Préambule Le rapport publié en 2003 par le Comité Européen sur le Risque de l'Irradiation (CERI) critique sévèrement une partie des recommandations de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR), adoptées par la directive européenne du 13 mai 1996 puis par l'Etat Français en 2002. Le CERI ne remet pas en question le système de radioprotection lorsqu'il s'applique aux expositions externes mais émet des critiques importantes dans le cas des contaminations internes par des radionucléides. Le comité considère que les évaluations actuelles du risque encouru après contamination sont sous-estimées et appuie son argumentaire sur des travaux publiés pour partie dans la littérature scientifique. Son analyse le conduit à proposer de nouveaux coefficients de risque et de nouvelles limites de dose très inférieures à celles adoptées dans le cadre des dispositions législatives et des recommandations internationales. Le groupe CERI pose des questions fondamentales dans le domaine de la radioprotection. Ces questions sont recevables et méritent débat. En conséquence, l'IRSN souhaite fournir sa propre analyse en la matière et formuler des remarques sur la démarche scientifique suivie par le CERI. Pour ce faire, il a créé un groupe pluraliste d'experts nationaux et internationaux chargés de décrire la complexité des phénomènes de contamination interne, de réaliser une analyse scientifique et technique du rapport CERI, de fournir un état de l'art sur les connaissances acquises dans le domaine des contaminations internes et enfin, de faire des recommandations portant sur l'ensemble des thèmes évoqués. Le présent rapport cible les questions liées à la contamination interne et aux difficultés inhérentes à l'estimation des risques encourus après exposition chronique. En conséquence, il ne traite pas de l'ensemble des aspects de la protection des travailleurs et des populations contre les rayonnements ionisants. I.Problématique de la contamination interne par des radionucléides Les positions de principe de la CIPR et du
CERI sur la contamination interne
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Cette position est radicalement opposée à celle du CERI qui rappelle que les populations de Hiroshima et Nagasaki ayant été exposées à des doses fortes provenant d'une exposition externe et délivrée en un très court instant, les coefficients de risque correspondants ne peuvent pas être appliqués aux individus contaminés, exposés en général à de faibles doses, résultant d''expositions internes chroniques. Le CERI appuie son argumentation sur de nombreux exemples de pathologies (leucémies autour de Sellafield, maladies diverses chez les enfants contaminés par les retombées de l'accident de Tchernobyl, cancers survenant après retombées des essais nucléaires, syndrome de la guerre du Golfe, etc.) qui sont, selon certains auteurs, associées à ces expositions. Le CERI s'appuie sur ces exemples pour affirmer que le système proposé par la CIPR n'est pas adapté à ce genre de situation puisque l'utilisation de ses modèles ne permet pas d'attribuer aux rayonnements les pathologies existantes. Le CERI considère donc que les expositions internes sont beaucoup plus dangereuses que les expositions externes en raison de l'incorporation des produits radioactifs au sein même des cellules et des constituants cellulaires. Il conclut que les risques de développer des pathologies dans cette situation d'exposition sont beaucoup plus élevés que ne le prédit la CIPR. En marge de ces positions, il convient de constater que l'évaluation du risque associé aux contaminations internes est associée à de nombreuses incertitudes liées au manque de données dans certains domaines, à la complexité des calculs dosimétriques et à la qualité des données des enquêtes épidémiologiques. Divers phénomènes peuvent en outre compliquer l'estimation des doses et des risques voire même complètement fausser les interprétations. Parmi ceux-ci, il convient de citer la distribution hétérogène des radionucléides, la validité des facteurs de pondération utilisés pour le calcul des doses internes, l'influence de la spéciation des radionucléides sur leur comportement et la toxicité chimique de certains éléments. Ces points seront développés plus loin dans ce document. II. Analyse scientifique et technique du rapport CERI · estimer de façon indépendante, fondée sur sa propre évaluation de toutes les sources scientifiques, tous les risques résultant d'exposition aux rayonnements ionisants, avec une approche précautionneuse, · développer son meilleur modèle prédictif de détriment après exposition aux rayonnements ionisants en présentant les observations qui soutiennent ou remettent en question ce modèle et en mettant l'accent sur les domaines de recherche nécessaires pour compléter le schéma, · développer une analyse éthique et un cadre philosophique pour former les bases de ses recommandations en relation avec l'état de l'art sur le plan scientifique, l'expérience vécue et le principe de précaution, · présenter les risques et le modèle de détriment, avec l'analyse en support, de façon à permettre la mise en oeuvre de règles transparentes de décision pour la radioprotection des populations et de l'environnement. II.1. Questions soulevées par
le CERI
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b. La pertinence des grandeurs dosimétriques utilisées pour quantifier les doses peut être posée. En effet, les coefficients utilisés pour les grandeurs de gestion de risque sont essentiellement fondés sur les résultats du suivi des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki. Il n'est donc pas certain que les valeurs numériques de ces coefficients rendent compte du risque réel quelles que soient les conditions d'exposition, tout particulièrement après exposition interne à faibles doses. c. Par ailleurs, depuis la rédaction de la publication CIPR 60, des progrès en radiobiologie et radiopathologie, voire en biologie générale, pourraient à terme remettre en cause le modèle de réponse cellulaire et tissulaire à une irradiation qui est utilisé pour justifier les recommandations en radioprotection. Il était donc légitime d'envisager l'impact que pourraient avoir ces observations récentes sur l'estimation du risque d'exposition aux rayonnements ionisants. II.2. L'analyse de l'IRSN
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Le rapport CERI comporte des inexactitudes, des affirmations non étayées et plusieurs types d'erreurs. Les erreurs sont de deux ordres, tantôt numériques, tantôt conceptuelles. Certaines affirmations des auteurs sont contradictoires à l'intérieur même du rapport, ce qui donne au lecteur une impression d'incohérence. Les inexactitudes sont assez fréquentes et plusieurs affirmations se fondent sur des hypothèses simplificatrices et réductrices. Contrairement à ce qui est la règle dans les publications scientifiques, règle appliquée dans les annexes de la CIPR 60 qui étayent et justifient les recommandations, le CERI a choisi délibérément de ne pas inclure de références dans le texte. Ceci ne permet pas au lecteur d'obtenir des informations complémentaires ou d'analyser certaines affirmations qui sont en contradiction apparente avec les données de la littérature internationale. De plus, la liste des références bibliographiques est incomplète, certaines sources de données n'étant même pas citées. Les paragraphes suivants présentent les quatre points les plus marquants où se conjuguent inexactitude, incohérence et/ou erreur conceptuelle. II.2.1 - Relation dose-effet
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Mécanisme de l'échec | Notes |
Contrôles inadéquats | Tant les groupes à l'étude que les groupes-contrôles ont été exposés à l'irradiation interne due aux retombées radioactives |
Extrapolation des fortes doses aux faibles doses | Tuées aux fortes doses, les cellules subissent des mutations aux faibles doses |
Extrapolation de l'aigu au chronique | Variation de sensibilité des cellules suite à une exposition précédente |
Extrapolation de l'externe à l'interne | L'exposition externe produit des doses homogènes (trace unique du rayonnement) tandis que l'exposition interne peut produire des doses élevées (traces multiples ou séquentielles) aux cellules proches de la source |
Hypothèse de l'absence de seuil et de linéarité | Clairement faux |
Extrapolation du cas Japonais aux autres populations dans le monde | Les différences de sensibilité d'une population à l'autre (et de contexte...) sont bien connues |
Extrapolation à partir des survivants à la guerre | Les survivants à la guerre sont sélectionnés par leur résistance |
Etude commencée trop tard ; Décès précoces non pris en considération | Résultat total inexact |
Maladies ignorées hormis le cancer | Dommage global à la santé ignoré pour les expositions plus récentes |
Dommages génétiques modélisés sur la base d'anomalies flagrantes | Effets mineurs ignorés, non prise en compte des effets du sexe ratio sur les taux de natalité |
(d'après le Tableau 5.2 extrait du rapport CERI 2003, page 41) Ainsi les auteurs déterminent des coefficients
de risque par unité de dose (cf. Encadré 2) et évaluent
des nombres de cancers à partir de ces coefficients, ce qui est
une reconnaissance implicite d'une relation dose-effet linéaire.
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Résultats | Facteur de risque CIPR (par Sievert) | Facteur de risque CERI (par Sievert) |
Cancer mortel | 0,05 | 0,1 |
Cancer non mortel | 0,1 | 0,2 |
Défaut héréditaire grave | 0,013 | 0,026 |
Malformation après exposition in utero | seuil > 0,1Gy | Aucun seuil |
Cancer après exposition in utero | 0,2 | 0,4 |
Baisse du QI après exposition in utero | 30 points de QI | 30 points de QI |
Retard grave après exposition in utero | 0,4 | 0,8 |
(d'après le Tableau 7.5 extrait du rapport CERI 2003, page 71) 7.12 CALCUL DU TAUX DE CANCER MORTEL DANS UNE POPULATION EXPOSÉE
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(Extrait du rapport CERI 2003, Page 73). II.2.2 - Grandeurs dosimétriques
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Type d'exposition | Facteur WJ | Notes |
1. Aiguë externe | 1,0 | |
2. Externe prolongée (voir 3) | 1,0 | L'effet d'épargne du débit de dose n'est pas pris en considération |
3. Externe : 2 expositions en 24 heures | 10 à 50 | Prend en compte l'interception de la réparation |
4. Désintégration atomique interne unique | 1,0 | Par exemple le Potassium-40 |
5. 2e désintégration atomique interne | 20 à 50 | Dépend des séquences de désintégration et de la dose |
6. Auger interne ou Coster-Kronig | 1 à 100 | Dépend de l'emplacement et de l'énergie |
7. Particule insoluble interne | 20 à 1000 | Dépend de l'activité, de la dimension des particules et de la dose* |
Encadré 4 : Facteurs Wj de risque biophysique
établi selon le CERI
(d'après le Tableau 6.2 extrait du rapport CERI 2003, page
51).
TABLEAU 6.3 : FACTEURS WK D'ACCROISSEMENT BIOCHIMIQUE INTERNE
POUR DES ISOTOPES SPÉCIFIQUES
Isotope ou classe | Facteur WK | Mécanisme d'accroissement de l'effet |
3-H ; Tritium | 10 à 30 | Transmutation et dose locale; liaison hydrogène; amplification enzymatique |
Cations en équilibre ionique par exemple K, Cs, Ba, Sr, Zn | 2 à 10 | Concentration locale par adsorption ionique interfaciale; dépend de l'effet considéré |
Liaison avec l'ADN par exemple, Sr, Ba, Pu | 10 à 50 | Rupture primaire, secondaire et tertiaire de la structure de l'ADN |
14-C | 5 à 20 | Transmutation et amplification enzymatique |
35-S, 132-Te | 10 | Transmutation et amplification enzymatique; liaison hydrogène |
"Chercheurs" d'enzymes et de coenzymes par exemple Zn, Mn, Co, Fe | 10 | Amplification enzymatique |
Gaz nobles solubles dans la graisse par exemple Ar-41, Kr-85 | 2 à 10 | Dépend de l'effet considéré |
Molécules qui se transforment d'ions bipositifs en ions tripositifs par exemple Sr-90 Y-90 | 2 à 1000 | Dépend de l'effet considéré |
(d'après le Tableau 6.3 extrait du rapport CERI 2003, page 52). De plus, dans la formule donnant la dose équivalente biologique et la dose efficace biologique (cf. Encadré 6 et 7), les auteurs multiplient une grandeur macroscopique de la CIPR obtenue à partir de résultats des enquêtes épidémiologiques avec des grandeurs microscopiques wJ et wK, ce qui par définition est une erreur conceptuelle et détruit la cohérence du système. La dose équivalente biologique B dans le tissu T résultant de l'exposition spécifique E d'une qualité R se définit comme suit: NE est composé d'un certain nombre de facteurs d'accroissement du risque liés aux différents processus menant à une mutation génétique et à d'autres dommages biologiques significatifs. Pour chaque type d'exposition dû à chaque source interne S, on considère qu'il y a une pondération pour le risque lié à cette exposition. Cette pondération se compose de facteurs biophysiques et biochimiques multiplicatifs puisque, conformément à la théorie probabiliste, ils sont considérés comme des facteurs binômes non indépendants qui agissent sur le même mécanisme (la mutation de l'ADN). Ainsi: |
(Extrait du rapport CERI 2003, page 50). La dose efficace représente la somme des doses équivalentes pondérées à tous les tissus et organes du corps: Le système CIPR de dose efficace a également été adopté par le Comité mais la dose équivalente de la CIPR a été remplacée par la nouvelle dose équivalente biologique définie au point 6. Ainsi: |
(Extrait du rapport CERI 2003, page 53). II.2.3 - Réévaluation du risque
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Effet sur la naissance | Augmentation relative du taux de base par mSv (CERI) c d'exposition parentale pendant l'année de la conception | Nombre excédentaire observé pour mille nouveau-nés en 1963 par mSv (CIPR) d d'exposition parentale |
Mortalité infantile (0-1an) | 0,05% | Augmentation de 21 à 24 = 3 |
Mortalité néonatale(0-28 jours) a | 0,07% | Augmentation de 13 à 16 = 3 |
Bébés morts-nés a | 0,04% | Augmentation de 13 à 17 = 4 |
Chute du taux de natalité b | 0,05% | - |
(d'après le Tableau 12.1 extrait du rapport CERI 2003, page 154). Par exemple, pour les effets génétiques:
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II.2.4 - Approche réductrice de la dose collective Les auteurs font une utilisation intensive de la grandeur dose collective, avec très souvent des hypothèses réductrices. Le calcul du nombre de cancers dus à l'accident de Tchernobyl en Bélarus en est un exemple, en raison des niveaux de dose et de la durée d'exposition utilisés (cf. Encadré 9). Dans un rapport commandé par l'ambassadeur biélorusse au R-U, Busby a récemment utilisé le taux de cancer lié aux retombées radioactives au Pays de Galles et a évalué l'augmentation du taux de cancer mortel en Biélorussie à 50%, ou 25.000 cancers mortels supplémentaires par an dans une population de 9.800.000 habitants, cancers dus aux expositions qui ont eu lieu durant les cinq années qui on suivi l'accident. Pour la Biélorussie, le Comité a réparti la dose avancée par UNSCEAR 1993 selon les expositions aux différents radio-isotopes et il a appliqué des pondérations pour le risque interne excédentaire présenté au chapitre 6. Le Comité a effectué un calcul approximatif de la manière suivante: Savchenko a avancé une dose efficace engagée moyenne de 2 mSv pour la première année en Biélorussie. Si on l'extrapole sur cinq ans et qu'un tiers de la dose est pondéré comme étant dû au Sr-90 ou à des particules dangereuses, les résultats des calculs du CERI selon son modèle de dose cumulée donnent une dose approximative de 900 mSv et un nombre de cancers mortels de 882.000 cas; selon le Comité, ce nombre s'exprimera sur 50 ans, ce qui représente 17.640 cancers mortels supplémentaires par an, soit un résultat approximativement conforme aux calculs de Busby. Rien que pour la Biélorussie, le bilan global sur 70 ans est de 1.200.000 cas. La même approche appliquée aux chiffres concernant la planète entière avancés par UNSCEAR suggère un chiffre global de mortalité liée au cancer sur 70 ans suite à Tchernobyl qui s'élève à plus de 6 millions. |
III. Les caractéristiques des contaminations internes III.1. Les spécificités de l'exposition interne Le problème de l'hétérogénéité de distribution des radionucléides Un des problèmes majeurs lié à la contamination interne par des radionucléides est relié à l'hétérogénéité du dépôt dans les tissus. Ces dépôts spécifiques peuvent provenir, soit d'une concentration de radionucléides dans certains tissus ou cellules après incorporation et transfert vers le compartiment systémique (ex. de l'uranium dans les lysosomes de rein ou du neptunium dans les noyaux cellulaires hépatiques (Paquet et al.,1996, Galle, 1997, Boulhadour et al., 1997), soit directement de l'inhalation et du dépôt dans les poumons de particules insolubles (les particules chaudes, hot-particles). Ces particules sont constituées de produits de fission et d'activation et certaines ont été dispersées à la suite de l'accident de Tchernobyl. Ces phénomènes peuvent conduire, dans le cas des radionucléides émetteurs alpha, bêta et Auger à des dépôts d‘énergie très hétérogènes au sein des tissus. Ceci peut avoir des conséquences, à la fois sur l'estimation de la dose délivrée aux cellules cibles de l'organe et sur les pathologies consécutives à une contamination interne. La dosimétrie des dépôts
hétérogènes de radionucléides.
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Les effets biologiques des dépôts hétérogènes des radionucléides Le CERI considère que les concentrations particulaires dans les tissus, générant localement des doses importantes de rayonnement sont plus carcinogènes que lorsque la même quantité d'énergie est déposée de façon uniforme dans les tissus. Un ensemble d'études, menées essentiellement sur des systèmes in vitro semblent aller dans ce sens (Lang et al., 1993; Servomaa et Rytomaa, 1990, Likhtarev et al., 1995; Sigg et al., 1997). D'autres études, fondées sur des données expérimentales et sur des données épidémiologiques semblent montrer le contraire (Charles et al., 2003). Dans ces dernières études, les auteurs reconnaissent toutefois que les données humaines sont peu nombreuses et se limitent d'une part aux cas de cancers survenant après exposition aux aérosols de plutonium, d'autre part aux cas de cancers du foie et de leucémies apparus après administration de thorotrast à des fins diagnostiques. Dans ces deux cas, le dépôt des radionucléides est très hétérogène dans les cellules mais ne semble pas avoir augmenté de façon significative le risque de cancer. La conclusion générale que l'on peut tirer est que le débat sur le sujet n'est pas clos, même s'il est légitime de penser que les données humaines sont plus pertinentes que celles obtenues in vitro sur des lignées cellulaires. De plus, il est généralement admis qu'une concentration importante d'émetteurs alpha dans une cellule a un effet létal et empêche donc de développer un cancer. Par contre, ces données restent limitées en nombre, contredites par des données récentes et des études complémentaires devraient être réalisées avant de conclure de façon définitive. L'EBR et le facteur de pondération
wR
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Dans le même ordre d'idée, la compilation des données de la littérature semble indiquer que l'EBR peut varier en fonction des tissus entre 2 et 8 (Barnhart et Cox, 1979; Thacker et al., 1982; Chen et al., 1984; Schwartz et al., 1992) et donc que la position de la CIPR (wR= 20 pour les émetteurs alpha dans tous les tissus) est erronée. Il a également été montré que l'EBR pour les bêtas du tritum était supérieure à 1, ce qui est signifie que la position de la CIPR (wR= 1) est sous estimée. Ce point sera à vérifier dans le futur car il pourrait remettre en question un certain nombre d'hypothèses. L'EBR peut être également très difficile à déterminer lorsque la distribution de dose est non homogène (cf. ci-dessus). Ces cas de figure rendent la dosimétrie difficile et, pour des rayonnements faiblement pénétrant, il est indispensable de connaître précisément la position des cellules cibles. Enfin, les difficultés rencontrées pour déterminer les EBR sont liées au fait que les données humaines ne sont disponibles que pour certains émetteurs alpha tels que les produits de filiation du radon, le radium et, plus récemment, le plutonium. Il n'existe pas de données humaines permettant d'évaluer les EBR pour les neutrons et les ions lourds et il faut alors extrapoler à l'homme les connaissances acquises dans des systèmes expérimentaux. Les problèmes de spéciation
et de toxicité chimique des radionucléides
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La toxicité chimique des radionucléides Le système de radioprotection est fondé sur la relation dose-effet, qui ne tient compte que de la composante radiologique des éléments. En cas de contamination interne, les radionucléides sont incorporés et constituent d'abord un corps chimique dont la propriété est d'émettre des rayonnements. La plupart des cas de contamination interne concernent des masses infimes de radionucléides, qui se comportent comme des éléments trace, dont la concentration dans l'organisme est insignifiante. Dans certains cas toutefois, le niveau de contamination est suffisant pour que les masses incorporées soient significatives et pour que se pose le problème de la toxicité chimique de ces éléments. C'est le cas de l'uranium, connu pour induire des lésions rénales à partir d'une concentration dans l'organe de l'ordre de 3 µg.g-1 (Leggett, 1989). Cet élément semble provoquer comme le neptunium, le berylium ou le plomb, de nombreuses inclusions dans les noyaux des cellules hépatiques ou rénales dont la signification n'est pas encore connue (Berry et al., 1987 ; Boulhadour et al., 1997 ; Ceruti et al., 2002). La toxicité chimique des radionucléides est aujourd'hui ignorée et devrait être intégrée dans les modèles de radioprotection car elle peut exacerber ou compliquer les pathologies résultant d'une contamination interne. Une illustration des difficultés
rencontrées pour l'estimation des risques après exposition
interne: les cas du radon et des électrons Auger
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Ces deux exemples mettent en lumière les nombreuses incertitudes liées aux estimations de risque et en particulier celles liées aux facteurs de pondération des particules alpha. Ils montrent que le problème de l'exposition interne est délicat à traiter et qu'il est légitime de poser certaines questions. La difficulté sera de trouver les réponses adéquates, tout en sachant que les données exploitables dans le domaine sont limitées et que la construction d'un système de radioprotection nécessite de nombreuses approximations. III.2. La problématique des expositions
chroniques
III.2.1. La chronicité vue par
la CIPR
p.24
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III.2.2. Les limites du système Le système de la CIPR implique que les radionucléides absorbés n'ont aucune action synergique et que la durée des expositions n'influe pas sur les biocinétiques des radionucléides (ICRP, 1995). Ces affirmations sont très contestées en écotoxicologie et en toxicologie humaine, où l'on reconnaît, d'une part que l'absorption et le comportement de certains métaux dans l'organisme sont fortement dépendants de la présence et de la concentration d'autres éléments chimiques, d'autre part que la durée des expositions est corrélée à l'âge des individus, ceci ayant pour conséquence de modifier certaines fonctions physiologiques et métaboliques qui peuvent elles-mêmes modifier la nature de la réponse toxique (WHO, 1978). En outre, la CIPR ne dispose que de très peu de données pour estimer le détriment associé aux expositions chroniques. Les seuils à partir desquels les effets sont susceptibles d'apparaître ont donc été extrapolés à partir de données de patients ayant reçues des doses prolongées lors de traitements par rayonnements et qui ont été complétées par des données animales (ICRP, 1999). Ceci implique que les données provenant d'irradiations externes soient extrapolables à la contamination interne, ce qui n'est pas toujours le cas (cf. Paragraphe III.1.) III.2.3. L'état des connaissances
en radiotoxicologie
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Sur ce point, il a longtemps été postulé que l'incorporation de 100 Bq sur 1 jour revenait à incorporer 1 Bq pendant 100 jours. Cela est tout à fait exact en mathématiques mais faux en biologie. La seconde raison est qu'il est fait de plus en plus souvent référence à certaines publications qui affirment que l'ingestion de nourriture contaminée dans les territoires de Belarus a entraîné un nombre important de pathologies et malformations en tout genre dans la population (Bandazhevsky, 2001). Ces travaux, même s'ils ne sont pas admis par la communauté scientifique internationale, contribuent à entretenir le doute dans l'esprit du public et méritent d'être complétés. L'influence de la chronicité sur
les biocinétiques des radionucléides incorporés
L'influence de la chronicité sur
la toxicité des radionucléides incorporés
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L'intérêt de l'ensemble de ces études réside dans le fait qu'elles montrent ou semblent montrer des effets qui n'avaient pas été suspectés auparavant, lorsque l'on se basait sur la seule expérience de Hiroshima et de Nagasaki ou sur les contaminations expérimentales aiguës d'animaux. Cela semble vouloir dire, même si les données disponibles sur le sujet ne sont que parcellaires, que la chronicité influe sur la toxicité des radionucléides. Il conviendrait donc de favoriser les recherches sur le sujet afin de mieux discerner ces effets et d'affiner encore le système de radioprotection. Ces recherches montrent également que la distribution de la dose dans un tissu est un point important à connaître, mais au même titre que le débit de dose et que le problème des expositions répétées au niveau des organes et tissus devrait être un problème clef à étudier dans les années à venir. III.3. Données récentes de
radiobiologie et de cancérologie susceptibles de modifier les estimations
de risque
1. Certaines observations suggèrent
que l'effet des expositions aux faibles doses est moins important que celui
prédit à partir des effets des fortes doses. La relation
dose-effet serait dans ce cas infra linéaire et pourrait même
présenter un seuil:
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- Le rôle du microenvironnement cellulaire sur le phénotype des cellules, même "initiées", remet en cause l'hypothèse selon laquelle un cancer résulte d'une atteinte de l'ADN dans une cellule. En effet, des résultats expérimentaux, dont certains ont été publiés il y a plusieurs années, mettent en évidence le rôle des interactions entre les cellules et leur environnement; ils suggèrent une origine tissulaire et pas seulement cellulaire du cancer (Barcellos-Hoff, 2001; Park et al., 2000; Hanahan et Weinberg, 2000, Krtolica et Campisi, 2002). - L'influence de la réponse adaptative dans le cas de l'exposition des populations est plus difficile à appréhender. En théorie, elle pourrait conduire à une diminution du risque puisque les conséquences d'une irradiation à fortes doses (fréquence des mutations, remaniements chromosomiques,...) sont moins importantes si la cellule a été au préalable irradiée à faible dose (Rigaud et Moustacchi, 1996; Rigaud, 1999). Toutefois, la réponse adaptative suppose d'être irradié de façon répétée et de plus ce phénomène ne concerne pas tous les paramètres: survie, mutations, aberrations chromosomiques dans une lignée cellulaire; par ailleurs, pour observer une réponse adaptative, des conditions très strictes, dose et débit de dose pour l'irradiation d'induction et intervalle de temps entre les deux irradiations, doivent être respectées. 2. Au contraire, d'autres observations suggèrent que le risque d'exposition aux rayonnements ionisants aux faibles doses est sous-estimé; l'effet pourrait être supérieur à celui prédit par le modèle de référence, la relation dose-effet étant dans ce cas supra linéaire: - De nombreuses lignées cellulaires présentent en effet une hypersensibilité aux faibles doses se traduisant par une survie cellulaire pour des doses inférieures à 0,5 Gy plus faible que celle attendue par une simple extrapolation des taux de survie observés à plus fortes doses (Joiner et al., 2001). De plus, certaines études récentes ont révélé, à faibles doses et à faibles débits de doses, une absence de réparation des cassures double brin de l'ADN (Rothkamm et al., 2003). Ces phénomènes suggèrent que les processus cellulaires de défense contre les effets des rayonnements ionisants sont moins efficaces lorsque le niveau d'exposition est faible. Néanmoins, certains auteurs ont émis l'hypothèse que cette hypersensibilité aux très faibles doses entraînerait une élimination des cellules lésées et donc, paradoxalement, une diminution du risque d'effet à long terme. - Les expériences d'irradiation à l'aide de micro-faisceaux ont montré que la cible des rayonnements ionisants n'est pas seulement l'ADN et le noyau, mais l'ensemble de la cellule, car une irradiation cytoplasmique peut induire des mutations sans effets notables sur la survie cellulaire (Wu et al., 1999). - L'effet de proximité (effet "bystander") démontre que le nombre de cellules présentant des modifications génétiques peut être supérieur au nombre de cellules traversées par un rayonnement ionisant. En effet, diverses modifications (mutations, induction de gènes, diminution de la survie, etc.) ont été mises en évidence dans des cellules non irradiées (Zhou et al., 2000 et 2001; Mothersill et Seymour, 2001; Morgan, 2003a et b). Ces altérations génétiques seraient sous la dépendance de signaux provenant des cellules irradiées qui sont transmis par des facteurs diffusibles et/ou par les pores des jonctions intercellulaires (Azzam et al., 2003). Ce phénomène est à rapprocher d'observations plus anciennes sur les facteurs clastogènes présents dans le sang de sujets plusieurs années après leur irradiation, ces facteurs étant susceptibles d'induire des modifications génétiques cellulaires. p.26
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- L'instabilité génomique qui est observée dans la descendance des cellules irradiées, mais également dans les cellules non irradiées atteintes par l'effet de proximité, augmente la probabilité de transformation cancéreuse (Hoeijmakers, 2001; Huang et al., 2003). L'instabilité génomique se traduit par la survenue, après plusieurs divisions cellulaires suite à l'irradiation, d'altérations biologiques (remaniements chromosomiques, mutations, diminution de la survie cellulaire, amplification de matériel génétique, micronoyaux, etc.) qui ne sont pas identiques dans toutes les cellules (Morgan 2003 a et b; Lorimore et al., 1998). Il est à noter que ce phénomène ne serait pas la conséquence d'une mutation mais, en grande partie, de modifications du contrôle du génome et de l'expression génique (Baverstock, 2000), fonctions qui seraient en grande partie régulées par le micro-environnement cellulaire. - De plus, l'estimation du risque pour la population générale doit prendre en compte l'impact de la radiosensibilité individuelle qui intervient dans les capacités de réparation des lésions de l'ADN, dans la réponse adaptative qui n'a pu être mise en évidence chez toutes les personnes testées. De même, le patrimoine génétique pourrait jouer un rôle dans l'instabilité génétique radio-induite (Kadhim, 2003). - Par ailleurs, des effets stochastiques, autres que ceux précédemment décrits (effets héréditaires et pathologies cancéreuses) ont été observés sur la cohorte des survivants d'Hiroshima et de Nagasaki: pathologies cardiovasculaires, etc. (Preston et al., 2003). Ces pathologies ne peuvent résulter de modifications du patrimoine génétique dans une seule cellule. Les progrès scientifiques ont mis en évidence une complexité de plus en plus grande des phénomènes mis en jeu. Leurs mécanismes et leur contribution au processus de cancérogenèse restent à préciser et des étapes sont encore méconnues. De plus, pour les expositions à faibles doses, certains résultats suggèrent un effet plus important, d'autres un effet plus faible que celui prédit par la relation linéaire sans seuil, l'existence d'un seuil étant même possible. Il est donc peu probable de pouvoir, à court terme, quantifier le processus de cancérogenèse, et donc définir la forme de la (des) relation(s) dose-effet, à partir des données de biologie fondamentale. La seule approche qui reste valide aujourd'hui pour évaluer le risque est donc celle adoptée par la CIPR, qui consiste à maintenir le système de la relation linéaire sans seuil établie à partir des effets observés sur la santé. III.4. Evaluation des conséquences
sanitaires par l'épidémiologie
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Dans le cadre de la contamination interne, il faut tenir compte du type de rayonnement en jeu et la comparaison d''une exposition externe de type gamma à une exposition interne de type alpha nécessite la prise en compte de l'énergie déposée au niveau de la cellule cible et une discussion du facteur de pondération des rayonnements en cause. Les résultats des études des cohortes de mineurs d'uranium ayant inhalé les descendants radioactifs du radon ont suscité beaucoup de discussions au sein des comités de radioprotection, car ces résultats n'étaient pas en accord avec les prédictions venant de l'extrapolation des résultats d'Hiroshima et de Nagasaki (en utilisant le coefficient de risque de cancer du poumon par unité de dose). La discussion a porté surtout sur le facteur de pondération 20 des rayonnements alpha, mais il ne faut pas oublier que cette exposition en milieu minier, étalée sur de nombreuses années et résultant d'une inhalation, peut engendrer des mécanismes biologiques bien différents d'une irradiation externe corps entier, reçue en quelques secondes. Aujourd'hui, les études de cohortes en épidémiologie font également appel à des modèles statistiques tenant compte des mécanismes capables de décrire le développement d'une cellule irradiée vers un processus cancéreux, que ce soit dans la phase d'initiation, de promotion ou de transformation cellulaire. Etudes pertinentes pour une meilleure
estimation du risque lié à l'exposition chronique
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Certains auteurs développent des études descriptives en comparant les indicateurs sanitaires de différentes régions plus ou moins fortement exposées aux rayonnements : ces études permettent de décrire l'évolution d'un indicateur sanitaire en fonction du temps, en fonction de l'âge, mais la démonstration d'une relation causale entre une exposition environnementale et un indicateur sanitaire moyen, observé dans une population à un moment donné n'est guère concluante, surtout dans les conditions d'exposition faible; trop de co-facteurs peuvent intervenir ; au mieux, ces études peuvent suggérer des hypothèses pour des études analytiques futures. L'utilisation d'études géographiques est possible face à un facteur cancérigène fort, ou face à une maladie très rare dont l'incidence augmente de façon importante. Ces études servent d'alerte et nécessitent le développement ultérieur d'études de type analytique, comme par exemple la détection d'un excès élevé de cancers de la thyroïde chez le jeune enfant en Belarus et Ukraine après l'accident de Tchernobyl. En conclusion, les études des effets sanitaires liés à des expositions chroniques font actuellement partie d'un vaste champ de recherche dans lequel la part de l'épidémiologie est importante; la connaissance des mécanismes biologiques sous-jacents apporterait une aide certaine à l'interprétation des résultats issus de populations et d'expositions variées. Le choix des études est fortement dépendant de la qualité de la dosimétrie individuelle et de la possibilité de mener ces études à grande échelle. IV. Conclusions et recommandations
de l'IRSN
(suite)
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Par contre, ces travaux ne traitent pas de l'ensemble des radionucléides susceptibles de poser des problèmes sanitaires, notamment certains produits de fission retrouvés sur certains sites industriels (ex 90Sr) ou certains autres émetteurs bêta ou électrons Auger. En plus de cela, l'ensemble de la communauté scientifique admet maintenant que les estimations de risques consécutifs aux contaminations internes sont entachées d'incertitudes et que le concept de risque est délicat à utiliser. Le comité anglais CERRIE, chargé d'étudier ces risques, conclut dans son rapport que, lorsque cela est possible, les estimations de doses et de risques doivent être fournies avec un exposé explicite des incertitudes associées (CERRIE, 2004). En sus de ces recommandations, le président du Comité conclut que "les incertitudes liées à l'évaluation des risques après contamination interne peuvent être importantes et cela doit être pris en compte dans les décisions politiques et réglementaires" (Goodhead, 2004). Le problème majeur est que, si ces incertitudes sont reconnues, elles sont difficilement quantifiables et que nous ne possédons pas, en l'état actuel des connaissances, les éléments nécessaires pour améliorer le système de radioprotection en vigueur. L'IRSN considère donc que la structure et les fondements de ce système ne doivent pas être modifiés dans le contexte actuel, car il est le meilleur outil dont nous pouvons disposer à ce jour pour protéger l'homme des effets délétères des rayonnements ionisants. Néanmoins, certains composants de ce système pourraient être améliorés en s'intéressant de façon plus explicite et systématique aux incertitudes liées à la détermination de la dose après contamination interne. Une amélioration significative du système de radioprotection ne peut s'envisager dans le domaine de la contamination interne que par une politique de développement d'études et de recherches. L'IRSN recommande de fait d'initier des recherches dans un certain nombre de domaines afin d'acquérir les connaissances manquantes et de mieux quantifier les incertitudes associées à l'estimation des risques consécutifs aux contaminations internes chroniques. Ainsi, l'IRSN recommande en premier lieu d'initier des recherches afin de répondre aux interrogations des populations vivant sur les territoires contaminés de l'Europe de l'Est. Les craintes de ces populations trouvent leur origine dans l'observation de pathologies cardiovasculaires, de baisses de fertilité et de troubles comportementaux qui seraient, selon certains chercheurs, directement liés à l'accident de Tchernobyl. Le problème réside dans l'absence de données fiables pour déterminer aujourd'hui s'il y a causalité directe entre le niveau de contamination interne de ces populations et ces pathologies. En conséquence, l'IRSN considère qu'il est urgent de lancer des recherches spécifiques dans ce domaine afin d'apporter les premiers éléments de réponse. L'IRSN recommande ensuite d'initier des recherches de fond afin d'améliorer les connaissances dans le domaine des conséquences sanitaires des contaminations internes chroniques et de réduire les incertitudes associées. Les recherches doivent porter d'abord sur les cinétiques des radionucléides dans l'organisme après exposition chronique afin de déterminer avec précision la localisation et le temps de résidence des éléments. L'objet de ces recherches sera de vérifier si les cinétiques d'accumulation et d'excrétion sont sensibles ou non à la durée des expositions. Les recherches doivent être menées en priorité sur des radioéléments connus pour se concentrer dans certaines structures tissulaires ou cellulaires (uranium, éléments transuraniens, strontium, ..) car ces interactions avec la matière vivante sont susceptibles d'être modifiées lors des expositions de longue durée. Les données de cinétique sont essentielles pour déterminer la dose délivrée aux tissus et à l'organisme entier et serviront de données de base pour l'établissement des coefficients de risque. p.28
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Les recherches doivent porter ensuite sur la toxicité des radionucléides, en ne s'intéressant pas seulement aux cancers mais également aux autres types d'effets et à tous les tissus. La principale critique faite au système actuel est qu'il est fondé principalement sur la notion de détriment, lié lui-même à la probabilité d'apparition de cancer et d'effets héréditaires graves. Ce détriment ne tient pas compte aujourd'hui d'autres pathologies et, de fait, les recherches menées ces dernières années en radiotoxicologie se sont essentiellement intéressées à l'apparition de cancers en négligeant les autres effets. Il est temps de combler les lacunes dans le domaine et de décrire l'ensemble des effets biologiques et sanitaires pouvant survenir après contamination chronique par des radionucléides. Enfin, la majorité des études discutées dans le rapport CERI se limitait à des études descriptives, comparant des taux d'incidence pour différents niveaux de contamination environnementale. Face à des expositions chroniques, variables dans le temps et avec une distribution non homogène au niveau des populations considérées, les études dites descriptives ou écologiques ont peu de chance de mettre en évidence un risque, notamment un risque de cancer s'exprimant après un temps de latence important. En conséquence, l'IRSN recommande d'accroître les études épidémiologiques de type analytique ayant pour finalité une meilleure estimation du risque de cancer en fonction de la dose au niveau de l'organe cible. Un effort approprié devra être consenti pour mener à bien les nouvelles études qui vont être lancées prochainement sur d'autres cohortes de travailleurs en Europe, plus spécifiquement exposées à certains radioéléments comme l'uranium. Le but de ces études est de cibler des populations dont l'exposition interne a été estimée correctement, de les suivre sur plus de 20 ans et d'enregistrer un ensemble d'indicateurs de santé (cancer, leucémies, maladies chroniques rénales, pulmonaires, cardio-vasculaires...). Ces études sont réalisées dans le cadre d'un programme soutenu par l'Union Européenne. A terme elles apporteront des connaissances supplémentaires sur les risques liés aux expositions internes à faibles niveaux. L'ensemble de ces études permettrait de mieux appréhender les phénomènes de contamination interne et leurs conséquences sanitaires. Elles devraient apporter les données de base qui font défaut dans le domaine et devraient ainsi contribuer à améliorer l'ensemble de notre système de radioprotection. Ces recherches nécessitent toutefois un effort soutenu pendant de nombreuses années et un plateau technique développé et très diversifié, impliquant une mise en commun de moyens humains considérables. Ces recherches devraient donc être menées dans un cadre international sous forme d'actions concertées au niveau européen ou mondial. (suite)
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Le terme “ facteur de risque” provient de la traduction française du rapport CERI. Dans le présent document, nous utiliserons le terme “ coefficient de risque ”. - EBR: Efficacité biologique relative: C'est le rapport de la dose d'un rayonnement de référence (rayons X, rayonnement gamma du 60Co) à la dose du rayonnement étudié produisant un même effet biologique. Ce concept a été créé pour tenter de rendre compte de l'efficacité relative des différentes sortes de rayonnement dans la matière vivante. Ce concept n'est pas utilisé directement dans le cadre réglementaire qui utilise le facteur de pondération wR qui attribue une valeur spécifique aux différents types de rayonnements. - Dans ce cas, la dose est une grandeur de gestion de risque et non pas une grandeur physique. - TLE: Transfert linéique d'énergie. défini comme étant la quantité d'énergie perdue par unité de longueur de trajectoire. - WLM: Working Level Month. Un "Working Level" (WL) correspond à la concentration, dans 1 litre d'air, des produits de filiation du radon ayant une énergie potentielle de 1,3x105 MeV. Le WLM correspond au produit WL par une durée travaillée mensuelle de 170 heures. - Effets déterministes: Effets nocifs précoces des rayonnements sur les tissus vivants (mort d'un organisme, lésions au niveau d'organes ou tissus, cataracte,...) qui se produisent généralement au-dessus d'un seuil de dose et dont la gravité dépend du niveau de dose absorbée. Ils se manifestent en général dans un bref délai suivant l'irradiation (heure, jours ou semaines suivant la dose reçue). - Effets stochastiques: Effets nocifs tardifs des rayonnements (leucémies, tumeurs par exemple) dont la gravité est indépendante de la dose et dont la probabilité d'apparition est proportionnelle à la dose reçue. On suppose qu'il n'y a pas de dose seuil en dessous de laquelle les effets stochastiques ne se produiront pas. Les effets stochastiques surviennent donc à des doses inférieures à celles qui produisent des effets déterministes et peuvent se manifester après un long délai (années, décennies) suivant l'irradiation. - Les mécanismes impliqués dans ces phénomènes restent hypothétiques. Les évènements les plus probables seraient ceux liés à un effet de la masse incorporée qui serait plus importante dans le cas d'une contamination aiguë et aurait pour effet de saturer certains transporteurs à tous les niveaux de l'organisme (porte d'entrée, sang, organe de stockage) puis de dévier l'excédent vers d'autres voies métaboliques. Ce phénomène a été maintes fois démontré aussi bien au niveau de l'organisme qu'au niveau cellulaire et intracellulaire (Paquet et al., 1996). Dans le cas des actinides et du sang, une saturation du transporteur principal qui est la transferrine aurait pour effet principal de laisser la majorité des radionucléides sous forme ultrafiltrable, qui seraient alors rapidement excrétés par les voies urinaires. Au contraire, dans le cas d'une contamination chronique avec un niveau plus faible de radionucléides, cette saturation n'interviendrait pas et conduirait à un dépôt plus important dans les organes cibles et donc à des taux de rétention différents. De la même façon, il est connu que les lysosomes des cellules sont chargés entre autres de stocker la plupart des produits exogènes sous forme de précipité. Une contamination chronique aurait donc pour effet de concentrer, petit à petit, les radionucléides dans ces structures et de conduire à des phénomènes de bioaccumulation, distincts de ceux observés après contamination aiguë. -Leucémies et cancers osseux p.29
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