3 février 2018 • Erwan Benezet

EPR de Flamanville :
quatre questions sur une catastrophe industrielle
Erwan Benezet (Le Parisien)

Flamanville (Manche). La construction de l'EPR a débuté en avril 2007, pour une entrée en service prévue en 2012.

Sept ans de retard et un devis qui a triplé en dix ans : le chantier de l'EPR de Flamanville a reçu vendredi la visite de Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat de Nicolas Hulot.

Après la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin) et le futur site d'enfouissement de déchets à Bure (Meuse), le secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique, Sébastien Lecornu, a visité vendredi dans le Cotentin (Manche) le centre de retraitement de la Hague et l'EPR de Flamanville. Une tournée des grands ducs du nucléaire avant le débat public sur la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), lancée ce printemps. Elle doit fixer le nombre et le calendrier de fermetures des réacteurs les plus anciens. Le point sur un dossier clé pour EDF et politiquement sensible.

1. Quand l'EPR de Flamanville entrera-t-il en service ? 

« Notre objectif est de faire en sorte que nous puissions charger le combustible nucléaire dans la cuve au mois de décembre, a précisé le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy. Le calendrier est tendu, mais nous y sommes habitués. » Trois jours plus tôt, Pierre-Franck Chevet, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), avait aussi émis des doutes sur ce calendrier. La mise en service commerciale ne pourra de toute façon avoir lieu qu'après la fermeture de Fessenheim, prévue en 2019.

2. Au final, combien coûtera l'EPR ?

Démarré en avril 2007, l'EPR devait coûter 3,3 Mds€ et entrer en service en 2012. Sauf que le chantier a accumulé les déboires, dont le point culminant fut en avril 2015, après la découverte par l'ASN d'une anomalie dans l'acier du couvercle et du fond de la cuve du réacteur. En juin 2017, EDF obtient de l'ASN l'autorisation d'exploiter la cuve, mais la confiance dans la technologie de l'EPR s'est érodée. La facture a explosé : autour de 11 Mds€.

3. La France construira-t-elle un second EPR ?

EDF l'envisage sérieusement, probablement dans la Manche, où le nucléaire est bien accepté. EDF ne compte d'ailleurs pas s'arrêter là. En 2017, Jean-Bernard Lévy plaidait pour la mise en service dans l'Hexagone « d'une trentaine de nouveaux EPR entre 2030 et 2050 ».. Une provocation ? « Nous allons pour cela réduire les coûts de cet EPR nouveau modèle afin qu'il soit plus compétitif », plaidait Xavier Ursat, ancien patron de l'hydraulique devenu celui des projets EPR.

4. Combien d'anciens réacteurs seront fermés ? 

La bataille fait rage entre EDF et l'Etat, son actionnaire principal (83,5 %). Si ce dernier a reporté de 2025 à 2035 son objectif de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité de 75 % à 50 %, EDF a indiqué mardi dernier, par la voix de Philippe Sasseigne, le directeur du parc nucléaire français, « ne pas souhaiter arrêter d'autres réacteurs avant 2029». Ce qui n'a pas manqué d'irriter Nicolas Hulot, le ministre de la Transition énergétique qui, en juillet 2017, avait évoqué la fermeture de 17 réacteurs. Avant que l'Etat ne tranche le débat, Sébastien Lecornu a souhaité un « dialogue franc et sincère » avec EDF. «Il est temps, a-t-il conclu comme un avertissement, d'avoir une relation mature.»

Où entreposer le combustible nucléaire ?

Deux mois de grève, un changement de nom effectué il y a quelques jours seulement... C'est dans un contexte agité que Sébastien Lecornu a visité vendredi, en compagnie d'une délégation de députés et de sénateurs, l'usine de retraitement du combustible usé d'Orano (ex-Areva) de la Hague.

Ouvert il y a quarante ans, la Hague est devenu le plus grand complexe de « recyclage » de combustible nucléaire usé au monde.. Une véritable « machine à laver » géante du nucléaire où arrivent 1 200 t de déchets par an, en provenance des 19 centrales d'EDF, mais aussi de très nombreuses centrales dans le monde. Sur place, le secrétaire d'Etat a insisté sur la nécessité d'avancer sur la question des déchets radioactifs. « 96 % des combustibles usés sont réutilisés pour l'électricité, a-t-il rappelé. Mais il reste à traiter les 4 % non réutilisables. » Sauf que les piscines sont pleines à ras bord. EDF projette donc de construire une nouvelle piscine d'entreposage du combustible nucléaire usé en France. Pour l'instant, le site est encore à l'étude.

http://www.leparisien.fr/economie/epr-de-flamanville-retour-sur-dix-annees-d-un-chantier-maudit-19-04-2017-6866364.php

EPR de Flamanville : retour sur dix années d'un chantier mardt-19 avril 2017
ARCHIVES. Un ouvrier sur le chantier de l'European Pressurised Reactor (EPR) de Flamanville (Manche), en novembre 2016. CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Il devait ouvrir en 2012, il faudra finalement attendre au moins 2018... Le futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville (Manche) d'EDF et Areva accumule les déboires. Retour sur une décennie de galères.

Il y a comme une odeur de scandale sur les rivages du Cotentin. Succession d'anomalies et de coups durs, explosion des coûts, report de l'ouverture d'au moins six ans sur la date initiale... Ce qui devait être la vitrine du nucléaire français en est devenu le cauchemar. Le chantier de l'EPR, dont Greenpeace et plusieurs autres organisations environnementales exigent l'arrêt pur et simple, s'apparente désormais à une succession d'échecs et d'erreurs.

2007. Le chantier est lancé. Le 10 avril, moins de deux semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle, le ministre des Finances, Thierry Breton, signe le décret  autorisant EDF à construire son réacteur de nouvelle génération EPR, à côté de la centrale nucléaire existante de Flamanville (Manche). Bien que la mise en service soit prévue pour 2012, le texte croit voir large en fixant au 10 avril 2017 la date limite de livraison du chantier...

Le coût total est estimé à 3,3 milliards d'euros.

2008. Première fissure. En mai de cette année-là, le chantier va connaître sa première suspension après la découverte d'«anomalies» dans le coulage du béton http://www.leparisien.fr/economie/epr-de-flamanville-travaux-suspendus-27-05-2008-3298527728.php . L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) y voit «un manque de rigueur (...) qui est inacceptable». De son côté, EDF minimise : «A ce stade, il est très largement prématuré de parler de retards potentiels sur notre chantier», évoque un responsable. Déjà, des associations écologistes réclament l'arrêt du projet.

En décembre, EDF admet que le chantier lui coûtera 20% plus cher. La facture passe à 4 milliards d'euros.

2011. Mort de deux ouvriers. Un salarié de 37 ans décède en janvier sur le chantier, provoquant l'ouverture d'une enquête de flagrance pour «homicide involontaire». Les travaux sont stoppés pendant 9 semaines. La mort d'un employé de 32 ans en juin, alors que l'ASN avait indiqué deux mois plus tôt enquêter sur une sous-déclaration des accidents du sur le site, jette une ombre de plus sur le chantier. Bouygues TP et Tissot, oeuvrant pour le futur EPR, seront condamnés en 2014 (la Cour d'appel relaxera toutefois Bouygues l'année suivante).

En juillet, EDF évoque un retard de livraison de deux ans et un coût total de 6 milliards d'euros. Pour justifier ce nouveau retard, l'entreprise soutient que des analyses doivent être menées dans le cadre des audits lancés après la catastrophe de Fukushima, au Japon. En août, le «Canard enchaîné» révèle toutefois de nouvelles et graves malfaçons repérées par l'ASN dans le gros oeuvre du futur réacteur et qui a valu à EDF des courriers de mise en garde. L'autorité parle notamment de «piliers de béton percés comme du gruyère»..

2012. Bétonnage reporté. Le bétonnage du chantier est interrompu pour la troisième fois. Les 45 boîtes géantes sur lesquelles prend appui le pont de manutention des combustibles nucléaires doivent être démontées.

L'Italien ENEL lâche EDF. Cette année-là, le géant transalpin de l'énergie ENEL exerce son droit de retrait du partenariat signé avec EDF en 2007 autour de l'EPR de Flamanville et d'autres futurs sites. L'entreprise italienne doit donc se voir rembourser la somme de 613 millions d'euros, hors intérêts. Cette mauvaise nouvelle intervient quelques jours seulement après qu'EDF a annoncé une nouvelle augmentation du coût de son chantier, dont la facture affiche désormais 8,5 milliards d'euros !

2014. Nouveau retard. EDF annonce le report à 2017 de la mise en service en raison de «difficultés (...) sur la livraison d'équipements tels que le couvercle (...) de la cuve». Selon l'ASN, ce sont les soudures de tubes traversant le couvercle qui posent problème. Le couvercle doit alors être «déconstruit» et reconstruit.

2015. Bouygues poursuivi pour travail au noir.
Le géant français du BTP, ainsi que les entreprises Elco, Welbond et Quille (filiale de Bouygues), sont condamnés à Cherbourg à des amendes dans une affaire de travail au noir d'au moins 460 travailleurs «détachés» polonais et roumains, sur le chantier de Flamanville. Ces derniers étaient recrutés via une obscure entreprise basée à Chypre qui faisait signer aux ouvriers des contrats... rédigés uniquement en grec. En 2016, le parquet de Caen a requis le doublement de ces amendes .

2015. La cuve de tous les ennuis.
En avril, l'ASN refait parler d'elle en annonçant avoir découvert de nouvelles «anomalies dans la composition de l'acier de certaines zones du couvercle de la cuve et du fond de cuve» du futur réacteur. En juillet, une question est posée : Areva, chargée de fournir le réacteur, a-t-il volontairement dissimulé dès le début du chantier un défaut, potentiellement dangereux, dans cet élément de l'EPR ? L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire s'interroge, mais Areva dément et explique avoir mandaté un expert indépendant dès 2007. L'anomalie aurait été diagnostiquée dès 2014 sur la cuve et le couvercle, fragilisés par des teneurs en carbone trop élevées.

2016. Dysfonctionnements à la forge du Creusot.
Des dysfonctionnements sont repérés à la forge du Creusot, une usine d'Areva où sont fabriqués, entre autres, des composants d'îlots nucléaires des centrales, dont ceux de l'EPR, révèlent «les Echos ». Un audit interne  confirme des «anomalies» de fabrication. Selon l’ASN, environ 400 dossiers de fabrication sont concernés par des «incohérences» sur environ 10 000 dossiers de fabrication, sur une période remontant aux années 1960.

Le coût du chantier est désormais estimé à 10,5 milliards d'euros.

2017. EDF et Areva dans la tourmente.
En mars de cette année, une enquête de journalistes de Radio France https://www.franceinter.fr/sciences/cuve-de-l-epr-de-flamanville-l-incroyable-legerete-d-areva-et-edf fait trembler EDF et Areva, affirmant que les deux géants avaient connaissance des soucis de fabrication à la forge du Creusot depuis 2005. Problème : les deux entreprises publiques n'ont pas pour autant mis un terme aux commandes. Concernant la cuve de Flamanville, Areva, nouveaux calculs à l'appui, estime qu'elle tiendra. L'ASN doit trancher à l'automne.

Le Parisien dévoile que Greenpeace et sept autres associations de défense de l'environnement attaquent le décret autorisant la construction du réacteur nucléaire de nouvelle génération. Un nouveau coup dur pour un chantier dont la livraison est désormais repoussé à fin 2018