La G@zette Nucléaire sur le Net! 
G@zette N°260, mai 2011
FUKUSHIMA: la catastrophe impossible/impensable

COMMUNIQUE France Nature Environnement
CATASTROPHES AU JAPON: QUELLES LECONS EN TIRERONS-NOUS?

     Le plus important séisme depuis plus d'un siècle vient de frapper le Japon. Il a entraîné un tsunami sans précédent et un nombre considérable de victimes encore impossible à recenser vu le nombre de disparus. Les pensées de France Nature Environnement vont d'abord aux victimes et à ce pays profondément meurtri par la violence de cette catastrophe.
     Mais, au-delà des risques de répliques, France Nature Environnement (fédérant environ 3.000 associations) s'inquiète des conséquences sur les réacteurs nucléaires, en particulier ceux de la centrale de Fukushima Daiichi qui comporte 6 réacteurs, analogues aux réacteurs français, (ce qui n'était pas le cas de Tchernobyl), mais de puissance bien moindre car s'échelonnant de 439 MWe à 1.067 MWe (alors que les Français vont de 900 à 1.450 MWe) et vieux de 30 à 40 ans. Le réacteur qui a explosé est le plus petit (439 MWe), mais deux autres sont dans un état critique par manque de refroidissement.
     Cet accident ressemble plus à celui de Three Miles Island, en 1979, aux USA, qu'à Tchernobyl sur un aspect essentiel: l'incertitude sur l'évolution des réacteurs, d'où des informations qui évoluent d'heure en heure.
     France Nature Environnement félicite tout d’abord le gouvernement japonais qui, en ces douloureuses circonstances, a assuré l’évacuation de la population la plus directement menacée, d'abord sur 3 km, puis 10 km et maintenant 20 km avec distribution d'iode, reconnaissant le risque de fusion du coeur, se démarquant ainsi du discours lénifiant de l’exploitant. FNE aimerait être sure qu'en de telles circonstances, le gouvernement français serait aussi réactif et transparent.
     Et en France?
     Tout d'abord, si le risque sismique est moindre, les précautions face à ce risque sont aussi bien moindres qu'au Japon, pays exceptionnellement entraîné. Il suffit de rappeler que le centre nucléaire de Cadarache se situe sur la faille de la Durance, qu'il a fallu des années pour arrêter l'atelier plutonium et que ce n’est sans doute pas un hasard si les normes sismiques en usage en France viennent récemment d’être relevées.
     L'accident le plus redouté, la fusion du coeur, peut se produire sans séisme. Il suffit que le système de refroidissement tombe en panne. Et là, toutes nos centrales de bord de mer ont une fragilité particulière face aux coups de mer et aux risques de submersion marine. Pour Jean Séname, membre du directoire risques et impacts industriels: «Les Pays Bas ont mis en œuvre à grands frais un plan Delta, la Belgique un plan Sygma. En la matière, et en dépit de l’alerte du Blayais, fin 1999, où une catastrophe provoquée par un mascaret fut évitée de justesse, nos défenses de côtes sont notoirement insuffisantes, incapables d’enrayer, comme ce fut le cas avec Xynthia en Vendée, une brutale montée des eaux
     Il faudra tirer toutes les leçons de cet accident et ne pas le minimiser comme ce fut le cas en France au moment de Tchernobyl et comme nous venons déjà de l'entendre de la part du ministre de l'énergie, qui considère qu'il s'agit d'un «accident grave», mais pas d'une «catastrophe nucléaire». Discours normal de la part d'un ministre qui nous a déjà dit qu'il soutenait totalement le nucléaire.
     Pour Bruno Genty, Président de FNE, «il est urgent que la prévention des risques soit une priorité absolue et que, face à des risques nucléaires croissants, on se donne les moyens d'en sortir par une politique énergétique qui privilégie avec constance et détermination la maîtrise des consommations et les énergies renouvelables».


AFP 25 avril 2011
Leçon de Tchernobyl et de Fukushima: il faut dire la vérité

     MOSCOU - La principale leçon à tirer des catastrophes de Fukushima et de Tchernobyl est qu'il faut dire la vérité, a jugé lundi le président russe Dmitri Medvedev, à la veille du 25e anniversaire de l'explosion à la centrale ukrainienne qui avait été dissimulée par le pouvoir soviétique.
     La principale leçon est la nécessité de dire la vérité aux gens, car le monde est tellement fragile, et nous sommes tellement interdépendants, que toute tentative de cacher la vérité, de ne pas tout dire (...) se termine en tragédies, a-t-il dit au cours d'une cérémonie au Kremlin.
     Le 26 avril 1986 à 01h23, le réacteur numéro 4 de la centrale de Tchernobyl a explosé au cours d'un test après une erreur de manipulation, provoquant des rejets radioactifs équivalents à au moins 200 bombes de Hiroshima et contaminant une bonne partie de l'Europe.
Jusqu'au bout, le pouvoir soviétique a tenté de cacher, puis de relativiser l'accident. L'évacuation de Pripiat, une ville de 48.000 habitants située à trois kilomètres de la centrale, n'a eu lieu que le 27 avril en début d'après-midi.
     L'URSS alors dirigée par Mikhaïl Gorbatchev n'a reconnu le drame que trois jours plus tard, après que la Suède atteinte par le nuage radioactif eut alerté le monde le 28 avril.

suite:
03/05/2011 (source: Libération)
Golfech: le déclenchement "intempestif" d'une alarme affole la population

     «La sirène a sonné pendant un quart d’heure. Cela a suffi pour déclencher un début d’affolement dans la population», : 20h36 hier lundi soir, le déclenchement intempestif de la sirène d’alerte de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne), a provoqué un début de panique dans la population (950 habitants) de la commune.
     Au lieu de se calfeutrer chez eux, les habitants sont sortis en masse dans les rues du village pour voir ce qui se passait. A l’arrivée plus de peur que de mal hormis le coup de tocsin d’Alexis Calafat le maire de Golfech qui pointe «l’extrême sensibilité» de ses administrés depuis la catastrophe de Fukushima.
     «Ils ont eu très peur. Contrairement à ce qu’il est préconisé en cas d'alerte la majorité des gens sont sortis de chez eux», a-t-il indiqué ce mardi à Libé Toulouse (publication arrêtée en 2015...)
     «J’ai appelé immédiatement la centrale. Quelqu’un de la surveillance m’a alors expliqué qu’il s’agissait du déclenchement intempestif d’une alarme», ajoute le maire de Golfech. «Dans la demi-heure suivante, nous avons relayé l’information auprès de l’ensemble de la population grâce au système téléphonique d’alerte prévu en cas d’accident».
     Du côté de la centrale, les responsables disent comprendre «le vif émoi de la population». Ils précisent avoir rapidement prévenu les maires des environs et la préfecture, et mis à jour dès 21h00 les informations sur le numéro vert de la centrale et sur son site internet.
     Alexis Calafat insiste sur la hausse du taux d’inquiétude chez ses administrés. Ces derniers l’ont appelé en masse à son domicile. Une réaction perçue comme l’un des effets collatéraux de la catastrophe nucléaire survenue au Japon: «depuis Fukushima, dés qu’il y a quelque chose qui semble anormal du côté de la centrale, les gens ont tendance à s’inquiéter, dit-il. Le sujet est devenu très sensible».
     «J’ai alerté le Préfet et les responsables de la centrale sur cette inquiétude», ajoute l’élu qui est aussi président de la Commission locale d’information de la centrale et membre du Haut comité à la transparence et à la sûreté de l’industrie nucléaire, organisme rattaché au Ministère de l’environnement.
     Retour d'expérience: Alexis Calafat attend des autorités compétentes qu’elles tirent les leçons Fukushima avec les élus et les habitants des communes concernées: «J’observe que les Japonais ont évacué les populations dans un rayon de 20 km2 autour de la centrale. En France, ce périmètre est limité à 10 km2. Pourtant, il s’agit du même type d’installations».
     La centrale nucléaire de Golfech jumelée avec la centrale d’Ohi au Japon est située à 40 km de Montauban et à 90 km de Toulouse. Elle a été mise en service en 1991. Exploitée par Électricité de France (EDF), elle a connu dix incidents depuis sa mise en exploitation. Dont le dernier en date du 9 septembre 2010.


L'Autorité environnementale (Ae) a rendu son avis sur le projet ITER

     L’Ae du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a rendu, le 23 mars 2010, son Avis délibéré sur la demande d'autorisation de création de l'Installation nucléaire de base ITER. L'étude d'impact a conduit l'Ae à formuler plusieurs recommandations.

Impact sur la biodiversité,
risque sismique et inondations
     Tout d'abord, l'Ae souhaite que soit "[expliqué] pourquoi il a été jugé nécessaire de niveler une plateforme horizontale de 40 ha d'un seul tenant." En effet, "ce terrassement [est] l'origine d'impacts significatifs sur la biodiversité et les paysages."
     L'Ae préconise aussi de "compléter l'état des lieux, en particulier pour l'analyse du risque sismique pris en compte, ainsi que les données sur l'eau."
     De plus, l'Ae souhaite que soient "[précisées] les données relatives au risque d'inondation par ruissellement,en particulier pour les précipitations d'importance plus que centennales." L'Autorité estime que "la probabilité d'occurrence d'un tel évènement pendant la durée de vie d'ITER étant de l'ordre de 30%, et de nature à provoquer des dommages à l'installation."
     L'ASN rendra son avis sur la sécurité nucléaire
     En matière de sécurité nucléaire, elle retient deux éléments. Tout d'abord, elle note "un risque d'exposition des travailleurs du site aux poussières de béryllium, produit cancérigène", cependant, elle juge que "les mesures décrites paraissent adaptées."
     D'autre part, elle estime que "les expositions aux risques radiologiques sont attribuables en quasi-totalité aux émissions de tritium." Bien que "les doses maximales évaluées sont environ 500 fois inférieures aux seuils réglementaires", l'Ae rappelle qu'"en exploitation, le dispositif de 'détritiation', consistant à recycler l'essentiel (environ 90%) du tritium émis pour le réutiliser, n'existe qu'à l'état de prototype, et doit faire l'objet d'une phase de développement d'ici à 2025, début de la période d'utilisation du tritium dans le réacteur."
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FUKUSHIMA
Petite introduction par MS et suite par RS

     Fukushima a sonné l’alarme. 
     Toutes les agences, toutes les firmes se sont pincées pour être sûres de ne pas avoir mal entendu. 
     «Le Japon»,  ce pays si fort en tout venait de subir un accident type Tchernobyl soit avec diverses explosions et une sortie massive des contenus de 3 cœurs et de 4 piscines.
     Impensable! impossible!
     Eh bien, un séisme de force 9 sur l’échelle de Richter et un tsunami (raz-de-marée) de 10 à 30 m a balayé la côte Pacifique à environ 200 km de Tokyo, rayé les villes et les villages de la carte. Au séisme, tout avait semblé résister (avec des dégâts mais on pouvait gérer?) et la vague monstrueuse a déferlé, emportant tout sur son passage, faisant près de 20.000 morts et disparus.
     Et sur son passage se trouvait Fukushima 1 (6 réacteurs et une piscine d’entreposage de 6.000 assemblages).
     Il avait été signifié à TEPCO (l’opérateur) que la digue de protection était trop basse, que les diesels étaient insuffisamment testés (en plus ils étaient au sous-sol des bâtiments avec leurs cuves de carburants).
     Alors le séisme a fait perdre l’alimentation électrique, mais les diesels et les batteries ont pris le relais. Arrive la vague: plus de source froide tout est bouché, détérioré et plus de sources électriques (juste des batteries insuffisantes).

suite:
     La séquence impensable commence: il faut absolument refroidir et il n’y a plus de pompes donc plus d’eau de secours. On ne dispose que de quelques heures avant que le cœur se dénoie et que la réaction d’oxydation des gaines ne s’enclenche conduisant inéluctablement à la production d’hydrogène d’où des risques d’explosion et à une fonte des combustibles et des internes du cœur. Circonstance aggravante (?), les barres de contrôle sont injectées par le fond d’où même sans craquelures de l’acier les trous sont déjà présents.
     Et le problème lié au non-refroidissement et au manque de source électrique perdure depuis 2 mois (au moment où j’écris 11 mars à 13 mai 2011) ET IL VA PERDURER UN TEMPS CERTAIN.
     D’abord on va devoir refroidir, refroidir, puis d’ici 2, 3,... jusqu’au moins 6 ans (expérience Three Mile Island: 6 ans avant d’entrer un robot dans l’enceinte qui avait résisté à une explosion hydrogène...) et encore 6/7 ans de plus pour commencer à décontaminer (toujours expérience TMI).
     Et maintenant penchons-nous sur le problème des rejets: sans être comme à Tchernobyl (emballement de la réaction de fission, puis explosion canalisée par un tube de force, d’où montée jusqu’à 1,5 km d’altitude), le site de Fukushima avec 4 réacteurs en surchauffe risque de dépasser pour le site et ses alentours (jusqu’à 100 km) les conséquences de Tchernobyl. N’oublions pas que 25 ans, après, la Bielorussie, la Russie et l’Ukraine ont toujours des territoires contaminés sur lesquels il est préférable de ne pas vivre. Bien sûr certains habitants ont préféré revenir, mais cela ne diminue pas le danger: c’est juste leur choix parce que l’éloignement devenait insupportable.
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Les travailleurs:
     Les travailleurs contaminés des installations nucléaires sont confrontés à des travaux où les règles de sûreté sont bafouées.
     Sur le site de Fukushima touché par un séisme suivi d’un tsunami, les règles de sûreté des travailleurs ont été élargies sans examen approfondi, obligeant les travailleurs à faire leurs travaux et à sortir sans être complètement décontaminés 
     Les travailleurs qui se sont battus pour que reprendre le contrôle du site de Fukushima 1 (opérateur TEPCO), ainsi que les experts expriment leurs préoccupations à propos d’un effet possible sur la santé.
     Les niveaux de radiations dans les locaux de la centrale restent élevés, sachant que dans les ruines du réacteur 3, endommagé par une explosion hydrogène, on a atteint 900 millisieverts/h.
     Si un travailleur peut être exposé à plus que 1 millisievert par jour dans une centrale nucléaire, les prescriptions de sûreté imposent que l’entrepreneur requis par la compagnie en charge de l’exploitation établisse un plan de travail spécifiant les niveaux de doses dans les locaux et délivre aux travailleurs un document signé. La compagnie en charge de l’exploitation garde une copie de ce document. 
     Certains entrepreneurs fournissent copie de ce document à leurs sous traitants comme permis d’effectuer les travaux.
     De fait les travailleurs ne sont pas suivis, ont des difficultés pour se décontaminer. Les fameux plans de travail ne sont pas élaborés. 
     Il apparaît que à la fois TEPCO et les firmes sous-traitantes pensent qu’en cas d’accident il est normal d’être contaminé puisque l’environnement l’est.
     TEPCO certifie que les travailleurs présentant des contaminations ont toujours été décontaminés.

L’environnement:
     La mer et la terre sont contaminées à des niveaux assez importants, mais il faut attendre pour avoir des données fiables.
     Pour le moment on a tout et son contraire (comme à Tchernobyl). A-t-on pris de bonne décisions en évacuant? probablement. Par contre, celle du confinement se discute car on ne peut pas confiner pendant 15 jours dans un tel environnement: maisons détruites, ravitaillement difficile, eau potable absente, plus de chauffage, plus de secours...
     Fukushima est un grave accident. Essayons au moins de tirer des enseignements pour nos propres réacteurs et surtout évitons comme tous nos «technolâtres» de vanter les mérites des réacteurs français.

Déroulement de l’accident par RS

     Pour ceux qui ont des difficultés pour se souvenir de ce nom, il existe un moyen simple:
     Cela se termine par Shima, comme Hiroshima, et cela commence par Fuck...
     Fukushima est une vérification expérimentale de la loi de Murphy: Lorsque les choses vont mal, tout ce qui a une très faible probabilité de se produire, arrive!
     Cela commence par tremblement de terre d’une intensité largement supérieure au dimensionnement des installations.
     - Mais les mécanismes d’arrêt d’urgence fonctionnent, semble-t-il.
     Les lignes électriques sont tombées,
     - Les diesels de secours prennent la relève... pas tous, il y a quelques désaffections
     A ce moment-là, les opérateurs se croient sortis d’affaire.
suite:
Arrive la vague du tsunami. 
     Laissons au loin les controverses sur la hauteur de cette vague. Sa hauteur fut suffisante pour noyer les diesels, avec d’autant plus de facilité qu’ils étaient en sous-sol, ainsi de très nombreuses armoires électriques, de très nombreux moteurs divers et variés, dont ceux des pompes qui avaient résisté au séisme. Et ici nous n’énumérons que ce qui est noyé et non ce qui est détruit.
     Il est bien connu que lorsqu’un réacteur s’arrête, lorsque la réaction en chaîne est stoppée, les produits de fission continuent à se désintégrer produisant une quantité d’énergie qui, au moment de l’arrêt, est de l’ordre de 10% de la puissance nominale du réacteur... oui, mais de la puissance thermique, pas de la puissance électrique. Donc pour un réacteur produisant 500 MWé, cela fait 10% de 1.500 Mth... 150MWth... excusez du peu! Après une journée d’arrêt cette puissance résiduelle tombe à environ 1%, puis au bout de quelques jours, nous sommes à 1‰, et comme c’est une décroissance exponentielle, il est bien connu que cela va rester longtemps, très longtemps dans cet ordre de grandeur... 1,5 MW.

Source: http://www.laradioactivite.com/

     Donc après un arrêt - ici d’urgence - il faut continuer à refroidir le coeur du réacteur. Pour cela il faut de l’eau, des pompes pour la faire circuler et de l’électricité pour les faire fonctionner. Les pompes étant hors service, les sources d’électricité également, il fallait trouver des moyens de fortune pour refroidir... pas seulement les coeurs des réacteurs 1, 2 et 3 (le 4 étant à l’arrêt et déchargé de son combustible), mais également les piscines destinées à refroidir les combustibles déchargés dans l’attente d’un futur transfert vers une autre piscine d’entreposage, également présente sur le site.
     Toutes ces sources de chaleur continuant à produire, il fallait impérativement les refroidir sinon... il y avait un risque de dénoyage des combustibles, avec une montée en température telle que la réaction d’oxydation des gaines de Zirconium allait s’amorcer, produisant également un énorme dégagement de chaleur et de l’hydrogène. 
     En vertu de la loi de Murphy, tout ceci se produisit, avec comme cerise sur le gâteau la combustion et/ou l’explosion de l’hydrogène.

Les piscines.
     Diverses tentatives auront été faites pour déverser de l’eau dans les piscines: hélicoptères larguant d’une altitude  permettant la survie des pilotes, pompes de camions de pompiers, canons à eau de la police anti-émeute, et pour finir une pompe à béton de grande hauteur. Mais où prendre l’eau? En mer semble le plus simple, vu la proximité. Ce sacré Murphy est encore passé par là. L’eau de mer contient du sel. C’est bien connu et Alphonse Allais nous a bien expliqué que si la mer est salée, c’est parce qu’elle contient des morues. Le sel, ce cher chlorure de sodium qui fait la fortune d’une grande partie du corps médical, a une fâcheuse tendance à attaquer les aciers (surtout le 304L, abondamment utilisé dans la cuve et ses annexes, et très sensible aux ions chlorure), les fragiliser et, lorsque l’eau salée rencontre une surface suffisamment chaude pour que l’eau s’évapore, il reste le sel qui va gainer les parties chaudes. C’est un bon isolant thermique, qui va également se déposer dans les vannes, soupapes et tous autres instruments que l’on souhaiterait pouvoir faire fonctionner dès qu’on aura du courant pour ce faire.
     Résultat de l’exercice, nous avons eu des incendies des piscines de combustible.

p.4


Les coeurs.
     Pour les coeurs, le problème est encore plus délicat. Il n’y a plus de moyen pour y envoyer de l’eau. Donc la pression monte, et suite au dénoyage du combustible, il y a production d’hydrogène. TEPCO nous dit avoir fait chuter la pression en faisant des largages. Par où? Un schéma fourni par AREVA explique que ce largage débouche... dans la zone supérieure du bâtiment réacteur, justement la zone où se trouvent les piscines. Cette explication nous paraît stupide car nous avons du mal à imaginer qu’un esprit tordu d’ingénieur va expédier un mélange de gaz explosif dans une enceinte fermée. Cela risquerait d’exploser en endommageant gravement le bâtiment. 
     C’est pourtant ce qui s’est produit. Donc une autre hypothèse simpliste serait qu’il y a eu rupture d’une ou plusieurs des nombreuses canalisations qui sortent de la cuve du réacteur, puis traversent le béton de l’enceinte de confinement pour rejoindre divers auxiliaires et le groupe turboalternateur... ce qui pourrait expliquer l’abondante présence d’eau chargée de produits de fission dans ces bâtiments.
     Mais les coeurs des 3 réacteurs, partiellement dénoyés, ont commencé à fondre. De toute façon, lorsque l’oxydation des gaines est démarrée, celles-ci perdent leur tenue mécanique et ne résistent pas à la pression interne qu’exercent les gaz de fissions et les produits de fission volatils (Iode, Césium,...). D’où une dispersion des pastilles de combustible avant même qu’elles commencent à fondre.
     Des informations récentes concernant le réacteur numéro 1 nous ont appris que la mesure du niveau d’eau dans la cuve, dont l’estimation donnait un faible dénoyage du combustible... était coincée à la valeur mesurée au moment du séisme. Sacré Murphy, encore lui. Cela nous rappelle TMI où les opérateurs se fiaient à l’indication d’un voyant disant que la soupape responsable de la chute de pression était bien fermée... alors que le voyant indiquait que l’ordre de fermeture avait bien été envoyé, sans se soucier du fait que ladite soupape était bloquée en position ouverte. À Fukushima, après avoir envoyé des agents réparer la chose - question angoissante: à quel endroit ont-ils dû aller pour faire leur bricolage et quelles doses ont-ils prises? - il a bien fallu se faire à l’idée que le coeur était complètement dénoyé, donc fondu.
     Il semble bien que la cuve du réacteur numéro 2 se soit percée. La pression dans les BWR étant plus faible que dans les PWR, l’épaisseur de leurs cuves est plus faible. De plus les BWR ont la caractéristique d’avoir une injection des barres de contrôle par le fond de cuve. Ce qui donne une zone plus fragile. Rappelons que dans un BWR, la vapeur produite dans le coeur du réacteur est directement turbinée. Il n’y a pas un circuit secondaire comme dans les PWR. Aussi, tout le dispositif qui constitue le haut des générateurs de vapeur des PWR se retrouve dans la partie haute de la cuve du BWR.
     Pour le réacteur numéro 3, l’analyse des images vidéo de l’explosion du lundi 14 mars, nous fait remarquer un puissant jet vertical, à l’apparence cylindrique, d’une inquiétante couleur noire.
     Si on étudie les schémas de cette machine (l’excellent dessin de Nuclear Engineering International) on constate que l’enceinte de confinement (dry well) se termine en haut par des parois mobiles, afin de permettre le déchargement du coeur. Ceci explique la présence de la piscine dans la zone supérieure de bâtiment, directement accessible après noyage de haut de cette enceinte. Cette zone de l’enceinte de confinement semble donc plus fragile.
     Une explosion hydrogène n’y avait d’autre exutoire que le haut et cette enceinte se comporte comme le fût d’un canon. Cela nous rappelle Tchernobyl. Lorsque les combustibles de certains canaux étaient devenus sur-critique prompt, la structure de graphite s’était comportée comme autant de tubes de lance rocket par où des éléments combustibles ont été éjectés, perforant la dalle supérieure épaisse de plusieurs mètres.
     Et il semble bien que le jet puissant vu sur les vidéos soit le résultat d’une explosion de l’hydrogène contenu dans l’enceinte. Une autre caractéristique de la structure de ce réacteur peut avoir facilité cette explosion. Le tore situé en bas de l’enceinte de confinement (wet well) a pour finalité de condenser la vapeur d’eau qui se serait rassemblée dans l’enceinte. Ce faisant, en faisant chuter la concentration en vapeur d’eau du mélange hydrogène - vapeur d’eau, il  améliore les conditions d’explosivité de l’hydrogène.
     Quant au réacteur numéro 4, qui avait la chance d’être déchargé, sa piscine contenait:
     1 - le coeur fraîchement déchargé, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’un renouvellement par tiers: un tiers avec un an de combustion, en second tiers avec deux ans de combustion et un troisième tiers avec trois ans de combustion... et les produits de fission correspondants.
suite:
     2 - les éléments combustibles neufs pour renouveler le tiers «sortant»
     3 - le coeur précédent en cours de refroidissement
     Tout cela faisait beaucoup de monde et le manque de refroidissement a conduit à un incendie dévastateur dont le résultat est bien visible sur les photos.

Qu’en est-il aujourd’hui?
     Tout d’abord, de l’eau douce a été substituée à l’eau de mer, avec l’espoir que les dépôts de sel voudront bien se dissoudre.
     Puis les «secouristes» continuent à alimenter abondamment en eau les piscines, ce qui donne à penser qu’elles fuient.
     D’après les communiqués de Tepco ou des officiels japonais, ils parviennent à envoyer de l’eau dans l’enceinte de confinement et/ou dans la cuve du réacteur. Là aussi, le niveau reste quasi stable. Mais si on se souvient bien des problèmes de baignoire de notre jeunesse, si le robinet de remplissage est ouvert et si la baignoire ne déborde pas, c’est que la bonde est ouverte!
     Dans un communiqué Tepco nous indique qu’ils ont envoyé dans le n°1 10.000 m3 d’eau, pour un volume de la cuve de l’ordre de 300 m33 et un volume d’enceinte de confinement de l’ordre de 7.000 m3... 
     Ceci expliquerait les quantités énormes d’eau se trouvant dans les locaux des groupes turbo alternateurs

Quels sont les niveaux de fusion des coeurs? 
     Les chiffres «officiels» qui circulent sont des approximations «au doigt mouillé» compte tenu de la perte de la quasi-totalité de l’instrumentation des réacteurs. A TMI, on n’a pu avoir une idée précise du niveau de fusion qu’environ 6 ans après l’accident.


Niveau d'eau dans le réacteur n°1
de la centrale de Fukushima

     Le rapport du 11 mai est assez éloquent sur ce sujet: il a fallu attendre l’entrée de travailleurs dans le réacteur 1 pour apprendre que les jauges de niveau d’eau ne donnaient pas de bonnes valeurs depuis le 11 mars. En conséquence il est à peu près certain que le combustible a fondu et qu’il est probablement sorti partiellement de la cuve du n°1.
     Mais, il semble surtout que les autres coeurs ne soient pas totalement calmés. Dans un premier temps, on a appris que des bouffées de neutrons avaient été détectées à la limite du périmètre de sécurité du site. Plus récemment, on a également appris que de l’iode131 était de nouveau mesurée dans l’environnement. Plus d’un mois après l’arrêt des réactions en chaîne, trouver des radioéléments de période courte semble aussi signifier que, de temps à autre, un coeur, ou du moins le magma informe qui en reste, se retrouve dans une configuration critique, diverge, et en raison du dégagement d’énergie se disperse suffisamment pour redevenir sous-critique.
     Ceci provoquerait, en plus des bouffées de neutrons, des rejets de produits de fission de courte période.
     Il y a une autre hypothèse pour les bouffées de neutrons. Le réacteur numéro 4 était arrêté, en phase de rechargement. Sa piscine combustible contenait un coeur en cours de refroidissement, le coeur qui venait d’être déchargé et le combustible neuf destiné à remplacer le tiers arrivé en fin de course. Le contenu de cette piscine qui dégageait une puissance thermique colossale, a joyeusement pris feu, détruisant sa structure mécanique destinée à assurer des conditions de stockage du combustible neuf dans une géométrie sous critique ... Les bouffées de neutrons détectées à la limite du site, les neutrons ont la mauvaise habitude de se livrer à de facétieuses réflexions sur l’air qui produisent ce que les spécialistes appellent l’effet de ciel, ainsi que l’iode 131 détecté récemment, semblent bien signer ces bouffées de criticité survenant deux mois après le début de l’anecdote. Je tiens compte de la remarque de Claude Allègre qui rappelle dans son récent ouvrage: «Faut-il avoir peur du nucléaire?»: "le goût du sensationnel n’autorise pas à massacrer la langue française! Il faut savoir distinguer entre incident, accident, catastrophe et désastre".
     Et vous verrez dans le témoignage de Mr Hirahi Norio que, au Japon, on parle de «phénomène», en japonais bien sûr, ce qui est la même chose sûrement que nos «événement» pour éviter le mot «incident».

p.5

Témoignage de Mr Hirahi NORIO technicien chaudronnier japonais
rédigé en en 1996 (mort du cancer en 1997)
Traduit du japonais par Tomomi Dufils (avril 2011)

A noter que ce témoignage est également disponible en .doc


     Je ne suis pas militant contre les centrales nucléaires
     J’ai travaillé pendant 20 ans dans des centrales nucléaires. Il y a toujours des polémiques sur les centrales nucléaires où les personnes disent qu’ils sont pour ou contre, ou alors que c’est dangereux ou pas. 
     Mais aujourd’hui, je veux simplement vous raconter ce qui se passe dans les centrales. Vous allez comprendre qu’il y a une grande différence entre la réalité et l’idée que vous en avez. Vous allez en même temps découvrir que les centrales nucléaires irradient (contaminent) tous les jours de plus en plus de personnes et sont à l’origine de discriminations.
     Vous allez certainement découvrir des choses que vous n’avez jamais entendues. S’il vous plaît, lisez mes textes jusqu’à la fin et réfléchissez par vous-même. Quand on parle des centrales nucléaires, beaucoup de gens parlent du plan de construction. Mais personne ne parle des travaux effectués. Sans connaître le chantier, on ne peut pas savoir la réalité des centrales. 
     J’ai fait ma formation de tuyauteur dans les ensembles industriels et les grandes usines chimiques. J’ai été embauché pour construire (participer à la construction des) les centrales nucléaires à la fin de mes vingtièmes années, puis j’ai longtemps travaillé comme chef de chantier. Je connais presque tout sur les centrales nucléaires, plus qu’un simple employé ne pourrait jamais savoir.

La sécurité, une perspective chimérique
     L’année dernière, le 17 Janvier 1995, il y eut un grand tremblement de terre à Kobé. Et le peuple japonais a commencé à s’inquiéter si les tremblements de terre ne présentaient pas de danger pour les centrales nucléaires japonaises. Résisteront-elles vraiment contre tous les tremblements de terre? Ce n’est pas du tout sûr. Le gouvernement et les compagnies d’électricité soulignent que les centrales sont bien conçues et construites sur des sols bien stables. Mais c’est une perspective chimérique. 
Le lendemain du séisme, je me suis rendu à Kobé. Les nombreuses relations entre les dégâts à Kobé et la problématique des centrales nucléaires m’ont dérouté. Jusqu’à ce jour, qui avait imaginé que les rails du Shinkansen et les poteaux de l’autoroute pourraient tomber?
     En général, nous imaginons que les constructions des centrales nucléaires, du Shinkansen ou des autoroutes sont soumises à des contrôles rigoureux de l’administration. Mais à Kobé, nous avons découvert des coffrages laissés dans les poteaux en béton du Shinkansen. Les armatures de l’autoroute avaient été mal soudées: (elles avaient été collées par le métal de la soudure, mais les bords de l’armature eux-mêmes n’avaient pas été fusionnés). Elles ont toutes été disloquées avec le séisme.
     Pourquoi une telle chose s’est-elle produite? Parce qu’on a accordé trop d’importance au plan, au bureau, mais on a négligé la surveillance sur le chantier. Si ce ne fut pas la cause directe, on peut dire que cette négligence a provoqué l’ampleur de la catastrophe.

Les centrales nucléaires construites par des gens sans qualification
     Comme pour les constructions de Kobé, il y a aussi trop d’erreurs humaines dans les centrales nucléaires. Par exemple, connecter des tuyaux en laissant des outils à l’intérieur. Il n’y a pas beaucoup d’ouvriers très compétents. Ils n’arrivent pas à suivre parfaitement un plan de construction bien conçu. Ce plan idéal part de l’idée que ce sont des ouvriers experts qui le réalisent, mais nous ne nous sommes jamais posé des questions sur la qualité des ouvriers et leurs conditions de travail.

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     Pour les centrales nucléaires comme pour les autres chantiers, la main-d’oeuvre et même les inspecteurs sont constitués par des gens sans qualification suffisante. C’est compréhensible qu’un grave accident se produise dans les centrales nucléaires, les Shinkansen ou sur les autoroutes. 
La conception du plan des centrales nucléaires est bien faite. Il y a de nombreuses mesures de protection et de secours de prises. S’il y a quelque chose qui fonctionne mal, ça s’arrête comme il faut. Mais ce n’est qu’au niveau du plan. Les travaux de construction mal faits fragilisent ce plan.
     Par exemple, pour construire une maison, même si le plan est dessiné par un dessinateur de première qualité, si elle est construite par des charpentiers et des plâtriers qui ne sont pas compétents, on aura des fuites d’eau et des cloisons mal installées. Malheureusement cette maison ce sont les centrales nucléaires japonaises.
     Avant, il y avait toujours un contremaître qu’on appelle «Boushin» pour superviser les travaux. Il avait encore plus d’expérience que le chef de chantier qui était moins âgé que lui. Le Boushin était fier de son travail et il considérait l’accident et la négligence comme une honte. Il savait bien sûr la dangerosité de l’accident.
     Depuis environ 10 ans, il n’y a plus de manœuvres compétents. On ne demande aucune expérience au moment du recrutement. Les ouvriers sans compétence ne savent pas le danger de l’accident. Ils ne savent même pas quels sont les travaux non réglementaires et mal faits. C’est la réalité des centrales nucléaires japonaises.
     Par exemple à la centrale de Fukushima de TEPCO, nous avons démarré la centrale en laissant un bout de fil de fer et on a échappé de peu à un grave accident qui aurait pu avoir une répercussion sur le monde entier. L’ouvrier savait qu’il avait fait tomber ce fil de fer mais il ne savait pas à quel point la conséquence de son acte était dangereuse. Dans ce sens, une centrale nucléaire toute neuve construite par ces gens incompétents est aussi bien dangereuse qu’une vieille centrale. 
    Depuis qu’il n’y a plus beaucoup d’ouvriers compétents, on a standardisé la construction des centrales. Ça veut dire qu’ils ne regardent plus le plan mais ils montent simplement des pièces préfabriquées en usine, en assemblant la pièce numéro1 avec la pièce numéro2 comme dans un jeu de dominos. Alors ils ne savent plus ce qu’ils sont en train de construire et à quel point ces travaux doivent être précis. C’est une des raisons pour lesquelles le nombre d’accidents et de pannes augmente dans les centrales nucléaires. 
     Dans la centrale nucléaire, il y a aussi le problème de l’irradiation qui empêche de former les successeurs. Quand on travaille dans la centrale nucléaire, il fait très sombre et chaud et avec la protection, c’est impossible de parler. Alors les ouvriers se communiquent par gestes. Comment peuvent-ils dans ces conditions transmettre leurs savoir faire?  En plus, on envoie d’abord les gens compétents travailler et ils s’exposent très vite à la quantité de radioactivité annuelle autorisée et ne peuvent plus travailler, ça accentue encore l’incompétence des ouvriers.
     Par exemple pour les soudeurs, ils fatiguent leurs yeux en travaillant. Après 30 ans, ils ne peuvent plus faire de travaux précis et ils ne trouvent plus d’embauche dans la pétrochimie. Et c’est comme ça qu’ils arrivent aux centrales nucléaires.
     Vous avez peut-être une fausse image comme quoi les centrales nucléaires sont quelque chose de très sophistiquées. Mais ce n’est pas une construction aussi sûre qu’on l’imagine.
     Je pense que vous avez bien compris pourquoi les centrales nucléaires sont construites par des gens incompétents et que ça ira de pire en pire.
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Les contrôles et les inspecteurs d’apparence
     Vous pensez peut-être que les contrôles rigoureux évitent des problèmes même si les ouvriers des chantiers ne sont pas assez compétents. Mais ces systèmes de contrôle sont encore problématiques. Pour les contrôles japonais, les inspecteurs viennent vérifier la construction déjà achevée. C’est la raison pour laquelle ça ne marche pas. Il faut venir regarder les travaux en cours, sur place. 
     Les inspecteurs doivent être spécialistes de la soudure s’ils sont les inspecteurs pour la soudure. Et ils doivent être capables de montrer le travail correct aux manœuvres, en disant : Non, il ne faut pas faire comme ça. Regardez comment je fais. S’ils ne savent pas comment faire les travaux, comment ils peuvent faire des contrôles corrects? En l’état actuel, ils auditionnent l’entreprise qui a commandé la construction et celle qui l’effectue, et ils leur demandent de fournir les papiers nécessaires. Voilà le système de l’inspection aujourd’hui.
     Il y a quelques années, on a eu très souvent des accidents dans les centrales nucléaires. Alors le gouvernement a décidé d’envoyer des conseillers de  sécurité spécialisés dans chaque centrale nucléaire pour donner l’autorisation du démarrage après la construction ou du redémarrage après les contrôles réguliers. Je savais que ces conseillers ne connaissaient pas grand-chose du nucléaire mais je n’imaginais pas à quel point.
     Quand j’ai fait une conférence à Mito, il y a un homme du Ministère de la science et la technologie qui s’est présenté en public en disant: «Je me sens tellement mal à l’aise d’avouer ce fait, mais je ne connais rien du nucléaire», et il a continué: «De peur d’être irradiés, les inspecteurs n’ont pas voulu travailler dans les centrales en marche. Comme on vient de supprimer des places dans le ministère de l’agriculture avec le remaniement gouvernemental, ils ont envoyé des fonctionnaires qui donnaient des conseils aux éleveurs du ver à soie, sans aucune formation. Voilà pourquoi les conseillers qui n’y connaissent rien du tout, donnent l’autorisation du démarrage dans toutes les centrales. Le conseiller de la centrale de Mihama contrôlait la qualité du riz, il y a encore 3 mois
     Cet homme a raconté une telle histoire en donnant les noms de ces conseillers. Est-ce que vous pouvez avoir confiance en l’autorisation de démarrage accordée par tous ces gens qui ne connaissent rien?
     Quand il y a eu un grave accident dans la centrale de Fukushima de TEPCO qui a entraîné le démarrage du système de refroidissement de secours, le quotidien Yomiuri a publié un article «le conseiller spécialisé n’a pas pu participer à l’équipe de la centrale». Effectivement c’était le journal qui lui a appris la nouvelle de ce grave accident le lendemain matin. Pourquoi le conseiller n’était au courant de rien? Parce que tous les gens de TEPCO savaient qu’il n’y connaissait rien du tout. Dans la pagaille totale, ils n’avaient pas le temps de lui expliquer de A jusqu’à Z. Donc l’équipe ne lui a même pas demandé de venir sur place. 
     Au-dessous de ces fonctionnaires irresponsables du ministère, dans la hiérarchie nucléaire, il y a le service de l’inspection nucléaire. Ce sont des gens du Ministère du Commerce et de l’Industrie qui ont pris leur retraite et sont embauchés dans ce service. Ils occupent des postes importants et enrichissent le service en demandant des contrats à des anciens subordonnés. Ils n’ont jamais travaillé dans ce domaine. Ils possèdent tous les pouvoirs sur l’inspection de la centrale nucléaire et on ne peut rien faire sans leur autorisation bien qu’ils n’y connaissent rien. Ils viennent au contrôle, mais bien sûr, ils ne font que regarder. Malheureusement, ils ont quand même un pouvoir colossal. Encore au-dessous de la hiérarchie, il y a les compagnies d’électricité et les trois fabricants de réacteurs nucléaires qui suivent: Hitachi, Toshiba et Mitsubishi. Moi, j’ai travaillé chez Hitachi. Après les fabricants, il y a encore des sous-traitants de la construction dont j’ai parlé tout à l’heure. ça veut dire qu’au dessus des fabricants, ils ne sont pas compétents et au dessous des fabricants non plus, il n’y a pas beaucoup de gens compétents. C’est aussi pour cela que les compagnies d’électricité ne peuvent pas expliquer les détails au moment des accidents. 
     Je disais toujours, avant et après ma retraite, qu’il faut que ce soient des organismes compétents et indépendants qui s’occupent de l’inspection mais non pas des entreprises nationalisées ou des services où les anciens fonctionnaires du ministère travaillent. Et indépendants de l’influence du Ministère du Commerce et de l’Industrie qui préconise l’installation des centrales nucléaires. Je revendiquais toujours des conseillers qui ont de l’expérience et des inspecteurs qui contrôlent et expliquent sur le chantier pour trouver des mauvaises soudures ou des travaux mal faits. Mais jusqu’à aujourd’hui, rien n’a changé. Vous voyez à quel point les centrales nucléaires japonaises sont administrées avec irresponsabilité et approximation!
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Le plan antisismique bâclé
     Après le grand séisme de Kobé, on a très vite vérifié le plan antisismique de toutes les centrales nucléaires du Japon. Le résultat absurde publié en Septembre 1995 disait que toutes les centrales résisteront aux tremblements de terre de n’importe quel niveau. Au moins pour celles dont je me suis occupé pour mon travail, les premières centrales nucléaires on n’avait pas prévu le grand tremblement de terre. C’est aberrant de confondre les nouvelles et les vieilles centrales pour leur résistance contre les tremblements de terre, en disant de n’importe quel niveau.
     En 1993 quand il y a eu le séisme de degré 4, la centrale numéro 1 d’Onagawa s’est arrêtée automatiquement suite à l’augmentation subite de la puissance. C’était un accident très grave. Très grave parce que la centrale qui a été construite en 1984 pour que ça s’arrête à un degré de sismicité 5 s’est arrêtée avant d’atteindre le niveau. C’est comme si le blocage du frein a arrêté la voiture subitement sur l’autoroute sans appuyer sur le frein. Tohoku EPC ne reconnaît pas la gravité de la chose en disant «tant mieux si ça s’est arrêté». Mais l’affaire n’est pas si simple. Si l’arrêt s’est effectué au degré 4 bien qu’il avait été conçu pour que ça s’arrête au degré 5, on ne peut pas nier la possibilité que ça ne s’arrête pas au degré 5. C’est un signe qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas comme prévu. 
     La centrale de Fukushima s’est arrêtée également d’une façon imprévisible au moment du séisme en 1987. Au Japon, il y a 10 centrales qui sont du même modèle. C’est vraiment terrifiant quand on pense au danger que les tremblements de terre présentent vis-à-vis des centrales nucléaires.

     Le contrôle régulier est fait également par les gens incompétents
    On arrête à peu près tous les ans les réacteurs pour procéder au contrôle régulier. Dans le réacteur nucléaire, la pression de l’eau chaude et de la vapeur monte de 70 à 150 atmosphères, mais ce n’est pas une simple eau chaude car la température monte jusqu’à 300 degrés, elle circule très vite et use les tuyauteries. Au moment du contrôle régulier, on ne peut pas éviter la nécessité de changer des tuyaux et des soupapes qui sont parfois usés jusqu’à mi-épaisseur. Mais l’irradiation accompagne inéluctablement cette procédure.
     Le démarrage du réacteur émet plein de radioactivité et de radiations. Les gens qui y travaillent subissent des radiations. Avant de se rendre auprès du réacteur, ils se déshabillent et se mettent en combinaison de protection. Peut-être vous imaginez que cette combinaison protège le corps de la radioactivité mais en réalité, ce n’est pas le cas. La preuve, on place le ra diamètre, sous la combinaison, sur le gilet. La combinaison de protection est un simple vêtement de travail qui sert à ne pas emporter la radioactivité à l’extérieur mais il ne protège pas les manoeuvres de l’irradiation. Donc après le travail, les manoeuvres doivent se mettre en slip pour vérifier s’ils ne sont pas contaminés. Si la radioactivité reste uniquement sur la peau, c’est ce qu’on appelle la contamination externe, on peut l’enlever presque entièrement avec la douche. Ils se lavent minutieusement jusqu’à ce qu’ils ne soient plus radioactifs avant de sortir de la zone.
     Les manoeuvres mettent aussi des chaussures qui ont été préparées par l’entreprise mais on n’est pas sûr de trouver la bonne taille. Alors, leurs pas sont mal assurés. En plus ils doivent mettre un masque qui couvre la tête. Ils travaillent avec ces combinaisons et l’angoisse de la radioactivité. Pratiquement, personne ne peut faire de bon travail avec  cet équipement. C’est complètement différent d’un chantier normal.
     En plus, plus que 95% des personnes qui s’occupent de ce travail n’ont aucune expérience. Ce sont des agriculteurs et des pêcheurs désoeuvrés en dehors de la saison. Ces gens qui n’ont pas d’expérience travaillent sans savoir le danger que ça représente.
     Par exemple, pour serrer une cheville avec un écrou, on dit au manœuvre «serrez la en diagonale, sinon ça fuit.». L’opération se déroule dans une zone de radiations contrôlées, un endroit très dangereux plein de rayonnements. Les manoeuvres amènent le radiamètre. Mais comme la quantité de radiations varie d’une pièce à l’autre, la durée du temps acceptable en minutes  change chaque fois.
     Avant de rentrer au chantier, on explique aux ouvriers le travail d’aujourd’hui et la durée de ce travail décidée en fonction de la quantité autorisée journalière d’irradiation. S’ils vont travailler au chantier où on peut rester 20 minutes, on leur donne une minuterie qui sonne au bout de 20 minutes en disant «Vous devez sortir quand ça sonne.». Mais ils ne sont pas munis d’une montre car elle serait polluée par la radioactivité. Ils doivent donc (sans cess) deviner le temps restant. C’est comme ça qu’on les envoie au travail. 
     Là-bas, ils n’arrivent pas à se concentrer pour serrer la cheville car ils se demandent toujours combien de temps est déjà passé. Est ce que c’est 10 minutes? Ou peut-être déjà 15 minutes? Ils ont très peur de l’alarme de la minuterie, ça les fait plus que sursauter. Le bruit de l’alarme est assez fort pour rendre tout pâle quelqu’un qui ne l’a jamais entendue. Quand ça sonne, ils ont déjà reçu une irradiation équivalente à des dizaines de radiographies. C’est bien normal qu’ils ne puissent pas fournir des prestations assez correctes comme tout simplement serrer des chevilles en diagonale. Pouvez-vous imaginer les conséquences?

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Le déversement de radioactivité dans la mer
     Le contrôle régulier se fait souvent en hiver. Mais à la fin du contrôle, on verse dans la mer des tonnes d’eau contaminée par la radioactivité. Honnêtement, il n’y a pas beaucoup de poissons pêchés en bordure des îles nipponnes que l’on peut manger sans craindre le risque de la contamination radioactive. La mer du Japon est déjà contaminée par la radioactivité.
     Ce n’est pas uniquement au moment du contrôle régulier que l’on effectue le rejet d’eau irradiée dans la mer. Pour baisser la température que la centrale dégage, au Japon, on utilise l’eau de la mer. Elle devient de l’eau chaude qui contient de la radioactivité. Ainsi on rejette des tonnes d’eau par minute à la mer. 
     Même s’il y a des accidents dans les centrales nucléaires, les états déclarent immédiatement qu’il y n’a aucun problème. D’ailleurs, les compagnies d’électricité essayent de les cacher. Avec la population japonaise très peu sensible à ce sujet, la mer du Japon se pollue sans cesse. On lave d’abord les vêtements de protection couverts de radioactivité à l’eau. On la déverse également dans la mer. La quantité de la radiation mesurée à l’orifice d’évacuation est très élevée. Savez-vous que des sites d’élevage de poisson se trouvent à proximité? Ainsi, les gens qui cherchent la nourriture de bonne qualité doivent être intéressés par la sûreté des centrales nucléaires. Si on n’agit pas tout de suite, on ne pourra plus trouver de poissons qui ne sont pas contaminés. 
     Il y a quelques années, à l ‘exposé du procès qui demandait l’arrêt de la centrale de Shiga dans la préfecture de Ishikawa, une vieille colporteuse de 80 années toute déconcertée, a raconté cette histoire. «Je ne connaissais rien de la centrale nucléaire jusqu’à maintenant. Mais aujourd’hui, une jeune dame qui était toujours fidèle a refusé mes algues. Elle m’a dit: «Je suis désolée, mais je ne peux plus acheter vos algues. La centrale de Shiga a démarré aujourd’hui. Je ne connaissais rien au nucléaire, mais maintenant je sais ce que c’est. Qu’est ce que je vais devenir alors?» Même aujourd’hui, on continue de polluer la mer du Japon sans que vous le sachiez.

Le plus horrible, c’est l’irradiation interne (la contamination)
     Dans le bâtiment de la centrale, tout devient radioactif et émet des radiations. Parce que les radiations peuvent traverser même une paroi de fer d’une grande épaisseur. Les radioéléments qu’on reçoit sur la peau: la contamination externe c’est horrible, mais le pire c’est la contamination interne.
     Par exemple, la poussière. Une simple poussière qui se trouve n’importe où devient radioactive dans une centrale nucléaire à cause de la radioactivité qu’elle reçoit. Le fait d’inspirer cette poussière radioactive par le nez ou la bouche, c’est de la contamination interne. En faisant le nettoyage dans la centrale, on est exposé le plus, au danger de la contamination interne. Avec cette contamination interne, on reçoit les radiations de l’intérieur du corps c’est beaucoup plus dangereux que l’irradiation externe, car le corps est en contact direct avec la source des radiations.
Les radioéléments sont évacués du corps au bout de environ 3 jours par la voie transpiratoire et urinaire. Mais pendant ces 3 jours, ils restent dans le corps. En plus, quand on parle d’élimination, c’est un langage humain, il en reste toujours un peu, et ça c’est très dangereux. Même si ce sont des petites quantités à la fois, elles s’accumulent dans le corps.
     Vous devez le savoir, si vous avez déjà visité une centrale nucléaire, c’est très bien nettoyé où il y a des accès au public. Peut-être le guide vous a même vanté «regardez, comme c’est propre.». Mais c’est bien normal. Ça serait dangereux s’il y avait de la poussière radioactive dans l’air.
     Moi, j’ai développé un cancer à cause de la contamination interne que j’ai reçue plus que cent fois. Quand le docteur m’a diagnostiqué un cancer, j’avais très peur. Mais je me suis rappelé ce que ma mère disait toujours «rien est plus grand que la mort.» ça m’a donné envie de faire quelque chose. Alors, j’ai décidé de mettre au jour tout ce que je connais des centrales nucléaires.
Rien à voir avec le chantier normal
     La radioactivité s’accumule. Même si ce sont des petites quantités, si vous travaillez 10 ans dans une centrale, vous accumulez la radioactivité de 10 ans et c’est très dangereux. Le règlement pris par le gouvernement exige de ne pas dépasser la limite de 50 millisieverts (mSv) par an. Cela veut dire que l’on peut tout faire si on respecte cette limitation.

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     Par exemple, les travaux au moment du contrôle régulier demandent environ 3 mois. Donc on divise la limite de 50 mSv par cette durée des travaux pour avoir la limite autorisée journalière. Mais, dans un endroit où il y a beaucoup de radiations, on ne peut travailler que 5 à 7 minutes par jour. On ne peut pas faire grand chose avec si peu de temps. Alors on rassemble les temps de travail sur 3 jours ou une semaine afin de travailler 10 ou 20 minutes de suite, bien que ce soit une méthode inadmissible. Au moins, si les ouvriers savaient qu’il y a un grand risque de leucémie ou du cancer... Mais les compagnies d’électricité n’avertissent personne de ces risques. 
     Une fois, une grande vis qui se trouvait sur le réacteur s’est desserrée quand la centrale nucléaire était en plein fonctionnement. Comme la centrale émet une colossale quantité de radioactivité en état de marche, on a préparé 30 personnes pour serrer une seule vis. Ils ont fait la queue devant la porte. Ils devaient courir jusqu’à la vis qui se situait à environ 7 mètres de là. Après 3 secondes, l’alarme sonnait. Il y avait même des ouvriers qui ont passé tout leur temps ouvrable en cherchant la clé. Finalement, ça a coûté 4 millions de yens, l’équivalent de salaire de 160 personnes, pour faire uniquement quelques tours de vis.
     Vous vous demandez peut-être pourquoi on n’a pas arrêté la centrale pour serrer la vis. Mais la compagnie d’électricité veut l’éviter autant que possible car l’arrêt d’une journée de la centrale lui cause des milliards de perte. La radioactivité est quelque chose de très dangereux, mais pour l’entreprise, l’intérêt financier passe avant la sécurité  humaine.

Le lavage de cerveau «absolument sûr» qui dure 5 heures
     Les gens qui travaillent où il y a de la radioactivité s’appellent les ouvriers nucléaires. Au Japon, 270.000 personnes ont déjà travaillé comme ouvriers nucléaires, dont la plupart dans les centrales nucléaires. Ainsi, 90.000 personnes y travaillent aujourd’hui. Tous ces gens assurent le fonctionnement des centrales nucléaires, comme le contrôle régulier qui a le lieu une fois par an, en subissant de la radioactivité.
     Avant de commencer à travailler dans les centrales nucléaires, on donne aux ouvriers 5 heures de cours de formation sur la sécurité face aux radiations. Le but de ces cours est tout d’abord d’atténuer leur angoisse. On ne leur dit jamais qu’il y a des dangers. L’Etat surveille la quantité de la radioactivité et donc il n’y a pas de danger, «les anti-nucléaires parlent du risque de cancer et de la leucémie à cause de la radioactivité mais ce sont que des gros mensonges, si on respecte bien les normes imposées par le gouvernement il n’y a aucun problème.» Un tel lavage de cerveau dure 5 heures. 
     Les compagnies d’électricité procèdent à ce lavage de cerveau également avec les gens qui habitent à côté des centrales. Elles font venir les personnes connues pour faire des conférences, elles donnent des cours de cuisine, ou insèrent des encarts publicitaires imprimés en couleur dans les journaux. Peut-être les accidents dans les centrales angoissent les habitants, mais grâce à toutes ces propagandes de l’Agence de sécurité nucléaire, ils ne peuvent pas penser autrement que «nous ne pouvons pas nous passer du nucléaire pour avoir suffisamment d’électricité.» 
    Moi-même, pendant presque 20 ans en tant que responsable de terrain, j’ai procédé au lavage des cerveaux, une plus grande manipulation mentale que celles d’Asahara et d’Oume, vis à vis des ouvriers. Je ne sais pas combien de personnes j’ai tué. Il y a des gens qui me demandent si les ouvriers ne sont pas inquiets. Mais comme ils ne sont pas avertis des dangers de la radioactivité ou de la contamination, la plupart ne sont pas inquiets. Ils ne pensent même pas que c’est à cause de leur travail dans les centrales, quand ils tombent malades. Tous les ouvriers sont irradiés quotidiennement. Le travail des responsables consiste de cacher cette réalité à ceux-ci et à l’extérieur de la centrale. Si les ouvriers ou même n’importe qui s’inquiète du problème de l’irradiation, vous n’êtes pas digne d’être responsable sur place. Ainsi, sont les conditions de travail dans les centrales nucléaires.
     J’ai exercé un tel travail longtemps. Il m’arrivait souvent que je ne pouvais plus le supporter sans aide de l’alcool et j’en buvais de plus en plus. Ainsi, je me posais souvent des questions. Pourquoi, et pour qui, il faut vivre des jours plein de mensonges? Au bout de 20 ans, je me suis aperçu que mon corps lui-même était déjà gravement détruit par les radiations.

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Qui va sauver les ouvriers du nucléaire?
     Une fois, dans la centrale de Fukushima de TEPCO, un ouvrier s’est blessé gravement le front avec un polissoir automatique. Comme il saignait beaucoup, on a appelé l’ambulance pour l’emporter à l’hôpital de toute urgence. Pourtant, ce blessé était plein de radioactivité. TEPCO s’est tellement précipité qu’ils ne lui ont pas ôté ses combinaisons de protection et ne l’ont pas lavé à l’eau. Les secouristes connaissant peu de la contamination radioactive, alors ils l’ont fait entrer dans l’hôpital sans enlever la radioactivité. Les secouristes ont été contaminés, l’ambulance a été contaminée, le docteur et les infirmières ont été contaminés, et les clients de l’hôpital ont été contaminés, et ils sont sortis de l’hôpital avec de la radioactivité... Cet événement a pris une telle ampleur qu’il a mis une ville entière dans la panique. Ils voulaient tout simplement sauver un homme qui portait une grande blessure. Mais comme la radioactivité ne se voit pas, personne n’a eu le temps de penser à la contamination radioactive. 
     Avec une seule personne, c’était déjà une grande panique. Si un grand nombre d’habitants devenait contaminé par la radioactivité à cause d’un grave accident, qu’est ce que ça pourrait donner? Pouvez-vous l’imaginer? Vous devez vous sentir concerné. Il s’agit de tout le monde au Japon.

L’accident de la centrale Mihama a été une mauvaise surprise
     J’ignore si vous ne le savez pas ou si vous n’êtes pas simplement intéressés, mais les centrales nucléaires japonaises ont déjà connu plusieurs accidents qui doivent faire peur à tout le monde. Ils pourraient être équivalents à ceux de Three Mile Island et de Tchernobyl. Par exemple, en 1989 dans la centrale de Fukushima Daï ni, la pompe de recyclage a volé en éclats. C’était un accident qui n’était jamais été arrivé dans le monde jusqu’à alors.
Ainsi, l’accident de la centrale de Mihama de La compagnie de l’électricité du Kansai en 1991, avec l’éclatement d’une canalisation, a été un accident très grave. Il a rejeté une énorme quantité de radioactivité directement dans l’air et dans la mer.
     L’accident de Tchernobyl ne m’a pas beaucoup surpris. En construisant des centrales nucléaires, je savais qu’on ne peut pas éviter une telle catastrophe. «Par hasard, c’est arrivé à Tchernobyl. Par hasard, ce n’est pas arrivé au Japon: «c’est ce que j’ai pensé». Mais au moment de l’accident de Mihama, la peur a fait flageoler mes jambes et je ne pouvais pas me lever de ma chaise.
     On peut dire que cet accident a été très grave car on a dû démarrer le système de refroidissement de secours à la main. Ce système de refroidissement est le dernier rempart pour protéger la sécurité de la centrale nucléaire. Si ce système ne marche pas, il ne reste plus rien à faire. Cet accident où il a fallu utiliser le système de refroidissement de secours est pour moi comme un autocar qui roule à 100km par heure sur l’autoroute avec 120 millions personnes à bord, dont le frein de service ne fonctionne pas, ni le frein à main, et enfin on a réussi à l’arrêter en le précipitant contre le rocher.
     Au moment de l’accident, l’eau radioactive qui se trouvait dans le réacteur s’est échappée dans la mer et l’on était quasiment avec le coeur à sec. Toutes les soupapes de sécurité, autrement dit les innombrables mesures de précautions dont le Japon était fier, n’ont pas donné suffisamment d’effet et un autre Tchernobyl aurait pu se produire à 0,7 seconde près. Heureusement, un ouvrier expérimenté était là, bien que c’était le samedi. Le système d’arrêt automatique n’ayant pas fonctionné, c’est lui qui a jugé la gravité de la situation et arrêté manuellement le réacteur. Ainsi, on a échappé de justesse à un grave accident qui aurait pu concerner le monde entier. On peut dire que tous les Japonais, ou même, tous les hommes du monde ont eu vraiment de la chance ce jour-là.
     Cet accident a été causé par une mauvaise installation d’une des entretoises qui sert à tenir les milliers de tuyaux d’un diamètre de 2mm pour qu’ils ne se touchent pas à cause de la vibration. C’était un défaut de construction. Cet accident a en même temps dévoilé l’incertitude des contrôles systématiques, car personne n’a remarqué cette mauvaise installation pendant plus de 20 ans. On s’est également aperçu que les ouvriers du chantier pratiquaient des choses que le concepteur n’aurait jamais pu imaginer comme : si c’est trop long, on le coupe et si c’est trop court, on l’allonge.

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L’accident de Monju
     Le 8 décembre 1995 à Kouga du département de Fukui, il y a eu un accident grave: une fuite de sodium dans le surrégénérateur de Monju, du Centre de recherche des réacteurs et des combustibles nucléaires. Cela faisait déjà plusieurs fois qu’on avait des accidents à Monju. D’ailleurs, on m’a appelé au chantier de Monju, 6 fois, car mes anciens subordonnés y sont devenus directeurs ou superviseurs ou ouvriers de la construction de Monju et ils m’appelaient chaque fois qu’ils avaient des problèmes. À l’époque, j’avais déjà pris ma retraite, mais je ne pouvais pas laisser tomber, car je savais que même un seul accident est inacceptable dans les centrales nucléaires. 
     Un jour, on m’a demandé de venir au chantier de Monju, car ils n’arrivaient pas à emboîter les tuyaux. En arrivant, j’ai bien constaté que tous les tuyaux qui sont préfabriqués comme ceux qui sont faits sur commande étaient de la bonne taille et installés en respectant le plan.  Mais ils ne pouvaient tout de même pas les emboîter. J’ai beaucoup réfléchi, mais je n’arrivais pas à trouver la cause. En cherchant toute la nuit, j’ai enfin compris. Monju était construit par plusieurs fabricants comme Hitachi, Toshiba, Mitsubishi et Fuji. Et chaque fabricant employait des normes de plan différentes.
     Pour dessiner les plans, chez Hitachi où j’ai travaillé, on respectait les cotes à 0,5mm. Mais chez Toshiba et Mitsubishi, on arrondissait à la valeur supérieure. Et chez Nihongenken on arrondissait à la valeur inférieure. Ce n’est que 0,5mm, mais quand il y a 100 fois, ça fait une grande différence. C’est pour cela que on ne pouvait pas emboîter les tuyaux bien que tous respectaient le plan.
     Comme ça n’allait pas, on leur a fait refaire des pièces. C’était le prestige du pays qui était en jeu. Pour ça, on ne dépensait jamais trop d’argent.
     Pourquoi une telle chose est arrivée? Parce que chaque entreprise gardait ses savoir-faire et ses propres informations. Ils n’ont pas discuté pour se mettre d’accord sur la façon de traiter ces 0,5mm, pour garder leurs secrets. Je suppose aussi qu’ils n’ont rien discuté sur le thermomètre qui a été la cause directe de l’accident de 1995.
     Dans n’importe quel ensemble industriel, on installe le même type de thermomètre dans les tuyauteries. Mais je n’ai jamais vu de thermomètre qui était aussi long que celui de Monju. Je suis sûr qu’il y avait quelqu’un qui avait remarqué que c’était dangereux au moment de la construction. Mais il n’a rien dit car ce n’était pas son entreprise qui s’en occupait et il n’en était pas responsable.
     Le fabricant du surrégénérateur avait formé une équipe composite comme le Centre de recherche, lui même était une équipe composite des compagnies d’électricité. Dans une condition pareille, l’accident est inéluctable. Je ne vois pas comment ça ne pouvait pas arriver.
     Ce qui est encore incroyable, c’est que le gouvernement ne le reconnaît toujours pas comme un accident bien que ça a été un accident très grave. Il a expliqué que «il y a eu un phénomène» comme pour l’accident de la centrale de Mihama». Peu après l’accident de Monju, j’ai été appelé par le Conseil Général de Fukui. Dans le département, on compte 15 réacteurs nucléaires. Ce sont les députés du parti Libéral-Démocrate qui les ont acceptés et je leur disais toujours «Si il y a un accident, ce sera de votre faute. Ceux qui étaient contre le nucléaire ne sont pas responsables.» Et bien cette fois-ci, ils m’ont demandé conseil en disant «Cette fois, on a décidé de se battre contre le Centre de recherche. On ne peut plus fermer les yeux».
     Je leur ai dit d’abord «C’est un accident. Il ne faut pas se laisser duper par le mot phénomène». À la télévision, au moment du compte-rendu fait par le Centre de recherche au Conseil Général, le porte-parole du Centre a employé le mot «le phénomène de cette fois-ci», et aussitôt un député a crié «Non, c’est un accident!!». Mais, si on n’avait rien dit, le Centre et le gouvernement l’auraient passé comme un simple phénomène. Non seulement les riverains, mais aussi tout le monde doit faire attention à ce mot qui présente les choses à la légère. 
     Les peuples comprennent les choses d’une façon complètement différente quand on dit un accident, ou un phénomène. C’est parce que le gouvernement joue avec les mots que le peuple japonais n’est pas sensible au risque d’accident nucléaire, c’est une tromperie.
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Le plutonium japonais dans les armes nucléaires françaises?
     Le plutonium qu’on utilise dans le surrégénérateur de Monju est extrait, sur  commande du Japon, à partir du recyclage effectué en France. Le recyclage du combustible nucléaire consiste à extraire du plutonium des déchets d’uranium, déjà brûlés dans les centrales. Le plutonium est une matière que l’on peut produire uniquement de manière artificielle.
     À Monju, on utilise environ 1,4 tonnes de plutonium (à la fois dans le réacteur). La bombe de Nagasaki contenait environ 8kg de plutonium. Alors, combien de bombes nucléaires peut-on produire à partir du plutonium de Monju? Le plutonium est une matière très dangereuse qui est capable de provoquer le cancer des poumons à partir de quantités très faibles. Sa demi-vie radioactive est de 24.000 ans, presque l’éternité (pour nous). C’est ainsi que l’on a choisi le mot Pluton: le nom du roi des Enfers, pour sa racine. On a bien raison de le considérer comme la matière la plus dangereuse du monde.
     Mais combien de gens savent qu’il y a une grande probabilité pour que le plutonium japonais ait été utilisé dans les essais nucléaires français effectués dans le Pacifique Sud jusqu’en 1995?  Dans le centre de recyclage français, ils ne distinguent pas le plutonium destiné aux armes nucléaires du plutonium à utiliser dans les centrales. C’est donc quasiment sûr que du plutonium japonais a été utilisé dans les essais nucléaires. 
     C’est la raison pour laquelle le gouvernement japonais ne pouvait pas déclarer ouvertement son opposition contre les essais nucléaires français. Si le Japon voulait arrêter la France, c’était très facile. Il lui suffisait de renoncer au contrat de recyclage. Mais il n’en a rien fait.
     Le marché du recyclage nucléaire prend la deuxième place dans l’ensemble des transactions commerciales entre ces deux pays. À quoi cela sert de crier «non aux essais nucléaires» sans savoir cette réalité? Le Japon avance son statut de seul pays irradié. Mais nous avons certainement contribué indirectement à irradier les habitants de Tahiti et à contaminer l’Océan Pacifique.
     La communauté internationale a déjà abandonné le plutonium. Il n’y a que le Japon qui persiste à essayer de produire de l’électricité avec une matière si dangereuse. Ils essaient maintenant d’utiliser le combustible MOX, (dossiers NEXT-UP/pdf (Fukushima) et Gazette Nucléaire) mélange d’uranium et de plutonium, dans les réacteurs ordinaires. Mais c’est excessivement dangereux, c’est un peu comme brûler de l’essence dans un chauffage à fioul. Les centrales n’ont pas été conçues pour brûler du plutonium. La fission nucléaire du plutonium dégage beaucoup plus d’énergie que celle de l’uranium. C’est pour cette raison qu’on l’utilise pour fabriquer la bombe atomique.
     Le Japon est un pays qui ne possède pas beaucoup de ressources énergétiques naturelles. Mais cela ne justifie pas une telle erreur. Si l’on n’arrête pas les centrales nucléaires, si l’on n’abandonne pas le plutonium, le nombre des gens irradiés va augmenter partout dans le monde.

Le Japon qui n’ose pas interrompre le projet
     Dans le monde, le temps de l’énergie nucléaire est bientôt terminé. En février 1996, les Etats-Unis ont déclaré leur projet de diminuer le nombre de centrales nucléaires américaines de moitié d’ici 2015. Le président a également ordonné d’arrêter l’extraction du plutonium. Il est si redoutable qu’ils ont arrêté même les recherches scientifiques.
     Les Etats-Unis, comme l’Angleterre et l’Allemagne, ont déjà arrêté les centrales surrégénératrices où l’on brûle du plutonium comme celle de Monju.  L’Allemagne a stoppé celle qu’elle avait achevée et a construit un parc de loisir à la place. La plupart des pays ont renoncé car ils ont compris que c’est impossible de produire de l’électricité à partir du plutonium. Le gouvernement japonais doit savoir qu’il a commis une erreur. Mais il n’a pas encore abandonné le plutonium. Il a même annoncé la reprise du projet.
     Pourquoi le Japon n’abandonne pas? Parce que c’est un pays qui n’a pas assez de courage pour interrompre les projets déjà votés. C’est vraiment dangereux, mais je peux vous donner beaucoup d’exemples montrant ce caractère du gouvernement.
     La politique nucléaire du Japon est vraiment mal organisée. Le gouvernement n’a pas réfléchi aux conséquences. Il espérait toujours que la situation s’arrangerait avec le temps. Il était toujours irresponsable dans ses décisions. Des décennies sont déjà passées, et il n’a même pas trouvé de solution pour traiter ses déchets nucléaires.

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     Un autre problème: auparavant, il y avait toujours beaucoup d’étudiants dans le domaine de l’énergie nucléaire. Désormais, les jeunes ne choisissent plus cette spécialité, qui a disparu de presque toutes les universités, comme de l’Université de Tokyo. Les étudiants ne veulent même plus faire de recherche fondamentale dans ce domaine.
     Ainsi les laboratoires de recherche d’Hitachi et Toshiba ont été réduits par trois. Ils se consacrent plus pour la recherche sur les turbines à gaz de la cogénération, des réacteurs plus efficaces pour produire de l’électricité et de l’eau chaude en même temps. Mêmes les fabricants commencent à abandonner le nucléaire.
     Mr Takehisa Shimamura, ancien chef du Centre du nucléaire, a publié un livre intitulé «le sermon du nucléaire». Il y écrit «Le gouvernement japonais s’amuse à justifier ses actes du passé sans réfléchir. Ce n’est pas qu’il n’y a pas assez d’électricité. C’est qu’il possède trop d’uranium et de plutonium inutiles, l’uranium et le plutonium qu’il n’a pas osé refuser. Et maintenant, pour prouver qu’il ne produit pas des armes nucléaires, il construit de plus en plus de centrales, la démonstration de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire». Je pense qu’il décrit très bien la nature de ce pays.

On ne peut ni démonter, ni démolir
     La première centrale nucléaire commerciale au Japon a démarré en 1966 dans la commune de Tokaido, dans le département d’Ibaraki. C’était un réacteur anglais d’une puissance de 160 mégawatts. Depuis, des centrales américaines ont été installées, et le Japon s’est même mis à construire ses propres centrales. Actuellement, 51 centrales nucléaires fonctionnent dans ce petit pays, le plus grand étant de 1350 mégawatts.
     On les a mises en route sans savoir concrètement comment les démonter ni les démolir, ni comment traiter leurs déchets. Le réacteur en acier, bien que d’une grande épaisseur, se fragilise à cause des quantités colossales de radioactivité, on les avait donc construites pour une exploitation de 10 ans, après quoi le démantèlement et la démolition étaient prévus. Mais en 1981, on s’est aperçu que les plans de démantèlement et de démolition de la centrale nucléaire de Fukushima, qui avait alors fonctionné 10 ans, n’étaient pas du tout réalisables. Le Parlement a même discuté sur le fait que ce réacteur ne pouvait plus résister aux rayonnements ionisants.
     À l’époque, j’ai participé aussi à la recherche de solutions. Nous avons tous les jours étudié différents modes de démolition. Mais nous avons seulement compris que, pour démonter et démolir cette centrale nucléaire pleine de radioactivité, des dépenses représentant plusieurs fois le budget de sa construction seraient nécessaires, et qu’une irradiation trop importante des ouvriers serait inévitable. Car on ne peut travailler que quelques dizaines de secondes près du réacteur si l’on veut respecter la norme.
     Tout est réalisable sur le papier, mais concrètement, les ouvriers doivent tout faire à la main, avec l’irradiation que cela implique. On ne peut donc rien faire avec cette radioactivité, ni démonter, ni démolir la centrale. Certaines personnes parlent d’envoyer des robots, mais les nombreuses recherches n’ont pas encore réussi à produire des robots qui ne se dérèglent pas à cause de la radioactivité.
     Finalement, concernant la centrale de Fukushima, on a conclu que la démolition était irréalisable. Le fabricant américain qui a vendu cette centrale a envoyé des ouvriers au Japon, et il les a fait réparer le réacteur en les exposant à des quantités de radioactivité inimaginables par rapport à la norme japonaise. Aujourd’hui, cette centrale fonctionne toujours.
     Alors qu’on avait prévu de l’utiliser 10 ans, elle a déjà fonctionné plus de 30 ans. Au Japon, il y a 11 centrales que l’on exploite toujours malgré leur vieillissement, cela m’inquiète beaucoup.
     Le réacteur nucléaire de 100 kilowatts destiné à la recherche s’est arrêté suite à une fuite de radioactivité dans l’Université Industrielle Musashi à Kawasaki, dans le département de Kanagawa. On estime qu’il aurait fallu 2 milliards de yens pour la réparation et 6 milliards de plus pour le démantèlement. Le budget annuel de l’Université ne suffit même pas pour la démonter. Ils sont donc obligés de l’arrêter et l’entretenir jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de radioactivité.
     Si cela avait été un grand réacteur de mille mégawatts, on n’aurait vraiment rien pu faire.

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La surveillance et l’entretien après la fermeture 
     Pourquoi on ne peut pas démonter une centrale nucléaire? Comme elle fonctionne avec de l’eau et de la vapeur, on ne peut pas la laisser sans entretien après l’arrêt. Elle se rouillerait très vite et il y aurait des fuites de radioactivité par des trous. Un seul démarrage avec du combustible nucléaire suffit pour polluer la centrale. Et une fois polluée, on ne peut plus la laisser se reposer, ni la démonter, ni la démolir.
     Il y a beaucoup de centrales nucléaires qui ont été fermées dans des pays développés. Elles sont fermées car ils ne peuvent pas les démonter ni les démolir. Fermer une centrale nucléaire, ça veut dire qu’on arrête de produire de l’électricité et qu’on retire le combustible. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire.
     Actuellement, le Japon compte 54 réacteurs nucléaires pour produire de l’électricité, 51 en fonctionnement et 3 en construction. Il y en a plusieurs qui sont trop dangereux pour continuer à les exploiter. Il ne faut pas oublier les réacteurs pour la recherche destinés aux universités et des entreprises. Donc dans tout le Japon, il y a 76 réacteurs, de 100 kilowatts à 1.350 mégawatts.
     Mais je me demande si les compagnies d’électricité vont continuer à surveiller sérieusement les centrales fermées qui ne produisent plus d’électricité ni d’argent. D’un autre côté, elles cherchent à construire de nouvelles centrales et à agrandir celles qui sont déjà construites. Par exemple, elles veulent ajouter un 5ème réacteur sur le site de Hamaoka qui se trouve sur un endroit très dangereux par rapport à la faille qui provoque souvent des tremblements de terre dans la région de Tokai. À Fukushima, elles ont ajouté un nouveau réacteur sur le terrain de football. Pour des nouvelles installations, elles veulent construire des centrales à Makimachi dans le département de Nigata, Ashihama du Mie, Kaminoseki du Yamaguchi, Suzu du Ishikawa, et Ooma et Toudu d’Aomori. Elles envisagent d’avoir de 70 à 80 réacteurs d’ici 2010. J’ai peur que mes mots soient brutaux mais je n’arrive pas à m’empêcher de penser que ce pays est devenu fou.
     Bientôt, la fermeture des vieilles centrales nucléaires va sûrement venir. C’est un grand problème. Imaginez des centrales nucléaires fermées qui apparaissent partout dans le Japon dans l’avenir assez proche. Vous ne pensez pas que c’est non seulement inquiétant mais macabre?

Les déchets nucléaires qu’on ne sait même pas traiter
     Il faut aussi parler des déchets nucléaires qu’on produit chaque fois qu’on fait tourner les réacteurs, ça veut dire tous les jours. En parlant déjà des déchets nucléaires de faible activité, il y en a 800 mille fûts dans le Japon. On utilise le mot faible, mais il y en a qui sont tellement forts en radioactivité qu’on peut recevoir la dose létale en restant uniquement 5 heures à côté. 
     Depuis le démarrage de la première centrale nucléaire au Japon jusqu’en 1969, dans toutes les centrales, on mettait tous les déchets nucléaires dans des fûts et les jetait dans les mers à proximité. À l’époque, c’était normal. Quand je travaillais dans la centrale de Tokai du département d’Ibaraki, les sous-traitants emportaient les fûts en camion et ils les jetaient au large de Chiba en bateau.
     Mais justement c’est avec cette histoire que j’ai commencé à me douter qu’il y a quelque chose qui n’est pas clair dans les centrales nucléaires. Les fûts métalliques se rouillent au bout de 1 an dans la mer. Je me suis demandé ce qui se passerait avec les déchets nucléaires qui étaient dans les fûts et les poissons qui habitent dans la mer.
Maintenant, on rassemble les déchets nucléaires à Rokkasyo dans le département d’Aomori. Ils prétendent surveiller 3 millions de fûts de déchets nucléaires pendant 300 ans. Mais je me demande si le fût qui a vieilli pendant 300 ans, existe déjà. Et durera-t-elle aussi cette entreprise sous-traitante pendant si longtemps? Qui peut assurer tous ces problèmes?

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     Et puis, nous allons parler des déchets nucléaires de haute activité. C’est le déchet qui reste après l’extraction du plutonium du combustible usé. Le Japon commande cette extraction à l’Angleterre et à la France. En 1995 la France a retourné 28 barres de déchets de haute radioactivité. Ce sont des mélanges de déchets de haute radioactivité et de verre enfermés dans un conteneur métallique. J’ai entendu que le fait de rester 2 minutes à côté de ce conteneur suffit pour tuer quelqu’un. Le gouvernement dit qu’il va garder ces barres fortement radioactives pendant 30 ou 50 ans tout en les refroidissant à Rokkasyo du département d’Aomori et les transporter quelque part ailleurs pour les enfouir en profondeur. Quelque part qu’il ne sait pas encore où ça pourrait être. Dans tous les autres pays, ils planifient l’enfouissement des déchets nucléaires de haute radioactivité, mais il y en a aucun qui l’a déjà accompli. Personne ne connaît la solution.
     Pour le bâtiment de la centrale nucléaire lui-même, le gouvernement japonais envisage de le fermer hermétiquement pendant 5 ou 10 ans et l’enterrer en dessous du terrain où la centrale a été construite, après l’avoir démoli en petits morceaux et mis en fûts métalliques. C’est un projet très optimiste, mais la démolition d’un seul réacteur donnera des dizaines de milliers de tonnes de déchets plein de radioactivité. Comment peut-on trouver la place pour tous ces déchets dans un pays où l’on manque même de place pour jeter les ordures ménagères? En tout cas, c’est bien clair que le Japon sera encombré de déchets nucléaires un jour. Il faut faire quelque chose. Il faut qu’on arrête les centrales nucléaires aussi vite que possible. 
     Il y a environ 5 ans, j’ai été faire une conférence sur mon travail à Hokkaido. Quand j’ai dit «on va continuer à surveiller les déchets nucléaires pendant 50 ans ou 300 ans», une collégienne a levé sa main. Elle a crié: «J’ai une question. En parlant de la surveillance des déchets qui dure 50 ou 300 ans, est ce que c’est vous qui allez le faire? Non, ce n’est pas vous, les adultes d’aujourd’hui, c’est nous, la prochaine génération, et les générations qui suivent. Mais nous, nous n’avons pas envie de le faire!!» Est ce que quelqu’un peut donner une réponse à cette fille?
Quand on dit «surveiller 50 ans ou 300 ans», peut-être ça vous donne l’impression que tout sera fini au bout de ces durées. Mais si il y a toujours des centrales nucléaires qui fonctionnent, ce sont des 50 ans et 300 ans qui se renouvellent pour toujours.

L’irradiation et la discrimination affreuse des habitants
     Le gouvernement et les compagnies d’électricité ont menti pendant des dizaines d’années en disant que les centrales nucléaires japonaises n’avaient jamais émis de la radioactivité à l’extérieur. Mais depuis quelque temps, ils ne peuvent plus continuer leurs mensonges.
     Il y a de la radioactivité qui sort des cheminées très hautes des centrales nucléaires. Très précisément, c’est la compagnie qui la rejette volontairement. Comme elle la rejette 24 heures sur 24, les habitants à côté prennent de la radioactivité tout au long de l’année
     J’ai reçu une lettre d’une jeune femme de 23 ans. J’ai vu des traces de larmes sur l’enveloppe. Elle m’a écrit: «J’ai trouvé un travail à Tokyo et rencontré un homme. Nous nous sommes fiancés et nous avons déjà fini la pré cérémonie du mariage avec la famille. Mais il a subitement rompu nos fiançailles. Il m’a expliqué que ce n’est pas du tout de ma faute et il aimerait bien aussi se marier avec moi. Mais ses parents se sont aperçus que j’ai grandi à Atsuga dans le département de Fukui et il y a plus d’enfants leucémiques à côté des centrales nucléaires. Comme ils n’ont pas envie d’avoir leur petit enfant leucémique, ils ne sont plus d’accord avec notre mariage. Dites-moi, pourquoi je dois subir une telle chose.»  Qui a droit de faire vivre un tel drame à cette jeune femme? Je connais plein d’autres histoires pareilles.

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     Cette histoire n’est pas arrivée à côté d’une centrale nucléaire. Elle est arrivée à Tokyo. Est ce que vous pouvez approuver sans aucun souci le mariage entre un homme qui a déjà travaillé dans les centrales nucléaires avec votre fille ou la femme qui a vécu à côté d’une centrale nucléaire comme elle avec votre fils? Les jeunes doivent également se sentir concernés car vous pouvez très bien tomber amoureux de quelqu’un d’irradié. Je sais qu’en parlant de cette discrimination, je pourrais provoquer encore plus de discrimination. Mais il faut que je vous informe. Pour les gens qui sont déjà opposés aux centrales nucléaires, j’aimerais bien que ce problème soit un de leurs arguments et pas seulement parce que ils ont peur des accidents. Ce n’est pas seulement la Nature et la santé humaine que les centrales nucléaires détruisent, elles détruisent aussi le coeur des hommes.

Puis-je avoir des enfants?
     Pour finir, je vous raconte une histoire qui m’a beaucoup choqué. Une histoire qui m’est arrivée au cours d’une conférence organisée par le syndicat des instituteurs à Kyowa de Hokkaido qui se situe à côté de la centrale Tomari. Je ne manque pas d’en parler chaque fois. J’aimerais bien que vous vous rappeliez de cette histoire même si vous oubliez les autres.
     La conférence a eu lieu le soir. Il y avait environ 300 personnes, à peu près moitié de parents et moitié d’instituteurs et professeurs. Mais il y avait aussi quelques collégiens et lycéens car ils pensaient que les centrales nucléaires sont des problèmes de leur génération et pas seulement ceux des adultes.
     Une fois que j’ai eu fini mon discours, j’ai demandé si il n’y avait pas de questions. Une fille de deuxième année de collège a levé sa main en pleurant et elle s’est exprimée: 
«Vous, les adultes qui se sont réunis ce soir, vous êtes tous des menteurs et des hypocrites. Je suis venue ici aujourd’hui pour voir quelle tête vous faites. Les adultes d’aujourd’hui, notamment ceux qui sont là, vous êtes toujours en train de faire semblant d’agir pour les enfants pour tous les choses. Le problème des pesticides, les terrains de golf, les centrales nucléaires. Moi, je vis à Kyowa juste à côté de la centrale de Tomari. Je reçois de la radioactivité sans cesse. J’ai lu que à Sellafield en Angleterre, à côté de l’usine nucléaire, il y a plus d’enfants leucémiques qu’ailleurs. Moi, en tant que fille, je rêve de me marier un jour. Est ce que je peux avoir des enfants?» 
     Cette fille a demandé en pleurant aux 300 adultes qui se trouvaient devant elle. Mais personne ne pouvait lui répondre.
     Elle a continué: «Si vous savez que les centrales nucléaires sont dangereuses, pourquoi vous n’avez pas manifesté au moment de la première construction? Pourquoi vous ne manifestez que maintenant? En plus, vous avez même laissé construire le deuxième réacteur. Je préfère ne pas avoir d’électricité qu’avoir la centrale nucléaire.» Justement, le deuxième réacteur de la centrale Tomari venait d’entamer sa mise en route.
     «Je ne comprends pas pourquoi vous faites cette conférence si tard. Si j’étais un adulte qui avait des enfants, j’arrêterais la centrale même au risque de ma vie.» Elle a ajouté en pleurant: «Maintenant avec le deuxième réacteur, je reçois 2 fois plus de radioactivité. Mais je n’abandonnerai pas Hokkaido
     Je lui ai demandé si elle avait déjà confié son inquiétude à sa mère ou à son professeur. Elle m’a répondu: «Je sais que ma mère et mon professeur sont ici aujourd’hui. Je ne leur ai jamais posé des questions. Mais entre les filles de la ville on en parle tout le temps qu’on ne peut pas se marier ni avoir des enfants

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     Les professeurs n’étaient pas au courant que leurs élèves ressentaient une telle inquiétude.
     Ce ne sont pas uniquement les 8 ou 10 km de rayon autour de la centrale qui sont concernés. Beaucoup de collégiens et lycéens ressentent la même chose dans la zone des 50 ou 100 km autour de la centrale. J’aimerais bien que vous pensiez toujours à ces jeunes.

On ne peut jamais être en sécurité si la centrale nucléaire ne disparaît pas.
     J’espère que vous aurez bien compris ce qu’est une centrale nucléaire, en lisant ce texte.
     Certainement, l’accident grave de Tchernobyl a aussi effrayé beaucoup de Japonais. Mais j’imagine que beaucoup de gens, surtout ceux qui habitent au loin, dans les grandes villes, ont peur de manquer d’électricité si on ferme les centrales nucléaires.
     Mais c’est le résultat des propagandes qu’ils font en dépensant beaucoup d’argent: «Les centrales nucléaires, c’est une utilisation pacifique de l’énergie atomique. Vous n’avez pas besoin d’avoir peur. Les accidents n’arriveront jamais dans les centrales nucléaires japonaises.» . «Le Japon manque de sources d’énergie. Les centrales nucléaires nous sont indispensables.»  Ce sont des propagandes du gouvernement et des compagnies d’électricités. Et la réalité, comme l’accident de Mon, ils essayeront toujours de la cacher.
     C’est bien vrai que les centrales nucléaires produisent de l’électricité. Mais j’ai constaté en travaillant 20 ans, avec mes yeux et même avec mon corps qu’elles fonctionnent toujours en irradiant les ouvriers. Et puis les gens qui habitent à côté souffrent, en se débattant entre ceux qui sont pour et contre avant l’installation, et en étant irradiés et discriminés après la construction. 
     Vous devez savoir qu’un accident dans une centrale nucléaire provoque des terribles conséquences, ni croire qu’il n’y a pas de problème si l’accident n’arrive jamais? Que c’est une utilisation pacifique? 
     Non, tout cela n’est pas vrai. Ce n’est pas pacifique, si il y a des ouvriers qui meurent à cause de l’irradiation, comme moi, et des gens qui souffrent à côté des centrales. En plus, il ne faut pas confondre la sûreté et la sécurité. S’il y a des centrales nucléaires, il n’y a plus rien de sûr.
     En plus, même si le nucléaire produit de l’électricité en ce moment, l’entretien des déchets nucléaires pour des dizaines de milliers d’années demandera une énorme quantité d’électricité et de pétrole. C’est sûr que ça demandera plus d’énergie qu’on en a produit tout de suite grâce au nucléaire. D’ailleurs, ce sont nos descendants qui seront obligés d’entretenir toutes les centrales fermées et leurs déchets.
     Pour toutes ces raisons, je vous demande de regarder le visage de vos enfants et vos petits-enfants tous les matins, et réfléchir si le Japon peut continuer à construire des centrales nucléaires. Ce n’est pas uniquement le risque de l’accident, mais il y a aussi le risque du tremblement de terre. Le désastre irrémédiable va arriver si on continue ainsi. Je veux que vous sachiez cette réalité.
     Je manifeste pour ne plus construire de centrales nucléaires. Je suis contre les nouvelles installations de centrales nucléaires avec conviction. Et je pense qu’il faut arrêter celles qui sont en fonctionnement.

Tant que les centrales nucléaires existeront, la tranquillité n’existera pas sur la Terre.

Laissons la Terre jolie pour nos enfants.

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