La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°80/81
DES NOUVELLES DU PROGRAMME FRANCAIS

NOGENT-SUR-SEINE


A. Introduction

      Nous vous présentons un dossier qui fait le point des actions que nous avons entreprises dans le cadre de la Centrale de Nogent.
     - lettre au Ministre de l'Environnement
     - l'accident majeur à Nogent-sur-Seine et l'alimentation en eau de la région parisienne
     - communiqué de presse du GSIEN
     Une pétition est en cours pour le non démarrage de Nogent, en particulier à cause des problèmes d'alimentation en eau de la région parisienne.
     Il est à noter en plus que l'installation des fameux filtres rustiques ou à sable n'est pas encore faite. Nul ne pouvant prévoir l'avenir, diverger la centrale dans ces conditions relève de l'acte de foi. Or, actuellement la façon dont les responsables d'EDF conçoivent la sûreté est fort inquiétante.
     Postulat 1 le nucléaire français est sûr
     Postulat 2 un accident bien sûr est possible
     Postulat 3 le réacteur Russe est mal conçu
     Postulat 4 nos rejets seraient 100 fois plus faibles, 10 fois dans le cas le plus pessimiste.
     Après cela vogue la galère. L'ennui c'est que les russes construisaient ce type de réacteurs depuis 1954 et qu'ils avaient réduits le cercle d'exclusion de 30 km à 0 parce qu'ils pensaient que rien n'arriverait jamais. Nous, de toute façon, on n'a pas de cercle d'exclusion et des plans d'évacuation dans un rayon de 3 km (rejet 10 fois inférieur C.Q.F.D.). 
     Mais ne pas savoir tirer de leçons de ses erreurs est vraiment une faute grave. Or la gestion de toutes les crises montrent à l'évidence que nous ne savons pas y faire face. Inutile de créer des commissions, sachons déjà faire fonctionner celles qui existent et surtout sachons écouter ceux qui crient casse cou.


Orsay le 16 mars 1987
Monsieur le Ministre,
     Nous connaissons l'importance que vous attachez aux risques industriels majeurs, aux problèmes que pose leur gestion et à l'information des citoyens. C'est pourquoi nous nous adressons à vous.
     La centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine doit être mise en service dans quelques mois. Un accident majeur sur un de ses réacteurs pourrait concerner la région parisienne, c'est-à-dire plus de dix millions d'habitants.
     En l'absence de documents rendus publics par EDF ou les autorités de Sûreté il nous est impossible de savoir si l'étude des conséquences d'un accident majeur hors dimensionnement sur ce site a été faite et si les mesures envisagées dans les plans d'urgence sont pertinentes.
suite:
     Il nous paraît essentiel de connaître quels seraient en situation d'accident majeur:
     1. l'importance de la contamination de la Seine, de la Marne et de l'Aube.
     2. l'importance de la contamination des nappes d'eaux souterraines.
     3. les mesures envisagées pour maintenir l'alimentation en eau potable de la région parisienne.
     4. la responsabilité des producteurs d'eau et de l'Agence Financière de Bassin et les moyens qui seraient à leur disposition pour assurer cette responsabilité en toute indépendance.
     5. les niveaux de contamination des eaux potables considérés comme suffisamment dangereux pour nécessiter une intervention.
     6. les interventions qui seraient possibles si ces niveaux étaient dépassés.
     7. les niveaux de contamination atmosphérique considérés comme dangereux pour certains groupes particulièrement sensibles (enfants, femmes enceintes, vieillards, malades).
     La réponse à ces questions ne peut se faire sur des bases probabilistes. En cela nous sommes parfaitement d'accord avec M. Cogné, Directeur de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire quand il déclare: «En France nous n'accordons guère de crédit aux calculs probabilistes pour classer les accidents graves, car nous estimons que l'estimation de ces valeurs très faibles ne repose pas sur une assise scientifique suffisante. Nous préférons nous en tenir à la notion d'événements "concevables" ou "plausibles" au sens du jugement de l'ingénieur»[1].
     Le démarrage qui est prévu à Nogent-sur-Seine s'effectuerait alors que des installations importantes pour la sûreté ne seront pas encore terminées:
     1. les filtres à sable que les autorités de sûreté envisagent d'utiliser en procédure ultime pour protéger l'enceinte de confinement ne seront pas encore installés;
     2. les travaux d'interconnexion des deux fleuves Seine et Marne pour faciliter la gestion des usines de production d'eau ne seront pas terminés.
     Il est évident pour nous que les études des conséquences d'un accident majeur doivent être faites en tenant compte de la situation réelle qui existerait au démarrage de la centrale.
     Le nombre de personnes concernées par ces problèmes est tel qu'il n'est pas possible qu'elles soient correctement informées autrement que par des documents écrits largement diffusés. D'autre part il ne faudrait pas qu'il soit pris prétexte d'une large diffusion de tels documents pour les réduire à une collection d'affirmations péremptoires invérifiables. Il n'est pas possible d'informer en n'utilisant que des slogans.
p.2
1. J. Bussac, F. Cogné et J. Pelcé, «Approche française en matière d'accidents graves et de problématique du terme source». International Topical Meeting on Thermal Reactor Safety, San Diego, 2-6 février 1986.
     Vos récentes déclarations nous font penser que vous comprendrez notre préoccupation et nous laissent espérer que vous interviendrez fermement pour qu'une information réelle soit fournie à la population. Vous avez déclaré: «chaque citoyen, en matière de risque, a le droit à l'information... Nos citoyens sont des êtres adultes, aptes à juger par eux-mêmes ce qui est risqué ou non. Ce sera de plus en plus à eux de juger».
     Nous ne pouvons que vous approuver car c'est ce thème qui a servi de charte pour la fondation de notre Association. Le libre accès aux documents scientifiques qui sont censés fonder la gestion des risques nucléaires nous paraît être la première condition pour que chaque citoyen puisse effectuer ou fasse effectuer par des personnes de son choix les analyses qui lui semblent pertinentes.
     Nous espérons que vous interviendrez auprès des Autorités qui sont susceptibles de détenir les réponses aux questions qui préoccupent un nombre de plus en plus grand de citoyens.
     Dans l'attente d'une réponse rapide de votre part, nous vous prions, Monsieur le Ministre, d'accepter l'expression de notre considération.
Pour le Groupement des Scientifiques
pour l'Information sur l'Energie Nucléaire
La Présidente
Monique Sené

Neuilly, le 14 mai 1987

Madame la Présidente,
     Votre lettre du 16 mars 1987 relative à la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine a retenu toute mon attention.
     Les questions que vous soulevez concernent notamment l'impact d'un accident majeur à la centrale sur l'alimentation en eau potable de la Région Parisienne.
     Dès l'origine du projet, le Ministre de l'Environnement a demandé une prise en compte attentive et effective de ce problème. Récemment, le Gouvernement a procédé à la présentation d'une étude réalisée en 1985 par l'Agence Financière de Bassin Seine-Normandie dont je vous propose de trouver un exemplaire ci-joint, assorti des commentaires de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire. Les hypothèses retenues par cette étude apparaissent par trop pessimistes, les probabilités d'occurence des accidents retenus étant extrêmement faibles. De ce fait, il ne peut s'agir de s'appuyer sur les résultats de l'étude pour surdimensionner les équipements de sécurité de l'alimentation en eau potable. Mais au-delà du débat sur les hypothèses d'accident à retenir, il convient bien entendu de se préoccuper de la sécurité de l'alimentation en eau potable de la Région Parisienne contre les divers types de pollution accidentelles: accidents de navigation, rejets industriels, rejets radioactifs... C'est ce qui est fait avec le concours de l'Agence Financière de Bassin grâce à:
     - un réseau complexe d'interconnexion qui inclut la jonction Marne-Seine.
     - un ensemble de réservoirs.
     - des détecteurs de pollution sur les prises d'eau.
     - l'appel aux eaux souterraines et de services, qui fournissent 40% de l'eau de la région parisienne.
suite:
     Certes, il est vraisemblable aujourd'hui que la première tranche de la centrale de Nogent sera mise en service quelques mois avant l'interconnexion Seine-Marne, mais ce décalage ne paraît pas justifier un différé dans la mise en service de la centrale: en effet, il y a beaucoup d'autres dispositifs d'interconnexion et de stockages qui peuvent garantir une alimentation en eau au moins partielle de la Région Parisienne.
     Les autres questions soulevées par votre lettre appellent des réponses qui relèvent plus précisément des autorités de sûreté ou des autorités sanitaires. Je leur transmets votre lettre en les invitant à vous fournir l'information que vous souhaitez.
     Veuillez agréer, Madame la Présidente, l'expression de mes hommages respectueux.
Le Directeur de la Prévention des Pollutions
Thierry CHAMBOLLE


B. L'accident majeur à Nogent-sur-Seine et l'alimentation en eau de la Région Parisienne

     Le 16 mars 1987, le Groupement des Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire (GSIEN) a envoyé au Ministre de l'Environnement une lettre résumant quelques questions concernant la centrale de Nogent-sur-Seine.
     Le lendemain de la clôture de l'enquête publique relative à la demande d'autorisation des rejets d'effluents radioactifs, Monsieur Carignon rendait publics certains documents gardés secrets jusqu'à maintenant. Nous présentons un résumé de nos commentaires.
     Quelques remarques préalables:
     1. Il ne s'agit pas d'une étude des Autorités de Sûreté des installations nucléaires mais de l'Agence Financière de Bassin (AFB) Seine Normandie. L'AFB ne pouvant obtenir des renseignements des responsables de la sûreté, a décidé en 1985 d'effectuer elle-même l'étude d'impact d'un accident majeur à Nogent-sur-Seine.
     2. L'étude de l'AFB n'était pas confidentielle mais elle a été interdite de publication.
     3. La critique (confidentielle) de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN) ne peut être en aucun cas considérée comme une véritable étude d'impact d'un accident majeur. Il n'y a donc toujours pas, jusqu'à présent, d'étude EDF sur l'accident majeur.
     4. Les documents rendus publics par le Ministre de l'Environnement ont-ils été fournis aux Préfets dans le cadre de la consultation des Services pour l'enquête publique qui vient de se dérouler?
     Il serait logique que Monsieur Carignon demande que l'enquête d'utilité publique soit prolongée ou refaite et que les nouveaux documents soient joints au dossier pour que toutes les personnes concernées puissent les consulter et donner leur avis. Signalons que les Parisiens ne figuraient pas parmi les personnes concernées, bien que l'étude de l'AFB porte les problèmes d'approvisionnement en eau potable de la région parisienne.

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Les documents publiés
     Il est difficile, voire impossible, à partir des documents rendus publics par Monsieur Carignon de connaître la totalité des résultats de l'étude de l'AFB. En effet il manque dans le dossier le rapport de la Société SETUDE citée par l' AFB : «Etude de l'impact d'un accident majeur à la centrale de Nogent-sur-Seine sur l'alimentation en eau potable dans l'agglomération parisienne». C'est dans ce document que se trouvent indiqués les résultats quantitatifs de l'étude alors que dans les conclusions du rapport de l'AFB il n'est question que d'une façon qualitative du dépassement des concentrations maximales admissibles pour la population (CMAp). Une courte indication est disponible dans le texte de l'IPSN (Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire) à la page 6.
     Nous pensons qu'il s'agit là d'un simple oubli de la part de Monsieur Carignon qu'il aura à cœur de réparer.

Résultats comparés
     Le tableau suivant compare les résultats de l'étude de l'AFB et ceux de l'IPSN en ce qui concerne la contamination de l'eau à l'entrée des usines de production de l'eau potable, mesurée en CMAp. La définition de la CMAp pour un élément est la suivante: un individu de la population consommant pendant 1 an une eau contaminée au niveau de la CMAp recevra pendant cette année une dose efficace de 0,5 rem, dose maximale admissible pour la population.

 
Etude AFB
Etude IPSN
Iode 131
150.000 CMAp
400 CMAp
Césium 134
2.200 CMAp
6 CMAp
Durée de la contamination
60 heures
"sensiblement plus longue"
Dose efficace moyenne individuelle
520 rem
(7,8 rem en supposant une durée de 2 semaines)

     Ainsi les hypothèses de l'AFB conduiraient à une dose efficace de 520 rem! Cette dose considérable est au-delà de tout concept d'«admissibilité». Il est évident qu'il serait impossible d'alimenter en eau potable la région parisienne.
     En cas de dépassement accidentel de la CMAp, le facteur «durée de la contamination» est fondamental. Plus cette durée sera longue moins la limite admissible de la contamination sera haute. Il est particulièrement regrettable et inquiétant que l'IPSN n'ait pas jugé bon de préciser le sens quantitatif qu'il faut donner à son expression «sensiblement plus long». Afin de fixer les ordres de grandeur, nous avons considéré pour calculer la dose efficace moyenne individuelle correspondant aux hypothèses de l'IPSN une durée de 2 semaines (mais cela pourrait être bien plus grand), ce qui donne une dose efficace moyenne de 7,8 rem. Signalons que c'est une dose voisine de la dose moyenne reçue par les 135.000 personnes qu'il a fallu évacuer autour de Tchernobyl. Nous voyons que les hypothèses de l'IPSN conduisent elles aussi à une situation où il faut cesser d'alimenter en eau potable toute la région parisienne.

suite:
Les hypothèses
      Il est difficile de porter un jugement précis sur le texte de l'IPSN car il est bien trop succinct. Par contre l'étude de l'AFB était très détaillée et permettait à l'IPSN toutes les vérifications possibles. On peut constater les points suivants:
     1. L'IPSN conteste l'importance des rejets envisagés par l'AFB bien que ceux-ci soient déduits d'une étude de l'OCDE qui n'est pas un «cas d'école» comme le laisse entendre l'IPSN. En principe les procédures dites «ultimes» envisagées par l'EDF doivent maintenir les rejets des accidents hors dimensionnement à des niveaux plus faibles et dont les conséquences pour la santé publique sont considérées comme «acceptables» par les Autorités de Sûreté et de l'EDF. Il s'agit essentiellement des filtres à sable (dits aussi «filtres rustiques»)*. Le démarrage de Nogent est prévu sans filtre à sable. Aucune centrale d'ailleurs n'est actuellement équipée d'un tel filtre. On est donc en droit de contester les hypothèses de calcul de l' IPSN comme totalement non représentatives de la réalité existante. Par contre les hypothèses de l'étude de l'AFB peuvent être considérées comme valables d'après les critères officiels des Autorités de Sûreté jusqu'à ce que le filtre à sable soit opérationnel. Reste à étudier l'efficacité de tels filtres, ce qui n'a pas été fait ou rendu public.
     De toute façon les résultats des deux études conduisent à la même constatation: en cas d'accident majeur l'alimentation en eau potable de la région parisienne ne peut être assurée.
     2. Pour l'IPSN les rejets envisagés sont réduits par rapport à ceux de l'AFB, d'un facteur 35 pour l'Iode 131 et 85 pour le Césium 134. Par contre la contamination des eaux est réduite d'un facteur identique (375) pour les deux radioéléments. Aucune explication n'est fournie par l'IPSN pour expliquer cette anomalie.
     3. L'IPSN trouve «pénalisant» de supposer qu'il pleuve au moment d'un accident. Le nombre de jours de pluie à Nogent ne figure pas dans le dossier fourni pour l'enquête publique. De vieilles études d'impact de l'EDF fournissent des renseignements précis à ce sujet: il pleut 183 jours en moyenne par an à Nogent (maximum 214, minimum 146). La pluie est effectivement pénalisante et d'autant plus qu'elle est très probable.
     4. D'une façon générale la démarche de type probabiliste sous-jacente dans les critiques de l'IPSN et explicite dans la page récemment écrite qui accompagne le rapport est totalement contraire aux conceptions officiellement admises pour traiter les événements «hors dimensionnement». Monsieur Cogné, Directeur de l'IPSN, a déclaré dans un texte publié dans la Gazette Nucléaire N°73/74, nov.-déc. 1986: «En France nous n'accordons guère de crédit aux calculs probabilistes pour classer les accidents graves car nous estimons que l'estimation de ces valeurs très faibles ne repose pas sur une assise scientifique suffisante. Nous préférons nous en tenir à la notion d'événement «concevable» ou «plausible» au sens du jugement de l'ingénieur».
     Cela signifie que lorsque l'on considère un événement grave «concevable au sens du jugement de l'ingénieur» qui n'a pas été pris en compte pour dimensionner l'installation, on doit en considérer les conséquences sans tenir compte de sa probabilité d'occurence.
p.4
* Voir dans la Gazette Nucléaire N°73/74 l'article «Approche française en matière d'accidents graves». Texte présenté à la conférence de Presse du Comité Stop-Nogent du 21 avril 1987.
     Ainsi considérer la Marne comme un fleuve protégé contre toute contamination en provenance de Nogent à partir de considérations de météorologie statistique est tout à fait contraire aux règles énoncées par l'IPSN lui-même. Il est parfaitement justifié de considérer comme événement «convenable ou plausible au sens du jugement de l'ingénieur» la contamination simultanée de la Seine et de la Marne.
     Les travaux d'interconnexion des usines de production d'eau actuellement en cours sont donc totalement incapables d'assurer d'une façon absolue l'alimentation en eau potable de la région parisienne.
     5. Il serait éventuellement possible d'admettre le facteur de réduction des rejets adopté par l'IPSN lorsque le filtre à sable sera installé (il faudrait évidemment que l'l'IPSN fasse au préalable la preuve que l'enceinte résiste bien à une explosion d'hydrogène. Les calculs sont actuellement en cours et ne sont pas encore publics). Il n'est pas possible d'accepter à partir du document rendu public un facteur de réduction supplémentaire provenant du modèle adopté pour la dispersion des radioéléments. La contamination serait alors égale à 4.000 fois la CMAp et la dose individuelle moyenne voisine de 80 rem.
     6. Effet d'une contamination de l'eau potable en cas de non intervention des autorités: admettons pour donner un ordre de grandeur les valeurs de l'IPSN. Une contamination des eaux potables égale à 400 fois la CMAp pendant 2 semaines avec le facteur de risque adopté par la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) produirait 20 000 morts dans la région parisienne. Le facteur de risque officiel pourrait être, d'après plusieurs études, sous estimé d'un facteur de 10 à 30. Cela correspond à une situation totalement inacceptable.
     QUELLES QUE SOIENT LES HYPOTHESES QUE L'ON PUISSE FAIRE, MEME LES PLUS OPTIMISTES, IL N'EST PAS POSSIBLE D'ADMETTRE (*) QU'EN CAS D'ACCIDENT MAJEUR A NOGENT-SUR-SEINE IL SERA POSSIBLE DE MAINTENIR L'ALIMENTATION EN EAU POTABLE DE LA REGION PARISIENNE.
     Y a-t-il une solution pour «gérer» d'une façon «acceptable» un accident majeur à Nogent? Aucun document officiel disponible actuellement ne permet d'apporter une réponse positive à cette question. On commence à réaliser l'absurdité du choix du site fait par EDF il y a une dizaine d'années avec l'accord des pouvoirs publics.
     Malgré une étude particulièrement angoissante, l'Agence de Bassin conclut qu'elle ne se sent pas démunie devant une telle situation pourvu qu'elle puisse demander aux usagers de stocker suffisamment d'eau avant l'arrivée de la vague de contamination et que les gens ne consomment que le minimum. L'Agence ne consacre que quelques lignes pour expliquer qu'elle a les moyens d'assumer cette situation.
(*) DE CROIRE?!
suite:
     Quant à l'IPSN bien que ses résultats soient moins catastrophiques, ses conclusions sont beaucoup moins optimistes: «Néanmoins, pour un accident de type S3, même avec des hypothèses plus réalistes sur les transferts de radioactivité, l'activité volumique de l'eau de la rivière au droit des stations de pompage pourrait conduire à s'interroger sur la suspension momentanée de certains pompages».
     Le rejet de type S3 est celui envisagé par l'IPSN après usage des filtres à sable. Quant aux «hypothèses plus réalistes» du texte, il faut traduire par «plus optimistes».

Quelques problèmes qui n'ont pas été abordés
     1. Les études de l'AFB et de l'IPSN ne traitent que de la «vague» de contamination sur les usines de production d'eau potable. Que dire des «queues» de contamination? Que dire des concentrations dans les sédiments et des relargages ultérieurs? Que dire des scénarios avec crues de la Seine?
     2. Il n'est fait allusion nulle part de la contamination des eaux souterraines. Le phénomène est certes lent mais lorsque la nappe phréatique est contaminée il y en a pour longtemps.
     3. Qui prendra la décision de déclarer l'eau potable en cas de contamination? Les producteurs d'eau? L'Agence de Bassin? Le SCPRI du Pr Pellerin?
     4. Les critères de non potabilité pour cause de contamination radioactive sont-ils actuellement déterminés? Si oui, par qui, et seront-ils rendus publics avant l'accident?
     5. Les producteurs d'eau auront-ils les moyens de contrôler eux-mêmes la qualité des eaux qu'ils produisent? Devront-ils faire de temps en temps des prélèvements, les envoyer au Vésinet et attendre la réponse du Pr Pellerin?
     6. Y aura-t-il une surveillance en continu de la contamination radioactive non seulement au niveau des prises d'eau mais en plusieurs points en amont?
     7. Comment les producteurs d'eau seront-ils insérés dans les Plans Particuliers d'Intervention (P.P.I.)? Quel poids auront-ils en cas de crise? Auront-ils le droit de communiquer à leurs clients la qualité de leur production ou seront-ils sous la coupe absolue du Pr Pellerin?
     8. Derniers points, marginaux peut-être, mais qu'il faut cependant mentionner:
     - l'alimentation en eau potable de Paris est menacée par les centrales de Dampierre en Burly et de Belleville sur Loire (dont l'enceinte de confinement n'a pas répondu aux critères de résistance à la pression pour cause de fuite).
     Les champs captants du Loing, affluent de la Seine sont sous les vents dominants de ces centrales. L'Agence de Bassin y fait allusion sans y ajouter la moindre évaluation des dangers.

p.5

     - Aucune étude n'est faite sur la rupture du stockage des effluents liquides avec décharge totale dans la Seine. Il y a là une situation qui si elle n'est pas a priori catastrophique n'en est pas moins préoccupante.
     Pour finir, une citation extraite des conclusions du rapport de l'Agence de Bassin: «Il ne peut s'agir de s'appuyer sur les résultats obtenus ici pour surdimensionner les équipements de sécurité de l'alimentation en eau potable. La démarche particulière de l'Agence se justifiait néanmoins par la gravité des conséquences potentielles d'un accident nucléaire majeur».
      La logique de l'AFB nous échappe: leur étude se justifie par l'énormité du danger possible mais en aucun cas il ne faut se servir de ses résultats alarmants pour renforcer les dispositifs de sécurité!
     Enfin un point qui ne concerne pas l'alimentation en eau mais la pollution atmosphérique. A ce sujet Monsieur Carignon n'a encore rien révélé. Des documents secrets existent -ils?
     Rappelons que Kiev est à 180 km de Tchernobyl, la région parisienne est à 90 km de Nogent-sur-Seine. Bien que l'eau n'ait pas été contaminée massivement à Kiev au moment de l'accident, les soviétiques ont évacué tous les enfants de la ville par suite de la contamination atmosphérique.
     Y a-t-il pour Paris un plan crédible d'évacuation des enfants?
GSIEN, Paris le 21 avril 1987
Quelques commentaires complémentaires
     1- Voir la réponse du Ministère à notre lettre.
     2- En ce qui concerne le dossier Nogent, le rapport de la Setude peut être retenu sur simple demande au ministère, donc n'hésitez pas.
     3- Les filtres à sable, dits «filtres rustiques» n'ont toujours pas fait l'objet d'une publication officielle. Nous attendons un rapport à leur sujet avant d'admettre leur efficacité. En aucun cas les rapports colportés oralement par les représentants de l'EDF ne peuvent tenir lieu de rapport de sûreté.
     4- Ces filtres ont-ils donné lieu à des autorisations de la part des autorités administratives?
     5- Aucun planning officiel n'a été publié pour la mise en place de ces filtres miraculeux ni pour Nogent, ni pour les autres centrales. Ce planning existe-t-il? EDF prend tellement au sérieux cette affaire de filtre à sable que le dossier soumis actuellement à enquête publique pour la future centrale du CARNET (sur l'embouchure de la Loire) n'y fait pas allusion.
     6- Nous concevons bien que ces filtres doivent irriter certains responsables de l'EDF car il est loin d'être certain que les enceintes de confinement soient réellement étanches. Par exemple, il serait assez comique de mettre une telle soupape de Sûreté à Belleville sur Loire dont l'enceinte n'a pas satisfait au test d'étanchéité. Nous aimerions connaître le résultat des tests d'étanchéité qui ont été faits sur toutes les enceintes de confinement déjà construites, sur celles de Nogent en particulier.
     7- Les filtres à sable ne peuvent éventuellement protéger l'enceinte de confinement que pour les surpressions statiques. Ils ne sont d'aucun secours en cas d'explosion à l'intérieur de l'enceinte. Citons un passage de l'article des responsables de la sûreté nucléaire que nous avons publié dans la Gazette N°73/74: «Dans le cas des réacteurs français, il est improbable qu'une explosion d'hydrogène (mode 8) puisse mettre en danger l'enceinte de confinement». Cet accident n'étant seulement qu'improbable et non pas impossible au «sens du jugement de l'ingénieur», devrait faire l'objet d'une procédure ultime pour qu'il soit évité. Une telle procédure n'est pas envisagée par EDF.
suite:
     8- Nous avons appris que le dossier de l'Agence de Bassin et le rapport critique de 1'IPSN ont récemment été examinés par des experts de l'EDF. Quelles sont les conclusions de cette expertise? Monsieur Carignon demandera-t-il avec nous la publication rapide de cette étude?
     9- L'Agence de Bassin affirme qu'elle est capable de gérer une situation identique à celle qu'elle décrit dans son rapport. Nous demandons sur quelles bases elle peut justifier cette affirmation. Nous demandons la publication du rapport que l'AFB a dû faire avant de produire cette affirmation. Ce rapport existe-t-il ?
     10- Enfin, un peu d'histoire. Le Conseil d'Etat, le 20 juin 1984, a rejeté la requête que des associations avaient présentée contre le décret du 28 mars 1980 déclarant la centrale de Nogent-sur-Seine d'utilité publique. Le Conseil d'Etat a relevé que «des précautions ont été prises, compte tenu de la proximité de grandes agglomérations et de la nécessité d'éviter une pollution des eaux de la Seine». Les conclusions de l'autorité officielle la plus haute en matière de sûreté montrent que les eaux alimentant Paris pourraient être contaminées à 400 fois la concentration maximale admissible pour les populations.
     On peut s'interroger sur la façon dont les Conseillers d'Etat décident. La décision est de 1984, la première étude existante date de 1985 et est totalement en contradiction avec les affirmations du Conseil d'Etat. Celui-ci va-t-il poursuivre le Directeur de 1'IPSN pour injure à la plus haute instance juridique du pays. 
Monsieur Carignon a-t-il envoyé une copie de ce rapport secret au Conseil d'Etat?

C. Communiqué de presse du GSIEN
     La multitude des incidents qui se succèdent dans les centres nucléaires français: Tricastin, Superphénix, Comurhex, survenant après Saint Laurent des Eaux, Belleville sur Loire, etc... montrent la vulnérabilité des techniques sophistiquées impliquées par le nucléaire et remettent en cause la fiabilité des installations.
     Si le programme nucléaire français décidé en 1974 avait été précédé d'un débat démocratique et d'un examen critique indépendant des différents critères de sûreté, le gouvernement actuel pourrait peut-être avoir la politique de «transparence» qu'il essaie vainement de mettre en place.
     Le GSIEN a toujours demandé un libre accès à l'information et la mise en place de services de sûreté indépendants de l'EDF et du CEA. Les incidents actuels confirment avec éclat sa position.
     En ce qui concerne les différents sites:

COMURHEX
     Divers incidents avec relâchement d'hexafluorure d'uranium dans l'atmosphère sont arrivés depuis plusieurs années.
     Nous demandons qu'avant toute reprise d'activité l'ensemble de la sûreté de l'usine soit réexaminée.
     Nous demandons également que pour l'ensemble du site de Pierrelatte (Comurhex, Eurodif, CFC, Cogéma, Tricastin, CEA) une étude globale de sûreté et d'impact sur l'environnement soit faite et rendue publique.

SUPERPHENIX
     Les nombreux incidents qui se sont produits depuis la mise en service jusqu'à la fuite de sodium actuelle montrent que la technologie de ce réacteur n'est pas maîtrisée.

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     Nous demandons l'arrêt immédiat de Superphénix, un réexamen complet de la sûreté et la publication des résultats. Nous tenons à signaler que les procédures ultimes en cas d'accidents graves non seulement ne sont pas encore en place mais sont encore en cours d'étude.

TRICASTIN
     Le dernier incident survenu dans cette centrale a montré l'incapacité flagrante des organismes de sûreté à faire respecter les règles fondamentales de sûreté. Ceci justifierait la mise en place d'une commission d'enquête pour établir à quel niveau se situe la violation des règles et déterminer les sanctions nécessaires.

SAINT LAURENT DES EAUX
     Nous profitons de ce communiqué pour demander que soit rendu public le planning des modifications envisagées sur les centrales pour qu'elles puissent résister au gel de l'hiver prochain.

BELLEVILLE SUR LOIRE
     L'enceinte de confinement de la tranche 1 de cette centrale ne remplit pas les critères de sûreté relatifs à la tenue en pression.
     Nous demandons qu'avant le démarrage de cette tranche l'étude de sûreté soit refaite et rendue publique.

NOGENT-SUR-SEINE
     Nous demandons qu'avant tout démarrage de la centrale de Nogent, EN AMONT de Paris:
     - l'étude de sûreté sur l'impact d'un accident majeur soit rendue publique afin qu'elle puisse être examinée par des experts indépendants.
     - les procédures ultimes permettant de gérer les accidents graves soient mises en place.
     - les travaux en cours pour assurer l'alimentation en eau de la région parisienne soient terminés.
 

Communiqué GSIEN, le 15 avril 1987
Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire
2 rue François Villon, 91400 Orsay.
suite:
BRÈVES
Centrale du TRICASTIN
     Le 9 mai on apprend par la presse que Tricastin a été arrêté par un «incident fortuit d'exploitation». Il s'agissait d'une fissure dans un générateur de vapeur. Le mot fortuit d'après le dictionnaire signifie «qui arrive par hasard». Ainsi nos centrales semblent être régies par le hasard. Cela ne doit pas faciliter la tâche des exploitants.
     En réalité les fissures sur les tubes des générateurs de vapeur sont assez courantes. Si elles se développenet au hasard c'est parce que les métallurgistes ne connaissent pas les mécanismes de fissuration de ces tubes. Le mot «hasard» utilisé par EDF signe l'aveu que les fissures ne sont pas maîtrisées. La fréquence de ces fissures a une forte tendance à augmenter.

     On a trouvé dans la presse de l'EDF, «Faits marquants 1986» ce passage:

«CALCULS ELASTOPLASTIQUES TRIDIMENTIONNELS POUR L'ETUDE DU CONCEPT DE FUITE AVANT RUPTURE» 
«Concept de Fuite Avant Rupture» 

     «Les structures auxquelles on s'intéresse sont pour l'essentiel les tuyauteries des centrales REP susceptibles de comporter des fissures circonférentielles. Le concept de Fuite Avant Rupture sera dit applicable si l'on peut démontrer qu'il est toujours possible de mesurer le débit de fuite en cas de fissuration et de définir sur ce débit un critère permettant d'assurer que la fissure ne progresse pas. On doit exclure toutes les situations conduisant à des risques de rupture brutale de la tuyauterie».
     Soyons rassurés, les services de Recherche de l'EDF sont en passe de maîtriser le concept de fuite avant rupture. C'est une première approche vers le concept de rupture. Quant aux fissures réelles, pour le moment, que les gens dans les centrales se débrouillent. La dernière phase de la citation dénote une certaine inquiétude des spécialistes vis-à-vis de ces fissures qui ne fuient pas. Impossible de les détecter avant que le tuyau se sectionne. C'est la fin des situations. A l'EDF on est soulagé quand on trouve des fuites!

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