cancers aient pu être observés. Une étude récente de C. Johnson sur les familles Mormons de l'Utah sous le vent des retombées du Nevada indique un excès de cancers y compris de la thyroïde[8] et des problèmes thyroïdiens autres que des cancers ont été rapportés.
     Dans les Recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR 26, 1977) seuls les cancers mortels sont pris en compte pour calculer le détriment. Si 100.000 personnes ont une dose de 100 rem à la thyroïde, il résulterait en moyenne 5 cancers mortels avec le facteur de risque actuellement admis. Il est bien évident que le nombre de cancers radioinduits sera beaucoup plus élevé mais ce détriment, bien qu'important, n'est pas pris en considération (50 à 150 cancers induits dont 5% seraient mortels)
     D'après le Bulletin of the Atomic Scientists déjà cité «à une dose de 100 rads à la thyroïde est associée une augmentation de 1 à 6% de la probabilité d'une tumeur cancéreuse dans les 30 années suivantes» et il poursuit «C'est pour éviter de telles conséquences que le gouvernement polonais a prescrit de l'Iode stable pour saturer la thyroïde et éviter qu'elle ne soit endommagée par l'Iode 131. La décision d'en distribuer à tous les enfants âgés de moins de 17 ans n'a certainement pas été assez rapide pour réduire la dose à la thyroïde liée à l'inhalation mais peut avoir réduit les doses reçues par contamination de la chaîne alimentaire. C'est aussi la raison pour laquelle beaucoup de gouvernements européens ont protégé leurs populations de la contamination en donnant des consignes pour limiter l'ingestion de produits contaminés: garder les vaches à l'étable, ne pas donner de lait frais aux nourrissons et enfants, stocker le lait avant d'en faire des produits laitiers, etc...»
     En France aucune consigne n'a été donnée alors que la contamination a été élevée en Alsace, et aussi dans le Sud-Est et en Corse où les niveaux de contamination ont été comparables à ceux de la Bavière du Sud et de certaines régions d'Italie.
     Un autre point important à signaler: d'après les recommandations américaines de la Food and Drug Administration[9] concernant le blocage de la thyroïde par de l'Iodure de Potassium (1980), l'administration de l'iode doit se faire très rapidement : soit AVANT (l'exposition présumée) soit simultanément ou dans les 2 heures qui suivent l'exposition. On conçoit qu'il soit nécessaire d'avoir des chefs de centrales qui sachent évaluer correctement la situation (des contre-indications sont possibles et doivent être connues des médecins afin d'évacuer préventivement certaines personnes).
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3. L'irradiation in utero: d'autres effets que les cancers?
     Des retards mentaux sévères et une augmentation de la fréquence de microcéphalies ont été observées au Japon pour les enfants irradiés in utero à Hiroshima et Nagasaki entre la 8e et la 15e semaine à des doses relativement faibles. On sait que, entre autres glandes, la thyroïde joue un rôle fondamental chez les foetus et les jeunes enfants pour leur développement physique et mental. Y a-t-il une influence de l'iode radioactif et autres radioéléments sur les foetus autre que l'induction de cancers? C'est sur ce point qu'il y a polémique.
     Le Dr E. Sternglass, Professeur de Radiologie Médicale à la Faculté de Médecine de l'Université de Pittsburgh, USA, a trouvé une corrélation entre la mortalité infantile et les retombées des tests de bombes atmosphériques. Son hypothèse est que l'iode radioactif endommage la thyroïde du foetus et ne permet pas un développement normal de l'embryon. Cela se traduit par une prématurité, une diminution du poids des bébés à la naissance, une susceptibilité plus grande aux infections, des détresses respiratoires et finalement une augmentation de la mortalité infantile et périnatale.
     Il en a déduit qu'il fallait étudier la mortalité infantile autour des installations nucléaires et comparer son évolution avant et après les implantations des centrales, comparer la mortalité dans des régions avec et sans centrales. Il a trouvé une corrélation entre les relâchers de routine des centrales américaines et une augmentation de la mortalité infantile autour des sites[10]
     Il y a eu une grande controverse aux USA suite à l'accident de Three Mile Island. Le Dr E. Sternglass avait prédit une augmentation de la mortalité infantile consécutive à l'émission d'Iode et de gaz rares radioactifs ainsi que des cas d'hypothyroïdie. Les deux phénomènes ont effectivement été observés. Cela a coûté sa place de Directeur de la Santé de l'Etat de Pennsylvanie au Dr Mac Leod[11] qui avait confirmé l'exactitude des données de mortalité de l'étude de Sternglass. L'anomalie a finalement été officiellement reconnue mais jusqu'à présent aucune explication n'a été fournie par les responsables de la Santé publique qui permette de justifier l'augmentation anormale des cas d'hypothyroïdie observés après l'accident. La présomption de causalité énoncée par Sternglass que le rejet d'iode a eu un effet sur les foetus est donc très forte.
suite:
     Nous avons vu précédemment les incertitudes relatives à la détermination des doses. Chaque accident, s'il avait été «géré» correctement dans le passé, aurait au moins permis de mieux connaître les effets, les risques réellement encourus tant en ce qui concerne la mortalité par cancer que la morbidité, les mortalités périnatale et infantile.
     Aucune étude épidémiologique sérieuse n'a été effectuée après l'accident du réacteur de Windscale en Grande-Bretagne en 1957.
     Il serait lamentable que des études ne soient pas entreprises après Tchernobyl sous prétexte qu'a priori les officiels aient décidé qu'il ne peut rien y avoir, les doses reçues étant faibles. Seule une approche expérimentale rigoureuse fondée sur l'observation des phénomènes peut permettre d'obtenir les véritables réponses. Des études épidémiologiques doivent être entreprises en fonction des taux de contamination dans les différentes régions, les habitudes alimentaires etc., avec étude du mongolisme, de la mortalité infantile, la morbidité (les affections respiratoires en particulier) et un relevé de toute observation paraissant anormale. Des registres de cancer devraient recenser l'incidence des cancers.
     Il faut retenir que les femmes enceintes et les jeunes enfants sont des groupes particulièrement sensibles qu'il faut protéger.
     Ce n'est que dans 50 ans, à condition de connaître les doses réellement engagées, qu'on pourra tester la validité du facteur de risque, nombre de morts par unité de dose, pour les différentes tranches d'âge (c'est, pour des doses plus élevées, l'étude probablement en cours sur les 135.000 évacués de Tchernobyl). Les coûts de la «gestion» d'un accident qui implique des évacuations, une incidence sur la santé, etc... auraient dû faire partie du débat qui aurait dû avoir lieu avant le lancement du programme d'électronucléarisation massive de la France.
p.17
1. M. Tubiana, Metabolisme et radiotoxicité de l'iode radioactif, in «Toxiques nucléaires», P. Galle, Masson 1982, p. 59.
2. «Chernobyl reactor accident report of a consultation», 6 may 1986, Copenhagen, p. 15.
3. M. Eisenbud, Y. Mochizuki, G. Laurer, «I. 131 dose to human thytoids in New York City from nuclear tests in 1962», Health Physics 9 (1963) 1291-1298.
4. ISH (Institut für Strahlen Hygiene des Bundesgesundheitsamtes, Neuherberg/Munchen) Dosisfaktoren fur Inhalation oder Ingestion von Radionuklidverbindungen, Heft 63, 78, 79, 80, 81.
Der Bundesminister des Innern (BMI), Reaktorsicherheit, Sicherheit sonstiger kerntechnisher Anlagen, Strahlenschutz, GMBl 1979, 1980, 1982, 1985.
5. NRPB (National Radiological Protection Board), «Derived emergency reference levels for the introduction of countermeasures in the early to intermediate phases of emergencies involving the release of radioactive materials to atmosphere», NRPB-DL 10, march 1986.
6. R. Bertell, «Handbook for estimating health effects from exposure to ionizing radiation» (1984), Institute of Concern for Public Health, Toronto.
7. The Bulletin of the Atomic Scientists, Aug.-Sept. 1986, p. 18.
8. C. Johnson, «Cancer incidence in an area of radioactive fallout downwind from the Nevada test site», JAMA 25 (1984) 230-236.
9. Food and Drug Administration's Recommandations on thyroïde blocking with Potassium Indide, 1981-0-341-177/31.
10. E. Sternglass, «Low level radiation from Hiroshima to Three Mile lsland», Mac Graw Rill Book 1972, 1981.
11. G.K. Mac Leod, «TMI and the politics of public health», New York City, Nov. 22 1980, Physicans for Social Responsability.
COSTA, le 6 octobre 1986
Docteur Denis FAUCONNIER
Couvent de TUANI
20226 COSTA
A Monsieur le professeur COGNE
(copie adressée au représentant CFDT au
Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire)
     Monsieur,
     Suite aux retombées de Tchernobyl, plusieurs problèmes m'inquiètent, je souhaiterais avoir votre avis à ce sujet.
     Quelles conséquences sanitaires peuvent découler d'irradiation à la thyroïde de plusieurs dizaines, voire 100 à 150 rem, qu'ont reçu les enfants de nos populations rurales, consommateurs de lait de chèvre et de fromage frais?
     Lait à 4.400 Bq/l d'iode au 12 mai - SCPRI rapport mai-juin 86 p. 39, soit 24.000 Bq/l au 2 mai! Pour expl. calcul, voir anexe ci-jointe.
     Quelles conséquences pour le bétail et les consommateurs de viande, lait, fromage, pendant les mois à venir, sachant que le foin engrangé en juin contient 2.400 à 3.300 Bq/kg de Césium 134 et 137 - analyses CRII-Rad du 16-07-86. Au 16-7 ces foins contenaient 80 et 114 Bq/kg d'Iode 131. Période théorique de l'iode: 8j., c'est-à-dire que ces foins ont contenu 60.000 à 80.000 Bq d'Iode 131/kg au début mai.
     Il faut savoir qu'une vache mange 10 à 12 kg de foin/ jour, que durant tout l'hiver (jusqu'à fin avril), les vaches de toutes régions - soit à l'étable (le plus courant sur le continent), soit en stabulation libre (c'est-à-dire dans les champs - plus habituel chez nous) - ces vaches dont vont être nourries avec le foin engrangé fin mai début juin. En effet, l'été est la période de repos de l'herbe et même avec des arrosages, en été seul pousse le chiendent (et la luzerne). Le foin coupé à la fin du printemps est, en règle générale, la nourriture de l'hiver.
     Ce foin peut-il être manipulé sans précautions particulières pendant des mois quotidiennement surtout en ce qui concerne l'inhalation de poussières radioactives. Les enfants peuvent-ils, sans danger, dormir à proximité des grandes et jouer dans ce foin?
     Comment expliquez-vous que l'on n'ait pas déconseillé l'utilisation de produits autant contaminés?
     Quelles précautions peut-on prendre?
     Dans l'attente de votre réponse, recevez, Professeur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
D. Fauconnier
Annexe jointe
     En prenant le cas du lait de brebis contenant 150 Bq/l d'Iode 131 au 10 juin, on peut évaluer la concentration initiale au 1 mai sachant que la période effective de l'iode dans le lait de chèvre ou brebis est de l'ordre de 4,5 j. (rapport CEA-IPSN) (période plus courte pour le lait de vache: 2j. à 4,5 j.). Pour une période de 5j (c'està-dire en minorant) on obtient: 38.400 Bq au 1 mai et une activité intégrée de l'ordre de 300.000 Bq entre le 1er mai et le 10 juin, soit 75 rem à la thyroïde pour un enfant de 5 ans ayant consommé 1/4 de fromage frais (c'est tout à fait courant chez nous et c'est moins que ce que consomment mes propres enfants) OU bu un litre de ce lait.
suite:
     Pour une période de 4,5 j, l'activité initiale est beaucoup plus élevée, de l'ordre de 70.000 Bq/l, et la dose reçue à la thyroïde par un enfant de 5 ans très supérieure à la centaine de rem (1/4 de fromage frais OU un litre de lait).
     Je vous signale que le fromage frais se fabrique en quelques heures et est commercialisé dans la journée, que la période pendant laquelle il y en a sur le marché est d'avril à fin juin, d'où consommation importante sachant qu'on n'en trouvera pas pendant de longs mois.
     Si vous avez besoin de toute autre information complémentaire, je suis à votre entière disposition.
Fontenay-aux-Roses, le 8 décembre 1986
Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire
Le Directeur
Docteur Denis FAUCONNIER
Couvent de Tuani
20226 COSTA
     Docteur,
     Voici les réponses aux questions que vous m'avez posées:
     En ce qui concerne le lait de chèvre ou de brebis contaminé par l'Iode 131, il est exact que les valeurs sont plus élevées que celles trouvées dans le lait de vache.
     Il faut cependant noter que la consommation régulière et en forte quantité de lait et de fromage frais de chèvre ou de brebis n'est pas courante et que le problème est spécifique d'un petit nombre d'individus. En dehors de mesure directe de la quantité d'Iode dans la thyroïde, il est difficile d'évaluer l'exposition si l'on ne possède pas de mesures précises sur le niveau de contamination de la chaîne alimentaire. Les premières mesures officielles dont on dispose sont celles du SCPRI: 4.400 Bq/l le 12 mai et 2.300 Bq/l le 13 mai. En extrapolant au début mai et en considérant qu'il s'est écoulé deux périodes effectives, on aurait une concentration initiale moyenne de 15.000 Bq/l. Avec une consommation de 1 litre de lait par jour ou d'un équivalent en fromage frais de 200 g, on aurait délivré à la thyroïde d'un enfant d'une dizaine d'années une dose de 9 rem. La valeur réelle dépend de deux facteurs: la consommation propre de l'individu et sa période biologique personnelle. Dans le cas de la thyroïde, le risque est essentiellement l'atteinte de la fonction thyroïdienne, et c'est lui qui conditionne les limites. Cette atteinte ne doit s'observer qu'au-delà du seuil de 250 rem. La limite annuelle de 5 rem a été calculée en divisant cette valeur seuil par 50. Quelle que soit l'incertitude sur les paramètres réels des individus, il est très improbable que l'on puisse observer, à long terme, une atteinte de la fonction thyroïdienne chez les enfants en Corse.
     Pour le foin, il n'y a pas de problème avec l'Iode 131 qui a disparu. Par contre, le Cesium est toujours présent. En utilisant les modèles mis au point au moment de retombées des tirs nucléaires, une valeur de 3.000 Bq/kg de foin conduirait à des concentrations de 200 Bq/l de lait et 900 Bq/kg de viande, pour un animal consommant quotidiennement et en permanence 10 kg de ce foin. En admettant qu'une personne ingère quotidiennement, pendant 6 mois, 1 litre de ce lait et 200 g de cette viande, l'exposition serait de l'ordre de 100 millirem.
p.18

     Pour des enfants jouant dans les fenils, la dose externe sera négligeable étant donnée l'auto-absorption des rayonnements. Dans le cas de l'inhalation de poussières contaminées, les limites de concentration atmosphérique pour le Césium sont de 70 Bq par m3. Ceci correspondrait à une quantité de poussières de foin de plusieurs dizaines de grammes par m3. De telles valeurs sont, pour des raisons de physique des aérosols, impossibles à atteindre et a fortiori à maintenir pendant 8 heures par jour. Ce type de risque n'existe donc pas en pratique.
     J'espère que ces réponses vous satisferont et je reste à votre disposition pour fournir les renseignements complémentaires dont vous pourriez avoir besoin.
     Je vous prie d'accepter, Docteur, l'expression de mes sentiments distingués.
F. COGNÉ
Commentaire Gazette

     La réponse de M. Cogné appelle quelques commentaires. D'après l'Institut für Strahlen Hygiene* de Neuherberg (Münich), la dose à la thyroïde, en rem par Bq, inhalé et ingéré, d'Iode 131 en fonction de l'âge est pour les 5 classes d'âge:

Ingestion Inhalation
1 an 3,5.10-4 2,2.10-4
5 ans 1,9.10-4 1,2.10-4
10 ans 8,6.10-5 5,5.10-5
10 ans 6.10-5 3,5.10-5
adultes 4,3.10-5 2,7.10-5

     Pour avoir une dose à la thyroïde de 9 rem, comme indiqué à titre d'exemple par M. Cogné, un enfant de 10 ans devrait ingérer environ 100.000 Bq d'Iode 131 (par l'intermédiaire des produits laitiers), pour la même ingestion la dose à la thyroïde est de 19 rems pour un enfant de 5 ans et 35 rems pour un enfant de 1 an. L'estimation du Dr Fauconnier de l'ingestion de 300.000 Bq est tout aussi plausible et conduit à des doses thyroïde 3 fois plus élevées... Nous restons perplexes devant l'affirmation de
M. Cogné selon laquelle une atteinte de fonction thyroïdienne ne doit s'observer qu'au-delà du seuil de 250 rem!
     Rappelons que d'après l'Euratom et les Recommandations de la CIPR 26, la dose annuelle à la thyroïde ne doit pas dépasser 5 rem pour le public et 1,5 rem en France puisque nous sommes toujours régis par les décrets de 1966 et 67. Il paraît important de surveiller la fonction thyroïdienne des enfants corses et ce d'autant plus que nous avons eu déjà connaissance de cas de dysfonctionnement thyroïdiens apparus après mai 1986.
     Il aurait été préférable de faire des mesures discrètes d'irradiation externe dans les fenils plutôt que d'affirmer qu'à la suite de l'autoabsorption la dose externe serait négligeable.

suite:
     Quant à l'ingestion de poussières ne présentant pas de risque, nous restons sceptiques devant les explications avancées s'il est vrai qu'au 16 juillet le foin coupé contenait encore de l'Iode 131.
     Nous sommes en complet désaccord avec M. Cogné quand il affirme: «Il faut cependant noter que la consommation régulière et en forte quantité de lait et de fromage frais de chèvre et de brebis n'est pas courante et que le problème est spécifique d'un petit nombre d'individus». Il y a là un véritable scandale qu'il faut dénoncer. Pourquoi un groupe d'individus ne devrait pas être correctement protégé sous prétexte qu'il est numériquement faible? Il est impératif de protéger les individus. Il n'y a aucune moralité en dehors de ce principe élémentaire.

* Institüt für Strahlen Hygiene, Neuherberg, Ingolstädter Landstrape 1, 80H2 Neuherberg b/Monchen - RFA
«Dosisfaktorenfor Inhalation oder Ingestion von Radionuklidverbundungen Alterklasse 1 Jahr, 5 Jahren, 10 Jahren, 15 Jahren, Erwachsen» (Heft 78, 79, 80, 81, Nov. 1985, Heft 63 avril 1985).
Nous remercions vivement l'ISH de nous avoir envoyes gratuitement ces documents des réception de notre demande.
 

Qui a raison?
Les Exploitants ou le SCPRI?

     La CRII-Rad, très attentive aux problèmes de contamination, a relevé des contradictions entre les valeurs fournies par le CEA et l'EDF et celles publiées par le SCPRI pour la période du 1 au 7 mai 1986 et les centres nucléaires de Marcoule et de Cruas, les valeurs sont les suivantes pour les activités surfaciques en Bq/m2.
 

CEA/EDF SCPRI
Marcoule 42.250 11.600
Cruas 252.000 37.200

Conclusion

     Ceci devrait nous permettre «d'étalonner» les mesures du SCPRI. Monsieur Pellerin effectue-t-il systématiquement sur toutes les mesures qu'on leur fournit ou sur celles qu'effectue son service, une division par un facteur compris entre 3 et 7 des résultats?
     Au début du mois de juin, le Directeur de la Centrale de Cruas a finalement cédé aux pressions, il reconnaissait publiquement ses erreurs. Monsieur le Professeur Pellerin semble avoir la possibilité d'extorquer des autocritiques publiques.

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Et pourtant, il a travaillé comme une bête!

     En France, c'est bien connu, on ne fait pas travailler les bêtes le dimanche, on les laisse à l'étable. Madame Barzach, au cours d'un reportage télévisé, a déclaré en présentant Monsieur le Professeur Pellerin, le Directeur du SCPRI : «Il a travaillé comme une bête!»
     Nous avons eu la curiosité perverse d'examiner de près le compte rendu mensuel de mai 1986 du SCPRI. L'histogramme du nombre de mesures effectuées sur le lait en fonction de la date est assez instructif. Tout d'abord, on y voit des creux très bas avec très très peu de mesures qui coïncident avec les samedi et dimanche, sauf dans un cas où il se prolonge sur le lundi 19 mai. Coïncidence encore, il s'agit du lundi de Pentecôte!
   En plus, on s'aperçoit que le SCPRI atteint sa pleine puissance vers le 15 mai, deux semaines après le début de la contamination!

Nombre de mesures de contamination du lait
en fonction de la date en mai 1986:


E. Post-Tchernobyl : qu'observe-t-on?
des animaux et des hommes...

     Au cours du colloque «Energie et Société» tenu à Paris du 16 au 18 septembre 1981, le Pr K. Morgan, ancien Président de la Commission Internationale de Protection Radiologique CIPR, avait indiqué qu'après l'accident de Three Mile Island en 1979 des problèmes concernant le bétail, notamment une augmentation du taux de mort-nés (et des malformations) avaient été observés dans 11 fermes sur les 96 entourant le site et des plaintes déposées par les fermiers (la Nuclear Regulatory Commission NRC et l'EPA, Environmental Protection Agency ont conclu qu'aucun des différents cas ne pouvait être corrélé à l'accident).

suite:
     Notre attention a été éveillée par des descriptions de problèmes similaires rapportés en Bavière du Sud et en Corse et qui pourraient être dûs à une action de l'Iode radioactif sur les foetus. Nous avons été étonnés par le peu de littérature existante concernant l'action de l'Iode sur les foetus animaux.

BAVIÈRE DU SUD
     Les informations que nous avons obtenues par un scientifique de Münich concernent une étude entreprise par un groupe écologiste auprès de 302 éleveurs ayant des troupeaux de 5 à 50 vaches et où l'insémination artificielle est pratiquée, afin de déterminer la mortalité des veaux mort-nés et morts dans les deux jours suivant la naissance, dans une région ayant été soumise à de fortes retombées radioactives suite à l'accident de Tchernobyl.
Les résultats sont les suivants:
     Sur les 5.919 vaches susceptibles de vêler ont été observées, entre le 1er octobre 1986 et le 28 février 1987, 2.929 mises bas, dont 2.720 veaux normaux et 209 mort-nés ou morts dans les 2 jours suivant la naissance, ce qui représente un taux de mortalité de 7,14%. Le taux habituel pour toute la Bavière était de 3,32% d'octobre 1984 à septembre 1985, de 3,41% d'octobre 1985 à septembre 1986. Il y a donc un taux de mortalité 2,1 fois plus élevé après Tchernobyl et l'augmentation est statistiquement significative. Le taux le plus élevé est observé mi-janvier et atteint 14,6%. Ce pic correspond à des vaches en début de gestation à la mi-mai et dont les foetus ont pu être très affectés par la contamination en Iode radioactif. Une proportion de 8% des veaux mort-nés présentaient des malformations. Dans cette région de Bavière du Sud l'activité surfacique a atteint 300.000 à 600.000 Bq/m2. Les Autorités Fédérales avaient recommandé la mise à l'étable du bétail et les vaches sont donc restées sous couvert jusqu'à la levée des consignes (le 11 mai).
     Il est intéressant de constater qu'un groupe de fermiers a maintenu les vaches à l'étable, même après la levée des consignes officielles; elles n'ont pas du tout été nourries avec du fourrage et de l'herbe contaminés. Il n'y a eu que 5 veaux mort-nés sur 214 mises bas soit un taux de mortalité de 2,3%. D'un point de vue épidémiologique c'est donc un groupe de contrôle qui permet de corréler l'augmentation de mortalité observée à l'ingestion d'herbe contaminée.

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     Une autre observation a été faite en Bavière: le pourcentage de vaches inséminées n'ayant pas mis bas a triplé. Ceci veut dire qu'il y a eu des avortements spontanés. Des journaux allemands (Stern, 19 mars 1987) se sont fait l'écho de ces informations et ont apporté d'autres détails; un vétérinaire confirme ces résultats ainsi que l'existence des veaux malformés.
     Actuellement, les instances officielles nient qu'il y ait un effet quelconque en Bavière lié à Tchernobyl. La situation est compliquée du fait que la contamination n'est pas uniforme et a fortement dépendu de la pluviométrie. Moyenner sur une grande région peut «gommer» tout effet.

ET EN CORSE?

     La contamination a été du même ordre de grandeur qu'en Bavière du Sud puisque du foin prélevé le 15 mai à Lozari en Haute Corse et mesuré le 16 juillet contenait encore 118 Bq/kg en Iode 131 ce qui correspond à près de 90.000 Bq/m2 le 1er mai et à une activité surfacique analogue à celle de la Bavière du Sud de plusieurs centaines de milliers de Bq/m2. Mais à la différence de la Bavière aucune consigne n'a été donnée. Les bêtes ont donc ingéré continument l'herbe contaminée à raison d'un équivalent en herbe sèche de 10 kg par jour pour les vaches. Qu'en est-il donc de la mortalité des veaux à la naissance? Les données recueillies par le Dr Fauconnier concernent 10 troupeaux; sur 56 mises bas concernant des vaches en gestation début mai (entre le 1er et le 7e mois) 21 vaches ont perdu leur veau dont 7 à la naissance. Bien sûr il faudrait davantage de données. Néanmoins si le Dr Fauconnier a effectué son enquête c'est bien parce que certains faits sont apparus comme anormaux. Quand un seul troupeau est affecté on ne peut rien en conclure; quand cela en affecte 10 cela devient plus sérieux, sans compter que les informations sont difficiles à obtenir auprès des éleveurs et des Services Vétérinaires. Quand de plus on apprend que des portées entières de porcelets ont été perdues fin août (gestation 3 mois 21 jours) que des poulains aussi ont été touchés récemment (gestation 12 mois), cela devient plus qu'une présomption.
     De telles enquêtes sont-elles fiables? Nous ne connaissons pas la situation réelle en Bavière du Sud (en Allemagne Fédérale les agriculteurs réclament des compensations pour les pertes de leurs récoltes suite à Tchernobyl). En ce qui concerne la Corse, les éleveurs ayant fourni des renseignements sur la mortalité des veaux font partie de ceux pour qui les veaux ne représentent pas la principale source de revenus et l'enquête ne peut pas avoir été biaisée dans l'espoir d'avoir une quelconque rémunération vu la conjoncture en France! Les éleveurs sont très avares de renseignements car ils craignent qu'ensuite on ne leur achète plus leurs bêtes saines.
     Il nous paraît indispensable d'étendre cette enquête à l'ensemble du bétail corse pour les différentes catégories animales à durée de gestation variable. Il serait navrant que ces études ne soient pas faites: les animaux peuvent être des indicateurs très sensibles de la contamination radioactive et de l'effet sur la mortalité à la naissance car il y a beaucoup plus de naissances animales que de naissances humaines.

suite:
C'est une propriété qui n'a jamais été exploitée jusqu'à maintenant. L'observation de mort-nés, de décès après la naissance, de défauts de croissance, d'atonie, autant d'indices que la thyroïde peut avoir été affectée par la radioactivité. Il est important de savoir quel est l'effet de doses faibles sur les foetus avec effets tératogènes et déficit immunitaire.
     Bien sûr, cette étude ne doit pas être faite aux détriments des éleveurs mais prise financièrement en charge par les autorités vétérinaires. Les éleveurs doivent être indemnisés et pourquoi ne seraient-ils pas associés de façon étroite à ce genre d'étude qui doit prendre en compte les effets sur les générations suivantes?
     Le fait qu'en RFA une augmentation du mongolisme ait été décelée, surtout en Bavière du Sud où a été constatée l'élévation du nombre de veaux mort-nés suggère qu'il y a bien «un effet Tchernobyl». Il est évident que les responsables officiels chercheront par tous les moyens à nier cet effet et à dénigrer ceux qui ont fait les observations. Cette façon de procéder a été mise en oeuvre aux USA après l'accident de Three Mile Island. Cela est infiniment regrettable car si les études avaient été menées correctement après Three Mile Island on aurait pu certainement en tirer des enseignements pour la «gestion» des accidents et en particulier celui de Tchernobyl. On n'a pas le droit de négliger a priori certaines observations car jusqu'à présent aucun modèle théorique fondé sur des études expérimentales ne permet d'affirmer qu'il ne peut pas y avoir d'effet. Seule une approche expérimentale rigoureuse fondée sur l'observation des phénomènes peut permettre d'obtenir les véritables réponses. Toute autre approche ne peut être de la part des autorités responsables qu'un abus de pouvoir.
     En particulier nous suggérons que les données suivantes soient soigneusement collectées sur les enfants (la liste n'est évidemment pas limitative):
     - Etude systématique de la morbidité (incidence des maladies), en particulier en ce qui concerne les problèmes liés au système respiratoire et aux maladies infectieuses.
     - Affections de la thyroïde.
     - Poids à la naissance et suivi de la croissance des enfants nés post-Tchernobyl.
     - Mongolisme.
     - Suivi de la mortalité infantile
     - Ouverture d'un registre des cancers.
     Il est donc absolument nécessaire que toutes les observations en Corse soient collectées, sur les animaux, les végétaux et les humains, qu'elles soient analysées, et que la population ait la possibilité d'associer des experts de son choix à ces études, cette dernière condition est essentielle pour que les résultats qui en résulteraient soient crédibles. IL NE FAUT PAS OUBLIER QU'IL NE S'AGIT PAS D'UN PROBLÈME ACADÉMIQUE MAIS  DE LA SANTÉ DE L'ENSEMBLE DE L'HUMANITÉ.
p.21

F. La conférence de Londres sur les effets biologiques
des rayonnements ionisants

     Une conférence internationale* sur les effets biologiques des rayonnements ionisants (BEIR Conference) s'est tenue à Londres les 24-25 nov. 1986. Elle avait la particularité inimaginable pour nous Français d'être organisée par les Amis de la Terre Anglais et Greenpeace International, et d'être présidée par le Professeur Sir Richard Southwood, membre de la National Radiological Protection Board (NRPB) dont l'équivalent français correspond à notre SCPRI, Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants dirigé par le Pr Pellerin, et à une fraction de l'IPSN, Institut de Protection et Sûreté Nucléaire, CEA.
     Le but de cette conférence était, comme l'a indiqué le Pr Sir Richard Southwood, de discuter des effets des faibles doses de rayonnement et du facteur de risque, c'est-à-dire de la relation effet/dose (nombre de morts par cancer causés par unité de dose de rayonnement).
     Plusieurs membres de la NRPB participaient à la conférence ainsi que des experts de la Commission Internationale de Protection Radiologique, CIPR, qui établit sous forme de recommandations les normes internationales de radioprotection.
     Les interventions de ceux que l'on qualifie habituellement de pronucléaires et d'opposants se sont alternées toutes les 30 minutes, discussion comprise, dans une atmosphère de fair-play assez stupéfiante. Les gens restent sur leurs positions mais au moins là-bas le dialogue est possible.
     Nous résumerons les interventions les plus marquantes.
     Retenons tout d'abord que l'effet cancérigène des faibles doses de rayonnement, y compris le rayonnement naturel, est évident pour TOUS les participants. De nouvelles études renforcent ce point de vue: G. Kneale et A. Stewart superposent 2 séries de données indépendantes, celles de l'étude dite d'Oxford sur les cancers des enfants recensés en Grande-Bretagne depuis les années 50[1] et celles de la composante terrestre du rayonnement naturel provenant de la NRPB. Plus de 66% des càncers des enfants seraient dûs à l'irradiation in utero par le rayonnement naturel.
     Le Pr Ujeno (Université de Kyoto) trouve pour les adultes, une corrélation significative entre le rayonnement naturel au Japon et certains cancers (pancréas, colon, rectum).
     AINSI LE RAYONNEMENT NATUREL NE PEUT PLUS ETRE PRIS COMME PREUVE DE L'INNOCUITE DES RAYONNEMENTS Â FAIBLE DOSE.
     Une très importante contribution, la réanalyse du suivi des survivants de Hiroshirna et Nagasaki a été présentée par le Pr Edward Radford, ancien Président du Comité BEIR (Comité d'évaluation des effets biologiques des rayonnements ionisants de l'Académie des Sciences des USA). Cette réanalyse fait suite à la nouvelle estimation des doses reçues par les survivants, la précédente évaluation (celle qui sert de base à la radioprotection mondiale) s'étant avérée complètement fausse[2]. Les doses elles-mêmes étaient erronées et les calculs n'avaient pas pris en compte les effets d'écrantage par les bâtiments et les machines. La relation Effet/dose est dorénavant une droite qui conduit à un facteur de risque 4 fois plus élevé que celui de la CIPR. Les survivants des 2 villes figurent sur la même droite qui comprend désormais un nombre important de personnes ayant reçu des faibles doses (le Pr Radford a insisté sur ce point). Il ne tient cependant pas compte de l'effet de sélection qui peut affecter la population des survivants comme c'est le cas de ceux qui survivent à une catastrophe ainsi que l'avait rappelé auparavant le Pr Karl Morgan, ce qui conduirait à augmenter encore le facteur de risque pour des populations normales.



* Il est regrettable que la participation française à cette conférence ait été si faible: deux membres du GSIEN!
suite:
     L'existence d'un nombre anormalement élevé des leucémies chez les enfants autour des installations nucléaires de Sellafield - ex Windscale - et de Dounreay est confirmée par les études présentées et ne peut s'expliquer par le facteur de risque officiel. La NRPB est très embarrassée car, ou bien les rejets ont largement dépassé les autorisations légales, ou bien le facteur de risque est notoirement trop faible (ou les deux). Le problème est compliqué car il semble que les leucémies chez les enfants ne soient pas uniformément réparties, elles apparaissent souvent par groupes, les «clusters». Cela est visible dans l'étude de Stewart et Kneale sur l'influence du rayonnement naturel. Ce phénomène doit être dû à des causes particulières qui restent à élucider. L'opinion publique anglaise est très sensibilisée sur ce sujet et et cela oblige les officiels à faire des études très poussées pour expliquer ces anomalies de leucémies autour d'installations nucléaires. L'opinion publique ne semble pas se satisfaire de déclarations a priori, elle exige des preuves.
     Signalons que la leucémie est une maladie assez rare dont l'induction est très sensible au rayonnement (à ce propos il serait important de savoir s'il n'y a pas d'anomalies concernant la leucémie autour de l'usine de La Hague mais également parmi les travailleurs de l'usine comme la rumeur publique l'indiquait il y a quelques années).
     Valérie Béral (London School of Hygiene and Tropical Medicine) a présenté les premiers résultats d'une étude épidémiologique sur les travailleurs de l'énergie nucléaire britannique. Cette étude est faite à la demande de l'United Kingdom Atomic Energy Authority. La présentation orale de V. Béral a été très prudente en ce qui concerne le facteur de risque de la CIPR. La marge d'erreur statistique sur le facteur de risque déterminé à partir de cette étude ne permet pas de conclure. Néanmoins il faut signaler que la limite supérieure trouvée est 3 fois plus élevée que celle de la CIPR. Comme l'a fait remarquer le syndicaliste David Gee (de la General Municipal Boilmakers and Allied Trades Union) si le souci majeur des experts de la CIPR était la protection des travailleurs et de la population ils devraient prendre en compte les valeurs les plus élevées des facteurs de risque (rappelons que l'étude tant critiquée par les officiels, de Mancuso, Stewart et Kneale sur les travailleurs US du nucléaire conduisait à un facteur de risque au moins 10 fois plus élevé). David Gee demande au nom de la GMB and Allied Trades Union la réductiôn immédiate des normes annuelles de 5 rem à 1 rem pour les travailleurs sous rayonnement et de 500 à 25 millirem pour la population. Il demande que des représentants des travailleurs et de la population soient consultés par la CIPR avant que des décisions soient prises concernant les normes. D'autres points ont été soulevés par D. Gee au sujet des recommandations de la CIPR. Il semble maintenant évident que certains concepts de la CIPR se sont montrés inefficaces. Celui par exemple qui demande aux responsables des installations nucléaires d'effectuer des analyses coût-bénéfice pour maintenir les doses «aussi faibles qu'il est raisonnablement possible» (principe ALARA, As Low As Reasonably Achievable). Ce concept demeure tout-à-fait théorique et inefficace pour obtenir une réduction des doses.
     KarI Morgan, pourtant lui-même ancien président de la CIPR a quant à lui un point de vue encore plus critique. Il conteste la Commission Internationale de Protection Radiologique dans son ensemble comme composée d'experts étant liés au nucléaire, dont la plupart pourraient être accusés de conflits d'intérêts. Qu'en est-il en France? Outre M. Pellerin les experts français sont-ils indépendants de l'establishment nucléaire?

1. On commence seulement en France à parler de la nécessité d'ouvrir des «Registres de Cancer» avec actuellement quelques tentatives isolées.
2. Voir la Gazette Nucléaire No 56/57: Nucléaire, Santé, Société
p.22

     D'autres sujets ont été évoqués comme la variation individuelle de sensibilité aux rayonnements (Dr P. Lewis), les aberrations chromosomiques (H. J. Evans).
     Enfin des relevés de contamination radioactive suite à Tchernobyl ont été présentés. Le Dr Clarke de la NRPB indique des taux voisins pour la Grande-Bretagne et pour la France, mais les relevés de la NRPB sont notoirement plus nombreux que ceux publiés en France par le SCPRI et l'IPSN. Ils paraissent cependant dérisoires par rapport
au nombre de mesures effectuées en RFA et rapportées par le Dr Jacobi. Il ne faut pas s'en étonner et ce fait est à rapprocher de la fixation de normes très strictes de contamination par certains «Lander» de RFA comme en Hesse où les écologistes représentent une force importante.
     UN HAUT DEGRE DE PROTECTION EN CE QUI CONCERNE LE NUCLÉAIRE EST INCOMPATIBLE AVEC UNE INDIFFÉRENCE DE LA POPULATION ET DES MÉDIA VIS A VIS DES PROBLÈMES DE SANTÉ COMME C'EST LE CAS EN FRANCE.
     Il est possible que l'attitude des responsables anglais de la radioprotection ne soit que la conséquence d'une stratégie pour reconquérir une crédibilité parmi une opinion publique particulièrement sensible aux problèmes de santé. Cette crédibilité a en effet été fortement compromise par les multiples accidents et incidents de l'usine de Sellafield, anciennement Windscale, toujours accompagnés de propos officiels très rassurants mais non convaincants.
     Le dernier orateur de la Conférence a terminé son exposé en montrant une carte des côtes du Nord de la France avec sa très forte concentration en réacteurs nucléaires traduisant ainsi l'inquiétude de plus en plus de gens en Grande-Bretagne qui ne semblent pas être convaincus par les propos béatement rassurants des Autorités françaises.
p.23

Prémonition!

     EDF vend des détecteurs de fuite. Elle avait sûrement prévu la série noire de 87: Tricastin - Pierrelatte - Superphénix:
 

EDF Direction des Etudes et Recherche - DER 86
Faits marquants

La vente d'une méthode de localisation de fuites
à une société espagnole

     En septembre 1986, après environ une année de contacts et de négociations, un contrat de cession de licence d'un brevet et d'un savoir-faire, concernant la méthode de test hélium des générateurs de vapeur, a été signé entre la société espagnole Tecnatom et EDF.
     La méthode permet de localiser les fuites, même de très petite taille, dans les tubes d'un générateur de vapeur à l'arrêt. Elle est basée sur l'emploi de l'hélium comme gaz traceur qui, mélangé avec de l'air, est utilisé pour pressuriser la partie secondaire de l'échangeur. La détection se fait dans une des boîtes à eau, grâce à un télé-manipulateur (l'araignée de contrôle) qui porte des sondes de prélèvement reliées à des spectromètres de masse (figure 1 ci-contre).
     La méthode est très sensible: elle permet de détecter des défauts correspondant à des débits de fuite en fonctionnement de l'ordre de 1 cm3/h d'eau primaire.
     Elle a été mise au point par le Service Ensembles de Production en 1984 et 1985; elle est aujourd'hui couramment utilisée dans les centrales françaises.
     La vente a pu être conclue grâce à une bonne collaboration entre le personnel du département Prospective, évaluation et valorisation, et les concepteurs du procédé au département Surveillance -Diagnostic - Maintenance.

     Et si les fissures n'étaient qu'un coup monté pour lancer une campagne promotionnelle en vue d'une exportation massive (à la place des réacteurs on fait ce qu'on peut). Bien joué EDF!

suite:
BREVE

Lu dans New Scientist du 9 avril 1987

     Les «chiens de garde» avertissent des leçons de Tchernobyl.
     Un expert international en sûreté nucléaire a alerté cette semaine l'industrie nucléaire mondiale. Celle-ci devrait reconsidérer la conception des systèmes de confinement qui protègent les réacteurs nucléaires. James Joosten de l'Agence Internationale pour l'Energie Atomique, a déclaré que l'accident de Tchernobyl devrait pousser à un réexamen des concepts en matière de protection des réacteurs.
Il a déclaré au cours d'une conférence à Cambridge, que l'accident de Tchernobyl a des leçons pour les autres types de réacteur couramment utilisés.
     Il laissa entendre que les experts nucléaires occidentaux, y compris les britanniques, ont eu tort de proclamer que le désastre ne les concernait pas car la conception du réacteur de Tchernobyl était différente de celle utilisée ailleurs pour les réacteurs...
     «Les mécanismes de rupture du confinement à Tchernobyl concerne l'industrie toute entière et devraient stimuler un réexamen de la philosophie du confinement».

p.24

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