La deuxième difficulté
vient de ce que tous les pays «nucléarisés» sont
venus voir l'étendue de la catastrophe, promettant aide et soutien,
mais rien ou presque n'est venu. Ce n'est que dans le domaine médical
que des programmes internationaux ont vu le jour, pour l'étude des
populations sinistrées, avec des suivis médicaux plus ou
moins poussés et cohérents, mais cependant rendant des services
indispensables. Actuellement ce sont 50 projets de 29 pays qui oeuvrent
en collaboration avec les équipes des hôpitaux locaux.
Pour mesurer l'étendue de la catastrophe
Il est bon de revenir brièvement sur
la quantité de radioactivité délivrée au moment
de l'accident. Ce sont plus de 4 tonnes de combustible qui se sont volatilisées
dans l'atmosphère, soit un total de 150 millions de curies qui se
sont répandus dans l'atmosphère et autour de la centrale
pendant 10 jours. 130.000 km2 ont reçu plus de 40 kBq
au m2 (1Ci par km2 car 1 Ci =3,7 milliards de Bq).
17 millions d'hectares contaminés concernent
80 millions d'habitants. L'eau potable de 30 millions de personnes a été
contaminée. Pour une idée de l'importance des doses, rappelons
que la radioactivité naturelle est de 2 mSv et qu'à Tchernobyl,
la dose moyenne reçue varie entre 15 et 150 mSv. Les habitants sont
soumis à la fois à une irradiation interne (alimentation)
et externe. 3.000.000 vivent dans des zones dont le niveau de contamination
moyen en césium 137 est supérieur à15 Ci/km2,
ce qui représentera pour leur vie des valeurs entre 80 et 400 mSv.(1)
La fourniture de comprimés d'iodure
de potassium n'a pas été immédiate, les conditions
de développement de cancers de la thyroïde étaient réunies:
700 cancers de la thyroïde ont été dénombrés
chez les enfants nés avant l'accident au lieu des quelques dizaines
attendues. Certains travaux n'observent pas d'augmentation des autres cancers
alors que de nombreuses équipes y font référence,
notamment lors d'un colloque organisé par l'UNESCO à Genève
en octobre 1995. Mais beaucoup de résultats sont biaisés
par l'absence de groupes témoins. L'Union soviétique avait
ouvert des registres d'études génétiques des populations
et disposait de structures très avancées en matière
d'étude épidémiologique génétique. Certains
résultats d'études pourraient servir d'échantillons
témoins.
Il faut mentionner une certaine tendance à
la dramatisation, on espère en gonflant les chiffres obtenir plus
de moyens, on exagère parfois beaucoup les chiffres, dont certains
apparaissent assez fantaisistes.
Parmi les maladies pour lesquelles existe
un certain consensus quant à leur fréquence, il faut citer
le diabète sucré. Selon le ministre de la santé de
l'Ukraine, le Dr. Y. Korolenko, il y aurait une augmentation
de 25 %. Des études sur les caryotypes et les formules sanguines
montrent des anomalies qui sont bien dans la logique des dégâts
causés par l'irradiation et que les spécialistes des caryotypes
connaissaient déjà. Des preuves de déclenchement d'apoptose
(mort programmée de la cellule) prématurée des chromosomes
en anneau, des chromosomes dicentriques, de nombreuses ruptures de ceux-ci
et toutes sortes de recombinaisons.
Ainsi l'irradiation a entraîné des dommages irréversibles
aux cellules et continue d'en provoquer des années après.
Des études de biologie moléculaires
assez fiables bien que porteuses aussi de biais importants, réalisées
sur des rongeurs, montrent grâce à deux chercheurs américains
Ronald Chesser et Robert Baker (2) que de nombreuses anomalies graves,
invisibles cliniquement, existent et montrent les importants remaniements
moléculaires rencontrés, tels que l'inversion de position
de l'oncogène Rt, de nombreuses mutations sur la séquence
du gène du cytochrome b. Celui-ci avait été sélectionné
comme modèle d'étude, car c'est un gène très
constant dans l'histoire de l'évolution ayant un très petit
nombre de mutations connues et de plus étant d'origine mitochondriale,
c'est àdire transmis par la mère, la comparaison avec celle-ci
permet de distinguer les mutations héréditaires des mutations
liées àl'irradiation.
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suite:
De nombreuses personnes retournent actuellement dans les régions
fortement contaminées
De nombreuses personnes retournent actuellement
dans les régions fortement contaminées pour retrouver leur
maison, leurs terres, dans les zones interdites, pour y vivre et éventuellement
y mourir, d'autres vivent dans des régions plus faiblement contaminées.
Un grand nombre de personnes vivent ainsi sous une irradiation permanente
qui même si elle est modérée peut expliquer la formidable
liste d'anomalies citées. Il n'est pas certain que chaque individu
chez qui une anomalie a été identifié fera un cancer,
mais il est évident qu'à terme, peut-être dans plusieurs
dizaines d'années, des cancers apparaîtront en plus grand
nombre.
Et les monstres dont tout le monde parle?
Si un certain nombre de grossesses ont engendrés
des enfants porteurs de graves malformations, il est difficile de les attribuer
directement à l'irradiation. L'ensemble du sol ayant été
contaminé, les gens ont dû s'alimenter uniquement de conserves.
Or on sait que la carence en acide folique est très tératogène
et que les conserves n'en contiennent pratiquement pas. Comme il n'existe
pas de population témoin dans le monde (population s'alimentant
uniquement de conserves), là encore il est pratiquement impossible
de distinguer ce qui serait directement lié à l'action de
la radioactivité de ce qui serait induit par l'alimentation carencée.
Mais c'est peut-être le sujet qui sans chiffre précis a été
le plus développé par une presse avide de sensationnel.
Ces considérations générales
posées voici les résultats des équipes que l'on peut
considérer comme fiables. En Biélorussie (3) selon
A.E. Okeanov et G. Yakimovich qui ont réalisé une étude
dans le temps de la morbidité des cancers avant et après
la catastrophe, il ressort que pour 100.000 habitants, le cancer du sein
qui était de 38 en 1986 passe à 59 en 1994. Les cancers de
la vessie passent de 5,5 à 10,7 dans la même période.
Par ailleurs des signes précoces de cataractes sont observés,
un doublement de l'arriération mentale, des atteintes des systèmes
cardio-vasculaires et gastro-intestinal dont les chiffres ne sont pas fournis
semblent d'une étendue plus difficile à évaluer quoique
certaine. Des souffrances psychiques sont évoquées. Une souffrance
générale est évidente touchant tous les systèmes
pour l'ensemble de la population contaminée et vivant dans la zone.
A propos des liquidateurs
Les liquidateurs sont les soldats volontaires,
ingénieurs, techniciens et autres personnes ayant eu une intervention
directe sur le site lors de l'accident. Ils sont environ 700.000 et l'on
constate chez eux des effets de doses bien supérieurs à ceux
des populations exposées. La plupart ne portaient pas de dosimètre,
ce qui rend impossible toute évaluation, mais on cite chez eux des
taux de leucémies trois fois supérieurs à la normale.
Ils sont retoumés chez eux, loin des zones sinistrées, échappant
ainsi à toute statistique, toute surveillance médicale. Davantage
que les autres ils subissent semble-t-il les conséquences psychologiques
très fortes de la catastrophe.
Conclusion
Il est probable que la catastrophe n'a pas
encore donnée toute sa dimension et que celle-ci apparaîtra
au fil des années. On connaît l'augmentation de certaines
pathologies telles les cancers de la thyroïde, les troubles psychologiques.
Qu'en sera-t-il dans quelques dizaines d'années, temps après
lequel sont apparus les cancers à Hiroshima et Nagasaki? Les coûts
humains et en santé publique iront en augmentant. Quels seront les
moyens pour y faire face?
Tout ceci doit nous inciter à la réflexion.
Le confort électrique obtenu par l'énergie nucléaire
n'est-il pas dérisoire par rapport au risque encouru en vivant à
l'ombre de la plus forte concentration mondiale de centrales nucléaires
qui nous permettent même l'exportation d'énergie électrique?
Qu'en sera-t-il lors de la privatisation vers laquelle on s'oriente? Quelles
sécurité assureront les societes privées à
la recherche des meilleurs profits?
(1) P. Verger et D. Bard, La Recherche, 286, avril1996.
(2) R. Chesser et R. Baker, id p. 30
(3) Colloque UNESCO, Genève, octobre 1995.
p.29
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