Communiqué de presse de Reclaim Finance
La taxonomie durable de l’UE
“remplace la science par les lobbies” – Rapport
Paris, le 22 juillet 2021
La ‘taxonomie durable’ de l’Union européenne risque d’être “compromise” par une “offensive” de lobbying de 85 millions d’euros en faveur du gaz et du nucléaire, affirme un nouveau rapport de l’ONG Reclaim Finance. Comme le confirme la stratégie finance durable récemment publiée par la Commission européenne, la taxonomie ouvre la porte au gaz fossile et à l’énergie nucléaire, alors que ces deux sources d’énergie représentent des dangers pour le développement durable (1) et ont été rejetées des propositions initiales des experts européens. Le rapport révèle des centaines de réunions entre des fonctionnaires européens et des lobbyistes du gaz et du nucléaire, menés par des entreprises comme Shell, BP, EDF, et leurs différents groupes d’intérêts.
La taxonomie, qui fixera le cadre des investissements “durables” dans l’Union Européenne, a été vivement et âprement discutée. Une première recommandation formulée en mars 2020 par le groupe d’experts techniques (TEG) de la Commission aurait entraîné l’exclusion effective du gaz et du nucléaire de la taxonomie, suscitant une frénésie de lobbying de la part de ces deux industries qui ont cherché par tous les moyens à être réintégrées.
Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance et auteur du rapport, remarque : “Bye bye la science, bienvenue aux lobbies. Notre rapport révèle les efforts extraordinaires déployés à grand renfort de millions d’euros par les secteurs gazier et nucléaire pour protéger leurs intérêts. Ils ont réussi à pousser la Commission européenne à ignorer les nombreuses preuves scientifiques montrant leur non-durabilité pour saper les fondements d’une taxonomie qui devait être “basée sur la science”. L’Union européenne n’a plus qu’un moyen de sauver le projet porte-étendard de sa stratégie finance durable : exclure le gaz et l’énergie nucléaire.”
Le rapport met à nu l’ampleur des efforts de lobbying de l’industrie gazière. 776 personnes ont été employées dans 182 entreprises et groupes d’intérêts gaziers pour faire pression sur l’UE. Ensemble, ils ont dépensé jusqu’à 78 millions d’euros par an, avec des contributions majeures de grandes compagnies pétrolières telles que Shell, BP Exxon et Total Énergies (2). Le résultat est un nombre extraordinaire de réunions avec des fonctionnaires européens : 323 soit plus d’une réunion tous les deux jours (3). L’impact de ce lobbying a été largement renforcé par le soutien d’États d’Europe de l’Est tels que la Hongrie et la Pologne.
Si l’opération de lobbying nucléaire est bien plus modeste – 7,9 millions d’euros par an, 119 employés provenant de 27 organisations – elle n’en est pas moins active. Peu après la mise à l’écart du nucléaire dans le rapport initial des experts européens (TEG), la fréquence des réunions entre les fonctionnaires européens et les lobbyistes du nucléaire a plus que doublé (4). L’industrie a largement bénéficié du soutien d’Etats, et particulièrement de la France, pays dépendant du nucléaire, plaidant avec véhémence pour son inclusion et s’alliant avec des pays notoirement pro gaz. L’entreprise publique française EDF est celle qui consacre le plus de moyens au lobbying pro nucléaire. Le rapport dévoile également le rôle joué par des groupes créés imitant les organisations de la société civile et leurs pratiques (“astroturfing”) [5], ainsi que par l’expertise et l’influence de l’industrie nucléaire, qui s’étendent jusqu’au propre Centre Commun de Recherche (CCR) de la Commission européenne.
Alors que la Commission a promis de déterminer le sort du gaz et du nucléaire dans une nouvelle série d’actes délégués, Reclaim Finance souligne que l’inclusion de ces énergies signerait “l’arrêt de mort” de la taxonomie durable de l’UE. L’ONG appelle la Commission, le Parlement européen et les États membres à exclure le gaz et l’énergie nucléaire. À la lumière des résultats de ce rapport, l’ONG plaide également pour que l’ensemble des lobbyistes des énergies fossiles soient bannis des institutions européennes.
Schreiber conclut : “Alors que l’industrie du gaz a lancé une opération de lobbying massive et coûteuse pour se déguiser en “énergie de transition”, l’industrie nucléaire s’est appuyée sur d’irréductibles partisans étatiques comme la France, des experts bien introduits et un astroturfing plus subtil se rallier la Commission européenne. Ces stratégies du marteau et du scalpel portent leurs fruits : le gaz et le nucléaire sont aux portes de la taxonomie européenne. En en franchissant le seuil, ils porteraient le coup de grâce à ce qui était initialement présenté comme la pierre angulaire de la stratégie finance durable de l’UE.”
Notes :
Alors que les deux secteurs ont cherché à se présenter comme contribuant à la transition durable, le secteur du gaz en tant qu’énergie “de transition” et le nucléaire comme source d’énergie “décarbonée”, Reclaim Finance souligne qu’aucune d’elles ne répond aux critères de durabilité de la taxonomie. Le gaz peut émettre autant de gaz à effet de serre (GES) que le charbon et est récemment devenu le plus grand émetteur GES dans le secteur européen de l’électricité. Le nucléaire présente des risques environnementaux importants, comme le reconnaissent les différents groupes d’experts, et ne satisfait pas à l’exigence de “Do No Significant Harm” (DNSH).
Les données ont été extraites du registre de transparence de l’UE. Voir la méthodologie complète dans le rapport.
Les lobbyistes du gaz ont eu plus de réunions (environ + 9,5 %) de janvier 2020 à mai 2021 que de janvier 2018 à juillet 2020. Ainsi, le précédent rapport de Reclaim Finance montrait que les lobbyistes du gaz avaient eu 295 réunions en 31 mois (environ 9,5 réunions par mois), tandis que les nouvelles données indiquent qu’ils ont eu 323 réunions en 17 mois (19 réunions par mois).
Le précédent rapport de Reclaim Finance montrait que les lobbyistes du nucléaire avaient eu 36 réunions en 31 mois, alors que les nouvelles données indiquent qu’ils ont eu 27 réunions en 17 mois. Par conséquent, la fréquence des réunions entre les fonctionnaires européens et les lobbyistes nucléaires a augmenté de manière significative, passant de 1,2 à 2,59 réunions par mois.
Source : reclaimfinance.org
[5] Note GSIEN : Définition de l’astroturfing selon Wikipédia : « C'est une technique consistant en la simulation d'un mouvement spontané ou populaire à des fins d’ordre politique ou économique pour fabriquer l'opinion. Elle consiste à donner l’impression d'un sentiment majoritaire pour justifier une prise de position ». « En France, le fonctionnement des techniques d'astroturfing est enseigné dans les instituts d'études politiques ».