Actions en justice du réseau « Sortir du Nucléaire »
Suite à la découverte de nombreux dysfonctionnements et négligences à la centrale nucléaire de Belleville (Cher), le Réseau “Sortir du nucléaire“ et l’association Sortir du nucléaire Berry-Giennois-Puisaye ont déposé plainte le 20 octobre 2017 contre EDF et le directeur de la centrale.
La centrale nucléaire de Belleville sur Loire
La centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire se trouve sur les communes de Belleville et de Sury-près-Léré, c’est-à-dire à la limite de trois départements : le Cher, le Loiret et la Nièvre.
Elle comporte deux tranches du type REP d’une puissance de 1300 MW (palier P’4). La tranche 1 constitue l’installation nucléaire de base n° 127. La tranche 2 constitue l’installation nucléaire de base n° 128. Le site a été dimensionné pour la construction de deux tranches supplémentaires.
Dans son appréciation 2016, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) note que les performances de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire en matière de sûreté nucléaire sont en retrait. L’ASN considère que la centrale a manqué de rigueur dans la planification, la préparation et la réalisation de certaines activités de maintenance et d’essais périodiques. Plusieurs événements significatifs déclarés en 2016 ont eu pour cause un manque d’attitude interrogative et des défauts de surveillance de la part des équipes de conduite. L’ASN relève des difficultés à gérer les situations imprévues et estime que la rigueur dans les comportements individuels doit progresser. Dans le domaine de la sécurité et de la radioprotection des travailleurs, l’ASN constate des faiblesses dans les domaines de l’optimisation de l’exposition radiologique des travailleurs et de la maîtrise du zonage radiologique. Concernant la prévention des pollutions et la maîtrise de l’impact et des nuisances pour le public et l’environnement, plusieurs événements ont mis en lumière les difficultés à maintenir dans leur état de conformité à la réglementation environnementale certains équipements implantés sur le site.
Une mise sous surveillance renforcée déclenchée par une dangereuse incurie
Le 13 septembre 2017, l’Autorité de sûreté nucléaire a placé la centrale nucléaire de Belleville sous surveillance renforcée, suite notamment à une inspection menée en avril 2017 (voir le rapport).
En effet, de nombreux équipements importants pour la sûreté sont dans un état de délabrement de nature à remettre en question leur fonctionnement, leur usure étant aggravée par un manque d’entretien et des réparations de l’ordre du rafistolage. De plus, en raison de problèmes organisationnels et d’un manque de rigueur et de traçabilité des opérations, la gravité des dysfonctionnements est sous-estimée : certaines demandes de réparation passent tout simplement à la trappe !
Cette situation inacceptable, qui met en danger les travailleurs et les riverains, n’est pas nouvelle : en 2015, le Réseau “Sortir du nucléaire“ avait déjà porté plainte pour une trentaine d’infractions. Comment la centrale peut-elle encore être autorisée à fonctionner dans ces conditions ?
Sur la base des éléments évoqués dans le rapport d’inspection, le Réseau “Sortir du nucléaire“ et SDN Berry-Giennois-Puisaye ont porté plainte le 20 octobre 2017 pour 46 infractions à la réglementation environnementale et nucléaire [1].
Notes :
[1] Décryptage des problèmes relevés par l’Autorité de sûreté nucléaire :
De manière générale, l’organisation interne et la circulation des informations au sein de la centrale apparaissent déficientes. Ainsi, comme le signale l’Autorité de sûreté nucléaire dans son rapport d’inspection, « les dispositifs organisationnels mis en œuvre pour identifier les écarts ne permettaient pas aux décideurs d’accéder à la connaissance réelle de l’état technique des équipements ». En raison d’un manque de rigueur et de traçabilité, il n’est donc pas possible de connaître en temps réel les effets cumulés des différentes anomalies.
En conséquence de cette mauvaise organisation et d’un mauvais traitement de l’information, de nombreuses demandes de travaux n’ont pas été suivies d’effets et ont été abandonnées alors que les problèmes n’avaient pas été réglés.
Par ailleurs, il apparaît que les travailleurs en charge des travaux ne bénéficient pas toujours d’une formation adéquate leur permettant de comprendre les enjeux et de mener à bien les réparations. Il est fait état de réparations relevant du bricolage et d’une « accoutumance » aux anomalies. On peut en déduire que les travailleurs sont manifestement placés dans une situation où il leur est impossible d’effectuer leur travail correctement.
Ces problèmes organisationnels ont abouti à la dégradation importante de toutes sortes d’équipements, allant parfois jusqu’à remettre en question leur fonctionnement correct ! Citons notamment:
- Plusieurs fuites d’huile ou de fioul et des jauges d’huile hors service.
- L’« état de corrosion avancé » de certaines tuyauteries, qui fuyaient déjà au point que les bassines placées en-dessous étaient pleines...
- Des pompes « manifestement non intègres en fonctionnement normal ».
- Des fuites de vapeur potentiellement radioactive sur des vannes censées être parfaitement étanches.
- D’autres fuites sur des pompes et robinets véhiculant des substances chimiques (soude, phosphate).
- La dégradation alarmante des équipements censés fournir l’alimentation électrique de secours.. L’Autorité de sûreté nucléaire note ainsi «plusieurs dégradations significatives susceptibles d’affecter le fonctionnement du système d’alimentation de secours des générateurs de vapeur, des groupes électrogènes et de la turbine à combustion d’ultime secours ».
L’état effrayant de matériels électriques qui « présentaient un état de dégradation de nature à interroger leur capacité à assurer leur fonctionnement de sûreté à long terme. »
À plusieurs reprises, l’ASN évoque la « non-tenue au séisme » des équipements au regard de leur état de dégradation. Mais même en conditions normales, leur fonctionnement apparaît déjà compromis. Pour les associations, cette qualification, qui laisse croire que le risque n’existe qu’en cas d’événement exceptionnel, aboutit à minimiser l’ampleur des risques qui se présentent déjà ici et maintenant.