11/03/20 • collectif régional « Loire et Vienne à zéro nucléaire »

Contamination de la Loire
par des émetteurs alpha

Communiqué de presse du 11/03/2020

Courrier du collectif régional « Loire et Vienne à zéro nucléaire » à l’ASN et à l’IRSN

afin de réclamer la réévaluation INES des accidents nucléaires de Saint-Laurent-des-Eaux

Il y a quarante ans, le 13 mars 1980, un deuxième accident nucléaire grave survenait dans la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux. L'accident nucléaire français le plus grave. Les dirigeants d’EDF prirent la décision inouïe de rejeter dans la Loire, au lieu de les stocker dans des containers appropriés, le plutonium et les actinides provenant de la fusion partielle du réacteur. Le but de dissimuler la gravité de l’accident apparait clairement.

Une précédente fusion partielle de cœur avait eu lieu dix ans plus tôt dans l’autre réacteur toujours dans la même centrale, et soumis à la même omerta. Témoignage éloquent de celle-ci, aucune enquête épidémiologique n’a jamais été réalisée sur les conséquences sanitaires de ces accidents.

A l’approche du quarantenaire du second accident, le Collectif régional « Loire et Vienne à zéro nucléaire » a adressé aux dirigeants de l’ASN et de l’IRSN une requête.

Celle d’affronter la falsification de leurs prédécesseurs et de prendre désormais en compte la réalité de la gravité de ces accidents nucléaires au regard des preuves accumulées. Et en conséquence de réévaluer leur classement dans l’échelle INES en les faisant accéder du niveau 4 actuel au niveau 5 de Three Mile Island.

Vous trouverez ci-dessous le courrier adressé conjointement à Bernard Doroszczuk, président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), et à Jean-Christophe Niel, le directeur général de l'IRSN.

Le Collectif régional « Loire et Vienne à zéro nucléaire » : ACEVE, SDN 41, SDN 49, SDN Berry-Giennois-Puisaye, SDN Touraine, SDN 72, SDN Pays Nantais, Réseau « l'EPR ça suffit », Collège d’Histoire de l’énergie nucléaire et de ses aléas


Courrier du 10 mars 2020 à :

M. Bernard DOROSZCZUK, Président de l'ASN

M. Jean-Christophe NIEL, Directeur Général de l'IRSN

Objet : Requête de réexamen du classement INES des accidents nucléaires de Saint-Laurent- des- eaux de 1969 et de 1980.

Messieurs,

En vertu des principes de transparence et de REX, nous déplorons que les accidents de Saint-Laurent des eaux ne soient pas mieux connus du public et qu'ils ne soient pas classés sur l'échelle INES au niveau qui correspond à leur gravité réelle et avérée depuis peu de temps.

Rappel historique des accidents :

  • Le 17 octobre 1969, tranche 1 (SLA1), fusion partielle du cœur de 5 assemblages de combustible.

  • Le, 13 mars 1980, tranche 2 (SLA2), fusion partielle du cœur de 2 assemblages de combustible

  • Le 21 avril 1980, éclatement d'un conteneur d'un élément combustible dans la piscine d'entreposage de la tranche 2.

Les deux premiers accidents ont été classés 4 sur l'échelle INES.

Le 21 juillet 2015, des carottages ont été effectués dans des sédiments de la Loire à Monjean-sur-Loire, situé à 225 Km en aval de Saint Laurent.

Rappel des notes de l'IRSN sur les accidents de Saint-Laurent

  • La première le 18 mai 2015 décrivait les accidents et concluait en constatant que les pollutions radioactives au plutonium retrouvées dans la Loire n'étaient dues qu'aux essais de bombes atomiques et à l'accident (ou incident ?) survenu dans la piscine. Le classement 4 INES des deux accidents de fusion partielle y est justifié par le fait qu'ils n'auraient pas entraîné un risque radiologique important hors du site nucléaire.

  • La deuxième, du 17 mars 2016, venant après les analyses des prélèvements de Monjean (le 21/07/15), conclut au contraire que les pics de pollution au plutonium constatés dans les sédiments en 1969 et en 1980 sont dus aux accidents de Saint Laurent.

A la lecture de ces notes, nous nous étonnons :

  • que la note de 2016 fournisse une conclusion radicalement différente de celle de 2015, sans l'annuler explicitement.

  • que ces notes n'évoquent que la pollution au plutonium (238,239, 240) alors que celle-ci ne peut être dissociée de la pollution aux autres émetteurs α incluant essentiellement l'américium 241 à hauteur de 40%. (60% de Pu),

  • que les rejets d'émetteurs α, pourtant volontaires et particulièrement élevés entre 1980 et 1985, ne soient pas pris en compte dans le bilan des rejets alors que les archives d' EDF montrent qu'ils s'élèvent à 4 Gbq pour la période 1975-1985. Par ailleurs les rejets d'émetteurs α sont légalement interdits depuis le 13 déc 1980,

  • que l'IRSN soit capable de mesurer l'impact radiologique d'un accident de satellite, des essais de bombes atomiques et de Tchernobyl, mais pas de la pollution massive des deux accidents de Saint-Laurent.

  • qu'elle cite "Une étude réalisée en 1980 (Thomas,1982)", quand il s'agit en fait de mesures réalisées dans le 1er trimestre 1980, avant l'accident donc, mais qu'elle n'évoque pas les mesures de 1983 (Etude de Alain J. Thomas: "Comportement géochimique des radionucléides à l'amont de l'estuaire de la Loire. Contrat CNEXO n°82/6844 - Rapport final - 1989 ")

Les faits avérés

L'importance de la pollution hors du site nucléaire provoquée par ces accidents peut être évaluée par :

  • La présence de particules de plutonium, les plus lourdes du tableau des éléments, retrouvées à Monjean-sur-Loire très loin de Saint-Laurent (225 Km en aval). La réalité des rejets de plutonium dans le fleuve suite à ces accidents a été attestée publiquement le lundi 4 mai 2015 par Marcel Boiteux, directeur général puis Président d'EDF à l’époque de ces accidents.

  • Le fait que les sédiments ne sont que des marquages du passage d'un très long panache de pollution. Ils n'indiquent pas l'activité radioactive volumique des rejets ni leur masse.

  • Le constat de la présence de plutonium dans les matières en suspension (MES) (Etude d'Alain J. Thomas de l'Institut de Biogéochimie Marine de L’École Normale Supérieure. 1989).

  • Le fait que l'IRSN n'a aucun renseignement sur le volume, la nature ni la concentration des rejets effectués par EDF pour « nettoyer » les sites accidentés. L'absence d'éléments détaillés sur les rejets ne devrait pas présumer de l'absence de pollution, mais au contraire de la volonté de dissimulation de l'importance les accidents.

En conséquence, nous demandons à l'ASN et à l'IRSN de reconsidérer le classement INES 4 des accidents du CNPE de Saint-Laurent-des-eaux pour le porter au niveau 5, car :

  • la pollution aux émetteurs α hors du site nucléaire, maintenant avérée, fût importante à en juger par les marquages sédimentaires constatés 225 Km en aval et 35 ans après les accidents,

  • l'impact sur l'environnement est incontestable,

  • l'impact sur la santé des populations n'a pas pu être nul étant donné que toutes les grandes villes de la Loire y puisent leur eau de consommation.

Dans l'espoir que notre requête aura une suite favorable, nous vous adressons nos salutations respectueuses.

Signé par les correspondants des associations du « Collectif Loire-Vienne à Zéro nucléaire ».


Courrier de réponse de l’IRSN

Accidents nucléaires survenus à la centrale nucléaire de Saint-Laurent- des-Eaux A en 1969 et 1980

Requête de réexamen du classement INES

Par courrier en date du 10 mars 2020, vous m’avez interrogé, ainsi que le président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, sur les accidents survenus à la centrale nucléaire de Saint- Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980.
Dans ce courrier, vous déplorez que ces accidents ne soient pas mieux connus du public et qu’ils ne soient pas classés sur l’échelle INES au niveau correspondant à leur gravité. Après avoir brièvement rappelé le contenu des notes d’information émises par l’IRSN le 18 mai 2015 et le 17 mars 2016, vous indiquez que les conclusions qu’elles donnent vous semblent contradictoires et soulevez des questions sur la manière dont sont pris en compte les différents émetteurs α et les différentes données disponibles, sur le suivi et l’encadrement règlementaire des rejets consécutifs aux accidents de 1969 et 1980 ainsi que sur l’évaluation de leur impact radiologique.

En conclusion, vous demandez de reconsidérer le classement des accidents au niveau 4 de l’échelle INES, pour le porter au niveau 5. Vous vous fondez pour cela sur la pollution aux émetteurs α dont vous considérez qu’elle a été importante, sur l’impact sur l’environnement que vous jugez incontestable et sur l’impact sur la santé des populations dont vous indiquez qu’il n’a pu être nul.

En réponse à votre demande, il me parait important de rappeler les quelques éléments suivants.
Les accidents évoqués dans votre courrier constituent deux des événements les plus significatifs ayant eu lieu dans des installations nucléaires françaises. Survenus, respectivement il y a 40 et 50 ans, ces accidents ont suscité́ un intérêt particulier à la suite de la diffusion en mai 2015, par Canal +, d’un documentaire intitulé « Nucléaire, la politique du mensonge ? ». Les deux notes que vous mentionnez dans votre courrier ont été produites par l’IRSN en réponse aux nombreux questionnements soulevés par ce documentaire.
La première, publiée le 18 mai 2015, présentait les caractéristiques des réacteurs, les conditions de déroulement des accidents de 1969 et 1980 ainsi que les éléments issus de la surveillance radiologique environnementale. Elle s’appuyait notamment sur les résultats des études radioécologiques réalisées par l’IPSN en 1993 et par l’IRSN en 2003 et concluait à l’absence de marquage en plutonium attribuable aux accidents de 1969 et 1980 dans les compartiments environnementaux directement accessibles. Pour les besoins de ces études, les sédiments de Loire analysés étaient des sédiments superficiels représentatifs des dépôts contemporains aux prélèvements.

La seconde note, datée de mars 2016, complétait la première en y ajoutant les résultats de mesures effectuées par l’IRSN sur une carotte sédimentaire prélevée en juillet 2015 dans le lit de la Loire à Montjean-sur-Loire. Alors que les études radioécologiques visaient à caractériser l’état radiologique de l’environnement propre à la période où sont effectués les prélèvements, l’étude de cette carotte avait pour objectif de retrouver dans le dépôt de 1,50 m de sédiments, un enregistrement des caractéristiques radiologiques du fleuve au cours des soixante dernières années et donc sur les périodes contemporaines des accidents. L’interprétation des résultats, et notamment des rapports isotopiques du plutonium, est exposée dans la note de 2016. Elle atteste que chacun des accidents s’est traduit par un rejet ayant entraîné un marquage de l’environnement. Les deux notes publiées par l’IRSN sont donc bien complémentaires et non contradictoires. La note de 2015 indique que les études radio-écologiques effectuées en 1993 et 2003 ne mettaient pas en évidence de marquage radiologique de l’environnement de surface attribuable aux accidents survenus en 1969 et 1980. La note de 2016 présente les résultats des mesures effectuées sur une carotte sédimentaire prélevée après la publication de la note de 2015. Elle établit que la trace de rejets de plutonium contemporains de ces accidents et présentant des rapports isotopiques caractéristiques de rejets industriels peut être retrouvée dans les sédiments enfouis à quelques dizaines de centimètres dans le lit de La Loire.

A la suite de l’enquête diffusée sur Canal +, en mai 2015, la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a confié́ au Conseil général de l’environnement et du développement durable et au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, une mission destinée à étudier les causes de ces accidents, leur gestion ainsi que leurs conséquences et la communication au public. Le rapport remis à l’issue de cette mission, à laquelle l’IRSN a apporté́ son concours, est accessible sur le site www.vie-publique.fr. Il apporte des réponses étayées aux commentaires et questions abordées dans votre courrier. C’est notamment le cas pour ce qui concerne la prise en compte des émetteurs α et des données disponibles.

Entre autres informations, le rapport revient également sur le classement des accidents. Il rappelle au préalable l’origine de l’échelle internationale INES, les critères qui en définissent les niveaux et précise que la distinction entre les accidents de niveaux 4 et 5 repose sur leurs conséquences - le niveau 4 concernant les accidents ayant des conséquences locales ou n’entrainant pas de risque important à l’extérieur du site, le niveau 5 correspondant aux accidents ayant des conséquences étendues ou entrainant un risque hors du site. A partir d’une analyse détaillée des différentes données disponibles, il conclut à la pertinence du classement au niveau 4. En appui à sa conclusion, il note en particulier que la part des éléments de combustible ayant fondu est très inférieure à 0,1 % du cœur et que « le rejet de quantités importantes de matières radioactives dans l’installation est resté confiné sans une probabilité élevée d’exposition du public ». Aucun des éléments aujourd’hui à la disposition de l’IRSN ne conduit à remettre en cause la conclusion précédente.

J’ajoute qu’à la demande de l’ASN, l’Institut a expertisé les études réalisées en 2016 par EDF pour évaluer l’impact sanitaire et environnemental des rejets de plutonium en Loire à la suite des accidents ayant affectés les installations de Saint-Laurent A en 1969 et 1980. Afin de mener à bien cette expertise, l’IRSN a analysé l’étude réalisée par EDF et a réalisé sa propre évaluation d’impact à partir des données disponibles sur les rejets, des résultats des mesures effectuées sur la carotte sédimentaire prélevée par l’IRSN en juillet 2015 et des résultats des mesures effectuées par l’institut de biogéochimie marine de l’École Normale Supérieure de Paris, en 1980 et en 1983, sur les matières en suspension dans la Loire.

Dans l’avis qu’il a publié́ en 2018, à l’issue de cette expertise, l’IRSN notait que les évaluations d’exposition conduisaient, concernant les impacts sanitaires, à des doses très inférieures à la limite de dose annuelle applicable au public et, concernant l’impact environnemental, à des valeurs d’indices de risque calculés très inférieures à 1, traduisant ainsi l’absence de risques significatifs pour les écosystèmes. Aussi, sur la base de l’évaluation d’EDF et de ses propres estimations, et en tenant compte des diverses sources d’incertitudes associées aux données disponibles, l’IRSN concluait que « les rejets en plutonium dans la Loire liés aux accidents survenus sur le site sont restés suffisamment faibles pour que les impacts sanitaires et environnementaux en aval du site puissent être considérés comme négligeables ».

Je vous prie de croire, Madame, Messieurs, à l’expression de ma considération distinguée.

Jean-Christophe NIEL