Objet FER - Enquête: ce mal étrange qui ronge les anciens d'Albion (le Parisien) (suite)Plateau d’Albion, le 23 mai 1980. Le lieu, qui accueillait des missiles nucléaires, a longtemps été le mieux gardé de France. Sur cette photo, on peut voir des militaires autour d’une ogive. | (AFP/Staff.) C'est un mal insidieux qui les ronge. Un mal dont les prémices remontent entre 1971 et 1996, aux confins de la Drôme et du Vaucluse, et qui pourrait toucher, selon notre enquête, plusieurs dizaines de militaires. Tous souffrent de formes rares de cancer. Ils ont en commun d'avoir été en poste au plateau d'Albion, 800 hectares non loin du mont Ventoux, où 18 zones de lancement ultrasecrètes accueillaient les missiles nucléaires SSBS alors pointés vers le bloc de l'Est. Parmi ces cas que nous avons pu identifier, deux font désormais l'objet d'une procédure en justice: une démarche longue et incertaine. Depuis 2003, Leny Paris, ancien commando de l'air, se bat, sans succès, afin de faire reconnaître que la nécrose des os dont il souffre est la conséquence d'une irradiation sur le plateau, où il a passé un an à veiller sur les têtes nucléaires. Des cas troublants Une mise en cause balayée par l'armée. Si cette dernière reconnaît avoir reçu «quelques demandes de passés radiologiques», elle dément toute «dose significative de radioactivité pouvant avoir un impact sur la santé». Le ministère s’appuie notamment sur «les études menées sur le site, qui ont montré que son fonctionnement n’avait entraîné aucune contamination radioactive, et qu’il n’existait aucun risque d’exposition externe». Des traces de radioactivité ont pourtant été relevées sur place, mais pour la Défense, elles «ne mettent en évidence que des radioéléments qui proviennent soit d'origine naturelle, soit des retombées des essais nucléaires de 1950 et de la catastrophe de Tchernobyl. Un autre dossier met en lumière celui de ces irradiés d'Albion. Les anciens de l'île Longue (Finistère), qui travaillaient eux aussi aux côtés des têtes nucléaires, celles des sous-marins, se sont constitués en association. Plusieurs sont décédés de maladies radio-induites, reconnues comme professionnelles pour quatre d'entre eux. Combien d'anciens d'Albion sont touchés? En l'absence d'étude sérieuse, difficile à dire. Mais les témoignages sont là, comme celui de Georges, qui travaillait au refroidissement des têtes, mort d'un sarcome en 2003, ou ce gendarme qui descendait régulièrement dans les silos, décédé à 70 ans en 2011, d’une leucémie fulgurante, ou encore le boulanger de Saint-Christol, à proximité de la base, lui aussi emporté par une leucémie du même type. «Il y a encore beaucoup de ces maladies dans la région, avance sa veuve. Les gens parlent, mais sans trop savoir». Pour mettre en évidence un lien, encore faudrait-il connaître les relevés dosimétriques des intéressés. Mais tous n'étaient pas équipés de dosimètre. Quant à ceux qui l'étaient, leur profil radiologique est entre les mains de l'armée. Leny Paris vient d'obtenir le sien... onze ans après en avoir fait la demande >> Lire l'intégralité de notre enquête dans l'édition (21-04-2014) du Parisien/Aujourd'hui en France disponible en kiosques ou dans leur espace abonnés. |
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COMMENTAIRE GAZETTE Ce combat est très proche de celui des vétérans des essais nucléaires au Sahara et à Mururoa. On leur réclame toujours des valeurs dosimètres: dosimètres qu’ils n’avaient pas. Et ceci pour l’excellente raison que ces appareils ne supportent pas la chaleur d’une part et que d’autre part ceux existants se trouvaient en certains endroits tels les laboratoires de mesures. Il suffit donc de prendre les valeurs de ces détecteurs pour avoir une estimation de doses. Dans le cas du plateau d’Albion, il est bien évident qu’il aurait fallu préparer les manipulations d’ogives en se «souvenant» que ce sont des neutrons qui sont émis donc il faut des dosimètres particuliers pour déceler la radioactivité. Bien sûr il n’y a pas d’émission de gamma. Voici sur le sujet l’avis d’un radioprotectioniste: Pour les personnels du "plateau d'Albion", essentiellement des militaires, ce problème survient après celui de l'arsenal de Brest où des personnels travaillent auprès ou avec des engins qui sont manipulés lors des opérations de maintenance ou de reprise des armes (au bout de 10 ans environ afin de reprendre le Pu qui a produit de l'américium 241, à partir du 241Pu). L'exposition provient, à mon avis, du rayonnement neutronique émis par la charge nucléaire des engins. Si l'on mesure assez facilement le rayonnement gamma (qui est pratiquement nul auprès des "bombes" car le plutonium 239, qui est majoritaire, émet surtout un rayonnement X vite absorbé. Il existe cependant pour les bombes à uranium enrichi le rayonnement neutronique qui est, par contre, plus difficile à mesurer. Il faut choisir le détecteur en fonction de la gamme d'énergie des neutrons à mesurer. Or nous avons affaire à un spectre d'énergie assez large. Il faut pour le mesurer et calculer le débit de dose qu'il occasionne, utiliser un dispositif de mesure particulier: le système "multi-sphères" qui consiste à insérer le détecteur dans des sphères de matière hydrogénée, de diamètres différents afin de "ralentir" les neutrons, en fonction de leur énergie. Le débit de dose est ensuite déduit de ces mesures; car l'efficacité biologique des neutrons (leur nuisance toxique comparée à celle des gamma ou des bêta de facteur=1) varie beaucoup avec l'énergie: * Facteur 5 en dessous de 10 keV (kilo électronVolt), * Facteur 10 entre 10 et 100 keV et entre 2 et 20 MeV, * Facteur 20 entre 100 keV et 2 MeV (Méga électron Volt). Il est aussi possible, pour mesurer l'exposition des personnes, d'équiper chaque intervenant, d'au moins deux détecteurs individuels (dits "détecteurs à bulles" car l'action des neutrons dans le détecteur produit une ou plusieurs bulles visibles à l'œil nu) adaptés à la gamme d'énergie. Je pense que les personnels de l'arsenal de Brest comme les militaires du plateau d'Albion, n'ont pas bénéficié de ce type de mesures individuelles et seule une reconstitution permettra de faire des évaluations dosimétriques a posteriori afin de combler ce déficit de surveillance dosimétrique. C'est un problème de responsabilité que la justice aura à examiner pour les premiers qui devraient déposer des dossiers et les défendre devant le TASS (Tribunal des affaires de sécurité sociale) et les militaires devant le Tribunal des pensions militaires. L'accès aux données ne sera pas une opération facile. Il faudrait étudier en plus des expositions neutroniques l'usage des solvants utilisés pour la décontamination. Certains comme le "trichlo" (trichloréthylène) très utilisé ou le "perchlo" (tétra-chloréthylène) sont des cancérogènes reconnus depuis quelques années par le CIRC. |