Avril 2022 •

Le nucléaire, une affaire de croyance ?

Par Marc Hatzfeld sur le blog du Monde,
le 26 novembre 2021

En fait, cette histoire d’énergie nucléaire semble surtout affaire de croyance. Après tout, certains humains croient qu’ils ont été invités sur terre pour gérer la planète, d’autres croient que la terre est plate, d’autres encore qu’après la mort, ils trouveront un idéal jardin, certains croient même qu’accumuler des objets et multiplier les protections sécuritaires rend heureux.

Nous croyons tous dans des fanfredaines entendues dans l’enfance ou sous l’influence de sages et de séducteurs, de bonimenteurs et de poètes. On peut se dire que de croire à des fantaisies aussi bizarres est la seule façon de se retrouver entre copains sur quelques images partagées, de façon à échapper à l’absurdité d’un monde auquel nous ne comprenons pas grand-chose.

Mais sur la question nucléaire, la croyance engage des risques de vie et de mort sérieux. La méthode atomique de production de l’énergie ne tient pas debout comme projet politique. Avoir découvert l’intimité de la matière en ouvrant l’atome fut une conquête intellectuelle considérable, un coup d’œil déterminant sur ce que nous savions de la matière et de l’univers. De là à bidouiller cette découverte en réponse à une boulimie programmée de consommation d’énergie, ce n’était pas indispen-sable.

D’autant que la transformation de cette énergie en millions de tonnes d’objets plutôt nuisibles, incrustés de force par les messages marchands dans nos modes de vie, pose quelques questions embarrassantes.

Longtemps, le dessein atomique a été tenu en semi-respect par des mouvements citoyens qui, suite aux bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, suite surtout aux accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, ont fait hésiter les messieurs-dames qui décident à notre place. Ça nous avait tellement glacé le sang qu’on aurait imaginé que, la récré terminée, on allait redevenir raisonnable.

Et voici que depuis une dizaine d’années une petite musique revient par la bouche des politiciens, selon laquelle le nucléaire serait la solution au réchauffement climatique. Carrément. Plus c’est gros, plus ça passe ! A part les écolos, personne ne moufte. La croyance dépasse ici l’absurde pour friser un projet de suicide collectif de l’espèce humaine, entraînant dans sa turpitude une bonne part du vivant.

La France historique des lumières et des droits humains produit l’électricité la plus nucléarisée du monde. Elle fabrique d’ailleurs d’excellents fromages, de la belle littérature et d’autres merveilles. Mais voilà que cette France, inventrice du Concorde qui n’a pratiquement pas volé, bâtisseuse du paquebot France juste avant que les traversées intercontinentales ne s’arrêtent et lanceuse du coup de bluff des avions renifleurs qui a bien faire rire, la France nous remet le couvert de la démesure. Ce nouvel appel du génie consiste à brandir la solution miracle aux demandes hagardes des humains pour une abondance d’énergie propre. On va vous planter des EPR sur tout le territoire, vous allez voir ça. On va même concocter des minicentrales de proximité, puisque la proximité est à la mode. On va sauver l’humanité en lui vendant des centrales dernier cri.

Rappelons que le dernier EPR a eu dix ans de retard, a coûté un bras, n’est même pas terminé tandis que les eaux ont suffisamment monté pour que l’on panique à bord. Rappelons aussi que personne ne sait comment se débarrasser des déchets nucléaires qui s’entassent on ne sait trop où et dont aucun humain ne veut dans son voisinage. Sans parler des autres vivants qui ne sont jamais même mentionnés tant est odieuse la honte pour notre espèce de ne pas nettoyer ses déjections. Rappelons encore que de bâtir une centrale et la démanteler réclame des sommes incalculables.

On sait en revanche que le futur est imprévisible et que l’erreur est humaine. C’est ici qu’il faut donc appeler la croyance à la rescousse. Des personnes respectables croient encore que la science trouvera un jour la solution à l’accumulation des déchets, aux coûts de fabrication comme à ceux du nettoyage et que, de toute façon, nous n’avons pas le choix. Je prends le parti de considérer que ces décideurs sont sincères, mais frappadingues.

La solution est pourtant d’une telle simplicité qu’on feint de ne pas la voir. Elle consiste à diminuer notre consommation d’énergie. Entre nous, franchement, sentons-nous un besoin si pressant de ce bastringue de plastoc, de virtualité, de vitesse et de ferraille où l’on immerge les habitants des pays riches tandis qu’il fait fantasmer ceux des pays pauvres ? La frénésie énergétique est tout à fait neuve dans l’histoire humaine.

S’il n’est pas, verbalement, si compliqué de trier le vital du farfelu, politiquement, cette suggestion demande un courage et une détermination rares. Il faudra bien sûr aménager cet héritage pour en conserver le meilleur, ça ne sera pas facile et je ne pense pas qu’il existe de solution paisible. Je crois cependant, pour ma part, que les humains peuvent le faire. C’est ma part d’invérifiable croyance. Entre le choix du nucléaire tous azimuts et l’invention plus que compliquée d’une frugalité partageuse, pour ce qui me concerne et en pensant à mes petits-enfants, aux mésanges charbonnières et aux buis qui n’ont rien demandé, j’opterai pour la frugalité.

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