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N°125/126

Des nouvelles en provenance
de la commission de la Hague
     La fameuse commission qui a servi de modèle, mise en place en 1981, remodelée en 1987, vit-elle ses dernières heures?
      L'avenir nous le dira. Voici le courrier que nous avons reçu en provenance de la mairie d'Equeurdreville:
Le 30/03/1993
     Monsieur le Conseiller Scientifique,
     Le changement de politique gouvernementale à la suite des récentes élections législatives rend potentiellement incertain l'avenir des financements de la Commission de la Commission de la Hague même si, dans le passé, l'alternance de la politique nationale n'avait pas eu d'effets sur l'existence et le fonctionnement de la Commission.
     Tant que je n'aurai pas la certitude sur la pérennité des financements, je vous enjoins de ne procéder à aucun nouvel engagement de dépenses. Seules les dépenses obligatoires feront l'objet d'un règlement, dont votre traitement bien sûr, ainsi que les engagements déjà pris antérieurement (dûment constatés par la date de la lettre ou de bon de coimmande).
signé leMaire
     Et voilà la preuve qu'une discussion maintes fois renouvelée au sein de la Commission avait toute sa force. Dépendre du bon vouloir d'un industriel pour le fonctionnement ordinaire n'est pas bon. Surtout si ce bon vouloir est en plus dépendant du pouvoir politique central. L'information mérite un autre sort et ce serait se moquer des populations que de l'ignorer. La Commission a ses faiblesses mais elle a rendu des services et elle a contribué à la mise à plat des problèmes.
     Voici un extrait de la dernière réunion. Il porte sur Tchernobyl:

Après-midi

     Dr. Robillard: Je vais vous faire un bref compte rendu de voyage à Tchernobyl. Il s'agissait d'une session mixte de la Société Française d'Energie Nucléaire et de la société ukrainienne, pour une étude d'une semaine sur les accidents de réactivité des réacteurs nucléaires. Le sujet traitait des problèmes posés par les réacteurs RBMK (tels que ceux de Tchernobyl) et de ceux concernant les autres réacteurs russes à eau pressurisée. Je limiterai mon exposé à Tchernobyl et aux réacteurs RBMK. Outre moi-même, il y avait M. Tanguy, M. Saquet et beaucoup d'autres personnes renommées en la matière. Nous nous trouvions dans le Nord de l'Ukraine à la frontière de la Biélorussie, qui est une zone de forêts et de marais Quand on arrive à l'aéroport de Kiev, la première chose que l'on voit c'est "Gloire au nucléaire", inscription datant évidemment d'avant Tchernobyl. Il faut rappeler que les RBMK fonctionnent avec un enrichissement très faible en uranium 235 (un enrichissement à 1,7% à partir de l'uranium naturel contenant 0,7% d'uranium 235, le reste étant de l'uranium 238) tandis que dans les réacteurs à eau pressurisée, l'enrichissement est de 2,5%.
     Je rappelle le fonctionnement d'un réacteur: la réaction en chaîne est contrôlée au moyen de barres de bore (absorbeur de neutrons) que l'on descend plus ou moins en fonction de la puissance désirée et des empilages de graphite (modérateur) dont le rôle est de ralentir les neutrons de façon à ce qu'ils aient une action sur la fissîbilité car sinon ils sont piégés par l'uranium 238. Mais dans les RBMK qui développent 950 mégawatts, le graphite pose des problèmes parce que la température du graphite est à plus de 600°; vous savez qu'à partir de 750°, le graphite commence à se vaporiser.
     Deux caractéristiques distinguent les RBMK des réacteurs classiques: dans les RBMK, le fluide caloporteur est de l'eau bouillante, c'est-à-dire que dans le coeur, vous avez de l'eau et de la vapeur; sachant que l'eau absorbe les neutrons et que la vapeur, étant moins dense, en absorbe moins, il y a donc des instabilités de fonctionnement;

suite:
au contraire, dans les VVER à eau pressurisée, l'eau est sous pression, il n'y a pas de vapeur dans le coeur. Mais, surtout, il n'y a pas d'échangeur, donc c'est l'eau et lîa vapeur venant du coeur et chargées en matière fissile, qui vont faire fonctionner les turbines. Ainsi, on a de l'eau radioactive dans le bâtiment des turbines, ce qui n'est pas le cas dans les VVER ni dans les REP des centrales classiques.
     Dans le bâtiment réacteur de Tchernobyl, c'est un pont roulant qui fait le chargement et le déchargement du coeur en cours de marche et il n'y a pas de confinement contrairement aux centrales occidentales; c'est là que se situe la dalle qui a été soulevée à deux reprises au moment des explosions.
     Dans la salle des turbines se trouvent les vannes qui ont posé des problèmes de fonctionnement; il n y a pas longtemps encore, un problème de ce type est survenu à Saint-Pétersbourg; ces vannes ont toutes été refaites et sont à double commande, commande électrique à partir de la salle mais aussi commande manuelle en cas de difficulté. Les turbines aboutissent en bout de ligne à un alternateur. La maçonnerie autour du coeur est en brique et ne demande, en cas de surpression, qu'à partir dans tous les sens.
     La partie qui est sous le coeur pose de très gros problèmes, c'est là que, pour le refroidir, de l'azote liquide a été injecté et c'est là qu'actuellement s'accumule de l'eau de ruissellement.
     Il est bon de faire un rappel de la géologie du sous-sol (on a vu ce matin que la géologie pouvait poser des problèmes). Ici, on se trouve dans une ancienne vallée glaciaire et le sol est très perméable, ce qui explique les travaux gigantesques réalisés pour empêcher le ruissellement et l'écoulement des produits radioactifs vers le Dniepr. Tchernobyl est dans une zone de marais. Le Dniepr est composé de barrages, de retenues et d'ilôts et on est assez loin de la configuration des fleuves français. Le problème de ce fleuve, c'est qu'il relie pratiquement Tchernobyl à Kiev.
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     Les centrales russes sont surtout implantées à l'Ouest de la Russie, et les 14 tranches RBMK actuellement en fonctionnement sont toutes situées à l'Ouest, c'est-à-dire à proximité de la Pologne.
     Il est intéressant de voir que les évacuations ont été faites dans un rayon de 50 km autour de Tchernobyl, or il se trouve que, compte-tenu des vents dominants le jour de l'accident, ils étaient à l'inverse de ce qu'ils sont d'habitude, ce qui fait que Kiev (2,8 millions d'habitants) a eu de la chance de ne pas être sous le vent.
     La dalle supérieure d'un poids de 200.000 tonnes s'est retrouvée à la verticale, le combustible et le graphite reposant sur la dalle inférieure dont l'épaisseur était de 1,80 mètre; elle a été pratiquement détruite sur 1 mètre d'épaisseur par l'uranium en fusion. Il s'agit d'une lave hétérogène, composée d'uranium, de sable, de d'acier, de plomb, qui s'est écoulée par les tubulures et qui a mis le coeur en relation avec les locaux inférieurs.
     Le débit de dose, pendant plusieurs semaines, autour du coeur, était de 1.000 rad/heure, et c'est sous ce débit de dose qu'ont eu lieu un certain nombre d'interventions.
     Les 80 personnes de la délégation ukraiono-française se sont donc rendues sur place, jusqu'à la limite de la zone interdite par une barrière infranchissable. Des cars spéciaux, réservés à la circulation en zone interdite nous ont permis de continuer. C'est la tranche 4 qui a explosé etla tranche 3, que nous avons visitée, était prête à redémarrer; la tranche 2 a brûlé au mois de juillet à cause d'un incendie électrique sur l'alternateur, la tranche 1 était en phase préparatoire de remise en route. Quant aux tranches 5 et 6 elles ont été abandonnées.
     Tchernobyl devait être la plus grande centrale nucléaire du monde, Dans le couloir de la tranche 3 qui donne sur les salles de contrôle, une glace a été posée afin que les personnes aillent travailler à cet endroit car de l'autre côté se trouve la tranche 4...
     Le sarcophage est composé de béton consolidé par de l'acier. Il est d'ailleurs en train de rouiller. Je vais vous donner quelques éléments fournis par l'institut Kouchakov, l'institut nucléaire de Kiev.
     On a fait des études expérimentales de réactivité, des simulations par ordinateur afin de confiner le réacteur n° 4 et de maintenir ce confinement par le sarcophage construit de novembre 1986 à juin 1987. Il a été élevé au moyen d'énormes blocs de béton (300.000m3) et consolidé par une charpente d'acier de 10.000 tonnes, dans des conditions radiologiques difficiles (le terme est léger). Cet ouvrage très robuste, prévu pour tenir 30 ans, fait la fierté des responsables car il a résisté en 1990 à un séisme de force 4.
     Sa structure en tant que telle a très bien tenu mais il s'agit d'un ouvrage réalisé en grande partie à l'aide de lances à béton qui projetaient du béton à 30 mètres de hauteur, lequel est retombé comme il pouvait. Le contenu, instable, est contenu par une centaine de carrotages pratiqués l'année dernière.
     Actuellement, l'estimation du contenu est la suivante:
     - 182 tonnes de combustible réactif, c'est-à-dire 90% du combustible initial,
     - 40 tonnes de bore non homogène (le bore déversé par hélicoptères est retombé d'un côté),
     - 2 kg de sels d'uranium,
     - 15 tonnes de poussières et d'àérosols qui sont propulsés en partie par une ventilation en vue du refroidissement (ces poussières séjournent dans la partie supérieure du sarcophage et et dans la salle centrale). La lave est dans un état que l'on considère comme dangereux, avec une température en profondeur de 100°C et 40°C en surface; sa partie solide est vitrifiée. Il y a peu de bore à l'intérieur car il a coulé latéralement).
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     Le danger actuel tient à plusieurs facteurs que j'ai notés:
     - d'abord un risque de criticité, qui existe toujours, d'où l'arrosage des poussières avec de l'eau gadolinée à 1% associée à des polymères; cette eau sert à piéger les neutrons. On n'a pas utilisé de l'eau boriquée à cause du béton qui supporte mal l'acide borique. En séchant grâce aux polymères, il se forme une espèce de pellicule plastique.
     - Le deuxième facteur de danger est le risque d'effondrement des structures internes, soit spontanément, soit d'origine tellurique.
     - Le troisième facteur de risque est la diffusion des sels d'uranium par les poussières qui s'échappent du sarcophage. Il existe actuellement 3.000 m3 d'eau contaminée dans les sous-sols et sa contamination continue. La poussière sort du sarcophage car il y a, entre les blocs de béton, des zones béantes dont la surface totale est estimée actuellement à 1.000 m2.
     - Le dernier facteur est l'eau de pluie qui ruisselle sur le sarcophage et qui s'introduit à travers les fissures venant augmenter le volume d'eau contaminée dans les sous-sols. Un plan d'intervention est prévu pour récupérer cette eau et la traiter.
     Par contre, les gaz nobles (krypton, etc...) qui inquiètent beaucoup les gens n'ont pas l'air d'inquiéter les autorités qui estiment qu'actuellement, l'activité rejetée est inférieure à celle autorisée pour une centrale en état de marche (0,5 Ci pour le krypton).
     L'activité ambiante actuelle sur le site et autour résulte de 2 causes: les séquelles de l'explosion et la contamination quotidienne.
     Le sol environnant a été recouvert de béton et de bitume; quant au sarcophage, un concours international est ouvert pour la réalisation d'un deuxième sarcophage englobant le premier. 200 projets ont été déposés (dont des allemands, des américains, des britanniques et des français). Debut novembre 1992, la France s'est engagée à prendre en charge les frais d'étude préliminaires (35 MF) de la construction de ce deuxième sarcophage. En fait un deuxième type de projet est également étudié: le démantèlernent du sarcophage. Le financement devra en être partagé entre la Banque mondiale, la CEE, la Banque européenne, etc.
     Notons que l'incendie du hall des turbines a entraîné l'arrêt définitif de la tranche 2 à compter de 1993 avec comme corrolaire un déficit énergetique de 14 millions de kW pour l'Ukraine, et que le démarrage de la 3 a eu lieu le 16 novembre 1992. L'arrêt définitif est demandé par le Parlement ukrainien pour 1995.
     Quels sont les problèmes actuels qui préoccupent la direction de la centrale? Pour arrêter définitivement une tranche, il faut déposer un dossier 5 ans à l'avance, selon la réglementation en vigueur. Aucun projet d'arrêt définitif n'est déposé actuellement. Il faut absolument une source thermique complémentaire car si on n'avait pas remis en marche la tranche 3, il aurait fallu cesser tout chauffage des locaux administratifs et l'hiver (avec -25°), on aurait eu une température inférieure à
0° entraînant des perturbations dans l'électronique et donc des risques de perte de contrôle sur les tranches 1 et 3 qui sont toujours chargées.
     Il aurait fallu construire une centrale auxiliaire au fuel car il n'y a pas d'interconnexion des réseaux. Une nouvelle chaufferie est en construction en vue de l'arrêt définitif en 1995 et "malgré une opposition d'une partie de la population et du parlement ukrainien le redémarrage des tranches 3 et 1 nous paraissait absolument inévitable" (selon le directeur de la centrale).
     L'accident du réacteur 3 de Saint-Pétersbourg le 24 mars 1992 endommageant un tube de force par avarie grave, ce qui s'était dejà produit dans la même centrale en novembre 1975, a entraîné la modification de la tranche 3 de Tchernobyl avant redémarrage, et la tranche 1 est encours de transformation.
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     Ce sont des transformations très lourdes puisque, quand nous y étions, 1696 tubes de force avaient déjà été changés avec les vannes correspondantes. Des problèmes techniques se posent, car il faudra procéder d'ici 1995 à l'extraction totale du combustible et non seulement du combustible usé, obligeant à transporter et stocker sur place des activités absolument inhabituelles en matière fissile. Ensuite il faudra assurer la surveillance des bâtiments pendant 30 ans et enfin prévoir le démantèlement définitif.
     Il y a aussi des problèmes en ressources humaines. 4.500 personnes travaillent actuellement sur le site et sont logées avec leur famille dans une ville nouvelle construite à cet effet sur l'emplacement d'un village de 500 habitants, situé à 60 km sur la ligne de chemin fer. Sur ces 4.500 personnes, 700 sont affectées à l'entretien et à la surveillance du sarcophage (5 équipes se relaient toutes les 8 heures). 90% du personnel actuel a une très grande qualification et a été recruté postérieurement à 1986; sur les 4.000 agents en poste avant 1986, il n'en reste plus un seul. Ils sont tous dispersés, dont une grande partie à Kiev. 70% du personnel présent a maintenant plus de 3 ans d'ancienneté à la centrale, 90% des hommes sont âgés de moins de 45 ans, 90% des femmes ont moins de 40 ans.
     Comme il est question d'arrêter la centrale en 1995, des défections apparaissent déjà et en cas d'arrêt, l'Ukraine subirait une perte irréparable de personnel qualifié pour la deuxième fois. Il existe en URSS d'autres Tchernobyl potentiels dont la transformation est en cours. 18 centrales sont sous la surveillance de l'AIEA.
     Sur le plan épidémiologique, 7 millions de personnes ont reçu une dose supérieure à la dose naturelle, 116.000 ont été évacuées et on s'interroge actuellement sur l'opportunité d'évacuer 100.000 personnes supplémentaires dans les zones contaminées. 1,5 millions de personnes ont été exposées à la radioactivité; elles ont fait l'objet de 1 million d'examens médicaux dont 700.000 ont retenu davantage l'attention notamment pour 200.000 enfants. Un état de stress et un certain degré d'anémie ont été notés au cours de de ces examens, mais ils ont été ponctuels et sans suivi. Nous ne savons pas ce que sont devenus les personnes qui sont intervenues après la catastrophe en dehors des 31 morts.
     Les pourparlers entrepris entre le Ministère de la Santé français et celui de I'Ukraine ont abouti à la création de l'association "Les enfants de Tchernobyl" et à l'inauguration le 19 février 1992 du centre médical franco-ukrainien de Kiev, qui sous la forme d'un dispensaire en milieu hospitalier est chargé de l'assistance aux victimes et du recueil des informations nécessaires à la surveillance médicale et aux études épidémiologiques.
     L'IPSN et l'Institut Gustave Roussy sont chargés d'apporter leur aide technique dans le cadre de l'action humanitaire et de la coopération médicale et scientifique. Il s'agit essentiellement d'effectuer la surveillance médicale des populations de Pripyat et de ses environs.
     7 personnes ont été affectées à ce dispensaire (3 pédiatres, 2 infirmières, 1 médecin et 1 infirmière bénévole) et ont débuté une formation aux diagnostics et aux techniques occidentales; cette action comprend également la fourniture en matériel français de radio-immunologie et d'échographie, un ordinateur et des médicaments.
     Le dossier des consultants comprend un bordereau signalétique d'identification, un bordereau médical et un bordereau dosimétrique (les événements datent d'il y a plus de 6 ans mais les souvenirs en sont restés vivaces et on arrive à faire des reconstitutions à peu près valables). Les convocations sont faites par le médecin de quartier. Le bilan actuel de cette étude épidémiologique montre que le questionnaire est validé, que la dosimétrie peut être considérée comme satisfaisante et que, d'après les résultats d'examens cliniques sur 900 personnes examinées, on met en évidence des signes cliniques objectifs actuellement.
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     L'objectif pour 1993 est le suivi de 7.000 enfants et fin 1993 on pourra faire un point scientifique hors rumeurs.
     La découverte de la catastrophe de Tchernobyl a été faite en Finlande et en Suède. Ensuite, le vent a changé de direction et c'est pour cela que la contamination s'est étendue vers le Sud. Une partie de la forêt aux environs de Tchernobyl a été enterrée sauf une parcelle témoin de 200 ha à titre expérimental. La centrale n'est pas située dans la plaine fertile de l'Ukraine mais en bordure de la Polésie (zone de marais et de forêts où les cultures principales consistaient en sarrazin et pommes de terre). A ce niveau l'épaisseur de la couche sédimentaire est de 6 mètres avant d'arriver au grès et non de 250 mètres comme dans la partie méridionale de l'Ukraine. La contamination des sols, essentiellement par le césium 137 (période physique = 30 ans; période effective chez l'homme = 4 ans) est répartie de la façon suivante:
     - 40 Ci (1.480 gigaBq/km2) sur 3100 km2 avec 33.200 habitants,
     -1 5 Ci (555 gigaBq/km2) sur 10.200 km2 avec 248.000 habitants,
     - 5 Ci (185 gigaBq/km2) sur 28.000 km2 avec 800.000 habitants.
     - 1,7 million de personnes ont reçu une dose supérieure à la dose naturelle.
     Sur 200.000 hectares contaminés, 60.000 devraient être rendus disponibles de nouveau à la culture dans quelques années, mais il n'est pas question de récupérer Pripyat.
     Les zones les plus atteintes se trouvent au Nord-Ouest, c'est-à-dire en Biélorussie, car le jour de l'accident c'est le vent du Sud qui soufflait et non le vent dominant habituel qui souffle du Nord-Ouest.
     Dans Tchernobyl et dans les environs, les meutes de chiens autrefois domestiques ont entièrement disparu ainsi que tout animal domestique. Par contre se sont développés les sangliers, les chevreuils, les cerfs, les lièvres, les renards et une quarantaine de loups. (voir un dossier polémique sur le site Infonuc - Ndwebmaistre)
     Il est strictement interdit de brûler les herbes afin de ne pas disperser les particules radioactives dans l'atmosphère, le césium notamment.
     Le problème essentiel pour la réhabilitation est donc celui de la décontamination et l'IPSN, dans le cadre de son programme "réhabilitation des sols et surfaces après accident" (RESSAC), a procédé avec l'accord des autorités locales à des expérimentations sur un territoire situé à une dizaine de km de Tchernobyl. La technique consiste en l'ensemencement d'une plante gazonnante à racine horizontale puis à enlever le tapis végétal par plaques de 10cm d'épaisseur (la quasi totalité des poussières radioactives se trouve dans les 5 premiers centimètres). La terre et le gazon contaminés seront ensuite placés dans des fosses étanches remplies d'eau afin que la fermentation entraîne le passage des radioéléments dans l'eau qui sera alors filtrée (décontamination efficace à 95%). Cette plante (l'agropyrum repens) a envahi spontanément une surface de 60.000 hectares autour de Tchernobyl qui pourrait bénéficier de ce traitement à l'aide d'une déplaqueuse robot (rendement 40 kg au m2) sans omettre de répandre une solution organique pour empêcher l'érosion. Le consortium Pripyat va ainsi traiter 60.000 hectares.
     En ce que concerne l'étude des leucémies et des pathologies thyroïdiennes, la seule étude est suédoise. Elle porte sur 36.326 sujets exposés à des doses d'iode à des fins diagnostiques, dont 9.860 ont été examinés pour hyperthyroïdie, et 802 pour cancers. Elle a abouti à l'enregistrement de 195 leucémies plus de 2 ans après avec un risque relatif non significatif de 1,09, indépendant de l'âge, du sexe et de la dose (cf. article figurant dans le "Lancet" du 4 juillet 1992).
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     Actuellement, une étude internationale est en cours: pour l'ensemble des registres européens, le nombre de leucémies chez les moins de 14 ans est passé de 3.553 à 3.679, provoquant un accroissement significatif du taux d'incidence (p < 0,01). Entre les périodes 80-85 et 87-90 (la moitié des cas atteint les moins de 5 ans), l'étude des courbes de régression montre qu'il n'y a pas de relation dose-effet. Paradoxalement on n'a pas observé de modification en Biélorussie, mais la durée d'observation est encore trop courte (inférieure à 5 ans) pour pouvoir tirer une conclusion définitive. En effet si des leucémies post-irradiation apparaissent, elles peuvent survenir dès la deuxième année après l'exposition, mais aussi 10 ans après.
Concernant la thyroïde, 4 ans après l'accident, la prévalence des nodules thyroïdiens n'était pas augmentée parmi les résidents de 7 villages fortement contaminés (cf. article de l"'American Journal" du 15 octobre 1992 - pages 616-619). L'étude réalisée en 1990 a comparé une population exposée à une population voisine non exposée, la prévalence pouvant varier considérablement d'une population à l'autre (20 à 50%). On sait que les cancers radio-induits mettent plus de 4 ans à se manifester.
     Des auteurs ont publié un article dans "Nature" paru le 3 septembre 1992 faisant état des résultats d'une étude de l'OMS récente en milieu hospitalier (Brest-Litovsk, Gomel, Minsk, Moghilev,...) en Biélorussie; elle met en évidence l'apparition soudaine de cancers thyroïdiens papillaires. 55 cancers incidents ont été dénombrés en 1991, alors que l'on en attendait 1 ou 2.
     En mai 1986, 30% du lait était inconsornmable à Gomel et à Moghilev. Au total, on a dénombré 128 cas de cancers papillaires, presque tous survenant 4 ans après l'accident, ce qui représente un délai d'apparition extrêmement court et qu'on n'attendait pas.
     Au contraire, dans les enquêtes antérieures (rapport UNSCEAR des Nations Unies sur les cancers thyroïdiens provoqués par l'irradiation thyroïdienne à visée thérapeutique), on n'avait pas mis en évidence de cancers surnuméraires, mais on n'utilisait pas l'iode 131 chez l'enfant.
     Aux îles Marshall, avec des doses identiques à celles de Tchernobyl, 67% des moins de 10 ans ont présenté des nodules qui ont été traités par exérèse chirurgicale, et parmi les moins de 5 ans, 5 cas de retard de croissance ont été enregistrés, mais la population était très peu nombreuse d'où le manque de significativité des chiffres.
     Au Japon, il s'agissait d'une irradiation externe.
     En Biélorussie, les enfants atteints étaient âgés de 4 à 13 ans au moment du diagnostic, le plus jeune étant né deux jours après l'accident; l'un est décédé à l'âge de 7 ans et 10 sont dans un état grave; 8 avaient été irradiés in utero à plus de 3 mois de la fécondation, or on sait que la concentration maximale dans la thyroïde a lieu entre la douxième et la quatorzième semaine.
     Une mission de l'OMS s'est rendue sur place pour examiner les lames histologiques de 104 cas et a confirmé le diagnostic.
     Il s'avère que le mode d'enregistrement mis en place joue un rôle mineur dans l'accroissement. Le taux d'incidence chez les enfants de moins de 15 ans est passé de 1 par million d'habitants à 80, ce qui est de loin supérieur aux prévisions. Il est à noter que l'incidence chez les plus de 15 ans est également plus élevée.
Comme complément d'information, vous pouvez visiter le site resosol dédié à Tchernobyl.
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COURRIER DES LECTEURS

VENTE D'ARMES
Patrick Cadet - 51000 Châlons-sur-Marne - février 1993

     Un de nos lecteurs a pu prendre la parole sur RTL. Voici son propos et ses commentaires:
 

Intervention
     Je vous avoue avoir été particulièrement choqué d'entendre hier: la "vente de chars de combat" présentée comme une "bouffée d'oxygène" pour notre industrie d'armement française!..
     Tout le monde a l'air de se réjouir de cette "affaire juteuse", qui va... "sauver" l'une des industrie les plus indignes et honteuses de ce soit-disant pays des droits de l'homme! (je rappelle que notre "douce France" est tout de même le troisième vendeur d'armes de la planète!!). Il n'y a vraiment pas de quoi pavoiser!
     Boris Vian avait dit dans sa célèbre chanson que nous n'étions pas sur terre pour tuer des pauvres gens, je rajouterai que nous n'y sommes pas non plus pour aider les uns à tuer les autres...
     J'ai vraiment honte d'être français actuellement..
     Je vous cite une phrase d'Albert Einstein: "Nous aurons le destin que nous aurons mérité". Que s'est-il passé après la guerre du Golfe? Dès la fin du conflit nous nous sommes précipités pour leur vendre, à crédit d'ailleurs, des armes encore plus destructrices. Prétexte: ne pas mettre au chômage les milliers d'ouvriers de cette industrie de la mort et du meurtre légalisé!! Quel destin en attendre? C'est évident:
d'autres guerres, d'autres morts et d'autres destructions.
     On ne peut pas dénoncer et exhorter à la paix d'une main et tendre avec l'autre des bombes, des fusils et des chars.
     Il faudra quand même qu'une nation s'engage résolument sur la voie de la Paix et du Désarmement, sinon on attendra toujours quelqu'un et on ne fera jamais rien.
     J'ai dit que j'avais honte d'être français mais si j'éprouve cette honte, c'est bien parce que j'aime ce pays, patrie de la Démocratie et des Droits de l'Homme (et peut-être bientôt, je l'espère, patrie des Droits des Générations Futures, grâce à l'admirable action menée par l'Equipe Cousteau).
     J'ai l'espoir que le pays qui se lancera "pour de vrai" sur la voie de la Paix sera la France. Car, malgré les griefs que je viens d'évoquer, je crois beaucoup en ses valeurs et en son rayonnement, tant européen que mondial.
     Alors qu'elle montre enfin l'exemple et ouvre le chemin, c'est son honneur de nation civilisée, démocrate et respectueuse des droits de l'homme qui est en jeu.
     Pour conclure voici une autre citation d'Albert Einstein: "Soit l'humanité détruira les armements, soit les armements détruiront l'humanité." 
Commentaire de l'intéressé
     Je suis passé sur RTL mais personne n'a repris mes propos et je n'ai pas pu répondre au journaliste ni à un auditeur (retraité ayant travaillé 39 ans pour la Défense Nationale). C'est frustrant car voici les arguments opposés à mon propos.
     - Si la France ne fabriquait plus d'armes nous ne pourrions pas nous défendre.
     La réponse est bien évidemment: si je désire me protéger je ne dois pas vendre mes meilleurs armes à un voisin qui peut se révéler hostile et belliqueux et se mettre d'accord avec d'autres pour me faire payer bien cher ma vente.
     - Ce n'est pas la France qui a vendu on lui a acheté.
     - Si ce n'est pas la France ce seront les autres.
     Réponse: très bien, on a vendu nos chars, des milliers de familles vont se réjouir de travailler et de rendre leur existence utile. En plus, on est fier car, paraît-il on est les meilleurs (et on rend service puisqu'on nous l'a demandé !). Cet armement c'est juste pour se défendre, pas pour l'utiliser. Le résultat on a un état "qui a de quoi se défendre", ce qui est plutôt inquiétant pour ses voisins. Ils vont donc chercher un palliatif à cette injustice abominable et... les autres fournisseurs de mort n'ont plus qu'à proposer leurs moins bons chars (sûrement moins chers, donc plus nombreux) et c'est finalement la France qui a fait "une mauvaise affaire". Elle ajuste contribué à attiser un combat de plus!!
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