Centrale de Tricastin
La cuve du réacteur n° 1
Défauts sous revêtement
C’est le type de défauts qui est détecté dans le métal des cuves de certains réacteurs de 900 MWe et plus particulièrement dans le métal de la cuve de Tricastin 1. Ces défauts ont pour origine des problèmes de fabrication, appelés pudiquement « indications » ou « défauts sous revêtement » en langage technique. Ils sont situés dans le métal de base de la cuve juste sous le revêtement interne en acier inoxydable, dans les vingt cinq premiers millimètres d’une cuve de 200 mm d’épaisseur.
Les défauts sous revêtement, associés au vieillissement de l’acier soumis à une forte irradiation (flux de neutrons) dans la zone de cœur, pourraient provoquer la rupture brutale de la cuve en cas de choc froid. Explication de l’ASN dans une note d’information : « en cas d’accident conduisant à une fuite du circuit primaire, de l’eau froide est injectée afin d’assurer le refroidissement du réacteur. Cette injection massive d’eau froide peut conduire localement à une diminution rapide de la température de la cuve. Cette réaction est appelée « choc froid » »1.
La tranche n°1 de Tricastin 1 a été laissée en service malgré la fragilisation de sa cuve car on ne peut ni réparer ni changer une cuve. EDF est formel : « La cuve est un des éléments majeurs de la durée de vie de l’installation du fait que l’on ne peut envisager à ce jour son remplacement. Le point clé du dossier actuel pour le palier 900 MWe est le respect du critère réglementaire de la tenue de la cuve à la rupture brutale d’un Défaut Sous Revêtement (DSR) générique (en limite de détection) provoqué par un choc froid lors d’un transitoire d’Accident par Perte de Réfrigérant Primaire par une Brèche de taille Intermédiaire (APRP BI) »2. Sur Tricastin 1, il n’est pas question d’un hypothétique défaut générique en limite de détection (6 mm de hauteur) mais de défauts quantifiés et caractérisés. Certains défauts dépassent 10 mm de hauteur et plus de 40 mm de longueur en tenant compte de l’incertitude de mesure.
Des cuves fragilisées
En 2010 et malgré la présence de défauts sur certaines cuves, l’ASN « considère que l’aptitude au service des cuves des réacteurs de 900 MWe est démontrée jusqu’à 40 ans ». La note d’information fait état de « 33 défauts sous revêtement (…) observés sur 9 cuves, dont 20 sur la cuve du réacteur n°1 de Tricastin »1. Aujourd’hui, la cuve de Tricastin 1 a atteint les quarante années de fonctionnement.
Le tableau en fin d’article dresse une liste de 36 défauts (avec leur dimensions) sur les cuves des neuf tranches répertoriées par le Groupe permanent d’experts auprès de l’ASN, dans un document non accessible au public. On y retrouve les vingt DSR de la cuve de Tricastin 1 (TRI 1) et également un DTS (Défaut technologique de soudage).
Selon le Dossier d’aptitude à la poursuite de l’exploitation de Tricastin 1, c’est lors de la seconde visite décennale (VD2) en 1998 que « 17 défauts » ont été découverts. Compte tenu de la fragilité de la cuve causée par la présence de tant de défauts, « en VD2, une modification particulière a été réalisée sur le système PTR afin d’augmenter les marges de dimensionnement de la cuve : l’eau de la bâche PTR est maintenue en permanence à une température minimale de 20°C afin de réduire l’amplitude du choc froid sur la cuve en cas d’injection de sécurité »3. Le système PTR assure le traitement et le refroidissement des piscines de combustible irradié. Il permet également, à la suite d’un accident grave, d’alimenter en eau (borée) à partir du réservoir PTR les pompes d’aspersion de l’enceinte et d’injection de sécurité, les circuits de sauvegarde du réacteur.
Lors de la VD3 en 2009, toujours selon EDF, « 3 nouveaux défauts (…) ont été identifiés » sur la cuve de Tricastin 1 : « Ces défauts n’avaient pas été caractérisés avec l’ancien procédé d’analyse, mais il a été montré, à partir des enregistrements faits lors du contrôle précédent, qu’ils étaient déjà présents et n’avaient pas évolué ». L’exploitant était donc passé à coté de trois défauts dont deux s’apparentent à un « cumul de défauts ». Et pour ce cumul de défauts, « la limite est atteinte avec un facteur de marge égal à 1 » à partir de la 4ième visite décennale (« VD4 »). En clair et selon EDF, aujourd’hui en 2020 la VD4 étant terminée, la cuve de Tricastin 1 peut se rompre en cas d’accident de type « RTV 3ème catégorie »4, la Rupture d’une tuyauterie de vapeur.
Malgré la fragilité avérée de la cuve de Tricastin 1 et les risques de rupture brutale en cas de choc froid, EDF entend donc poursuivre l’exploitation de cette vieille centrale au-delà des quarante années de fonctionnement.
« L’ASN a donné le 19 décembre 2019 son accord au redémarrage du réacteur 1 de la centrale nucléaire du Tricastin » suite à la VD4.
« D’ici fin février 2020, EDF devra adresser à la ministre chargée de la sûreté nucléaire et à l’ASN un rapport comportant les conclusions du réexamen périodique de ce réacteur. L’ASN l’analysera et prendra position sur les modalités de la poursuite de l’exploitation du réacteur »5. Il se pourrait que l’ASN demande alors à EDF de maintenir la bâche PTR à une température plus élevée (de l’ordre de 30°C) afin de récupérer un peu de marge à la rupture fragile en situation de choc froid.
En attendant, Tricastin 1 fonctionne sans marge. La production d’électricité passe semble t’il avant la sûreté…
De l’avis du GSIEN, l’option de mise à l’arrêt définitif aurait été plus sage ou, à tout le moins, un arrêt préventif en attendant la position de l’ASN et les dispositions éventuelles à mettre en place pour continuer l’exploitation.
Tableau extrait du Rapport au Groupe permanent d’experts pour les équipements sous pression nucléaires – Tenue en service des cuves des réacteurs de 900MWe pendant la période décennale suivant les troisièmes visites décennales – Séance du 16 juin 2010 (ASN)
Notes :
1 L’ASN considère que l’aptitude au service des cuves des réacteurs de 900 MWe est démontrée jusqu’à 40 ans – ASN, 05/11/2010
https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Aptitude-au-service-des-cuves-des-reacteurs-de-900-MWe
2 Formalisation du PIRT de l'approche thermohydraulique locale pour l'étude du transitoire « choc froid » lors d’un APRP BI – EDF SEPTEN, 26/01/2011 (cf. page 3)
3 Dossier d’aptitude à la poursuite d’exploitation de la tranche 1 du CNPE de Tricastin – EDF, 2010 (extrait des pages 27 et 28)
4 Justification à 40 ans des défauts détectés sur la cuve de TRICASTIN 1 en VD 3 – EDF SEPTEN, 25/02/2010
5 Arrêt pour quatrième visite décennale du réacteur 1 – ASN, 27/12/2019