Dossier GSIEN - Occlusion "combustinale "
Analyse du GSIEN
sur les trois parades à l’occlusion envisagées par les exploitants (EDF et ORANO).
3-Augmentation de l’utilisation du MOX
« Modification du Décret d’Autorisation de Création de l’INB n° 115 relative au réacteur n° 4 du CNPE de Paluel - Introduction d’assemblages de combustible précurseurs MOX dans le cœur du réacteur n° 4 du CNPE de Paluel »
Avis de l’IRSN du 22 décembre 2021
Extraits de l’avis :
« Le décret d’autorisation de création (DAC) du réacteur n° 4 du CNPE de Paluel (INB n°115) du 3 avril 1981 n’autorisant pas l’introduction d’assemblages MOX, EDF a adressé à la mission pour la sûreté nucléaire et la radioprotection du ministère de la transition écologique une demande de modification du DAC pour permettre l’introduction de quatre assemblages de combustible MOX en tant que précurseur d’une future gestion MOX pour certains réacteurs de 1300 MWe.
(...)
Conception des assemblages MOX
Les quatre assemblages MOX prévus d’être irradiés dans le cœur du réacteur n° 4 du CNPE de Paluel sont de conception Framatome©. Ces assemblages MOX seront irradiés trois cycles dans un cœur composé d’assemblages d’oxydes d’uranium (UO2) de conception Framatome usuellement exploités dans les réacteurs de 1300 MWe.
Par rapport à la conception des assemblages UO2 exploités dans les cœurs de 1300 MWe, ces assemblages MOX ne se distinguent que par la conception des crayons de combustible, laquelle présente quelques différences mineures en termes de géométrie, mais se caractérise surtout par la présence d’une cale appelée « cale hafnium » emmanchée sur le bouchon inférieur du crayon combustible et la présence d’un insert en hafnium en partie supérieure du crayon.
(...)
L’IRSN rappelle que, ces dernières années, des anomalies ont été révélées pour les assemblages de combustible MOX irradiés dans les réacteurs du palier 900 MWe en gestion de combustible « PARITÉ MOX ». S’agissant des assemblages MOX qui seront exploités dans les cœurs de 1300 MWe, l’IRSN considère que les dispositifs en hafnium prévus dans la conception de ces assemblages MOX sont suffisants pour prévenir la remontée de flux aux extrémités de la colonne fissile et donc éviter des restrictions d’exploitation. La résorption de l’anomalie liée à la présence d’îlots plutonifères devra en outre être effectuée en préalable à l’introduction « générique » d’assemblages MOX dans de futures recharges des cœurs de 1300 MWe prévue en 2028.
Commentaire GSIEN : ce problème est important car il met en évidence que le contrôle de la bonne homogénéité du mélange des deux oxydes (UO2 et PuO2) n'est pas réalisé à Melox, et ce n'est qu'au niveau du réacteur que des anomalies de flux neutronique mettent en évidence ces anomalies de fabrication. L'homogénéité de la répartition du Pu n'est pas contrôlée non plus au niveau du crayon combustible et ce doit être une série de pastilles à forte ou faible teneur en Pu qui conduit aux anomalies de flux.
En conclusion, l’IRSN estime acceptable, au plan de la sûreté, l’introduction de précurseurs MOX dans le cœur du réacteur n° 4 du CNPE de Paluel, sous réserve que les recharges effectives à venir ne s’écartent pas significativement des plans prévisionnels transmis par EDF en appui de sa demande de modification du DAC. L’IRSN estime en outre qu’EDF devrait mettre en place un programme de mesure expérimentale du fléchissement des crayons pour les assemblages MOX introduits dans le réacteur n° 4 du CNPE de Paluel afin de s’assurer de la robustesse des lois déterminant la pénalité de fléchissement ».
L’introduction de MOX en remplacement du combustible traditionnel (UO2) est considérée comme une modification substantielle de l’INB. « EDF a déposé une demande de modification du DAC de Paluel le 29 décembre 2020 auprès du ministère de la transition écologique. Après instruction du dossier par l’ASN [délai réglementaire de trois ans], une enquête publique sera lancée durant laquelle la Clin sera consultée (pas avant le 2ème semestre 2022) » [CLIN, Commission locale d’information nucléaire de Paluel-Penly].
Au mois de mai, la « Mission communication » de la centrale nucléaire de Paluel a présenté à la CLIN son projet de modification du Décret d’autorisation de création (DAC) « en vue d’autoriser l’introduction de quatre éléments combustibles contenant du combustible MOX » dans le réacteur n°4 de Paluel [Introduction de 4 éléments de combustible MOX - EDF Paluel, 2022]. (Lors de cette présentation, EDF a présenté une vision idyllique du fumeux « cycle de combustible français », nous y reviendrons en pages 24 et 25).
Le « Plan stratégique d’entreprise EDF » prévoit « la mise en œuvre de ce combustible, avec l’objectif d’une première tranche 1300 MW moxée en 2028, sous réserve de sa compatibilité avec l’intérêt social de l’entreprise » [Plan stratégique EDF].
Lors de l’« Atelier filière nucléaire » (11/01/2018), EDF avance une date pour l’introduction générique de combustible MOX dans le palier 1300 : « à date, un planning réaliste (tenant compte de l’ensemble des études à conduire, des autorisations réglementaires, de la conception et de la qualification du combustible, de l’introduction d’assemblages test et de la mise en œuvre d’une première recharge dans un réacteurs TTS [Paluel 4], (...) conduit à un déploiement possible en 2032 » [Commission nationale de débat public].
Ce délai de conversion des tranches 1300 MWe au MOX peut sembler long mais il pourrait s’avérer trop juste compte tenu des réserves émises par l’IRSN et de la longueur de l’instruction du dossier.
Une des réserves de l’IRSN concerne l’anomalie liée à la présence d’îlots plutonifères du combustible MOX. Détectée en 2017, l’anomalie n’est toujours pas résorbée en 2022 et elle oblige EDF à recharger ses réacteurs "moxés" avec de l’UO2 de base.
« EDF - REP - Palier CPY - Demande d’autorisation de modification notable - Parité MOX - VD3 - Enchaînement de trois et quatre recharges successives sans MOX »
Extraits de l’avis :
« Malgré des actions de maintenance et d’amélioration des processus de fabrication du combustible MOX, des difficultés persistantes sont rencontrées à l’usine de fabrication de MÉLOX, ce qui conduit à des manques de fourniture en assemblages de combustible MOX dès le début de l’année 2020. Dès lors, EDF a été amené à mettre en œuvre pour plusieurs réacteurs un enchaînement de deux recharges successives sans assemblage de combustible MOX neuf (appelé par la suite dossier « double 0 MOX ») qui a fait l’objet d’une autorisation par l’ASN en février 2020 [3]. Cette demande de modification prévoit une limitation de la durée de fonctionnement en FPPI [Fonctionnement Prolongé à Puissance intermédiaire] à huit jours en cas d’un enchaî-nement de deux recharges successives sans MOX.
Actuellement, les difficultés de fabrication d’assemblages de combustible MOX persistent toujours à l’usine MÉLOX. EDF sera alors amené, dès 2021, à mettre en œuvre pour plusieurs réacteurs un enchaînement de trois et quatre recharges successives sans assemblage de combustible MOX neuf ».
Les difficultés persistantes de l’usine MELOX (ORANO) à fabriquer du MOX sans îlots plutonifères conduisent à "dé-moxer", recharges après recharges, le parc 900 MWe. Est-il alors judicieux de tenter d’introduire du MOX dans les réacteurs de 1300 MW ?
C’est fin 2019 que l’ASN a publié un « événement significatif affectant le combustible MOX de certains réacteurs de 900 MWe ». Dans l’avis d’incident (INES 1), l’ASN note :
- « la présence potentielle, dans les pastilles de combustible MOX, de particules plutonifères de tailles supérieures aux spécifications usuelles ;
- un phénomène de remontée de flux neutronique aux extrémités basse et haute des assemblages de combustible MOX plus important qu’anticipé.
(...)
Cet événement significatif, qui avait initialement été classé au niveau 0 de l’échelle INES en 2017, a conduit EDF à mettre en œuvre des mesures compensatoires d’exploitation sur les réacteurs concernés ainsi que des modifications dans la chaine de fabrication du combustible MOX.
La survenue en 2019 de nouvelles difficultés lors de la fabrication du combustible MOX montre que les actions correctives mises en œuvre ne permettent toujours pas d’exclure la présence occasionnelle de particules plutonifères de tailles supérieures aux spécifications usuelles. Des actions correctives complémentaires ont donc été mises en œuvre dans le but de réduire leur occurrence.
Par ailleurs, EDF a identifié en 2019 que la remontée de flux neutronique plus importante qu’anticipée concerne non seulement le bas de l’assemblage, comme cela a été mis en évidence en 2017, mais également le haut. EDF a donc défini des mesures compensatoires d’exploitation complémentaires ».
A en croire l’IRSN et l’ASN, ces mesures n’ont pas encore montré leur efficacité...
En juillet 2021, l’ASN a sollicité l’IRSN sur l’impact des problèmes de l’usine MELOX sur le « Cycle du combustible nucléaire » :
« Impact des scénarios de mix énergétique et de la production actuelle de l’usine MELOX »
Extraits de l’avis :
« L’ASN demande à l’IRSN d’examiner plus particulièrement :
• la pertinence des hypothèses retenues par les exploitants au regard des scénarios de mix énergétique spécifiés par l’ASN et de la production de l’usine MELOX ;
• l’évolution dans la durée des flux et des quantités entreposées de plutonium, y compris sous forme de rebuts de fabrication de combustibles MOX (dits rebuts MOX), au regard des capacités d’entreposage disponibles et de leur saturation possible ;
• l’identification des éventuelles difficultés ou contraintes liées aux évolutions présentées par les exploitants qui pourraient entraîner des conséquences, d’une part sur les capacités des installations de traitement des assemblages combustibles usés, de fabrication d’assemblages combustibles à base d’oxydes mixtes d’uranium et de plutonium (MOX) et des transports, d’autre part sur le fonctionnement du cycle du combustible ;
• la gestion des rebuts MOX conditionnés en boîtes [voir l’encadré page 9 sur les rebuts de plutonium], en se fondant sur les bilans annuels présentés par Orano Recyclage et les perspectives de production de l’usine MELOX, ainsi que la pertinence des scénarios définis pour la reprise de ces rebuts ».
Conclusion de l’avis :
« Sur le principe, l’étude transmise par les exploitants du cycle du combustible en réponse à la demande D14 de l’ASN relative à l’analyse des effets, sur le cycle du combustible, des scénarios de mix énergétique retenus dans le décret fixant la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) apporte les éléments attendus. Elle conclut en particulier à une date de saturation possible des entreposages de combustibles usés plus tôt que celle estimée dans le dossier « Impact Cycle 2016 », du fait notamment de la prise en compte du retour d’expérience du fonctionnement des installations du cycle entre 2015 et 2020.
Toutefois, l’IRSN souligne que les conclusions de cette étude ne sont plus applicables à la situation actuelle de fonctionnement du cycle du combustible. En effet, les difficultés de production de l’usine MELOX conduiront à la saturation des entreposages de plutonium à court terme. Par ailleurs, la baisse de la capacité de traitement des assemblages combustibles usés de l’établissement Orano Recyclage de La Hague (fonctionnement de l’usine UP3-A avec deux évaporateurs PF [Produits de fissions] depuis décembre 2021, arrêt prochain des usines de cet établissement pendant plusieurs mois pour la mise en service de nouveaux évaporateurs PF) avance encore l’échéance d’une possible saturation des entreposages actuels d’assemblages combustibles. Enfin, cette échéance pourrait être mise en cause en cas de nouvel aléa affectant cette capacité de traitement.
Aussi, par rapport au dossier « Impact Cycle 2016 », les exploitants ont été amenés à définir de nouveaux projets pour accroître, à court terme, certaines capacités d’entreposage. L’IRSN considère que les exploitants doivent présenter au plus tôt les jalons de réalisation de ces projets. Au regard des éléments précités, l’IRSN considère que, parmi les nouveaux projets présentés, la densification des piscines C, D et E de l’établissement de La Hague semble être la seule solution dont la mise en œuvre est compatible avec les besoins d’entreposage identifiés par les exploitants. Pour autant, l’IRSN estime que la densification de ces piscines ne saurait être envisagée que comme une solution transitoire dans l’attente de la nouvelle piscine d’entreposage d’EDF.
En outre, l’IRSN considère qu’Orano Recyclage doit présenter une stratégie de traitement des rebuts MOX afin de résorber les quantités entreposées sur son établissement de La Hague.
Plus globalement, pour l’IRSN, la situation actuelle, qui conduit les exploitants à prendre des actions à court terme, n’est plus cohérente avec les objectifs d’anticipation de la démarche cycle, ni avec le processus d’études et d’analyses associé (dossier tous les 10 ans, valeurs moyennes, non prise en compte de certains flux...). En ce sens, l’IRSN estime qu’il convient qu’EDF, en lien avec les exploitants du cycle du combustible, anticipe davantage les évolutions possibles du cycle, sur la base d’une réévaluation régulière des études en tenant compte des effets de la PPE sur le cycle du combustible, de l’avancement des projets associés et de la réalisation d’études de sensibilité sur les paramètres les plus influents. L’objectif est, en cas d’aléas, de permettre la définition des meilleures solutions possibles en termes de sûreté et de radioprotection » [IRSN].
Une première solution a été trouvée pour "gérer" les rebuts de MOX. Dans un avis de l’IRSN (avril 2022) rappelle que « depuis 2018, l’usine MELOX rencontre des difficultés d’exploitation qui ont conduit à la génération d’une importante quantité de RBM [« rebuts boîte MOX »] et par voie de conséquence à la saturation, au cours de l’année 2022, des entreposages de plutonium de l’Établissement Orano de La Hague. Aussi, Orano a décidé de créer un nouvel entreposage pour les RBM dans un local existant de l’atelier BST1 », un atelier de l’usine d’extraction de plutonium UP2-800 [AVIS IRSN du 8 avril 2022].
Mais ce local, « conçu pour accueillir 378 boîtes de ces rebuts de MOX », devrait se remplir rapidement. Selon La Presse de la Manche (26 mai 2022), « après l’atelier BST1, un dossier pour 690 emplacements supplémen-taires a été déposé mi-mai auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire. Les aménagements sont cette fois prévus sur l’atelier R4, toujours sur l’usine UP2-800. L’objectif est une mise en service d’ici le premier trimestre 2023 ».
Le MOX c’est fantastique, avant même son irradiation, sa fabrication génère des quantités importantes de déchets à stocker, pardon de rebuts à entreposer. Définition de « rebut » avec le Larousse : « Ce qu'il y a de plus mauvais dans quelque chose et qui est laissé de côté : le rebut d'une fabrication. Synonymes : déchets - résidu ».
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