Phares noirs, immobiles
D'une épave en périt
Fanaux au coeur d'ébène
D'un lieu en quarantaine
Quand les tournesols d'Ukraine
Dans te soir mouroir s'éteignent
Quand le vide obscur du crépuscule
Se fonce en de sanglotantes ténèbres de brume
Ou de lune
Alors entre les rangées
D'arbres dans certains vergers Depuis cette trente-septième
Nuit de printemps
Où la face pleine
De l'astre déclinait à peine
Depuis ce temps
De lancinante façon toumoient sur eux-mêmes
Minés par le désespoir
De la mort aux déments déboires
des fantômes grelottants
Portés par leurs désirs immortels et amers
Ils flottent dans leur suaire
Ou dans leurs habits d'antan
Souvent même en vêtements
A la mode d'à présent
Comme en rêve, comme en folie En impuissance infinie
Jamais ni ces morts ni ces mortes
Pourtant ne s'approchent des portes
De ces maisons imprécises Blotties dans la verdure grise |
En elles la nuit lente se consume
Sans qu'une seule lampe
Vacillante
Parmi ces chambres vagues ne circule
Ni pour une minute
Errante
Ne s'allume
Et jamais de leurs doigts abolis Doués de funèbres magie
Ils n'effleurent ces vitre et ces buis
Jamais ils ne traversent ces murs Ne s'asseyent à ces tables
obscures
Car n'est assez légère aucune plume blanche
Pour le vide qui remplit leurs manches
Et l'encre est pour eux délayée de néant
Faire bouger des tables toumantes?
Pas un seul ne le tente
Pour cela il faudrait les mains et la présence des vivants
De même, nul chuchotement
Nul exorcisme à la fumée d'encens
Ne monte pour tenter de rejeter Vers la délivrance Ou vers l'invisible leur incessante danse
Donc il semble bien qu'à ces seules
Apparitions en blancheur et en deuil
Que de grinçants cordages contre le vent retiennent
Oui, il semble bien qu'à elles seules |
Appartiennent ce domaine
Ces jardins, ces vergers
Ces clairières, ces prés
De Biélorussie et d'Ukraine
Mais quand, parmi les dangereuses larmes
De l'aube morte s'éveillent
Ces tournesols dont nul ne croquera les graines
Alors, dans l'horreur atone du petit matin
Il n'y aurait pas un humain
Qui n'eut préféré les familières alarmes
Des goules, des vampires et des revenants
A ces terreurs toutes neuves Surgissant maintenant
Le long des mers et des fleuves
Car ces spectres-ci
Ne se sont pas enfuis
Avec les ombres pâlissantes de la nuit
Sans crainte ils se laissent éclairer
Par les perles lasses de la rosée
Or même choisis parmi
Les plus répugnants des taudis
Il n'est mendiant, il n'est mendiante
Il n'est miséreuse tremblante
Qui accepterait de troquer
Sa honteuse literie
De boue et de pleurs tachée
Ni les haillons méprisés
Qu'elle porte avec rancune et haine
Contre ces draps de lin aux broderies sereines
Épais comme la toile d'un mat de misaine
Ni contre ces blouses fleuries d'Ukraine
Ni contre ces robes, ces châles de laine
Qui pendent entre les arbres des vergers |
Et que les paysans
N'ont pas eu le temps
N'ont pas eu le droit de ramasser
Avant d'aller se disperser
Loin de l'air et loin des pluies qui tombent ici
Loin des fruits parfois géants
Qui maintenant mûrissent ici
Loin du blé interdit
Par les steppes et monts de toutes les Russies
Et près des grands soleils qu'égrènent les orages
Saison après saison
Le linge abandonné se brille et se déchire
Sous les neiges, les tourmentes et les zéphyrs
Avant de tomber en lambeaux
Comme les fantomales voile d'un bateau
Sans gouvemail et prenant l'eau
Dans le tohu bohu de ténèbres couchées
Sur des vagues empoisonnées
Et bien sûr déserté
Par tout son équipage
Qui dans la terreur d'un avenir Que nul voyant n'eût osé
prédire
Tente de s'enfuir
Vers d'autres naufrages
Mais moins vite et moins loin pourtant que la menace
Surplombante des nuages
Voiles déchiquetées d'un navire perdu
Voiles déchiquetées d'une planète en péril
Frappée en lune dure par une nuit d'avril
D'une folle amertume jusqu'alors inconnue
Et elle a pour nom
Tchernobyl
NINA G. (Paris 1996)
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