Dossier GSIEN : Point sur les EPR
Études - Construction - Fonctionnement
Taishan 1 – Problème de conception de la cuve des EPR ?
Le premier réacteur EPR mis en service en juin 2018, Taishan 1 en Chine, est à l’arrêt depuis fin juillet 2021.
Selon Karine Herviou, directrice générale adjointe de l’IRSN (Le Canard enchaîné, 19/01/22), « l’EPR a un problème de conception de sa cuve : la circulation de l'eau sous haute pression ne s'y passe pas comme prévu et entraîne des vibrations qui usent précocement les assemblages de combustible ».
Dans un communiqué de presse (14/06/21), EDF explique avoir « été informée de l’augmentation de la concentration de certains gaz rares dans le circuit primaire du réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Taishan » [11], sans que la contamination dans le fluide primaire par d’autres radioéléments ne soit évoquée. La presse fait état de rejets de gaz rares dans l’environnement de la centrale.
Les gaz rares (principalement des isotopes radioactifs de xénon et de krypton) sont des produits de fission du combustible qui diffusent au travers des gaines du combustible poreuses et donc fuyardes. En fonctionnement normal, l’eau du circuit primaire est dans une certaine mesure contaminée par des produits de corrosion, les gaz rares et d’autres produits de fission comme l’iode ou le césium dont le niveau d’activité est fonction de l’historique des ruptures de gaines. L’exploitant assure une épuration radiochimique du fluide primaire à partir du système RCV (contrôle chimique et volumétrique du réacteur) afin de limiter les phénomènes de corrosion des matériaux et de limiter le niveau d’activité de l’eau du primaire. Le RCV en assure le « contrôle continu » avec un débit de décharge du circuit primaire « permettant le contrôle de la chimie du fluide primaire, à travers la purification, le traitement, le dégazage et les systèmes de stockage du fluide primaire » [12]. Le but est de maintenir l’activité du primaire dans les limites des spécifications radio-chimiques autorisées par les règles générales d'exploi-tation.
Ruptures de gaine (sérieuses ?) : le suivi de l’activité des gaz rares et de l’iode 131 du fluide primaire est un bon indicateur des fuites du gainage du combustible. Et de fait, l’administration chinoise confirmera l’augmen-tation de l’activité de l’eau primaire à cause de multiples ruptures de gaines de combustible : « elle estime à 5 le nombre de crayons endommagés » (ACRO - 19/06/21). À ce stade, la contamination du circuit primaire par les émetteurs alpha issus de l’activation de l’uranium n'est pas évoquée bien qu’elle semble incontournable comme le montre le retour d’expérience sur les ruptures de gaines sérieuses de Cattenom 3, il y a une vingtaine d’années. Leur présence, supposée par le GSIEN, serait problématique en termes de radioprotection des travailleurs et de gestion des déchets radioactifs.
C’est dès l’automne 2020 que l’exploitant de Taishan 1 fait le constat de l’augmentation de l’activité du primaire synonyme de rupture de gaine. La tranche est laissée en service car le maintien d'un réacteur en puissance avec des ruptures de gaine est, dans certaines limites, prévu dans les règles générales d'exploitation.
En France, selon les « Spécifications radiochimiques » d’une tranche de 900 MWe comme celles de Saint-Laurent des Eaux, une rupture de gaine devient « sérieuse » lorsque l’activité en émetteurs « alpha global » du circuit primaire dépasse le seuil de « 0,004 MBq/t » soit 4 000 Bq/t, en marche stable, c’est à dire en dehors d'un transitoire de puissance générant une augmentation de la contamination de ce circuit. Lorsque l’activité alpha est inférieure à 400 Bq/t, le seuil de détection décidé pour la mesure occasionnelle de « spectrométrie alpha », on parle alors de cœur propre ! Les mesures régulières de l’activité « gamma global » mais aussi la « spectrométrie gamma » [13] permettent de surveiller l’évolution de la contamination de l’eau du circuit primaire et donnent ainsi une estimation de la gravité des fuites du gainage, les gaz rares étant les principaux contributeurs à l'émission gamma. La figure ci-dessous résume les limites d’activités retenues par les spécifications techniques d’exploitation de la centrale de Saint-Laurent.
Les ruptures de gaines survenues sur la tranche n°3 de Cattenom en 2000 sont un bon cas d’école pour montrer leur lien avec l’augmentation de l’activité élevée du circuit primaire et la hausse des rejets radioactifs qui en découle. En fonctionnement, l’activité des gaz rares du circuit primaire est de l’ordre de 103 MBq/t sans rupture de gaine sérieuse. En cas de fuite significative, l’activité totale des gaz rares peut dépasser 2.105 MBq/t comme sur la tranche 3 de Cattenom en novembre 2001 (cf. figure ci-après).
Limitation des activités iodes et gaz rares :
Source, EDF [13]
La dégradation du combustible a provoqué l’augmentation des rejets radioactifs du site, principalement lors de l’arrêt de Cattenom 3 : « à titre d'illustration, pour les deux mois de la période du 1er janvier 2001 au 29 février 2001, les rejets gazeux du site ont été aussi élevés que sur l'ensemble de l'année 2000 pour les rejets de gaz rares et représentent environ le double de l'année 2000 pour les rejets d'halogènes et d'aérosols » [ASN], iodes, césium, etc.
Activité du circuit primaire en 133Xe et gaz rares
Cattenom + - Août 1999 à février 2001
Source, REX Ruptures de gaines sérieuses (RGS) - CAT3 - VD1 - Campagne 308 - EDF CNPE de Cattenom, 2001
Revenons sur Taishan 1 avec le communiqué de presse d’EDF du 22 juillet 2021 : comme les « l’inétanchéité de crayons de combustible montre un caractère évolutif », « les procédures d’EDF en matière d’exploitation du parc nucléaire français conduiraient EDF, en France, à mettre le réacteur à l’arrêt pour caractériser précisément le phénomène en cours et arrêter son évolution » [14].
L’exploitant chinois arrêtera finalement son réacteur le 30 juillet 2021. Restent à comprendre l’origine, l’amplitude et la phénoménologie de ces ruptures de gaine...