30 janvier 2018 • Mariette Gerber

Le procédé THOR à Malvési
pour le traitement des nitrates (TDN)
Analyse de Mariette Gerber - 30 janvier 2018

Malvési usine « Comurhex » devenue ECRIN avec Areva et classement en INB exécute la première étape de traitement du minerai d’uranium (du yellow cake au tétra fluorure d’uranium) pour en faire du combustible utilisable dans les centrales nucléaires (hexafluorure à Tricastin). C’est une des 4 usines dans le monde à transformer le minerai et elle le fait pour 40% du minerai extrait dans le monde, et travaille essentiellement sur le minerai importé du Kazakhstan.

Ce faisant elle produit des déchets, essentiellement contaminés en radionucléides qui décantent dans les bassins 1 et 2 et, dans les bassins 7 à 12, des déchets plus faiblement radioactifs mais contenant des produits chimiques toxiques qui sont responsables du classement « SEVESO » de cette partie de l’usine.

Ces bassins 7 à 12, notamment riches en nitrates doivent disparaître (il existe des divergences d’appréciation sur la saturation de ces bassins : Areva les dit pleins à craquer, d’autres affirment que 100 à 150.000 m3 sont encore disponibles). Areva (Orano ) propose un procédé qui repose sur une combustion mais sans être un réel incinérateur, aux dires d’Areva. Quoi qu’il en soit, ce procédé rejette dans l’atmosphère un certain nombre d’effluents chimiques toxiques décrits dans l’enquête publique dont annuellement près de 3 tonnes de PM (2,5 microns) près de 39 tonnes de NOx, 326 tonnes de COV dont 85 tonnes de benzène (cancérogène de classe A) et 73 tonnes de DEHP, un phtalate.
 

Origine du rejet atmosphérique Substances Quantité rejetée
(kg en 1h)
Cheminée TDN
(débit maximum : 13 000 Nm3/h)
Métaux Cadmium (Cd) 3,41.10-4
Mercure (Hg)7,67.10-4
Thallium (Tl)1,92.10-4
Arsenic (As)8,02.10-3
Sélénium (Se)3,16.10-3
Tellure (Te)1,82.10-3
Plomb (Pb)1,30.10-2
Antimoine (Sb)6,60.10-4
Chrome (Cr)6,65.10-4
Cobalt (Co)6,30.10-4
Cuivre (Cu)1,12.10-2
Etain (Sn)9,61.10-4
Manganèse (Mn)1,27.10-2
Nickel (Ni)2,88.10-2
Vanadium (V)5,26.10-3
Zinc (Zn)2,74.10-3
Uranium (U)6,50.10-5
Autres Poussières (PM2,5) 5,20.10-1
Dioxyde de soufre (SO2 3,90
Oxydes d’azote (NOx) 6,50
Monoxyde de carbone (CO) 1,30
Ammoniac (NH3)6,5.10-1
Chlorure d’hydrogène (Hcl)6,5.10-1
Fluorure d’hydrogène (HF)6,5.10-2
Protoxyde d’azote (N2O) 3,60
COV Acétaldéhyde 2,68.10-2
Formaldéhyde8,93.10-3
Benzène6,25.10-2
DEPH*8,93.10-3
Toluène2,68.10-2
Xylènes5,36.10-2
Ethylbenzène8,93.10-3
Styrène8,93.10-3
Chlorométhane1,79.10-2
Chloroéthane1,79.10-2
Rejets diffus du dépotage charbon Poussières (PM10) 3,78.10-1
Events du silo d'argile 2,00.10-2
Events du silo d'alumine 6,00.10-3

 
L’analyse de l’impact santé réalisée par AREVA, faisant l’impasse sur certains polluants, se conclut par l’absence totale d’impact, corrigée pour certains aspects par l’expertise complémentaire demandée par le Préfecture de l’Aude et réalisée par l’IRSN, mais qui présente aussi de graves lacunes. La critique de ces 2 expertises est présentée ci-dessous.

1-L’impact sanitaire potentiel des effluents : NOx, (suivi de la formation d’ozone atmosphérique), PM2,5, benzène, DEHP et radionucléides...

1-1 Le NO2 est le plus nocif des NOx. Il induit directement un important stress oxydatif comparable à celui du tabac (Gerber Arch. Env. Health, 1998) et pénètre dans les bronchioles et les poumons causant des affections respiratoires. Sous l’influence du rayonnement solaire, à quelques kms de la source, il se transforme en ozone atmosphérique (O3) aussi toxique pour l’appareil respiratoire. En outre il existe une synergie avec les PM2,5. Celles-ci pénètrent également dans les poumons et même dans la circulation sanguine, induisant aussi un stress oxydatif et éventuellement transporte des allergènes renforçant ainsi le développement d’allergies. Elles aggravent en outre les conditions pathologiques respiratoires ou cardio-vasculaires et sont responsables de morts prématurées.

1-2- La synergie, NO2, O3 et PM2,5 réalisent les conditions de la pollution atmosphérique et donc sont responsables d’effets respiratoires et cardio-vasculaires bien répertoriés (33% des accidents vasculaires cérébraux, InVS). Ils sont considérés comme des carcinogènes de classe 1 (IARC), (cancers du poumon). Ces effets sont qualifiés de « convaincants » ayant été démontré dans des études prospectives sur des milliers de participants, dans divers pays, suivis pendant plus de 7 ans, y compris chez des non-fumeurs: pour une augmentation PM2,5 de 10 microg/m3 on observe une augmentation du risque de cancer du poumon de 40%, une augmentation du risque de 50% pour une exposition sur 5 ans, et une augmentation du risque de 70% pour activité extérieure pendant 1 heure (Gharivband, Arch. Env.Persp., 2016). Enfin des études récentes suggèrent une augmentation de l’incidence de la démence sénile (x4 pour 49 microg/m3) chez les personnes âgées résidant à moins de 300m de voies à grand trafic (Chen, Lancet, 2017).

1-3 Le benzène est un carcinogène de classe 1 (IARC). Entre 5 et 18% des cas de leucémies seraient dus à une exposition professionnelle au benzène (INCa, 2010).

Il est intéressant de comparer les quantités de polluants rejetées par THOR aux valeurs cibles les concernant proposées par la France et l’OMS.

Tableau 2 : Comparaison des valeurs cibles actuellement règlementaires de certains aux rejets de THOR

Valeur cible Quantité rejetée (Sortie cheminée)
NO2 40 mg/m3 en moyenne annuelle 500 mg/m3 de fumée /1h, (gaz sec)
PM2,5 10 µg/m3 en moyenne annuelle
25 µg/m3 sur 24 heures
40mg/m3 de fumée /1h, (gaz sec)
Benzène 2 µg/m3 875 µg/m3 /h (gaz sec)

 
1-4 Le DEHP est un perturbateur endocrinien. Il a montré un effet reprotoxique et un effet carcinogène chez l’animal, et est fortement suspecté d’effets reprotoxiques chez l’homme : infertilité masculine et anomalies anatomiques des organes génitaux masculins, cryptorchidie, hypospadias, qui sont des facteurs de risque du cancer du testicule. Il est donc interdit dans les jouets et autres objets destinés aux enfants, et dans les cosmétiques. Le DEHP a été classé substance très préoccupante (ECHA,Janvier 2017), ce qui oblige l’industrie à notifier à l’ECHA la présence de la substance concernée dans tout produit fabriqué ou importé dans l’UE. Il fait partie de la liste des substances candidates pour la liste d’autorisation, qui oblige l’industrie à demander à la Commission européenne l’autorisation, renouvelable et temporaire, d’utiliser la substance. Parmi les inscrits à cette liste, avec d’autres phtalates, le DEHP est d’ailleurs devenu, en février, une des premières molécules à avoir été officiellement reconnue perturbateur endocrinien dans le cadre de REACH.

Le DEHP, rejeté à raison de 73 kg/an ne figure pas dans le tableau 2 comparant le chiffre d’une limite acceptable (un risque égal à 10-5 soit un individu atteint sur 100.000) à la quantité émise par le TDN. En effet, comme pour tous les perturbateurs endocriniens il est difficile de fixer une valeur limite acceptable, étant donné d’une part que ces composés sont plus actifs à dose faible ou intermédiaire qu’à doses élevées, qu’ils agissent souvent en synergie avec d’autres composés et qu’ils sont particulièrement efficaces dans des fenêtres d’exposition spécifiques, fétus, nouveau-né, enfant en bas âge (voir paragraphe 3-2-3 ).

1-5 l’impact sanitaire des radionucléides doit prendre en compte deux récentes références qui permettent d’affirmer sans conteste que la relation dose-effet entre l’exposition aux radiations ionisantes est linéaire (sans seuil), et que les faibles doses s’accumulent dans le temps. L’étude INWORKS (Leuraud et al, Lancet/Haematology, 2015) est une étude internationale réalisée sur les travailleurs du nucléaire de France, du Royaume-Uni et des USA. 308297 ouvriers du nucléaire ont fait partie de la cohorte et suivis pendant une moyenne de 27 ans (12). La moyenne de la dose cumulée d’exposition était de 16mGy. La dose moyenne annuelle étant de 1,1mGy. Les évaluations pour des faibles doses ont permis d’établir une relation linéaire entre exposition aux radiations ionisantes et mort par leucémies (myéloïde chronique essentiellement). L’excès de risque relatif/Sv est proche de 3 dans le cas mortalité par leucémies (2,96, IC : 1,17-5,21) et s’élève à plus de 10 si l’on ne considère que la leucémie myéloïde chronique (10,45, IC :4,48 -19,65°.Dans cette étude 53% des personnes décédées de leucémies avaient été exposées à moins de 5mGy (équivalent à 5mSv) étalés dans le temps (10 ans). Cette étude sur les leucémies a été complétée par une recherche sur le développement de cancers (tumeurs solides). Les données de cette étude montrent qu’il existe, comme pour les leucémies, une augmentation linéaire du risque de cancers avec l’accumulation dans le temps de faibles doses (Richardson et al, BMJ, 2015). Ces données démontrent que la dose de 1mSv, dose dite acceptable pour la population n’est pas exempte de risque pour une large part de la population si elle perdure pendant plusieurs années. Les auteurs de cette étude indiquent dans leur conclusion que ces résultats doivent renforcer le socle de connaissances nécessaire à l’établissement des doses standard de radioprotection.

On peut rapprocher de cette conclusion la Directive G03 de l’IFSN (Inspection fédérale de la sûreté nucléaire, autorité de surveillance de la Suisse pour la sécurité et la sûreté des installations nucléaires), qui précise l’objectif de sécurité des stockages de déchets en couches profondes : dans tout futur développement probable, le relâchement de radionucléides ne peut entraîner une dose individuelle dépassant 0,1mSv/an (Bulletin N°48, Juillet 2017 de la NAGRA, Sté coopérative nationale suisse pour le stockage des déchets radioactifs). Le calcul de cette dose prend en compte l’exposition moyenne de la population à la radioactivité naturelle et médicale c'est-à-dire la notion de multi-exposition. Bien que cela ne soit pas explicité dans la directive G03 de l’IFSN, on peut ajouter à cette multi-exposition aux radiations ionisantes, l’exposition d’autres co-facteurs cancérigènes (contaminants divers, atmosphériques et alimentaires). Quoi qu’il en soit, l’IFSN établit comme dose acceptable une dose 10 fois inférieure à la dose habituellement retenue et utilisée dans le dossier d’AREVA.

2-Etude spécifique du dossier « évaluation de l’impact sanitaire » réalisée par le bureau ingénierie et projets, AREVA NP

2-1 Considération générales

L’enquête d’utilité publique (EUP) du procédé THOR contient une étude de l’impact sanitaire du procédé comportant une synthèse et des annexes. Cette étude est réalisée en utilisant des données de modélisation que l’on peut caractériser de virtuelles puisque ce procédé n’a jamais été appliqué à l’échelle industrielle. Ces données sont confrontées à la réglementation en vigueur en utilisant des logiciels établis par diverses agences nationales (ANSES) et internationales (EFSA, EPA, OMS). Cependant, cette réglementation a été établie pour des composés dont l’effet toxique est bien décrit dans la toxicologie industrielle (ex : SO2, plomb, mercure…), alors que l’on a constaté depuis la 2éme moitié du siècle dernier la présence dans notre environnement de substances dont les effets sur le vivant ne répondent plus aux mêmes lois.

D’une part, la difficulté à rentrer dans la compréhension des modélisations et des calculs d’impact, et, d’autre part, l’absence de prise en compte de données récentes, mais bien établies, demandent une information plus large des élus et de la population et une discussion critique avec les administrations.

Vont donc être exposés les principes de la réglementation et les avancées des connaissances qui mettent en cause l’application généralisée de cette réglementation, puis l’application spécifique de ces principes et connaissances aux effluents du procédé THOR, et à l’ensemble de l’usine en ce qui concerne la radioactivité.

2-2 La réglementation et les nouvelles connaissances

Le traitement des données d’émission de polluants suit la réglementation utilisée classiquement dans les études toxicologiques des rejets industriels. Elle porte sur deux types de composés : ceux dont l’effet toxique présente un seuil au-dessous duquel cet effet est nul, et ceux dont une seule molécule pénétrant l’organisme est susceptible d’avoir un impact (effet probabiliste).

2-2-1 Pour les composés présentant un une toxicité aigue ou chronique à seuil, active dans l’organisme par une voie métabolique simple  (mort cellulaire, nécrose ..) on calcule la valeur toxicologique de référence (VTR), appuyée essentiellement sur des données animales ou des modèles cellulaires. Quand il s’agit d’une exposition aérienne, par inhalation, la VTR correspond à la concentration aérienne admissible du toxique dans l’air exprimée en microg/m3d’air. Quand l’exposition résulte de l’ingestion d’une substance (terre, aliment) et on parle de dose journalière admissible (DJA), qui s’exprime en microg/kg/j.

2-2-2 Dans le cas des composés dont l’effet est sans seuil, ceux dont l’inhalation ou l’ingestion d’une seule molécule présente un risque d’impact sanitaire et souvent des plus graves, comme le cancer, il n’existe pas de risque nul dès qu’il y a exposition. Ces composés sont regroupés en substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (dites CMR) tels le benzène, ou les radionucléides. Dans le cas de ces substances, on considère que la probabilité du risque croit avec la dose. On admet donc une valeur de « risque négligeable ou acceptable » car très faible, généralement 10-5, soit une personne atteinte sur 100.000 et 1mSv pour les radionucléides. On a vu plus haut que la valeur de 1mSv peut être contestée et éventuellement réduite d’un facteur 10 (voir paragraphe 1-5, directive G03 de l’IFSN). De la même façon cette directive donne la valeur de 10-6 (soit un effet pathologique pour 1 million de personnes) comme limite de l’excès de risque individuel lié au rejet de substances chimiques sur le site d’enfouissement, prenant également en compte dans cette situation la multi-exposition et l’effet cocktail.

Si l’exposition est aérienne on calcule l‘excès de risque unitaire par inhalation (ERUI) il correspond à l’inverse de la concentration de la substance CMR dans l’air soit (microg/m3d’air)10-1 ; s’il s’agit d’une exposition par ingestion on calcule l’excès de risque unitaire (ERUO) de la substance CMR dans la substance ingérée soit ( microg/kg)10-1.

2-2-3 La méthode basée sur la relation linéaire décrivant l’augmentation de l’impact sanitaire avec la dose d’exposition ne peut s’appliquer en aucun cas à des molécules agissant dans l’organisme par des voies plus complexes, tels les perturbateurs endocriniens, qui sont aussi des CMR. Ceux-ci en effet peuvent agir à des doses très faibles ou intermédiaires et moins à des doses fortes. De plus, ils peuvent s’unir à d’autres substances (effet cocktail) pour induire des pathologies graves (cancers transmissibles sur 2 à 3 générations) ou des perturbations anatomiques (malformations au niveau des caractères sexuels) ou fonctionnels (baisse de la spermatogenèse, hypothyroïdie).

2-2-4 Enfin, alors que la DJA est déterminée sur la base d’une exposition qui vaudrait pour la totalité de la vie, ce n’est pas la durée de l’exposition qui compte dans les cas des perturbateurs endocriniens, mais le moment où elle survient, les expositions in utero, dans la petite enfance et la puberté apparaissant particulièrement dommageables et peuvent être transmissibles sur 2 ou 3 générations.

2-3 Remarques portant sur l’étude d’impact et son annexe

Les méthodes de la modélisation atmosphérique et du calcul de l’impact sanitaire seront discutées, puis les remarques spécifiques concernant les composés à effet sans seuil dont l’évaluation de l’impact sanitaire apparaît la plus problématique

2-3-1 Modélisation de la dispersion atmosphérique

La modélisation se fait en utilisant un logiciel également utilisé par l’INVS autour d’incinérateurs (INVS rapport d’étude d’incidence des cancers à proximité des usines d’incinération, 2008). Ce rapport énonce les nombreuses limites de cette modélisation (pas de prise en compte des vents faibles, de la rugosité du sol, des caractéristiques de la source d’émission, ni des polluants, ni de leur mélange, notamment du mélange gaz/particules). Des mesures sur site ont été réalisées et il a été constaté une grande variation des mesures par rapport à celles de la modélisation.

Plus spécifiquement, la Fig 5 du dossier d’impact montre la dispersion horaire moyenne annuelle des NOx, donnée absolument virtuelle car si les jours où souffle le Cers la dispersion est importante, mais les jours de Marin Gras il existe une stagnation des effluents tout aussi importante, avec un risque d’inhalation accru des effluents atmosphériques. On regrette l’absence de la représentation de la dispersion des composés CMR que sont les particules fines, l’ozone, les COV dont le benzène et le DEHP, qui se déposent sur le sol et éventuellement les cultures

2-3-2 Absence de caractérisation du risque lié à O3

Or, l’absence de prise en compte de l’ozone, qui se forme à partir de NO2 sous l’influence du rayonnement solaire à distance de la source d’émission (1 à 2 km) est une lacune importante. En effet le Programme Régional Santé Environnement dans sa 3ème version rapporte dans le paragraphe sur la qualité de l’air: « les situations les plus défavorables dans la région s’observent dans les grandes agglomérations et à proximité des principaux axes de circulation de communication pour le NO2 et les particules, et sur l’ensemble du territoire pour l’ozone ».

2-3-3 Incohérence dans l’expression des résultats

Contrairement à la définition donnée (chapitre 4, p33 du dossier d’EUP), les ERU des substances sans seuil sont baptisés improprement VTR et exprimées en mg au lieu de microg dans les tableaux 11 et 13 du même chapitre.

Sans la moindre explication, on découvre dans le tableau 20 (chapitre 4 p 48) portant sur le calcul des excès de risque individuel que la VTR ou ERU est de 10-5 pour tous les composés inhalés et 1 pour les composés ingérés. Cette valeur de référence est comparée à la somme des ERI de composés aussi différents que le plomb, le benzène et le DEHP (inhalation chronique Tableaux 19 à 25; P41 à 47 de l’annexe 2). Faire la somme des ERI est absolument incongru au regard des voies métaboliques utilisées pas chacun des composés et qui leur sont spécifiques.

2-3-4 Prise en compte de la durée d’exposition

Pour les substances sans seuil, le risque sanitaire individuel (ERI) est identifié et mesuré de la façon suivante :

ERI= CI x ERU x T/Tm

où CI est la concentration inhalée (microg/m3d’air)10-1  et celle ingérée ( microg/kg)10-1 T le temps d’exposition et Tm la durée de la vie entière.

-Il n’existe aucune raison logique ou mécanistique pour diviser le temps d’exposition par le temps de vie entière. En effet, d’une part une seule molécule des composés CMR est capable d’induire un risque, d’autre part les observations épidémiologiques montrent que les doses peuvent s’accumuler dans le temps (benzène et radionucléides) , ou au contraire, dans le cas des perturbateurs endocriniens, qu‘une dose limitée dans le temps reçue à un moment précis vulnérable (exposition in utero, du jeune enfant, à la puberté) est plus conséquente qu’une longue exposition à un âge plus avancé (voir paragraphe 3-2-3) et enfin qu’au long de la vie un autre facteur peut venir augmenter le risque de cancer lié à une molécule CMR (effet cocktail).

2-3-5 Insuffisance de prise en compte des situations d’exposition

-Les scénarios d’exposition par âge, par inhalation ou ingestion ne considèrent pas les enfants de moins de deux ans, qui peuvent être les plus vulnérables en particulier au DEHP (perturbateur en endocrinien).

-La méthodologie appliquée à l’exposition par ingestion n’est que très peu détaillée que dans l’annexe 2. On sait que le dépôt au sol a été modélisé à partir du dépôt atmosphérique dont on sait que les résultats sont très variables (InVS, Etude sur les incinérateurs, 2008 ). On sait que l’apport alimentaire des polluants par dépôt sur les végétaux est établi en utilisant la consommation alimentaire évaluée à partir des fiches de CIMEX (?) « fiche de profil alimentaire typique de zone rurale» , sans aucune validation, ni même simple comparaison aux données nationales et régionales des études INCA (ANSES). L’évaluation d’une exposition alimentaire ne peut se contenter de telles approximations.

-Les valeurs d’exposition maximale pour le benzène à Romilhac le haut, Montflaures en résidentiel et SLMC en professionnel dépassent la valeur cible/objectif qualité de 2 µg/m3 (Tableau 17, P36 de l’annexe2). Cela n’est souligné, ni commenté.

-Les calculs de concentration moyenne de DEHP dans l’air ou les sols, qui sera utilisé pour la caractérisation du risque, ignorent totalement la courbe en U renversé du DEHP. Ainsi sont considérés comme très faibles des valeurs qui sont justement dans l’ordre de grandeur des concentrations efficaces. Ainsi, dans le tableau 18 de l’étude d’impact, portant sur la concentration moyenne modélisée dans les sols (scénario d’exposition potentiel pour les jeunes enfants qui peuvent avaler quelques grammes de terre en jouant), on constate que les concentrations se rangent dans les zones d’action du DEHP (voir Fig3) : 107 picogramme/g de terre à Romilhac le Haut, 93,7 picogrammes/g à Romilhac le Bas, 31,4 picog/g à Montflaurès, 194 picogrammes /g à Livière haute.

-Notons aussi que jamais n’est abordé le problème des synergies possibles entre les différents polluants. C’est notoire avec l’absence de reconnaissance de l’O3, mais d’autres synergies sont très probables dans le cas des perturbateurs endocriniens au travers de la fixation aux récepteurs hormonaux. Elles sont aussi possibles dans le cas de toute substance mutagène et cancérigène par l’effet cocktail, c’est à dire par la conjonction de plusieurs facteurs impliqués dans le développement de divers cancers qui font la promotion de la lésion initiale.

2-4 Conclusion de l’analyse de l ‘étude d’impact sanitaire par Areva

L’étude d’impact sanitaire sur les composés chimiques présentée par AREVA, se termine sur une conclusion rassurante : « les risques associés aux effets à seuil comme sans seuil  peuvent être considérés comme non préoccupants ». Après l’analyse ici proposée, il est difficile d’adhérer à cette conclusion.

En effet, ces risques sont-ils si faibles ? Nous avons évoqué plusieurs lacunes (l’O3), présence de composés CMR, erreur de connaissance et erreur d’appréciation quand à certains composés (le DEHP), et enfin l’utilisation d’une méthodologie discutable. Cette limite méthodologique est évoquée par les auteurs de l’étude dans l’annexe 2, mais pas dans le dossier principal.

La seule présence de substances CMR confère un risque, et même si ce risque est très faible, il doit être justifié, réduit et compensé.

Puis, à la toute fin après avoir constaté que l’impact radiologique entraînait une exposition bien inférieure à 1mSv, la dose « acceptable » pour la population, contestable comme indiqué plus haut (paragraphe 2-5), la conclusion est la suivante : « les rejets d’installation TDN n’entraînent donc aucun risque sanitaire sur les populations voisines ». L’effet des faibles doses des perturbateurs endocriniens et de l’accumulation de la dose radiologique pendant les 40 ans de l’exploitation est donc complètement ignoré.

Les déchets nitratés doivent être traités oui, mais THOR est-il la seule solution ? Les doutes associés aux rejets chimiques et radiologiques décrits, amènent à refuser ce procédé en l’état étant donné l’insuffisance et les erreurs de l’étude d’impact. Tout autre solution doit être recherchée, techniquement et/ou politiquement.

3-Résultats et critique de l’expertise indépendante demandée par le Préfet de l’Aude

Plusieurs associations avaient réclamé une expertise indépendante, ainsi que plusieurs collectivités territoriales, notamment la motion du Conseil Régional de l’Occitanie qui demandait un moratoire pour examen de solution alternative au traitement des déchets et qui mentionnait aussi qu’il faudrait bien envisager à terme la fermeture de l’usine de Malvési.

Le Préfet a donc commandité le Professeur émérite Bernier de l’Université de Strasbourg pour la partie technologique du procédé THOR (non commenté ici) et A Ranou de l’IRSN pour la partie de l’impact sanitaire.

3-1 Risques radiologiques

L’IRSN les a évalué à 10microSv/an donc loin de la limite 1mSv/an mais sans prise en compte d’une multi-exposition possible comme le propose l’IFSN dans sa directive G03 (0,1mSv/an) ni la durée d’exposition avec une possible bio-accumulation comme le montre les résultats de l’étude INWORKS.

3-2 Risques chimiques

3-2-1 Méthodes de calcul de la dispersion

L’IRSN ne critique pas vraiment le choix du logiciel de dispersion ADMS, mais préfère le modèle de PASQUILL, qui va mesurer des expositions supérieurs à celles d’AREVA notamment pour le COV, l’As et le Ni. On peut rappeler que l’’InVS (rapport sur les incinérateurs) a utilisé en 2008 l’ADMS3 et a fait une critique de ce logiciel, soulignant les incertitudes des résultats (dépôt au sol, mélange de composés).

A noter l’absence de modélisation pour l’O3 et donc, la non prise en compte de cet élément dans l’impact sanitaire

3-2-2 Méthode de calcul de l’impact sanitaire

L’IRSN se place clairement dans la gestion du risque et applique les normes du Haut Conseil de santé publique.

-domaine d’action rapide : 10-4 : 1’effet santé pour 10.000 personnes exposées domaine de vigilance active : 10-5 = 1 effet santé pour 100.000 personnes exposées domaine de conformité <10-5 (choisi par IRSN)

Rappelons que pour l’IFSN, le domaine de vigilance active est de 10-6 : 1 effet santé pour 1.000.000 personnes exposées.

Ces normes ont été appliquées sur les chiffres calculés par AREVA

3-2-3 Résultats

Pour l’exposition aigue :

L’IRSN constate que les calculs donnés par AREVA amènent à la conclusion que l’on se trouve dans le domaine de conformité pour tous les rejets dans tous types d’exposition,

Mais l’IRSN a refait les calculs, qui donne des valeurs d’impact plus élevées et constate un risque possible pour l’exposition aigue au Ni, As et benzène. L’IRSN explique ces différences par l’utilisation de modélisations différentes (ce qui souligne les limites d’interprétation des modélisations) et demande que l’autorisation des rejets horaires pour le Ni soit divisée par un facteur 3, révision à la baisse également pour l’As et le benzène de façon à disposer de marges suffisantes pour satisfaire l’objectif de maintenir l’impact des rejets dans le domaine de conformité, rejoignant là nos constatations sur les valeurs d’exposition maximale pour le benzène à Romilhac le haut, Montflaures en résidentiel et sur le site SLMC en professionnel qui dépassent la valeur cible/objectif qualité de 2 µg/m3.

Pour l’exposition chronique : (de première importance si l’on considère les 40 ans de fonctionnement prévus).

L’IRSN conclut comme AREVA  que l’exploitation de THOR reste dans le domaine de conformité. Mais l’évaluation de l’impact est présenté /an alors que il existe une accumulation dans le temps qui devrait s’appliquer aux 40 ans d’exploitation. D’autant que ce temps long permet aux autres contaminants chimiques, effet cocktail (pesticides, solvants) + risques génetiques, de réaliser une multi-exposition donc à tous les facteurs de cancer de s’associer pour initier, faire progresser la maladie.

Sont ignorés aussi certains polluants qui rentrent plus difficilement dans les modélisations et les normes habituelles : O3 et DEHP.

O3 : c’est une pollution à l’ozone qu’est confrontée toute la France, l’été dans le Nord mais beaucoup plus en Languedoc ‘ comme l’indique le programme Santé-Environnement proposé par la région Occitanie (PRSE 3) et rappelons que Malvési a été choisi pour son ensoleillement (et son vent) pour faciliter l’évaporation des bassins d’évaporation !. Outre une réaction inflammatoire des bronches et des lésions du tissu pulmonaire, l’ozone conduit à une augmentation des crises d'asthme, des admissions à l'hôpital pour causes respiratoires et cardiovasculaires et même à un excès de mortalité, précise Santé Publique France. Effet renforcé par la synergie avec les particules fines.

DEHP : perturbateur endocrinien ses effets n’augmentent pas forcément avec la dose (pas de relation linéaire à la dose), donc les normes généralement appliquées aux molécules CMR, (cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques) ne peuvent s’appliquer sur les mêmes normes due les autres toxiques. En outre, la durée d’exposition est peu pertinente comparée au moment de l’exposition :nouveau-né ; femme enceinte. Pourquoi l’IRSN ne mentionne même pas le DEHP, classé substance très préoccupante (ECHA,Janvier 2017), ce qui oblige l’industrie à notifier à l’ECHA la présence de la substance concernée dans tout produit fabriqué ou importé dans l’UE ? Tout ce que l’on peut lire dans le rapport qui peut éventuellement être rapporté au DEHP est une phrase alambiquée dont ces institutions ont le secret : « pour répondre aux « interrogations de la Sté civile » ……, il sera opportun de discuter plus avant, notamment les questions relevant des « avancées scientifiques » et le rapporteur de proposer un espace de dialogue entre experts institutionnels et membre du public ». Il refuse ainsi les résultats des nombreuses études portant sur le risque endocrinien que font courir ces substances, et qui risque d’obérer pendant 40 ans le développement d’enfants à naître

Ainsi, même si ce rapport a conduit l’autorité préfectorale à demander des réductions dans l’émission de certains polluants, l’absence de prise en compte du DEHP constitue une grave lacune.

Areva (Orano) se doit d’étudier des solutions alternatives, comme l’extraction des nitrates, pour traiter les effluents des bassins 7 à 12.

Même s’il ne s’agit pas ici d’un problème de l’importance de celui des déchets à haute activité, c’est une autre illustration de l’impasse de la filière nucléaire.